CHRONOS ET DEIMOS. Traduit de russe, auteur TsissiBlack

Chapitre 1

3272 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour il y a environ 1 mois

PROLOGUE

Minuit représente une frontière éphémère entre le jour présent et celui à venir. Un instant fugace où l'on n'est plus dans l'aujourd'hui, sans pour autant avoir basculé dans le lendemain. Rares sont ceux qui parviennent à saisir cette ligne ténue et indistincte, mais quelques chanceux y réussissent parfois.

Le chef des Aurors britanniques ne faisait manifestement pas partie de ces élus. L'heure fatidique était passée inaperçue tandis qu'il parcourait le compte-rendu d'un nouvel incident dans le monde magique, cette fois survenu dans le Wiltshire.

« Des écervelés », maugréa-t-il entre ses dents. « Une querelle familiale qui dégénère en duel ! Cent trente-deux sortilèges d'Oubliettes lancés sur des Moldus témoins involontaires... J'aurais bien envie de vous envoyer croupir quelques jours derrière les barreaux, Mister et Missis Goodway ! » Il consulta sa montre et se frotta les yeux las. « Il se fait tard... Mais que diable se passe-t-il ? »

Un geai, le Patronus du guérisseur en chef de la Sainte Mangouste, se posa délicatement sur la table juste devant lui.

« Mister Potter, » la voix de Smethwick trahissait une certaine perplexité, « nous sommes confrontés à une... situation des plus insolites ici. Je crains que votre présence à la Sainte Mangouste ne soit requise. Sans délai. Il en va de la vie de votre conjoint. »

‐         De qui ? s'enquit Harry Potter, stupéfait, mais le geai s'était déjà volatilisé sans laisser de trace.

‐         Putain de bordel de merde ! Mon statut de divorcé n'a donc aucune importance ? Attendez un instant... CONJOINT ?! »

Il se leva brusquement, s'assurant de la présence de sa baguette, de son insigne personnel, de ses documents, de son argent, enfila sa robe d'uniforme écarlate avant de pénétrer dans la cheminée, prêt à tuer les imposteurs qui avaient l'audace de...

-      Sainte Mangouste, le bureau de la médicomage en chef ! tonna-t-il, et les flammes vertes le propulsèrent vers des événements qui s'annonçaient pour le moins... singuliers. Même pour lui, Harry Potter, dont l'existence, Merlin en soit témoin, n'avait guère été empreinte de banalité depuis sa venue au monde.

 

CHAPITRE 1

 

-      Quel genre de blague stupide est-ce là, Richard ? s'enquit Potter d'un ton faussement affable, à peine sorti de l'âtre du bureau de son vieil ami, Richard Smethwick.

Combien de fois ce praticien aux tempes argentées l'avait-il soigné et remis sur pied après une énième mission périlleuse ? Un nombre incalculable. Ainsi, le ton du héros de toute la Grande-Bretagne ne trompa pas le guérisseur. Le grand chef des Aurors était furieux.

-      Assieds-toi. Et range ta baguette, pour l'amour de Merlin !

Smethwick ôta ses lunettes et les essuya avec un mouchoir blanc comme neige.

-      Dis-moi, depuis combien de temps nous connaissons-nous ?

-      Dix, voir, douze ans, je pense, répondit Potter un peu plus calmement.

-      Je me souviens encore de toi, presque démembré, ressemblant plus à un atlas d’anatomie, qu’au Garçon qui a toujours survécu, Harry, et c’est pourquoi…

-      …tu arrêteras de marmonner et tu m'expliqueras : Qu’est-ce que c’est que ce bordel ? hurla Potter.

-      Crier et exiger tu le peux dans ton bureau des Aurors, mon garçon. Puis-je continuer ? Je te remercie. Alors voilà, il y a de cela trente minutes, l'équipe médicale de permanence a été alertée : Un homme de 49 ans présentait les symptômes d'une intoxication, laquelle avait provoqué un ralentissement significatif de ses fonctions vitales.

-      Coma ?

-      Oui, et assez atypique. La respiration est à peine perceptible, mais la magie... se comporte de manière inhabituelle. Des inscriptions rougeâtres apparaissent sur la peau de la poitrine.

-      Que disent ces inscriptions ?

Smethwick parcourut du regard les parchemins éparpillés sur son bureau avant d'en sélectionner un qu'il lui tendit.

« Harry James Potter », lut-il. - Humm…

-      Après avoir effectué quelques manipulations simples, nous avons découvert que le patient bloquait toute magie dirigée contre lui. Même les sorts de diagnostic. Nous avons donc décidé d'utiliser une autre méthode pour découvrir... eh bien, tu sais, lorsqu'un mariage magique est conclu, la composition du sang change, permettant de déterminer le nom du conjoint. Nous utilisons parfois cette technique si nous ne parvenons pas à identifier le patient par d’autres moyens. Pour pouvoir par la suite trouver et contacter sa famille.

-      ET?

-      Après avoir prélevé le sang, nous l'avons mélangé à une potion spéciale, semblable à celle que les gobelins utilisent pour construire un arbre généalogique... et comment dire ça plus délicatement...

-      Mon nom est apparu sur le parchemin, déclara Harry d’un air sombre. - Et tu m'as appelé.

-      Je ne savais pas que tu es remarié, je suis vraiment désolé, mais pour l'instant nous ne pouvons rien faire...

-      Je suis célibataire ! aboya l'Auror en chef.

Cependant, sa réaction n'impressionna pas le guérisseur, habitué aux patients nerveux et agités.

-      La magie ne se trompe jamais, répondit-il calmement. - Donc, c'est toi qui te trompes !

-      Est-ce que j’ai l’air d’un idiot ?

-      Non.

Un silence pesant s'installa. Harry passa mentalement en revue l'ensemble de ses relations et liaisons récentes, s'efforçant de déterminer s'il avait commis un acte que la magie pourrait interpréter de cette façon...

-      Quarante-neuf ans ? s'enquit-il finalement. Cependant, je..., as-tu établi son identité ?

-      Oui. C'est le directeur d'un grand laboratoire privé, le héros de la Seconde Guerre Magique, un chevalier de l'ordre...

-      Non…

-      …Merlin première classe…

-      Non.

-      …un fabricant de potions de renommée mondiale qui a créé la potion anti-lycanthrope…

-      Non ! Tais-toi pour l'amour de Merlin ! Ce n'est pas possible...

-      Severus Rogue est ton mari, Harry, dit Smethwick fermement. - Aie au moins le cran...

-      Je ne l'ai pas vu depuis cinq ans ! Et lors de notre dernière rencontre, nous avons uniquement échangé de malédictions ! Il me déteste !

-      Harry...

Potter se couvrit les yeux avec sa main.

-      Tu es sérieux ? demanda-t-il, sans grand espoir.

-      Oui.

-      Va-t-il mourir ?

-      Je ne sais pas. Tu ne te rappelles vraiment rien ?

Harry lui jeta un regard rapide et agacé avant de répondre :

-      Je me rappelle. Mais pas de ce qui t'intéresse. Je n'ai jamais envisagé de me remarier. Encore moins avec un homme. Surtout pas avec quelqu'un de vingt ans mon aîné. Et certainement pas avec Rogue !

-      Attends qu'il meure, suggéra le guérisseur d'un ton glacial. Tu seras veuf et ça te calmera.

-      Richard...

-      Il. Est. Ton. Mari.

-      Putain, jura doucement Harry. - Conduis-moi à lui, nous procéderons à un rituel de vérification du lien magique. Il me faut une certitude. Ensuite, tu m'examineras pour déceler toute trace du sortilège d'Oubliettes. Tout ceci est très suspect et ne me plaît pas du tout.

Dans une chambre d'hôpital, au sein du service réservé aux Aurors - ce qui amusa intérieurement Harry - Rogue, en tant que son époux, se vit attribuer la meilleure suite. Le personnel, redoutant à juste titre le tempérament du chef des Aurors, connu pour ses colères aussi vives que ses pardons étaient faciles (bien que ces derniers s'accompagnent généralement de dégâts considérables), avait pris ses précautions.

Sur un lit médicalisé, spécialement conçu pour maintenir en vie les patients gravement atteints, reposait nul autre que Severus Rogue, sa splendeur au nez crochu. Le dôme de sortilèges protecteurs vibrait doucement au-dessus de lui, mais Harry ne remarqua pas les filaments magiques de soutien vital qui entouraient habituellement les patients pour prolonger leur séjour en ce bas monde. Il faillit oublier : rejet de la magie, bien sûr.

Ce visage disgracieux, presque effacé de la mémoire de Potter, arborait une pâleur et une sérénité inattendues. Nulle trace des lèvres pincées, des sourcils sarcastiquement arqués ou de la moue dédaigneuse habituels. Juste le visage pâle d'un homme infiniment fatigué de la vie.

Smethwick sortit sa baguette et ordonna :

-      Approche-toi du lit et prends sa main. Le dôme te laissera passer.

Harry, troublé par l'étrangeté de la situation, s'avança. Il marqua une brève pause, puis saisit la main. Elle était étonnamment fine et chaude.

Le guérisseur prononça une incantation en latin, puis exécuta un geste mystérieux et complexe avec sa baguette. Aussitôt, Harry fut enveloppé d'un flux puissant d'énergie chaleureuse et vivifiante. La magie de Rogue l'enlaçait telle un félin affectueux retrouvant son maître, parcourant son corps las comme une douce brise printanière. La sensation était... agréable. La main dans sa paume frémissait imperceptiblement, tandis que des bracelets lumineux se matérialisèrent autour de leurs poignets.

-      Un mariage magique pleinement confirmé et solide, qui ne date ni d'hier ni même de la semaine passée, observa Smethwick. - Que ressens-tu Harry ?

-      Sa magie semble me caresser. Je n'ai jamais ressenti quelque chose comme ça. Avec ma femme…

-      Avec ta femme c'était un mariage civil, un mariage ministériel. Une union magique, elle, exige un accord mutuel et une certaine... compatibilité. Vois-tu la bague ?

Harry effleura le délicat bandeau d'argent orné de runes.

-      Tu ne l'aperçois pas ? demanda-t-il.

-      Non, mais je sais qu'elle doit être là, répondit son interlocuteur.

-      Oui, déjà à l'école... commença Harry avant de s'interrompre brusquement, stupéfait. - Il l'avait pendant nos leçons d'Occlumencie, poursuivit-il d'une voix rauque. Je m'en souviens clairement. Il tenait sa baguette dans cette main.

-      Harry...

-      Tu veux dire que...

-      C'est une bague de fiançailles.

-      Mais... je n'étais qu'en cinquième année !

-      Vous étiez déjà marié à l'époque.

-      Tu délires, suggéra Potter sans beaucoup d'espoir.

-      Non. Et au fond de toi, tu le sais.

-      Je ne pouvais pas… Je le détestais ! Et lui, il me détestait aussi...

-      Et maintenant ?

Harry regarda le visage fatigué de son… mari et répondit :

-      Je n'en ai aucune idée. Probablement pas. Il y a bien des gens dans ce monde que je tuerais sans aucun remords. Il ne fait pas partie de leur nombre. Vérifie-moi pour Oubliette.

Il desserra son étreinte sur la main de Rogue et fut étonné d'éprouver une sensation de vacuité l'enveloppant, comme si une partie de lui-même s'était soudainement évanouie.

-      Une ultime vérification alors, si des incertitudes persistent, suggéra Smethwick. Tentes de retirer l'anneau. Seul celui qui l'a passé est en mesure de l'ôter.

Harry effleura une nouvelle fois la main diaphane et tiède, et la sensation de vide s'évanouit comme si elle n'avait jamais existé. L'anneau se détacha aisément, mais Rogue, bien qu'inconscient, se mit à respirer de façon plus saccadée, s'agitant sans cesse, puis se cambra en émettant un gémissement rauque. Potter replaça l'étrange artefact, et le patient retrouva aussitôt son calme.

-      Tu comprends quelque chose, Richard ?

-      Quelque chose, oui, mais certainement pas tout. Installe-toi sur cette chaise et efforce-toi de faire ressurgir de ta mémoire l'ensemble des souvenirs que tu associes au Professeur Rogue. Tous, même le plus... hum... intimes.

-      Je n’ai aucun souvenir intime avec lui ! aboya Potter, perdant à nouveau son sang-froid.

-      Je vais te prescrire une cure de potions calmantes ! menaça le guérisseur. - Alors, TOUS les souvenirs, Harry, depuis le tout premier. Et abaisse tes défenses mentales, je suis un guérisseur, non un espion. Sois assuré que je ne m'attarderai sur rien d'inutile.

Potter haussa les épaules et rangea la baguette dans son étui, pour ne pas succomber à la tentation de s'en servir.

Les bribes des souvenirs défilèrent :

Premier jour à Poudlard, le professeur Rogue siège à la table de la Grande Salle. La leçon de potions et l'évocation de « notre nouvelle célébrité ». Rogue claudique à Halloween. Il menace Quirrell, prépare des potions et adopte un comportement suspect. Il intimide... et ce pendant six années. Pourtant, il sauve toujours. La haine, les cours de Occlumancie, une bague, toujours la même, à son doigt. Traître, biche... « Regarde-moi. » Les souvenirs. Cérémonie de remise des médailles et des récompenses au Ministère. Prof, vivant, en bonne santé et toujours le même Rogue insupportable. Le quidam a survécu, par des moyens encore obscurs. De nouveau au ministère, lors du bal : « Encore vous, Potter ? » lorsqu'Harry tente de l'aborder. Mariage avec Ginny, une silhouette sombre et solitaire, et  « Toutes mes condoléances, Missis Potter »  prononcé avec froideur. Dans l'Atrium, un frôlement fortuit, un échange houleux et un bref : « Imbécile ! », suivi d'une malédiction à peine esquivée. Les yeux sombres emplis d'incompréhension, plissés par la colère. Hôpital Sainte Mangouste. Un visage pâle et serein, une main chaleureuse et une magie bienveillante. C'est tout.

-      Je n’ai trouvé aucune lacune. C'est vraiment bizarre. Considérant votre relation…

-      Que dois-je faire ?

-      Pour comprendre la situation, nous devons examiner les causes sous-jacentes. J'ai l'intuition que l'état actuel de Mister Rogue est lié à vous, ou plus précisément à votre relation. Dans un mariage magique, les époux sont si fortement attachés l’un à l’autre que, je ne sais même pas comment le dire…, c’est peut-être votre haine qui le tue.

-      Quoi ?! Alors peut-être que je devrais l'embrasser et il reviendra à la vie ? À la manière... du prince de La Belle au bois dormant ?!

-      Rentre chez toi et réfléchis, dit le guérisseur d’un ton sévère. — Ton époux n’a pas besoin des inquiétudes supplémentaires !

Harry ne prit conscience qu'à cet instant de l'agitation nerveuse de Rogue. Il se reprit aussitôt : Potter ne souhaitait aucunement être la cause de sa mort, malgré leurs nombreuses... divergences passées.

-      Combien de temps pourrait-il tenir si je n'en découvre pas la cause ?

Smethwick observa attentivement le réseau scintillant des sortilèges de protection avant de répondre avec un haussement d'épaules :

-      Six semaines environ.

-      Bien, Harry se leva et tendit la main au guérisseur. - Je vais prendre quelque temps de congé et le consacrer à la recherche d'une solution. Cela faisait longtemps que je n'avais pas pu m'accorder un peu de repos. Kingsley me tanne la peau depuis un moment pour que je prenne des vacances, il sera donc satisfait de me voir enfin suivre son conseil.

Le guérisseur lui remit un modeste médaillon métallique suspendu à une chaîne, sur lequel était gravé le chiffre 69.

-      Voici le Portoloin pour accéder à la salle. Tu peux l'utiliser à ta convenance. Tu sais comment me trouver si besoin.

-      Bonne nuit, répondit Potter d'un ton maussade, lançant un dernier regard tout aussi maussade vers le lit surélevé et transplana.

Les défenses magiques de l'hôpital Sainte-Mangouste s'ouvrirent à son passage, ayant été reprogrammées pour lui accorder un accès permanent. Cette reconfiguration avait été effectuée suite à une troisième restauration, rendue nécessaire après que l'Auror en chef eut encore forcé l'entrée. Il était devenu évident qu'aucune barrière magique protectrice ne pouvait résister à une confrontation directe avec la puissance de Potter.

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Notes

Chronos - (selon l'étymologie grecque ancienne signifie "temps"), est une divinité primordiale de la mythologie hellénique. Il incarne la temporalité dans sa dimension la plus fondamentale.

D'après les écrits de Phérécyde de Syros, Chronos figure parmi les trois principes primordiaux. De sa semence jaillirent les éléments essentiels que sont le feu, l'air et l'eau. Selon certaines interprétations, Chronos aurait engendré la plus ancienne entité de notre cosmos naissant : le temps lui-même.

 

Deimos - son nom signifie "confusion" ou "horreur" en grec ancien, est une figure notable de la mythologie grecque antique. Fils d'Arès, dieu de la guerre, et d'Aphrodite, déesse de l'amour, il incarne la personnification même de l'effroi. Aux côtés de son frère Phobos, de la déesse de la discorde Eris, et de la déesse Enyo, Deimos accompagne son père Arès sur les champs de bataille, semant la terreur parmi les combattants.


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