Of Potions and Riffs (Severus Rogue X OC)
Lorsque qu’il arriva en trombe dans son bureau, Severus Rogue ferma d’un geste abrupt de sa baguette les volets des fenêtres à la lumière verdâtre offrant une vue sous le Lac Noir bordant le château. Il barricada la porte de sorts toujours plus impénétrables les uns que les autres. Enfin, il ôta sa robe de sorcier, qui enveloppait son manteau victorien sombre et s’effondra dans son siège en se prenant la tête dans les mains. Rogue ne pleurait jamais, mais sa respiration était anormalement forte, traduisant la difficulté qu’il avait à garder le contrôle de lui-même. Ses cheveux retombèrent sur son front comme un rideau protecteur.
Peu importe à quel point il essayait, il ne parvenait à effacer de ses rétines l’image de Winter Grail, talentueuse, brillante et…douloureusement belle. Cela fit remonter en lui une haine profonde, un dégoût de soi et de ce qu’il estimait être sa propre faiblesse. Le tout était enrobé d’un sentiment de culpabilité fortement ancré.
Même le recours à l’Occlumancie, art de blocage de l’esprit et de la pensée dans lequel il excellait, ne suffit pas. Chaque souvenir chargé de remords, chaque cicatrice mentale de son passé qu’il tentait de faire remonter à son cerveau s’entremêlait à une mémoire plus récente qui refusait d’être réduite au silence. La fois où il avait surpris Winter la nuit à fureter dans le château, les nombreuses heures de retenue passées en silence avec elle, la vue de la jeune femme inanimée dans la Forêt Interdite, et plus récemment, son odeur sucrée sur sa cape qu’elle lui avait restituée après son passage à l’infirmerie…
Il savait. Le tissu avait été imprégné par une note très subtile de son parfum, fragrance qui serait probablement passée sous le radar de n’importe qui d’autre. Mais rien n’échappait au nez entraîné de Rogue.
L’homme se leva brusquement et se tourna vers ses étagères emplies de bocaux de toutes tailles conservant dans du formol des ingrédients pouvant varier d’une fine queue de salamandre, en passant par des ailes de Doxy, des poils de Boursouf, jusqu’à un foie de Chimère aux dimensions impressionnantes.
Mais ce qu’il cherchait se trouvait dissimulé derrière l’une des pièces les plus imposantes, rares et dangereuses en sa possession : un dard de Manticore. Ces créatures du Moyen Orient au corps de lion, à la tête humaine et à la queue de scorpion étaient classifiées au plus haut degré de dangerosité par le Ministère de la Magie au même titre que les dragons ou les Détraqueurs. L’organe était emballé précautionneusement dans un récipient en verre scellé et renforcé par des sorts anti-corrosifs, le venin magique pouvant rester actif pendant des dizaines d’années après la mort de la Manticore.
Severus déplaça légèrement le bocal et récupéra dans le fond de l’étagère une pile de photographies. Il se rassit à son bureau, époussetant le film des clichés recouvert d’une légère couche de poussière. Une jeune femme au visage lumineux et aux cheveux roux flamboyants le fixait avec curiosité et bienveillance, animée par magie. Ses yeux verts semblaient l’interroger du regard avec insouciance.
Il scruta chaque image, encore et encore, envahi par la mélancolie. Il caressa la pellicule d’une main tremblante.
« - Pardonne-moi…Lily. »
Il ne restait plus beaucoup de temps désormais avant le bal de Noël. Winter était prise entre ses répétitions pour préparer le concert et ses cours et nombreux devoirs à faire. Pourtant, l’atmosphère autour d’elle avait changé. Tout d’abord avec Oscar. À la suite de la première session musicale, Winter avait décidé de confronter son ami. Il lui semblait impossible que Rogue ait quoi que ce soit à lui reprocher, à moins qu’Oscar n’ait tout déballé lorsque qu’il avait été reconduit par l’Auror au château.
« - Comment as-tu pu faire ça ? Toi, moucharder ? Je te croyais tellement sincère !
- Winter…ce n’est vraiment pas ce qui s’est passé…
- Oh épargne-moi tes excuses, Oscar ! Tu es un sans-couille, voilà, ce qui se passe ! Tu n’as aucun honneur !
- Winter, je t’en prie…
- Considère notre relation comme terminée. Je n’ai plus rien à te dire. »
C’est ainsi qu’elle avait congédié son plus proche allié, se sentant blessée et trahie. Pendant les semaines de cours qui suivirent, Oscar et Winter s’évitèrent, choisissant en classe des places diamétralement opposées.
La musicienne perçut également un autre changement d’attitude radical à son égard provenant du professeur Rogue. L’homme s’appliquait à l’ignorer et à ne lui adresser aucun regard, aucune parole pendant l’entièreté des cours de potions. Elle ne reçut finalement pas de punition avec lui mais quelle ne fut pas sa surprise quand un hibou lui apporta lors d’un déjeuner une lettre de convocation à des retenues avec Argus Rusard, l’acariâtre concierge de l’école. La missive était signée par Dumbledore. Le motif était vague et indulgent : « Infraction au règlement scolaire pour des considérations éthiques personnelles ».
Winter avait deviné que le directeur de l’école savait tout. Forcément. La libération des dragons avait fait du bruit dans les journaux et avait eu un retentissement notoire au sein du Ministère de la Magie. Les créatures étaient activement recherchées. C’est donc tout naturellement qu’Albus Dumbledore avait été mêlé à tout cela. Mais il avait choisi de protéger la rockstar en toute connaissance de cause, probablement par rapport à la fameuse prophétie.
Officiellement, l’événement avait été qualifié d’accident, bien que le Département de la justice magique avait ouvert un dossier d’instruction accompagné d’une procédure d’investigation.
Puis, vint enfin le soir du bal de Noël. Cette année n’était pas une année comme les autres. Avec la présence de Durmstrang et de Beauxbâtons, l’événement se tint le 24 décembre 1994 au soir, repoussant les éventuels départs des élèves dans leurs familles. Les vacances scolaires se virent légèrement décalées vers janvier. Le château, d’habitude calme et vidé de son agitation le jour de Noël, était en pleine effervescence.
Les sujets du bal étaient sur toutes les lèvres. Les filles cancanaient gaiement à l’idée de s’habiller en robe de soirée et de vivre un moment digne d’un conte de fée. Chacune voulait être la plus belle, la plus sophistiquée, la plus désirée, celle qui ferait tourner toutes les têtes. Les garçons, plus timides et maladroits, appréhendaient davantage le moment, que ce soit le fait de porter un costume pour la première fois pour la majorité d’entre eux, ou bien de devoir danser avec leur partenaire sur la piste pendant plusieurs heures. Les cours de valse obligatoires, dispensés par Minerva McGonagall en amont, ne les avaient guère rassurés sur leurs capacités.
Les noms de Viktor Krum, Cédric Diggory, Fleur Delacour, Harry Potter, mais aussi celui de Winter Grail étaient sur toutes les lèvres. Qui allaient être leurs heureux partenaires ? Les paris entre étudiants étaient lancés.
Mais ce soir, Winter était bien loin de tout ça.
« - Quoi ? Tu n’as pas de…binôme ? Toi ? Winter ? »
Robert Hayes lui lança un regard incrédule alors que les musiciens se préparaient dans des loges improvisées près de la salle de bal.
Winter soupira alors qu’elle terminait de s’apprêter, assise devant un miroir à démêler ses cheveux. Robert surenchérit en prenant Magorian et Joe à témoin.
« - Mais c’est pas possible…Elle a littéralement tous les mecs à ses pieds. Même les profs si elle le voulait ! »
Le jamaïcain répondit d’un petit sourire énigmatique et Magorian leva un sourcil, profondément désintéressé par les histoires de romance humaine. Il préférait les récits de batailles épiques lui évoquant la sueur et l’odeur du sang.
« - Et Cédric alors ? Il ne t’a pas demandé ? Je ne comprends pas qu’il sorte avec Cho Chang finalement. Elle est complètement accro à lui, mais tu étais son premier choix au cas où tu ne savais pas. Tout le monde en parlait ce matin dans la salle commune de Serdaigle. »
Winter rétorqua avec un ton sec :
« - Qu’est-ce que j’en ai à cirer de ce qui se dit dans la salle commune de Serdaigle ? »
Cela refroidit immédiatement le guitariste qui regarda au sol, trouvant ses chaussures montantes subitement intéressantes. La sorcière poussa un profond soupir, se leva et quitta sa coiffeuse.
« - Désolée Robert…Je suis un peu sur les nerfs ce soir. Je n’ai pas l’âme à ce genre de…légèreté. »
Robert écarta des yeux, surpris et inquiet.
« - Tu…as le trac ? »
Cela lui paraissait étonnant. La célèbre musicienne avait fait du haut de ses 19 ans les plus grands stades dont tout interprète rêverait dans sa carrière. Une salle de bal d’une école devrait être une formalité pour elle.
Winter secoua la tête et se radoucit :
« - Non, je suis juste…fatiguée ces derniers temps. »
La réalité était que sa situation lui pesait. Elle commençait à regretter l’éloignement qu’elle avait imposé à Oscar sans daigner écouter la moindre de ses explications. Et sans qu’elle ne puisse expliquer pourquoi, l’acte de provocation qu’elle avait adressé à Rogue en chanson la tracassait encore des semaines après. Peut-être que ces paroles qu’elle avait sorties de son imaginaire spontanément pour le choquer et le perturber avaient finalement plus de poids en elle qu’elle ne le pensait.
La pianiste accusait un contre-coup qu’elle n’avait pas anticipé. À jouer avec le feu, elle s’était brûlée. Il était plus que temps à présent de clôturer cette fin d’année épouvantable.
Elle respira un bon coup puis, après avoir vérifié sa tenue de scène qui la rendait plus distinguée et mature que n’importe quelle jeune fille dans sa robe de bal, elle se tourna vers ses musiciens.
« - Il est l’heure. Le temps de la valse s’achève. Place au rock ! Pendant l’heure qui va suivre, nous ne serons qu’un. Je compte sur vous. Lâchez tout ce que vous avez en vous et surtout, amusez-vous. C’est tout ce que je vous demande. »
Robert et Joe se postèrent aux côtés de Winter, passant leurs bras par-dessus son épaule. Magorian hésita un moment avec réticence, peu à l’aise à l’idée d’approcher des humains, mais ferma le cercle. Ils poussèrent un cri de guerre pour libérer la tension.
Le centaure, le jamaïcain, le Serdaigle et Winter formaient une bien curieuse équipe. Mais une chose était certaine, ce concert allait resté gravé dans les mémoires. La troupe se dirigea vers la porte d’entrée de la salle de bal menant à la scène.
Quand ils arrivèrent sur le plateau, un tonnerre d’applaudissements et de cris d’admiration s’éleva. La salle était déjà survoltée. Le bal traditionnel venait de s’achever et les couples d’élèves, échauffés après avoir tournoyé et virevolté sur des mesures à trois temps, réclamaient à présent quelque chose de plus électrique.
Winter monta sur l’estrade en dernier. Les trois écoles de magies réunies scandèrent son nom. Elle reconnut immédiatement au premier rang dans l’assistance de nombreux garçons de Durmstrang et de Poudlard qui l’avaient invitée au bal mais à qui elle s’était poliment refusée.
Elle aperçut également les couples phare de la soirée. Cho Chang était accrochée au bras de Cédric Diggory, le dévorant avec des yeux énamourés. La compositrice étouffa sa surprise quand elle aperçut Hermione Granger dans les bras de Viktor Krum, la brute de Durmstrang. Voilà qui était inattendu. Quant à Harry Potter, il se tenait à l’écart avec Ron Weasley. Son rencard lui avait visiblement faussé compagnie. Plus loin, vers le fond, se trouvait l’ensemble du corps enseignant accompagné d’Olympe Maxime et d’Igor Karkaroff, les directeurs des écoles étrangères.
Winter prit place et la salle s’éteignit. Les projecteurs éclairèrent la scène, la poursuite braquée sur elle. Juste avant de planter son premier accord sur son clavier, elle réalisa cependant qu’il manquait quelqu’un parmi les professeurs : le Maître des Potions.
La foule nageait en plein délire. Après trois rappels et sous une ovation complète, Winter quitta la scène, la chemise trempée de sueur et sa crinière brune dansant furieusement sur son visage. De retour dans les loges, elle se rua sur un verre d’eau posée sur une commode. La jeune femme peinait à marcher droit tant elle était dépassée par la chaleur et l’énergie surréaliste qui avaient irradié d’elle pendant toute la performance et s’étaient propagées comme une vague à l’ensemble de la pièce. Elle s’épongea le visage avec une serviette.
« - Woah, c’était…dément. Tu dégages vraiment un truc, Winter, ils n’avaient de yeux que pour toi. C’était palpable. », s’exclama Robert Hayes derrière elle.
« - Merci encore de nous avoir choisis pour partager cette expérience. », ajouta Joe d’une voix plus nonchalante, mais trahissant tout de même l’exaltation.
Winter hocha la tête, peinant à redescendre de sa décharge d’adrénaline. Le concert avait eu un effet cathartique sur elle. Elle s’était rarement autant donnée à fond. Dans chaque accord, chaque ascension vocale puissante, elle avait expulsé son humeur maussade. Il ne restait à présent qu’une sensation de douce fatigue enveloppée dans un sentiment de bien-être.
La rockstar sourit et souffla :
« - Oui, c’était parfait. Vraiment, merci à tous. »
Magorian apparut à son tour, le torse bombé comme s’il revenait vainqueur d’un combat d’arène. Il chercha ses mots un instant, en conflit avec sa fierté, avant de lâcher avec un semblant de rictus au coin des lèvres.
« - Ce n’était…pas trop médiocre, pour des festivités humaines. »
Peu de temps après, Winter se rinça rapidement dans la douche des loges et se changea à moitié. Elle enfila une autre chemise propre mais conserva son costume de soirée. Elle se couvrit avec un manteau et une écharpe.
« - Je crois que j’ai besoin d’aller faire un petit tour, je suffoque un peu. », déclara-t-elle avec un léger sourire à l’adresse des autres musiciens.
Robert rit, sachant qu’elle devait repasser par la salle de bal.
« - Attention, ça bouscule derrière la porte. »
Winter grimaça. Effectivement, lorsqu’elle sortit des loges et longea la scène, un troupeau d’élèves s’était amassé pour la féliciter et la complimenter. Elle lut sur toutes ces figures juvéniles des regards énamourés, du désir, de l’adoration. La compositrice se contenta d’y répondre poliment mais son besoin de solitude devenait prédominant. Maintenant hors de scène, l’impératrice du rock avait repris sa personnalité introvertie et discrète.
Après plusieurs minutes à naviguer tant bien que mal dans la foule et l’agitation, Winter parvint à se défaire de ses admirateurs et à s’éclipser hors de la salle de bal et des couloirs sinueux du château. Quand elle referma la porte donnant sur les jardins derrière elle, elle poussa un soupir de soulagement.
L’air était frais mais agréable et bienvenu après le tumulte qu’elle venait de vivre. En longeant les allées principales en graviers, elle croisa quelques couples d’élèves enlacés, profitant de l’obscurité de la nuit et du refuge des arcades du cloître des jardins pour s’embrasser. Ils étaient tellement absorbés qu’ils ne la remarquèrent même pas. Elle arriva ensuite au niveau du parc des calèches. Le carrosse de Beauxbâtons y était garé dans un coin et pas loin, les Abraxans étaient rassemblés autour d’une mangeoire remplie de foin.
La musicienne, perdue dans ses pensées, sursauta quand elle fut bousculée par Igor Karkaroff, le directeur de Durmstrang. Celui-ci semblait être sorti du château pendant la performance. De ses yeux froids et perçants, il dévisagea la musicienne, ne s’attendant visiblement pas à la trouver ici. Il resserra le col en fourrure de son manteau blanc épais en laine et lâcha sèchement avec un fort accent bulgare.
« - Regardez où vous allez un peu ! »
Il disparut, retournant vers l’intérieur de l’école. Winter haussa les épaules. Elle le trouvait décidément louche mais décida de ne pas s’appesantir là-dessus et de profiter de sa soirée. Il devait être bientôt minuit à présent. La sorcière dépassa le parc des diligences pour s’enfoncer davantage dans les jardins de Poudlard. Ces derniers étaient parfaitement entretenus, et revêtaient un caractère intime, les grandes haies taillées la dissimulant à l’abri des regards. La jeune artiste s’assit sur un banc en pierre blanche et contempla un instant le ciel et ses constellations. La lune était absente, probablement masquée par un nuage.
Winter resta ainsi dans ce moment hors du temps, les yeux fermés, blottie dans son écharpe. Elle fit le vide dans son esprit et se laissa bercer par les bruits nocturnes. De temps à autre, ses oreilles percevaient un clapotis en provenance du Lac Noir, émis probablement par le calmar géant reposant dans les eaux profondes qui remontait ses tentacules à la surface.
Au bout de quelques instants, une ombre silencieuse se dessina au milieu des rideaux d’arbustes. Deux yeux noirs fixèrent la jeune femme inconsciente d’une telle présence, se fondant avec la nuit elle-même.
Winter tourna la tête lentement pour s’étirer et c’est alors qu’elle le vit. Depuis quand l’observait-il ainsi ? Il s’approcha lentement.
« - Je n’aurais pas imaginé vous trouver seule ici loin de toute cette animation…Miss Grail. »
La voix de Severus était calme et enveloppante. La pianiste le regarda un moment, surprise par sa venue. Elle ressentit comme une sensation de chaleur dans sa poitrine. Il était vêtu de son manteau noir mais sans sa cape. Rien ne changeait par rapport à d’habitude dans son apparence mais pour autant, quand elle posa ses yeux sur lui, elle fut hypnotisée.
« - Je…n’aime pas trop les foules bruyantes. », confessa Winter.
L’homme leva un sourcil, ne s’attendant visiblement pas à cette réponse.
« - Pourtant, vous avez un certain don pour les envoûter. », remarqua-t-il.
Winter sourit doucement en regardant le ciel parsemé d’étoiles, chaque astre n’étant pas sans lui rappeler les lumières des projecteurs.
« - Tout est si différent sur scène… », murmura la musicienne d’une voix douce.
Il la regarda longuement sans rien dire. Le silence revêtit un caractère étonnamment apaisant. La présence du professeur des potions avait souvent pour effet de la rendre nerveuse, mais pas cette fois.
Après quelques secondes d’indécision, Winter suggéra timidement en désignant le banc sur lequel elle était assise du regard :
« - Voulez-vous… ? »
Severus Rogue hésita. Personne n’avait jamais cherché sa compagnie volontairement depuis des années. De plus, elle était son élève. Il aurait dû tourner les talons, mais son corps réagit avant que son esprit n’ait le temps d’ériger la moindre barricade. Mains dans les poches, il s’assit prudemment à côté d’elle en maintenant une distance respectable. Winter inspira lentement, sentant son cœur tambouriner dans sa poitrine. Elle le dévisagea un instant, puis ses yeux clairs se perdirent au niveau d’un parterre enneigé devant eux.
« - Je voudrais m’excuser pour l’autre jour. Pour…vous avoir embarrassé de la sorte. Je ne sais pas ce qui m’a pris. »
Le visage sévère de Severus se détendit très légèrement à ces mots. Il hocha la tête lentement puis répondit de sa voix riche, dénuée de son ton habituellement autoritaire.
« - Je vous dois des excuses également. Pour avoir…insulté votre art à plusieurs reprises auparavant. Vous n’êtes pas une artiste sans âme. »
Il joignit ses mains sur ses genoux, dans l’attente de la réaction de la jeune femme. Son corps était toujours droit, mais moins raide que d’ordinaire.
Winter esquissa un sourire. Il l’avait entendue depuis les jardins. Ce compliment inespéré avait pour elle plus de poids que toutes les clameurs de la salle de bal entière réunies. Son regard vague s’attarda un moment sur un étrange cactus recouvert de neige. Severus suivit son regard.
« - Mimbulus tremulus. Une espèce cousine du Mimbulus mimbletonia. Elle pousse même en hiver. Elle s’appelle ainsi car elle tremble quand on la déracine. »
Le visage de Winter afficha une expression de surprise mêlée à une pointe de respect.
« - Vous en savez autant en botanique que le professeur Chourave ? »
Severus dégagea une mèche de cheveux qui lui tombait sur le visage. Un semblant d’approbation apparut sur ses lèvres fines.
« - L’art des potions est l’une des disciplines les plus exigeantes qui soit et elle nécessite au préalable la maîtrise de d’autres matières. Jamais je ne vous ferai manipuler un ingrédient dont la connaissance m’échappe, Miss Grail. Je ne saurais tolérer la mise en danger de la vie de quiconque pendant mes cours. Y compris de la vôtre, aussi insolente que vous êtes. »
Malgré la touche de sarcasme, il y avait une forme d’engagement et de solennité dans son discours. Winter rit à voix basse.
« - Donc je suis toujours exaspérante ? Au moins, vous avez renoncé à l’idée de me voir expulsée de l’école, semble-t-il. Il y a du mieux, dirait-on. »
Il la dévisagea avec un air amusé, mais aussitôt remplacé par une forme de préoccupation.
« - Mes colères étaient justifiées. Ce qui s’est passé avec les dragons était d’une folie sans nom. Pourtant, vous y êtes retournée. »
Dès lors qu’il aborda le sujet, Winter se prépara immédiatement à un sermon, mais ce dernier ne vint pas. Severus Rogue la fixait intensément. Ses yeux sombres et absorbants tentaient de la déchiffrer comme si elle était une énigme. Il attendait calmement une réponse et pour la première fois, en ce moment hors du temps, il semblait la considérer comme la jeune adulte qu’elle était.
Winter se sentit tiraillée. L’homme assis à côté d’elle n’avait fait que lui mettre des bâtons dans les roues depuis son arrivée à Poudlard. Pourtant, il ne l’avait pas sauvée une, mais deux fois. Elle savait que sa réponse pourrait avoir de grandes conséquences sur l’avenir. L’atmosphère paisible et confidentielle eut raison de sa réticence après de longues minutes.
« - Je sais parler aux dragons. »
Il la regarda sans comprendre.
« - Pas seulement à eux, mais à toutes les créatures magiques. Un peu comme Harry Potter avec les serpents, mais de manière plus universelle. »
Severus afficha une stupeur non dissimulée.
« - Vous parlez aux créatures… », répéta le sorcier avec une forme de fascination.
Winter opina doucement.
« - Oui. Et ce don est mentionné dans la fameuse prophétie dont Dumbledore vous a tenu à l’écart. Je pense qu’il me couvre car il ne veut pas bouleverser le cours de certains événements. Je devais libérer ces dragons car…c’était ce que l’on attendait de moi. »
Le Maître des Potions fronça les sourcils avec gravité. Il avait l’habitude de se retrouver dans cette désagréable situation où l’on avait des attentes envers lui sans qu’il n’en connaisse tous les tenants et les aboutissants. Il répondit d’une voix traînante et soucieuse.
« - Vous ne devriez pas me confier l’existence de ce pouvoir avec une telle aisance, Miss Grail. Cela est bien imprudent. Vous ne savez rien de moi. »
La jeune artiste rougit légèrement et ne sut quoi dire. Severus tourna son visage vers le sien. Sans qu’il ne s’en rende compte, il s’était légèrement rapproché d’elle, franchissant lui-même la réserve qu’il s’était imposée. Il devinait dans la pénombre les traits androgynes et la chevelure soyeuse de la musicienne. Ils dégageaient quelque chose d’extrêmement singulier et de magnétique.
« - Mais votre secret sera bien gardé. », promit-il de sa voix grave et pénétrante.
Leurs souffles condensés par le froid se mélangèrent alors qu’ils se firent face. Une tension presque palpable flottait dans l’air. Seul le bruissement des bosquets nus recouverts de poudreuse troublait désormais le calme de la nuit.
Severus, soudainement nerveux, voulut porter sa main à son cou pour resserrer le nœud de sa cravate. Mais la jeune femme, happée dans un état de conscience altéré, captura doucement cette dernière avec la sienne. Leurs doigts se rencontrèrent dans une douceur infinie, comme si chacun craignait de briser la magie du moment. Un frisson délicieux et déconcertant se propagea à la surface de la peau du faiseur de potions. Il répondit avec délicatesse et caressa le dos de la main de la pianiste avec son pouce. Son geste était presque tremblant et maladroit mais authentique, dévoilant une forme de vulnérabilité contrastant avec son image froide et cynique habituelle.
Le cœur de Winter s’emballa encore davantage. Elle se sentit irrémédiablement attirée par cette présence obscure mais invitante. Elle ne réfléchissait plus, ne pensait plus à rien. Tout son être lui criait de réduire ces quelques centimètres qui la séparaient de lui.
C’est ce qu’elle fit. Mais soudain, un éclair de discernement transperça les yeux de Severus. D’un geste brusque, il arracha sa main de celle de Winter et se leva d’un bond. Il réajusta les bords de son manteau noir en frémissant et balbutia pour la première fois sans éloquence :
« - Winter, je… Il se fait tard. Je dois reprendre ma surveillance. Vous devriez rentrer au chaud. »
Il se rigidifia instantanément et son visage se ferma, effaçant toute trace d’agitation intérieure. D’un pas pressé, il repartit en direction du château. Severus était redevenu le professeur Rogue.