Le journal de Neville Londubat
30 juillet 1995
Un an de plus.
Aujourd’hui, j’ai eu quinze ans.
Grand-mère m’a offert une série de carnets, tous soigneusement reliés, avec des coins dorés et du parchemin d’excellente qualité. Elle m’a dit que ce serait utile pour mes recherches en botanique. Elle sait que j’aime ça. Peut-être la seule chose où je me sente vraiment à ma place, dans ce monde. Elle m’a regardé avec ce petit air dur qu’elle prend toujours quand elle tente d’être encourageante, et elle a dit : « Un bon sorcier, Neville, c’est aussi un bon observateur. Note tout, tu verras, ça t’aidera à progresser. »
Mais je crois qu’il y a autre chose. Comme si, au fond, elle espérait que je consigne dans ces carnets quelque chose de plus… grand. Quelque chose qui prouverait que je mérite le nom des Londubat. Que je ne suis pas seulement le garçon maladroit qu’elle a dû élever seule après la chute de mon père et de ma mère. Comme si écrire des mots pouvait faire de moi un sorcier plus fort, plus digne. Un combattant.
J’utiliserai sans doute certains de ces carnets pour mes plantes. Noter des propriétés, des observations, des croquis de racines et de feuilles… Mais pas celui-ci. Celui-ci, j’ai décidé d’en faire mon journal.
Je ne sais pas exactement pourquoi. Ce n’est pas comme si j’avais l’habitude d’écrire mes pensées. Mais cette année, quelque chose me pousse. Comme une impression sourde, pressante, que le monde est sur le point de basculer. Que rien ne sera plus jamais comme avant. Et que, peut-être, il est important d’en garder une trace.
L’année écoulée a été mouvementée. Encore une fois. Mais cette fois, le mot semble bien trop faible. Ce qu’a vécu Harry… c’est au-delà de tout ce qu’on aurait pu imaginer. Et pourtant, malgré la gravité de ce qu’il raconte, malgré la sincérité dans ses yeux, la Gazette du Sorcier continue de le faire passer pour un fou, un affabulateur.
Mais moi, je sais. Je l’ai vu. Nous l’avons tous vu, ce soir-là, lors du Tournoi des Trois Sorciers. Quand il est revenu du labyrinthe, le corps de Cédric dans les bras. Je n’oublierai jamais son visage. Il tenait Cédric comme s’il espérait encore qu’il se réveille. Ses mains tremblaient, son regard était brisé. On ne peut pas inventer une telle douleur.
Je n’étais pas proche de Cédric Diggory. Mais je l’admirais. Il était juste, loyal, respecté par tous. Un élève brillant, un vrai champion. Il avait ce genre de prestance naturelle qui forçait l’admiration. Il aurait pu accomplir tant de choses. Mais il est mort. Brutalement. Injustement. Parce qu’il était là, au mauvais moment.
Harry dit que Tu-Sais-Qui est revenu. Il dit qu’il a vu son visage, entendu sa voix. Qu’il a vu le sort s’abattre sur Cédric. Et moi, je le crois.
Je ne sais pas si les adultes finiront par le croire aussi. Ils ne veulent pas voir. Ils préfèrent la sécurité confortable du déni. Mais le danger est là, il gronde sous la surface.
Alors j’ai décidé d’écrire.
Peut-être que la mort m’attend, au bout de ce chemin. Peut-être que je finirai comme mes parents, brisé, absent au monde. Il y a des jours où cette pensée m’effraie plus que tout. D’autres où je me dis que ce serait une forme de fidélité.
Mais si je survis, ou si quelqu’un d’autre survit après nous, alors il faudra qu’il sache. Il faudra que quelqu’un raconte. Pour qu’on n’oublie pas. Pour qu’on comprenne.
Hermione parlait l’autre jour d’une Moldue, Anne Frank, qui avait tenu un journal en se cachant, pendant une guerre. Son témoignage, dit-elle, est encore lu aujourd’hui. Des années après. Par d’autres adolescents. D’autres enfants qui veulent comprendre ce qu’on a tenté d’effacer.
Je me demande si, un jour, quelqu’un lira mes mots.
Je ne sais pas ce que l’avenir nous réserve. Je ne sais pas ce qui nous attend à la rentrée, ni dans les mois ou les années à venir. Mais j’ai le pressentiment que ce journal ne sera pas un simple carnet. Qu’il deviendra peut-être un témoin.
Le témoin de la seconde montée au pouvoir du Seigneur des Ténèbres.
Et peut-être… peut-être aussi le témoin de ceux qui ont décidé de lui résister.