Le Corbeau. Saison 1

Chapitre 46 : XIV Mystification

2733 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 10/11/2016 04:41

           CHAPITRE XIV : MYSTIFICATION

 

           Chun se réveilla enfermée dans une petite pièce au mur de parpaing. La seule source de lumière était un rayon de lune qui filtrait par un interstice. La jeune chinoise regarda autour d’elle. Assya était de l’autre côté de la pièce, recroquevillée dans un coin. Elle devait avoir perçu les légers mouvements de Chun car elle dit :

« Je suis désolée.

-Pourquoi ?

-A cause de moi, votre amie est morte.

-Ce n’est pas votre faute, nous n’aurions jamais dû être là. Nous aurions dû rester à Paris. Si je n’avais pas été faible…

-Vous vous inquiétiez pour celui que vous aimez. Ne vous en faîtes pas, je suis sûre qu’Anton nous retrouvera. »

           Chun pensa à Pierrick. Il ne savait pas qu’elle était là. Il ne savait pas qu’elle était en danger. Elle le savait capable de retourner le ciel et la terre s’il était au courant. Si seulement il était au courant.

 

           Franck Vinol apparut dans un claquement de fouet. Son regard passa rapidement sur Pierrick, Moody et VanKarus et s’arrêta sur Angelina Armose gisante sur le sol. Pierrick et Moody l’avait décrochée du pilier. La quantité de sang répandue témoignait de la sauvagerie avec laquelle elle avait été tuée. Bien qu’habitué à examiner des cadavres, Franck eut un haut-le-cœur en voyant sa gorge déchiquetée.

           « Que s’est-il passé ? questionna t-il en détournant les yeux du corps. »

Pierrick lui raconta tout ce qu’il avait compris d’après ce que lui avait dit Anton VanKarus. Franck confirma certains dires par les informations que le Seigneur Sornas avait accepté de lui donner.

« Tu vas retrouver Chun, n’est-ce pas ? fit Franck.

-Bien sûr. Nous devons nous mettre en chasse. Je te laisse t’occuper d’elle.

-Ouais. »

Pierrick, Moody et VanKarus sortirent, laissant Vinol seule avec Angelina Armose. Il regarda le corps sanguinolent durant quelques instants. Il soupira, s’estimant heureux qu’il n’avait pas eu le temps de s’attacher à elle. Il posa une main sur le bras déjà froid et transplana.

 

           La salle d’autopsie était vide. Les agents de la IRIA qui travaillaient ici n’étaient jamais là la nuit. Franck déposa le corps sur une table d’examen et la recouvrit avec un drap. Quand il sortit de la pièce, il se retrouva face à son chef de section.

« Alors ? demanda t-il.

-Tuée par un vampire, dit Franck. Elle a eut la gorge dévorée. Chun a été enlevée par le tueur. Il semblerait que ce soit ce vampire renégat dont m’a parlé Sornas : Edimus. Pierrick et Moody sont à sa recherche avec Anton VanKarus. La vampire aurait aussi été enlevée.

-Je vois. Monsieur Maldieu veut nous voir. »

           Franck Vinol suivit Luc Fabre jusqu’au bureau de Charles Maldieu. Suzanne Janis, la chef de la section S était également présente. Une fois la porte fermée, Maldieu invita les deux hommes à s’asseoir.

« La mort de mademoiselle Armose va nous poser pas mal de problème, dit-il. Cette enquête n’a rien d’officielle. Vu le contexte, j’aurais dû prévenir le ministre. C’est la procédure quand une affaire atteint un niveau impliquant plusieurs pays comme c’est le cas. Je ne l’ai pas fait car je pensais que cette affaire serait traitée entre nous avec rapidité et discrétion. J’aurais pu alors en parler au ministre après en disant que l’urgence ne me permettait pas de perdre du temps à aller le voir. Mais maintenant, il y a un mort. Et quelqu’un qui n’aurait jamais dû mourir dans cette affaire de surcroît. Cela nous oblige à passer cette affaire totalement sous silence. Personne, et en particulier le ministre, ne devra apprendre cette chasse.

-Je ne comprends pas monsieur, dit Franck.

-Depuis l’affaire du Grimoire de Malchauzen, nous pensons qu’un autre ennemi se cache dans l’ombre. Un ennemi qui a réussi à couper l’herbe sous le pied de Malgéus quand il cherchait ce grimoire. Ça vous le savez. En y réfléchissant, cet ennemi devait avoir accès à toutes nos informations et connaître nos avancés dans cette affaire à tout moment. Hors, le cabinet du Ministre était au courant.

-Vous pensez que c’est le ministre qui a le Grimoire de Malchauzen.

-Ce serait fort possible. Surtout que si on considère que le Grimoire était au Département Secret, il a dû en être retiré peu de temps avant que Malgéus s’y introduise. Le Département Secret dépend directement du Ministre. Même si par le passé, les langues-de-plomb ont caché sciemment des choses aux différents ministres en exercice, je ne pense pas que le Sanglier soit du genre à laisser un seul secret lui échapper.

-Mais qu’est-ce que cette affaire de vampire et la mort d’Armose vient faire là-dedans ?

-Le Sanglier n’apprécie pas qu’on refuse de pourchasser les mangemorts selon les méthodes qu’il prescrit. Comme par exemple de collaborer avec Dakus et sa Police Magique. Jusqu’à maintenant, nos résultats nous permettaient de justifier nos méthodes. Mais si la mort d’un membre en formation de la section IRIA lors d’une affaire de chasse au vampire s’apprenait, nous ne pourrons plus nous justifier et se serait le Bouffeur de cadavre et sa clique qui commanderaient.

-Et c’est juste pour ça que vous voulez dissimuler la mort d’Angelina Armose ! s’écria Franck. Pour protéger votre territoire !

-Vous n’avez pas compris monsieur Vinol. Nous pensons que le ministre Erwan Riliam est l’ennemi dont parlait Malgéus. Que c’est lui qui possède le Grimoire de Malchauzen. Nous n’en avons aucune preuve. Surtout que nous ignorons pourquoi il en aurait besoin.

-Et si c’était juste pour le protéger de Malgéus ?

-Nous ne pouvons prendre un tel risque. Du temps de Vous-savez-qui, Malgéus agissait comme chef des mangemorts français. Mais il y avait une sorte de légende urbaine qui traînait dans les lieux secrets. Des rumeurs disant qu’un autre mage noir, plus puissant que Malgéus et peut-être même aussi terrifiant que le Seigneur des Ténèbres, existait. Nous n’avons jamais su son nom. Il se faisait appelé : Janus. Du nom du dieu romain à deux visages, le symbole de la dualité, celui qui voit à la fois le passé et l’avenir. Il est resté dans l’ombre durant tout cette période de ténèbres, attendant son heure selon certains. Les rumeurs se sont étrangement tut quand un sorcier prescrivant des méthodes dures contre les mages noirs est apparu sur la scène politique. Un sorcier qui est devenu ministre depuis. S’il a le Grimoire de Malchauzen, alors il possède une source de puissance inimaginable. Nous serions de nouveau comme au temps de Vous-savez-qui au plus fort de son règne de terreur.

-Tous ça ne sont que des suppositions. Et surtout ne me convainc pas qu’il faut dissimuler la mort d’Angelina Armose.

-Nous ne pouvons montrer aucun signe de faiblesse. Même si ce ne sont que des suppositions. Vous êtes assez intelligent pour savoir que même si les possibilités que ce soit vrai sont proches de zéro, elles ne sont jamais égales à zéro. »

           Franck devait reconnaître que la réflexion se tenait. Ce n’était qu’un faisceau d’hypothèses plus fragile qu’une construction en allumettes. Mais il avait assez d’expérience dans ce milieu pour savoir que ce genre d’hypothèses peut se révéler vraies, en partie du moins. Alors, dans l’espoir d’arrêter un ennemi hypothétique, une rumeur, Angelina Armose devait disparaître. Sa mort ne devait pas embarrasser le Département des Chasseurs. Ses parents ne feraient jamais leur deuil, toujours dans le doute qu’elle soit encore en vie quelque part. Autant dire que leur vie n’en serait plus une. A moins que…

« Et si elle n’était pas morte à Valenciennes, dit Franck. »

Maldieu lança à Vinol un regard interrogateur.

« Si elle était morte ici, au Département, continua t-il.

-Vous voulez dire, faire une mise en scène ? demanda Maldieu.

-Il faudra maquiller le corps, mais je pense que se sera possible. Lors d’une instruction au laboratoire de potions, il y a eut un accident, une erreur de dosage. La potion sur laquelle travaillait Angelina Armose a explosé, la décapitant net. »

Maldieu se tourna vers Janis et Fabre. Les deux chefs de sections acquiescèrent que cela leur semblait une bonne idée.

« Très bien, accorda Maldieu. Mais il ne faut pas que ça se sache. Agissez avec discrétion. Nous en parlerons à Chaldo quand il reviendra.

-Pour Pierrick, je pense qu’il n’y aura pas de problème, il comprendra la situation, dit Janis. Mais je ne suis pas sûre que ça soit le cas de Chun Yang-Li.

-Nous verrons ça plus tard. Elle n’est pas des nôtres, il y a peu de chance qu’elle soit interrogée.

-Proche de zéro, mais pas égale.

-Aucune action n’est sans risque dans notre métier. Vous le savez bien Suzanne. »

 

           Franck Vinol insista pour mettre tout en place seul. Le mieux était de provoquer une vraie explosion dans le laboratoire de potions. Franck prépara la potion. Il savait qu’elle ingrédient mettre pour transformer cette mixture faite pour révéler les encres invisibles magiques les plus tenaces en un cocktail explosif. Luc Fabre vint l’aider pour la phase finale du plan. Alors que le chef de la section IRIA maintenait la tête et le haut du corps au dessus du chaudron, Franck fit léviter l’ingrédient fatidique. Sitôt tombé dans le mélange, il y eut un flash lumineux et une terrible explosion qui déséquilibra les deux hommes. Le résultat était probant. La tête et le cou de la jeune fille avait volé en charpie. Le chaudron était en miette, et le plan de travail sur lequel il était posé était brûlé.

           Alerté par l’explosion, d’autres chasseurs travaillant de nuit comme des membres du groupe AI de garde ou de la section S vinrent et trouvèrent les deux hommes hébétés et le corps de Angelina Armose. Comme le veut la procédure dans ce genre de cas, la Police Magique fut prévenue. Ce fut l’officier Albert Chergnieux qui fut chargé de constater l’accident.

            Franck Vinol connaissait Albert Chergnieux. C’était un officier de police arrogant et n’hésitant pas à user de violences psychologiques et physiques dans ses enquêtes. Il était connu pour être l’un des plus fidèles policiers de Dakus. Ancien chasseur de la section AI, il les quitta quand il fut refuser à la section S. A l’époque, Pierrick Chaldo lui avait été préféré malgré un temps de service bien plus court. Depuis, il voue une haine incommensurable au Corbeau, même s’il reconnait qu’il est très efficace. Franck Vinol était entré en même temps que Chergnieux aux Chasseurs.

« Alors comme ça on tue les nouveaux, fit Chergnieux.

-Très drôle Albert, dit Franck. Toujours le même sens de l’humour détestable.

-Que s’est-il passé ?

-Je lui apprenais à faire une potion de révélation. Monsieur Fabre est venu me chercher pour me parler d’une affaire en cours. Je me suis éloigné. Elle a dû confondre les graines de nénuphar avec les yeux de cafards. Ça se ressemble. Une erreur grossière, mais ça arrive.

-D’accord. Je ne vois rien qui justifie l’ouverture d’une enquête. Une simple erreur. Cette fille n’a pas eu de chance. Salut. »

           Une fois les policiers partis, Franck souffla un bon coup. Il n’aurait jamais pensé faire ça un jour. Estimant que le danger principal était passé, Maldieu redemanda à Franck de venir dans son bureau. Cette fois-ci, pour qu’il rapporte ce que lui avait raconté Chaldo.

           « Espérons qu’il la retrouve vivante, dit le chef des Chasseurs à la fin du récit. Vu la tournure des évènements, nous ne pourrons leur envoyer aucun appui armé. Ils sont seuls maintenant. »

 

           Cela faisait des heures que Chun et Assya étaient enfermées. L’aube approchait. Depuis des heures, les deux femmes n’avaient pas échangé un mot. La chinoise lui lançait quelques fois des œillades. Quelque chose l’inquiéta. La respiration de la vampire se faisait de plus en plus haletante, elle fermait les yeux en un signe de paresse anormale. Chun s’approcha d’elle.

« Assya, vous allez bien ? demanda t-elle. »

Sa peau était glacée mais Chun se souvint que Franck lui avait dit que les Vampires étaient à température ambiante. A chaque inspiration, la bouche de la vampire remuait, comme-ci elle cherchait à happer un maximum d’air. Chun voyait bien qu’elle cherchait à retenir ses lèvres de se retrousser totalement. Serait-il possible qu’elle est… ?

« La faim devient insoutenable Assya, lança Edimus en entrant. Tu as fait trop d’effort dernièrement, tu as donc besoin de te nourrir plus souvent.

-Je peux tenir, souffla faiblement Assya.

-Tu as toujours été faible. Je ne t’amènerais rien à manger. Après tout, tu as déjà un repas près de toi. »

Edimus esquissa un sourire et sortit, refermant la porte derrière lui.

           Chun réfléchit à toute vitesse. Assya était mal en point, elle devait se nourrir au plus vite sinon elle mourrait. Elle n’hésita plus, elle prit la vampire dans ses bras comme un gros bébé, la forçant à approcher son visage de sa propre gorge.

« Que faîtes-vous ? murmura Assya.

-Vous devez vous nourrir.

-Non, pas vous. Vous êtes la première humaine à avoir essayé de me comprendre. La première personne à vrai dire.

-Il faut que vous mangiez. Je n’ais aucune chance contre lui. Mais vous, avec toutes vos forces, vous pourrez. Je sais que vous ne me tuerez pas. Vous n’êtes pas comme lui.

-Nos lois nous forcent à effacer la mémoire de nos victimes.

-Je ne suis pas une victime. Je le fais de mon plein gré. Inutile de m’effacer la mémoire.

-Ça risque de piquer au début.

-Allez-y. »

Assya s’approcha un peu plus de la carotide de Chun. Son instinct vampire allait bientôt reprendre le dessus. Elle souffla un léger :

« Merci. »

Ses canines grandirent et aussi délicatement que possible, elle enfonça ses crocs dans le cou de la jeune chinoise. Chun se crispa un peu au moment de la morsure mais parvint à se détendre ensuite. Elle sentait son sang aspiré par la bouche de la vampire. C’était une sensation étrange. Pas de la douleur. Ce n’était plus douloureux. Elle se sentait calme. Etrangement calme.

 

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