Le Corbeau. Saison 1

Chapitre 93 : X Toungouska

3316 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 09/11/2016 19:55

           CHAPITRE X : TOUNGOUSKA

 

           Cette terre était tout aussi gelée que celle qu’il avait quitté quelques heures plus tôt. Et depuis ces quelques heures, il marchait sur cette étendue glaciale. Mais ici, les grands arbres de la Taïga jetaient leur ombre sur lui. Il n’était plus qu’une ombre parmi les ombres.

           La Toungouska. Pour le commun des mortels dont la grande majorité des Sorciers, cette terre n’aurait rien de spécial. Et pourtant, Gladius y sentait ou plutôt ressentait une présence étrange. Une force diffuse. Une aura vagabonde courant entre les arbres noirs et blancs. Cette force allait s’intensifiant à mesure que Gladius marchait. Il savait alors qu’il était dans la bonne direction. Et bientôt, il arriva à la lisière de la forêt.

           La lisière donnait sur une cuvette profonde de roches à nue. Pas un arbre, pas un brin d’herbe n’avait poussé ici. Pas un animal ne courait sur la pierre d’un gris presque noir. Et même la neige, qui pourtant recouvrait toute la forêt, n’avait pas recouvert cette surface. Une étrange force mystique était présente ici. Une force que Gladius n’arrivait pas à définir. Etait-elle maléfique ou bénéfique ? Tout en se posant cette question, il se traita mentalement d’idiot. Il savait d’expérience que diviser le monde en deux camps distincts était une erreur commise par l’Homme depuis des temps immémoriaux. Rien n’était blanc ou noir.

           Gladius marchait maintenant sur la roche. Il rajouta une nouvelle constatation étrange à la liste déjà longue : la roche n’était pas froide, elle irradiait d’une certaine chaleur. Il marcha longtemps et atteignit le centre de la cuvette. Et alors qu’il regarda autour de lui, il se rendit compte. Ce n’était pas une cuvette, mais un cratère de plusieurs kilomètres de diamètre. Quelque chose était tombée ici il y a un temps indéfinissable. Cela pouvait être depuis des siècles comme quelques jours à peine.

           Il n’y avait rien ni personne ici. Ce vieux sorcier lui avait-il menti ? Mais alors qu’il se demandait s’il allait rester, il entraperçu une silhouette noire au loin. La vision disparaissait, réapparaissait, se déplaçait. Gladius ne pouvait l’identifier mais cette silhouette lui semblait étrangement familière. Il se dirigea vers elle. Mais à mesure qu’il approchait, elle se faisait plus insaisissable encore.

           Cette poursuite le mena jusqu’au pied d’une falaise noire haute d’une cinquantaine de mètres. La roche était vitrifiée comme ci elle avait subi un très fort échauffement. La silhouette avait de nouveau disparu, mais Gladius sentait sa présence plus fortement qu’auparavant. Il l’entraperçut. Elle était entrée dans l’unique grotte qui perçait le pied de la falaise. C’était plutôt une espèce de trou. Gladius sortit sa baguette et en illumina le bout avant de s’y aventurer.

           La grotte consistait en un boyau de roche lisse. Il le suivit sur une trentaine de mètres avant de déboucher sur une grande salle. Gladius éteignit sa baguette. Il n’en avait plus besoin. Les roches brillaient de mille feux sans artifice. La grotte baignait dans une lueur irréelle. Gladius posa sur ce spectacle un regard indifférent.

« Alors cette beauté ne te touche pas ? »

Gladius se retourna d’un coup, tendant sa baguette prête à lancer un maléfice. Une silhouette drapée de noir se tenait devant lui. Il ne voyait pas son visage malgré la lumière des roches et pourtant, il savait qu’il le connaissait. Intimement. Mais autre chose l’inquiétait, il ne l’avait pas senti approcher.

« Qui êtes-vous ? demanda Gladius.

-Tu ne me reconnais pas Gladius, fit-il. »

La silhouette s’approcha encore. Cela n’était pas dû à cette approche mais son visage sortit de la pénombre qui semblait l’entourer. Son visage, c’était le même que Gladius. Seul l’expression n’était pas la même. Moins sombre, moins torturé.

« Tu m’auras fait attendre, dit-il.

-Pierrick Corvus, se souvint Gladius d’un coup. C’était vous que je n’arrivais pas à voir dans mes souvenirs. Toujours vous. Celui à partir de qui j’ai été créé.

-Oui. C’est vrai. C’est pourquoi tu te sens si proche de moi. Je suis, biologiquement, celui que tu pourrais appeler « père ». Et pourtant, nous sommes aussi si éloigné l’un de l’autre.

-Vous êtes humain, je ne le suis pas.

-Quelle est ta définition de l’Humain ?

-Vous croyez que c’est le moment des débats philosophiques ?

-Tu es entrain de parler avec quelqu’un qui est mort depuis quinze ans. Alors peux-tu répondre à ta propre question ? »

           Gladius ne démontra aucune réaction. Il se contentait de regarder Corvus d’un œil sombre et inexpressif.

« Et si j’étais entrain d’halluciner ? fit-il.

-Tu sais que tu ne rêves pas, dit Corvus. Cet endroit est un pont entre plusieurs mondes. Un puissant champ magique y stagne depuis des millénaires. Et il y a quatre-vingts ans, quelque chose que les Moldus appellent une météorite est tombée ici. Elle a ouvert un passage dans le tissu des mondes. Un passage trop petit pour être dangereux. Mais suffisamment pour laisser passer quelques souvenirs du passé.

-Vous saviez que j’allais venir ici.

-A travers la barrière qui sépare le monde des Vivants de celui des Morts, on peut tout voir.

-Pourquoi êtes-vous venu ?

-Pourquoi es-tu venu ?

-Je suis venu en espérant avoir des réponses.

-Alors poses tes questions.

-Qui suis-je ?

-Qui crois-tu être ?

- Je ne suis pas venu jouer.

-Tu es une arme. Tu as été créé dans un seul but : tuer Voldemort. Le professeur Faros t’a créé à partir de moi, à partir de quelques gouttes de mon sang. C’est pourquoi tu me ressembles comme un double. Tu es mon double biologique. Mais nos âmes sont différentes. Car on ne peut répliquer l’âme comme on peut répliquer le corps. Ton âme est ton vrai Toi.

-Pourquoi m’avoir créé ?

-Il faut que tu comprennes le contexte de l’époque. Nous ne savions comment L’arrêter. Il gagnait chaque jour en puissance et en influence. En particulier en Grande-Bretagne mais aussi sur le continent et ailleurs dans le monde. La France était l’un des pays les plus touché après les Îles britanniques. En Grande-Bretagne, le professeur Albus Dumbledore organisait le combat par son Ordre du Phénix. Mais son action prenait trop de temps. Et surtout, nous n’étions pas sûrs qu’il réussisse à vaincre Voldemort. C’est pourquoi, quand le professeur Faros nous a présentés son projet, nous avons accepté. Il fallait que l’on fasse quelque chose de concret. Nous étions tous d’accord pour te créer. Même si nous pensions que nous faisions quelque chose de mal, nous ne pouvions pas rester sans rien faire. C’est pourquoi nous sommes devenus les Gardien de l’Epée.

-Je suis cette « Epée ».

-Oui. »

           Gladius détourna les yeux de Corvus. Comment avaient-ils pu lui faire ça ? De quel droit ?

« Et vous n’avez pas pensé une seule seconde que je puisse me retourner contre vous ? demanda t-il.

-Nous y avons pensé, répondit Corvus. Parmi nous, il y avait une majorité de Chasseurs. Et tu es bien placé pour savoir que nous sommes habitués à penser à l’impensable. Et ceci était une de nos premières inquiétudes.

-Et vous avez continué !

-Nous étions arrivé à un tel point que prendre ce genre de risque ne nous faisait plus peur.

-Et personne n’a regretté sa décision après ?

-Si, bien sûr. François Garde d’abord, quand nous avons commencé le traitement visant à te rendre plus fort alors que tu étais encore dans le ventre de ta porteuse.

-Comment s’appelait-elle ?

-Ta porteuse ?

-Ma mère ?

-Elle n’était pas vraiment ta mère. Elle ne t’a rien donné du point de vu biologique. Elle n’a servi qu’à te porter durant tes neuf mois de gestation et à te mettre au monde. Elle est morte en couche.

-Quel était son nom ? répéta Gladius avec une pointe de colère.

-Hélène. Hélène Barton. Une jeune fille orpheline de seize ans à l’époque. En ce temps là, il y en avait plus que l’on pouvait l’imaginer. Elle a accepté pour avoir de la nourriture et un toit.

-Elle m’a donné la vie.

-C’est vrai. Comme le professeur Faros sans qui tu ne serais pas là.

-Fermez-la. »

           Gladius resta silencieux un long moment. Il essaya de voir le visage de cette jeune fille, de le faire surgir d’un coin de son esprit. Mais rien. A croire qu’il n’avait jamais eu aucun contact avec elle. Et pourtant, elle lui avait donné la vie.

« Tu ne la jamais vu, dit Corvus comme devinant ses pensés. Elle est morte quelques minutes après ta naissance, en ayant à peine le temps de te prendre dans ses bras. Tes yeux ne s’ouvraient pas encore.

-A quoi ressemblait-elle ?

-Elle était belle. De longs cheveux châtains, des yeux verts, un petit nez légèrement pointu. Malgré le manque de nourriture, elle gardait une certaine candeur sur son visage amaigri. Elle a beaucoup souffert. L’assassinat de sa famille sous ses yeux. Elle était d’origine moldue par son père et à l’époque, il était dangereux d’être une sang-mêlé. Sa mère a été violée et tué sous ses yeux. Après, son père est mort, pas sous l’Avada Kedavra, il n’a pas supporté le Doloris. Leur assassin était un mangemort de la pire espèce. Il a dit qu’il ne la tuerait pas, pour qu’elle puisse raconter ce qu’allait subir les traîtres à leur sang. Elle a été violée entre les corps de ses parents et de son petit frère qui avait été tué en premier. Tout le groupe de mangemorts s’y est mis. Elle-même ignorait combien ils étaient. Lorsqu’ils sont repartis, elle ne souhaitait qu’une chose : mourir.

-Pourquoi ne s’est-elle pas suicidée ?

-Parce que, malgré son viol, la mort de sa famille, elle a conservé une chose essentielle : son instinct de conservation. Elle était tel un cadavre vivant. Elle vendit son corps pour assurer sa subsistance. Après tout, ce corps était déjà souillé, elle n’avait rien de plus à perdre.

-Vous parlez comme-ci elle était morte avant même que son cœur ne s’arrête de battre.

-C’était tout comme. La seule personne à arriver à la faire sourire fut François Garde. Il n’a jamais pu se pardonner la mort d’Hélène Barton. Il s’est considéré comme entièrement responsable.

-Alors que vous l’étiez tous. »

           Corvus resta silencieux. Il ne baissa pas les yeux devant le regard sombre et vide de Gladius. Car malgré cette apparente indifférence, il avait deviné qu’une âme bouillait de rage. Il était plus humain qu’il ne le pensait.

« Je ne nierais jamais ma responsabilité, dit Corvus. J’ai participé à ce projet. Mais pour une seule raison, une raison que je croyais bonne et que je crois toujours bonne : pour détruire le mage noir le plus terrifiant que nous ayons connu. Nous avions épuisé quasiment toutes nos ressources. Nous ne faisions plus que nous défendre sans savoir si nous les repoussions vraiment ou s’ils nous contournaient pour plus s’infiltrer parmi nous et nous détruire de l’intérieur. Les Mangemorts devenaient une pieuvre, leur organisation prenait chaque jour de l’ampleur. Pour la détruire, la seule solution était de lui trancher la tête.

-Et vous m’avez créé. Vous m’avez donné naissance et m’avez entraîné durant plusieurs années.

-L’attente serait longue, nous en étions conscient. Mais ce risque, nous étions prêts à le prendre. Dés que tu as eu trois ans, nous avons commencé ton enseignement de la Magie. A quatre ans, tu maîtrisais les Impardonnables. Tu n’as jamais formulé. Ta force physique étant également supérieure, je t’ais appris toutes mes techniques. Et il y eut cette nuit alors que tu avais cinq ans.

-La première nuit.

-Oui. Tu as tué une dizaine de mangemorts.

-L’un d’eux a faillit m’avoir. Vous l’avez tué pour me préserver. Pour conserver votre arme.

-Nous avions fait tant de sacrifice pour te donner naissance, allant jusqu’à renoncer à une part de notre humanité. Tu étais notre espoir. Et puis, il n’y avait pas que ça. »

 

           Charles Maldieu et François Garde étaient revenus au Département des Chasseurs. Ils s’étaient enfermés dans le bureau du directeur. Mise au courant de la présence du directeur, Suzanne Janis vint frapper à la porte du bureau malgré la secrétaire qui lui disait que le directeur avait demandé à ne pas être déranger.

           La porte s’ouvrit quand même. Charles Maldieu avait toujours ce léger sourire. Comment pouvait-il garder ce sourire ?

« Ça ira, dit-il à l’adresse de sa secrétaire. Entrez donc Suzanne. »

La chef de la section S ne se fit pas prier. Elle vit assis dans un fauteuil, son ancien mentor.

« Je peux savoir où vous étiez ? interrogea t-elle de but en blanc.

-Nous avions quelque chose à vérifier, répondit simplement Maldieu.

-Vous ignorez ce qui se passe ou quoi ? Le Ministre a annoncé un remaniement de l’ensemble des services. Il parle de mettre de nouveau Dakus à la tête des Chasseurs. Et il a même sous-entendu qu’il allait faire des changements dans les Lois. Certaines choses illégales jusqu’à maintenant ne le seraient plus. Il a fait une réunion extraordinaire avec ceux qu’il prévoit de mettre en place aux différents postes. Je suis allé voir moi-même pour savoir qui ils sont. Outre Dakus et d’autres déjà en place, je n’en ai pas reconnu la grande majorité. Mais pour d’autres, il y a des anciens fonctionnaires du Ministère renvoyés pour des affaires de corruption ou de connivence avec les mangemorts. Et le pire, il y a des anciens mangemorts bien connus de nos services, de ceux dont nous n’avons jamais eu assez de preuve pour les juger. Il y en a même qui ont déjà fait des séjours à Fortran, et pas dans le quartier des escrocs. »

Maldieu resta silencieux. Il tourna les yeux vers Garde. Les deux hommes se connaissaient depuis si longtemps qu’ils n’avaient plus besoin de parler pour savoir ce que l’autre pensait. Maintenant débarrassé de Malgéus, Janus pouvait enfin mettre son plan à exécution. Il aura attendu près de quarante ans. Il pouvait faire ce qu’il projetait depuis si longtemps.

« Dîtes quelque chose, ordonna Suzanne.

-Nous allons nous en occuper, assura Maldieu. Suzanne, je compte, après cette histoire, prendre ma retraite.

-Quoi ?

-Je suis trop vieux maintenant. Je pense qu’il est temps pour moi de passer la main. Je vais en parler au Ministre et lui dire que je lui conseille de vous nommer à la tête des Chasseurs. Vous êtes la plus à même de remplir ce rôle. Vous choisirez celui qui vous succèdera aux commandes de la section S.

-Attendez, arrêta t-elle. Si vous partez maintenant, le Sanglier va mettre Dakus à votre place.

-Personne ne le laissera commettre cette folie. Et surtout pas moi. Dakus ne sera jamais directeur de ce département. François, si nous y allions. »

           François Garde se leva. D’un geste, il vérifia qu’il avait bien ces deux baguettes. Ce geste familier à tous les Chasseurs n’échappa pas à Suzanne.

« Y a-t-il quelque chose que vous ne dîtes pas encore une fois ? demanda t-elle.

-Quoi qu’il arrive Suzanne, je vous demande de ne jamais baissé les bras et de toujours croire en ce pourquoi nous nous battons depuis tant d’années, dit Maldieu. Des temps de ténèbres vont peut-être de nouveau assombrir notre monde. Même s’il vous faut pour cela cacher votre vraie nature, jouer le jeu de l’ennemi un temps pour mieux le détruire ensuite. Faîtes-le sans hésiter. Faîtes comme vous-en avez l’habitude.

-Vous parlez comme-ci vous alliez mourir. Et comme-ci nous allions être de nouveau en guerre.

-On ne sait jamais de quoi demain sera fait.

-Et hier ? »

François s’arrêta juste devant Suzanne.

« Nous avons fait des choses dont nous ne sommes pas fier, dit-il. Mais si nous devions les refaire, nous le ferions sans hésiter. Cela n’empêche pas que nous devons tous payer un jour pour les erreurs que nous commettons.

-Qu’avez-vous fait à Pierrick Chaldo ?

-Chaldo vous le dira peut-être, sourit Maldieu. Quand il reviendra.

-S’il revient.

-Il a déjà été notre espoir par le passé. Tant que j’y pense. Si vous voyez messieurs Vinol et Marus, rendez-leur ceci. »

Maldieu donna à Janis les cartes du Département des Chasseurs de Franck et Jonas.

« Ne dîtes pas que ça vient de moi, ajouta t-il. Dîtes-leur que vous refusez leur démission. »

           Maldieu et Garde se dirigèrent vers la sortie. Maldieu se retourna une dernière fois.

« Et quand vous verrez Chaldo, dîtes-lui que nous sommes désolé. »

Laissant là Suzanne Janis, les deux hommes partirent.

 

           « Tu lui as mis un gros doute à l’esprit, dit Garde.

-Ainsi, elle ne sera pas surprise quand Janus passera à l’action. Elle pourra mener la résistance.

-Nous n’aurons pas attendu longtemps entre deux guerres.

-C’est à nous de faire en sorte qu’elle n’éclate pas.

-Tu parles comme Faros. »

         

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