CHRONOS ET DEIMOS. Traduit de russe, auteur TsissiBlack
Lorsque le monde cessa sa rotation vertigineuse, seules les aptitudes militaires et les compétences de l’Auror, alliées à ses réflexes prodigieux, assurèrent son salut. Un énorme loup-garou au pelage brun poussa un hurlement effroyable et bondit, lacérant la peau de dragon de la veste de Potter en fines lanières.
- Lupus Ignarus ! (1) Petrificus Maxima ! Incarcerem !
Le lycanthrope, entravé par des liens scintillants enchantés, s'effondra pesamment à ses pieds, tandis qu'un gémissement étouffé retentissait dans son dos. Harry assena un coup de pied énergique à la masse inerte de la créature avant de scruter les alentours.
- Lumos ! Quoi... Humm...
Il y eut un mouvement derrière lui et Harry pivota. À la lueur pâle de Lumos, il discerna des yeux d'un noir profond, étincelants de frayeur primitive, ainsi qu'une baguette vacillante entre des doigts crispés par l'angoisse.
- Sortons d’ici, ordonna Harry.
Soudain un bruissement se fit entendre dans le coin derrière une vieille chaise au rembourrage déchiré, et Harry réagit instantanément :
- Wingardium Leviosa ! Incarcerem ! Incarcerem ! Levicorpus ! Bien, bien, bien, très bien, dit-il d’une voix traînante ce qui n’était pas de bon augure pour les deux jeunes sorciers suspendus par les pieds. — Où est le quatrième ? Accio rat. Humm... était-il vraiment assez intelligent pour rester dans le château ? Alors, on se tait ? Bien. Mister Rogue, tenez-moi la porte, s'il vous plaît.
Obéissant à la baguette de Potter, les deux sorciers ligotés flottèrent derrière lui vers la sortie.
- Suivez-moi, Mister Rogue, ordonna Harry sans se retourner.
S'avançant sur la pelouse baignée par le clair de lune face à la Cabane Hurlante, il déposa les captifs sur l'herbe et se dressa au-dessus d'eux, fermement campé sur ses jambes. Il ne manifestait aucune hâte à libérer les coupables.
- Puis-je vous demander, pour quel diable chauve vous n'êtes pas dans vos lits ? Mister Black ? Vous gardez le silence ? Peut-être que Mister Potter peut nous éclairer ? Non ?
- Pourquoi Rogue n'est-il pas au lit, ça ne vous intéresse pas ? demanda avec une innocence feinte Sirius.
- Pourquoi n’est-il pas au lit ? Je vais le lui demander directement. Donc ? Ma patience est très, très limitée, Messieurs. Je vais compter jusqu'à trois. Un, deux... toujours pas ? Trois ! Légilimens !
Les souvenirs de James Potter, un étudiant de cinquième année de la faculté Gryffondor, affluèrent. Ils étaient principalement peuplés de Lily, d'innombrables facéties et d'une aversion prononcée pour Rogue. Concernant l'incident du jour, ses souvenirs demeuraient lacunaires. À l'annonce que Black avait évoqué leur « terrible secret » devant Snivellus, une vive inquiétude s'empara de lui. Sans élaborer de stratégie particulière (« Comme c'est familier », songea Harry), il s'élança vers le refuge de Lupin.
- Tout est parfaitement clair. Eh bien, Messieurs, je regrette de vous informer : vous venez de presque causer la mort d'un de vos camarades de classe et de faire d'un autre un meurtrier. Félicitations. Des réflexions ou des propositions ? Non ? Incroyable ! Oubliette !!! Potter a réussi à sauver Rogue. Black se repent, presque. Finita ! Retournez au château.
Potter et Black, désormais libres, avancèrent vers Poudlard d'un pas lent et hésitant, comme plongés dans un état second.
Severus, ayant repris ses esprits, tenta de protester :
- Je refuse d'être sauvé par Potter ! Je ne veux pas ! N'importe qui sauf lui !
Sans un mot, Harry saisit le gamin par le col et transplana vers l'entrée de Honeydukes.
- Silencio ! Suis-moi. Nous déterminerons plus tard ce que tu veux et ce que tu ne veux pas.
Potter entraîna Rogue, qui résistait de toutes ses forces, à travers le passage souterrain, puis dans les sombres couloirs de Poudlard, qu'il connaissait comme sa poche. La Salle sur Demande s'ouvrit sans bruit dès que Potter effleura de sa paume les pierres grises et brutes. Le château, existant en dehors du temps, reconnut son futur défenseur.
- Finita !
- Que ce que vous…
- Tais-toi !
Harry ferma la porte et enleva sa veste. Il prit la trousse de premiers secours qui avait survécu à l'incident et força Rogue, encore bouleversé, à avaler un flacon de sédatif. Ensuite, Harry retira son propre t-shirt et examina sa poitrine. Il grimaça en voyant les légères écorchures. Le plus important était d'éviter que la salive ne touche les plaies.
- Qui êtes-vous ? demanda soudainement Rogue d'une voix étrangement calme. Un Auror ?
- Humm, répondit Potter en mouillant un morceau de tissu avec une potion désinfectante à l'effet quasiment thermonucléaire. - Auror. Es-tu blessé ? Oh, putain ! Je ne m'y habituerai jamais ! jura-t-il en pressant le tissu imbibé de remèdes contre les égratignures sur sa poitrine. - Enlève tes vêtements, Rogue.
Severus rougit intensément et évita de regarder le torse musclé de celui qui l'avait secouru. Considérant les pensées qui lui traversaient l’esprit, l’ordre semblait ambigu.
- Je ne le ferai pas, murmura-t-il d’une voix rauque, et Harry daigna finalement l'observer de plus près.
Severus Rogue, dans sa version de 1976, était maigre, grand et négligée. Il était loin de ressembler au magicien arrogant et sûr de lui qu’Harry avait côtoyé durant la majeure partie de son existence. À cette époque-ci, Rogue n'était qu'un adolescent terrorisé, ayant miraculeusement échappé à une mort certaine, victime de brimades et de manque de soins.
- Ne sois pas têtu, Rogue, si la salive de ce loup-garou a touché ne serait-ce qu'une égratignure, alors... tu comprends. Tu hurleras sur la lune à côté de Lupin.
- D'où savez-vous...
- Je le sais, point final. Et c'est moi qui pose les questions et donne les ordres ici. Enlève tes vêtements ! beugla Potter, en envisageant sérieusement l’option de lancer un Stupefix sur l'entêté, car le temps pressait.
Les lèvres de Rogue tremblèrent. Les lèvres de Rogue, connu pour son sarcasme mordant capable de pousser même Voldemort au bord de la dépression, commencèrent à trembler ! Et Potter sembla alors sortir de sa torpeur. Face à lui se tenait un adolescent, un gamin qui avait frôlé la mort quelques minutes plus tôt. Harry soupira, fouilla sa veste en lambeaux et en tira un mouchoir immaculé. Il le déplia et l'approcha du nez proéminent de Severus, lui intimant :
- Souffle !
Conformément aux attentes, Rogue esquissa une grimace et se reprit : l'injonction qui lui avait été adressée, tel à un enfant capricieux, le contraignit à recouvrer ses esprits. Il leva le menton et, d'une main légèrement tremblante, défit les boutons de sa robe de sorcier élimée.
- J’aime mieux ça, approuva Potter en repliant le mouchoir dans lequel Rogue ne s’était pas mouché. - Maintenant dépêche-toi, sinon tu hurleras à la lune dès demain.
Harry examina méticuleusement cette silhouette décharnée, cautérisa quelques écorchures sur ses mains par précaution, et lança un ensemble de ses propres vêtements de rechange au jeune homme, qui se tenait pétrifié tel un membre de l'Ordre du Phénix pendant les interrogatoires du Seigneur des Ténèbres.
- La salle de bains est par là. La robe de sorcier doit être désinfectée. Tous les vêtements dans la corbeille à linge !
- Mais…
- Tout de suite !
Severus grimaça, mais décida de ne pas discuter avec un adversaire manifestement supérieur en force.
De la salle de bains il émergea vêtu d'un pantalon de survêtement trop ample pour lui et d'un t-shirt qui pendait sur lui comme un vieux manteau sur un épouvantail.
Harry, toujours torse nu et couvert d'écorchures, pointa sa baguette et ordonna :
- Approche !
Severus se raidit. Que mijotait ce déséquilibré ? Et s'il n'était pas vraiment Auror, mais plutôt un dangereux psychopathe ?
- N’aie pas peur, grimaça Harry. Je ne vais pas te manger. Du moins, pas tant que tu restes aussi maigre. Je veux simplement ajuster tes vêtements.
- Je peux le faire moi-même, répliqua Severus d’une voix rauque.
- Si tu étais capable de le faire, tu en serais sorti plus présentable, dit Potter en désignant la salle de bains d’un signe de tête.
Il accommoda rapidement les vêtements à la taille de Severus d'un coup de baguette, puis se dirigea vers la douche.
- À mon retour, je veux te voir endormi ! lança-t-il en se retournant sur le pas de la porte.
- C'est ça, compte là-dessus, marmonna Rogue face à la porte close. Pour qui se prend-il à me donner des ordres ? Je vais retourner dans le salon de ma Faculté.
Quand son sauveur sortit de la douche, Rogue avait déjà épuisé, sans succès, tous les sorts qu'il connaissait sur le mur où la porte de sortie aurait dû être.
- Tu t'es calmé ? Alors va dormir, répéta l'inconnu en secouant sa chevelure trempée.
- Mais pourquoi, mais de quel droit... s'emporta Rogue.
- Voyons... Parce que je t'ai sauvé la vie ? Non ? Parce que les couloirs sont surveillés par les professeurs ? Toujours pas ? Ou parce que les Maraudeurs, connaissent mieux le château que toi ? Non plus ? TRÈS BIEN ! Alors simplement parce que je l'ordonne ! Au lit, tout de suite !
- Et vous ?
- Oh, ne t'en fais pas, certainement pas avec toi !
Severus s'empourpra derechef, cette fois en proie à un singulier dépit. Il éprouvait une sensation de rejet, bien qu'il ne l'eût jamais avoué. De surcroît, de manière si abrupte... Cette réflexion incongrue fut interrompue et, comme il est fréquent chez les adolescents égocentriques, il prit soudain douloureusement conscience de sa propre laideur, d'autant plus vivement que l'énigmatique et intimidant étranger était bâti comme un dieu grec.
Potter qui était très observateur ne manqua pas de remarquer le brusque changement d'humeur assombrir le visage pâle de son vis-à-vis.
- Bon, quoi encore ? Mais couche-toi, enfin, Severus.
- Et vous ne voulez rien m'expliquer ?
La voix de Rogue résonna avec une clarté surprenante, comme si elle n'avait pas achevé sa mue, descendant dans des registres presque enfantins. Harry, qui s'était déjà remis de sa poussée d'adrénaline, prit soudain conscience de la façon dont la situation devait apparaître du point de vue de Severus, qu'il venait de sauver. Un loup-garou, puis un quidam surgissant de nulle part et se mettant aussitôt à donner des ordres et à lancer des sortilèges d'Oubliettes, une pièce inconnue, prétendument à Poudlard, mais en réalité - qui pouvait en être certain ? Un grand lit et des directives incompréhensibles émanant d'un parfait inconnu.
Potter, accoutumé à ce que tout le monde se plie à ses volontés sans contestation (certains par crainte de froisser l'irascible Auror en chef, d'autres, par peur ou sous contraintes de règlement), entreprit instinctivement d'imposer ses règles au jeune Rogue, qui ne comprenait rien à la situation et avait toujours fait preuve d'obstination. Apparemment, c’était une erreur, non pas parce que Harry était incapable de contraindre l'adolescent à obtempérer, mais parce qu'il s'agissait de son futur époux. Potter ne souhaitait pas, au retour dans son époque, retrouver un être docile en lieu et place du serpent astucieux et caustique qu'il connaissait. En outre, Severus méritait assurément un minimum d'éclaircissements.
- Va au lit, dit Potter avec toute la douceur dont il était capable, cependant, à en juger par l'expression obstinée de Rogue, qui se dressait le menton baissé, cette tentative ne rencontra guère de succès.
Il s'installa alors lui-même dans le fauteuil, étendant avec lassitude ses pieds nus devant lui, et promit :
- Je ne te dirai pas tout, et je ne garantis pas une vérité sans faille, non plus, mais je dirai ce que je peux…
- Quel est votre nom ?
Harry résolut de ne pas révéler sa véritable identité à Rogue, dont l'intelligence n'avait jamais fait défaut. Il jugeait superflu d'offrir des atouts supplémentaires à cet individu naturellement enclin à la duplicité.
- Déimos.
- Êtes-vous un Auror ?
- D'une certaine manière.
- Comment êtes-vous arrivé là-bas, dans la Cabane Hurlante ?
Severus s'avança, oscillant d'un pied sur l'autre, hésitant encore à se glisser dans le lit et à s'enfouir sous la couverture chaude.
Il apparaissait que la discussion avec l'adolescent entêté risquait de se prolonger indéfiniment, et Harry exhala un soupir empreint de résignation.
- Kreat... euh... elfe ! N'importe lequel !
Une créature absurde aux longues oreilles apparut immédiatement et le fixa de ses yeux énormes.
- Mister a appelé ?
- Oui. Apporte quelque chose à manger et pas de bavardage sur ce que tu as vu ici ! Compris ?
- Oui Sir ! Minky est heureuse de servir l'un des défenseurs de Poud...
- La ferme !
- Minky est une mauvaise elfe ! Minki a fâché le...
- À bouffer, de suite ! aboya Potter.
Il était habitué à Kreattur, un elfe compétent et compréhensif, capable de recadrer son maître si besoin. Les autres elfes l'agaçaient profondément.
L'elfe disparut avec un sanglot, et presque aussitôt un plateau garni des divers plats apparut sur une table basse. Harry fit venir un fauteuil pour Severus d'un coup de baguette.
- Assieds-toi, si tu préfères ne pas t'allonger, dit-il.
Rogue s'installa sur le siège, croisant les mains sur ses genoux. Il demanda, l'air un peu étonné :
- Les elfes de Poudlard vous obéissent ? Je croyais qu'ils n'écoutaient que le directeur et les professeurs.
- Moi, tout le monde m'écoute, Potter fit claquer son briquet et, après réflexion, ajouta : Sauf toi et mon propre elfe, peut-être.
- Vous n'avez pas répondu à ma question. À propos de la Cabane Hurlante. Mister.
- Oh, tu t'es souvenu de la politesse ? Je n'ai pas répondu. Parce que la réponse la plus proche de la vérité serait « par accident ».
Rogue, incrédule, s'exclama :
- Ce n'est pas possible ! Ce monstre m'avait déjà sauté dessus, et puis... vous vous êtes matérialisé de nulle part et...
Severus se tut, fixant le motif du tapis avec une attention excessive.
- Et ? demanda Harry.
- Et vous m'avez sauvé la vie, conclut Rogue d'un ton lugubre. Que voulez-vous en échange ? Il est peu probable qu'une personne comme vous me donne un jour l'occasion de... vous rendre la pareille.
- Oh, je suis certain que tu en auras l'occasion, sourit Harry, repensant à ses aventures à l'école. Et plus d'une fois. Donc pour le moment, je ne te demande rien.
- Pour le moment ? s'enquit Severus, méfiant.
- Qui sait ? J'aurai peut-être besoin de quelque chose plus tard, répondit Harry.
- Mais…
- Arrête de bavarder et mange !
Severus se mit à manger, tentant d'observer subrepticement sa nouvelle connaissance. Cependant, le sourire narquois de l'homme suggérait qu'il n'était pas aussi discret qu'il le pensait.
Sans s'en rendre compte, Severus s'endormit. À son réveil le lendemain matin, il se trouvait toujours dans la même pièce. Ses vêtements, propres et repassés, étaient soigneusement empilés près du lit. Une légère odeur d'eau de Cologne inconnue émanait de l'oreiller voisin. Déimos, quant à lui, avait disparu.
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Note
1. Lupus Ignarus - Formule magique inventée par l'auteur, qui plonge le loup-garou dans l'inconscience.