A travers le temps
Chapitre 23 : Quand la bulle éclate
5790 mots, Catégorie: M
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Fleur s’éveilla d’une sieste paisible, toujours blottie contre le corps chaud d’Hermione. La lumière éclatante du soleil perçait à travers les rideaux entrouverts, et en l’apercevant, elle comprit aussitôt qu’il devait être proche de l’heure du déjeuner. Une pointe de panique la traversa : elle ne pouvait absolument pas manquer le repas, surtout avec des invités attendus.
Elle se redressa d’un bond.
— Mon Dieu ! Je vais être en retard pour le déjeuner… Quelle heure est-il ?
Hermione, encore à moitié endormie par les mouvements brusques de sa compagne, marmonna d’une voix embrumée :
— Il y a une horloge… sur la cheminée… juste au-dessus du foyer…
Fleur tourna vivement la tête. Il était déjà 11 h 45. Cela ne lui laissait que quarante-cinq minutes pour regagner la maison, se laver et se changer. Elle n’avait aucun doute : l’odeur de leur étreinte passionnée imprégnait encore sa peau, et si cela ne posait aucun problème ici, il était hors de question que cela passe inaperçu chez elle.
Hermione se redressa lentement, les draps glissant de ses épaules, et l’observa sans mot dire, un voile de tristesse assombrit son visage. Fleur, quant à elle, enfilait sa robe à la hâte. Mais en croisant ce regard abattu, son cœur se serra douloureusement.
Elle s’approcha en quelques pas, se pencha et déposa un baiser tendre sur la joue d’Hermione, avant de murmurer à son oreille :
— Pour la première fois de ma vie, je me suis sentie comme une vraie femme. J’aimerais tant pouvoir rester encore un peu… mais je dois partir.
Hermione ferma les yeux un instant, puis répondit d’une voix douce, presque inaudible :
— Merci.
Un mot simple, mais chargé d’une émotion sincère, d’une profondeur qui frappa Fleur en plein cœur. Elle quitta la chambre à contrecœur, emportant avec elle le souvenir brûlant de ce moment volé à l’ordre du monde.
Bien que la matinée ait été merveilleuse, Fleur ressentit dès qu’elle franchit le seuil de la cabane un frisson de culpabilité, un sentiment d’impureté difficile à chasser. Tant qu’elle avait été entre les bras d’Hermione, elle s’était sentie en sécurité, belle, désirée, aimée, pleinement elle-même. Mais à présent, seule, cette harmonie se fissurait.
De retour chez elle, elle demanda rapidement un bassin d’eau et se lava avec empressement. Lorsque Mme Winky, intriguée, lui demanda pourquoi elle avait besoin d’eau si tôt dans la journée, Fleur répondit d’un ton neutre qu’elle avait beaucoup transpiré à cause de la chaleur. Le soleil était en effet particulièrement lourd ce jour-là, et son excuse parut tout à fait plausible.
Après le déjeuner, qu’elle partagea en compagnie de quelques invités de son père, Fleur se sentit oppressée par le besoin de solitude. Prétextant une envie de grand air, elle sella son cheval et partit en promenade à travers la campagne.
Un peu plus tard, elle se retrouva seule au sommet d’une colline isolée, surplombant les champs vallonnés baignés de lumière dorée. Là, elle laissa les rênes tomber sur l’encolure de sa monture et s’assit dans l’herbe, le regard perdu au loin, tentant de mettre de l’ordre dans ses pensées.
Ce matin, avait-elle simplement cédé à ses pulsions, croyant s’en libérer ? Ou bien cela signifiait-il quelque chose de plus profond, de plus essentiel ? Était-ce un élan passager ou l’éveil d’un amour véritable ?
Elle resta là longtemps, le vent léger faisant voleter quelques mèches blondes autour de son visage, le cœur lourd de questions. Et même lorsqu’elle se coucha ce soir-là, le mystère de ses propres sentiments restait entier, suspendu comme une note tenue dans le silence.
Hermione, de son côté, était heureuse ou du moins jusqu’au départ de la femme pour qui elle avait traversé les siècles. Une fois Fleur partie, les doutes qu’elle avait réussi à taire jusque-là refirent surface, s’insinuant lentement dans son esprit à mesure que la journée avançait.
Elle tenta de se distraire en ouvrant un bon roman d’horreur, mais ses yeux glissaient sur les mots sans les retenir. Chaque page lui rappelait, d’une manière ou d’une autre, Fleur. Son sourire. Sa voix. Son parfum. Et au fond d’elle, une pensée entêtante refusait de disparaître : elle n’était qu’une imposture.
Même maintenant, alors que Fleur l’avait choisie, Hermione se sentait indigne, comme si elle jouait un rôle auquel elle n’avait pas droit. Et puis, il y avait cette vérité qu’elle n’osait pas affronter : elle ne lui avait rien dit au sujet de Bill. Elle avait trop peur. Peur de briser l’alchimie fragile qui s’était installée entre elles. Peur que l’aveu de la vérité, toute la vérité ne fasse s’effondrer ce qu’elles avaient commencé à construire.
Ces inquiétudes la poursuivirent bien après la tombée de la nuit. Allongée dans son lit, Hermione fixa le plafond sombre pendant des heures, son esprit s’agitant sans relâche. Comment, et surtout quand, pourrait-elle lui dire la vérité ? Le devait-elle ? Et si elle le faisait… Fleur tomberait-elle un jour amoureuse de la véritable Hermione, et non de celle qu’elle prétendait être ?
Le lendemain, tout semblait se dérouler comme à l’accoutumée du moins, en apparence. Hermione était arrivée dès six heures du matin, prête à aider Dobby en cuisine et Emily à mettre la table pour le petit-déjeuner. Mais sous ses gestes précis et son calme feint, la jeune femme était tourmentée. Une inquiétude sourde lui nouait l’estomac.
Elle redoutait que Fleur ait changé d’avis, qu’elle lui adresse des mots froids, ou pire encore, qu’elle fasse comme si rien ne s’était passé. Et si elle disait quelque chose de travers ? Si un mot, un geste, faisait tout s’écrouler ?
Et si je lui dis que je l’aime et que ça lui fait peur ? se demanda Hermione en essuyant machinalement une tasse.
Ce qui la troublait le plus à propos de leur étreinte de la veille, c’était sa nature : l’instant avait été essentiellement charnel. Bien sûr, elle l’avait trouvé bouleversant et tendre, mais… très peu de mots avaient été échangés. Aucune confession à voix basse dans le noir, aucun secret chuchoté entre deux baisers. Rien qui s’apparentait à l’intimité d’un vrai lien amoureux.
Et pourtant, Hermione ne voulait pas seulement de passion. Elle ne voulait pas être un souvenir fiévreux, une échappée fugace dans une vie bien tracée. Elle voulait Fleur. Tout d’elle. Elle voulait une histoire, un futur, un nous.
C’était ce qui avait manqué avec Pansy. Là-bas, il y avait eu l’attirance, le désir, parfois même la complicité mais jamais cette connexion profonde que son cœur réclamait aujourd’hui avec une urgence qu’elle ne pouvait plus ignorer.
À 7 h 30, il était temps de servir le petit-déjeuner aux membres de la famille Delacour. Alors qu’Hermione saisissait le plateau d’œufs à apporter, l’inquiétude qui la rongeait depuis l’aube se mua soudain en une peur presque paralysante. Ce n’était pas de la peur brute, non, c’était cette nervosité étrange, diffuse, semblable à celle qu’on ressent avant un premier rendez-vous. Cette peur faite d’anticipation, où mille scénarios vous traversent l’esprit : Est-ce qu’elle m’aimera encore ? Est-ce qu’on arrivera à se parler ? Et si tout tournait mal ?
Le cœur battant la chamade, elle prit une longue inspiration pour se donner du courage, puis franchit le seuil de la cuisine, résolue à affronter ce moment même si elle n’était plus très sûre de ce qu’elle espérait au juste.
- Est-ce que tout va bien, Hermione ? demanda Emily, l’air sincèrement inquiet, ce qui tira Hermione de sa torpeur.
Elle hocha rapidement la tête.
- Oui, ça va. Merci.
- Tu avais l’air un peu pâle… enfin, plus pâle que d’habitude.
Hermione força un sourire.
- Merci encore, juste un peu de fatigue, la nuit a été mauvaise. Allons servir le petit-déjeuner avant que Monsieur Delacour ne se fâche.
Puis elle se tourna vers la salle à manger, tentant de puiser dans les leçons de l’acteur Charles Green : quand on doute, on joue. Elle allait faire comme si tout allait bien. Elle allait jouer le rôle.
En entrant dans la pièce, son regard fut immédiatement attiré par Fleur. Un instant fugace, mais électrique : leurs yeux se croisèrent. Fleur lui adressa un sourire poli, aimable mais teinté d’une certaine réserve, suivi de son salut habituel :
« Bonjour, Miss Hermione. Comment allez-vous ce matin ? »
Puis elle se tourna vers Emily, lui adressant le même salut, avec la même neutralité.
Cette distance courtoise mais vague n’aida en rien les nerfs d’Hermione. Mais, fidèle à sa décision, elle s’accrocha à son masque et se fondit dans son rôle avec professionnalisme.
Elle servit le repas en silence, dos droit, gestes précis, sourire discret. Elle fit exactement ce qu’on attendait d’elle : rien de plus, rien de moins.
Et pendant tout ce temps, elle s’efforça d’ignorer l’angoisse sourde qui battait sous sa poitrine comme une horloge affolée.
Environ une heure plus tard, Hermione était occupée à faire les lits. Normalement, cette tâche revenait à Mme Winky, mais lorsque celle-ci était prise ailleurs, Hermione s’en chargeait sans rechigner.
Bien qu’elle n’ait pas revu Fleur depuis le petit-déjeuner, ses pensées ne cessaient de tourner autour d’elle. Elle était à mi-chemin du lit de la femme qui hantait ses pensées quand elle sentit soudain deux mains douces s’enrouler autour de sa taille, l’enlaçant par-derrière.
Surprise, elle se retourna vivement… pour découvrir Fleur, un sourire malicieux flottant sur ses lèvres. Hermione jeta un coup d’œil vers la porte désormais fermée puis de nouveau vers sa compagne. Elle comprit aussitôt : elle était tellement absorbée dans ses pensées qu’elle n’avait ni entendu Fleur entrer, ni remarqué qu’elle avait refermé la porte derrière elle.
- Quoi ? souffla Hermione, les yeux écarquillés.
Fleur posa un doigt contre ses lèvres pour la faire taire, puis l’embrassa tendrement, avec une intensité qui fit vaciller Hermione.
Après ce baiser bref, mais électrisant, la blonde s’approcha de son oreille et murmura avec un petit rire :
- Je ne pouvais pas passer une heure de plus sans te voler un baiser.
Puis, sans ajouter un mot, elle relâcha son étreinte et quitta la pièce en silence.
Hermione resta figée un instant, le cœur battant. Puis, un sourire triomphant aux lèvres, elle se lança dans une petite danse de la victoire au milieu de la chambre de sa maîtresse une ronde euphorique qu’elle interrompit en soupirant.
« Sérieusement, c’est ça la justice ? Elle m’embrasse pendant une minute, et je dois nettoyer son pot de chambre juste après ? Quelqu’un là-haut a un sens de l’humour franchement tordu… » marmonna-t-elle en secouant la tête, tout en remettant les oreillers en place. Avant d’attraper le pot de chambre caché sous le lit.
Le reste de la journée se déroula plutôt bien pour Hermione, malgré la fatigue due à son travail habituel. Mais ce soir-là, alors qu’elle venait à peine de terminer ses tâches, un coup discret fut frappé à sa porte.
C’était Fleur, bien sûr, qui avait dit à son père qu’elle sortait pour une promenade nocturne. Mais la seule direction que prit la jeune Delacour fut celle du lit de son amante.
Et ainsi continua leur histoire. Pendant la journée, Fleur trouvait toujours un prétexte pour voler un baiser, frôler la main d’Hermione, ou lui glisser un mot doux à l’oreille. Hermione, encore un peu trop nerveuse pour prendre l’initiative de ces instants volés, se laissait faire, le cœur battant. Et Fleur semblait aimer cela, presque autant que les nuits qu’elles passaient ensemble.
Car, chaque nuit, dès qu’elle le pouvait, Fleur s’éclipsait discrètement jusqu’à la petite cabane. Là, sous le couvert des étoiles, dans la chaleur des draps, elles se retrouvaient, s’aimaient, et oubliaient le reste du monde.
Les semaines suivantes s’écoulèrent à toute allure, emportées dans le tourbillon doux-amer de leur liaison secrète. Pourtant, au fil des nuits, une constante s’imposa : peu de mots étaient échangés. Aucune déclaration, aucun plan d’avenir, juste des silences et des soupirs partagés. Et lorsqu’elles tentaient de parler, une gêne étrange s’installait, plus pesante à chaque fois.
Hermione, elle, se laissait bercer par la présence de Fleur. Elle savait qu’elle devait lui « dire la vérité », lui révéler tout : le voyage dans le temps, sa véritable identité, tout ce qu’elle avait caché depuis le début. Mais chaque jour, elle repoussait ce moment.
Plus elle aimait Fleur, plus elle redoutait de la perdre. Plus la peur grandissait, moins elle trouvait le courage de tout risquer. Cette peur, sourde et persistante, s’accrochait à elle et la muselait.
Alors, elle se répétait toujours la même chose :
« Je lui dirai demain. Mais ce soir, je la tiendrai dans mes bras. »
Et ainsi, nuit après nuit, elle choisissait le silence.
Fleur, quant à elle, constata avec surprise que, loin de s’apaiser, ses désirs envers Hermione ne faisaient que s’intensifier. Elle se surprenait à vouloir la voir de plus en plus souvent, à chercher sa présence, ses regards, ses mains. Pourtant, elle poursuivait les préparatifs de son mariage avec William Weasley, résolue à l’épouser comme prévu. Bill vint plusieurs fois lui rendre visite, et tout semblait normal aux yeux de son entourage. Pourtant, Fleur ne manqua pas de remarquer un éclat de jalousie dans les yeux chocolats de sa servante à chacune de ces visites.
Ce regard la troublait, car elle-même ressentait une peur grandissante de perdre Hermione. Mais elle garda ses pensées pour elle, comme si les mettre en mots les rendrait trop réelles.
Au début, elle avait pu se convaincre que leur liaison n'était qu'une passade, un exutoire avant d’entrer pleinement dans son rôle d’épouse. Une simple distraction. Un moyen temporaire d’assouvir les désirs qu’elle n’avait jamais osé avouer. Mais plus les jours passaient, plus elle réalisait que ce qu’elle ressentait était bien plus profond. Une tension intérieure, un conflit entre son devoir et son cœur, grandissait en elle.
Et puis, il y avait cette autre chose… une intuition persistante : Hermione lui cachait quelque chose. Une vérité qu’elle gardait jalousement enfouie. Fleur en était presque certaine. Plusieurs fois, elle avait eu l’impression qu’Hermione allait lui confier un secret, quelque chose de crucial mais, chaque fois, elle s’était tue au dernier moment. Ce silence ne faisait qu’ajouter à l’inconfort grandissant entre elles.
Pourtant, ni l’une ni l’autre n’osa exprimer ses peurs, ni ses doutes. Elles continuaient à se voir en secret, et leur relation prit une tournure étrange : à la fois passionnée et distante, ardente mais fragile. Une connexion intense, mais presque exclusivement charnelle. Et pourtant… chacune désirait plus. Plus de l’autre. Plus de vérité. Plus d’engagement. Mais la peur de tout perdre les maintenait prisonnières de ce fragile équilibre.
À mesure que la date du mariage approchait, la tension s’intensifiait. Fleur se sentait chaque jour un peu plus écartelée entre ce que l’on attendait d’elle et ce que son cœur réclamait. Et Hermione, elle, continuait de reculer devant l’inévitable révélation. Chaque jour, elle sentait le poids du mensonge grandir et chaque jour, elle le repoussait encore un peu plus.
Un matin, Hermione se réveilla avec une certitude implacable : elle ne pouvait plus repousser l’inévitable. C’était le jeudi 8 juillet 1869. Le mariage de Fleur était prévu pour midi, le samedi 10 juillet. Il ne lui restait que deux jours.
La veille, elles avaient encore partagé une nuit d’amour, mais Hermione avait senti sa compagne plus distante que d’habitude. Fleur avait été tendre, présente physiquement, mais son esprit semblait ailleurs préoccupé, absent. Hermione savait bien que l’approche du mariage devait y être pour quelque chose, mais cette distance trahissait autre chose. Quelque chose de plus profond.
Elle avait raison.
Fleur, de son côté, était en proie à un conflit intérieur déchirant. Entre ses sentiments grandissants pour sa servante et la promesse d’un mariage honorable avec William, son cœur vacillait. Elle avait longtemps cru que Bill lui offrirait la stabilité et le bonheur dont elle rêvait… mais plus le grand jour approchait, plus cette conviction s’effritait. Et pour ajouter au trouble, elle ne pouvait se défaire de l’impression qu’Hermione lui cachait quelque chose d’important.
Cette nuit-là, Fleur était rentrée chez elle le corps apaisé mais l’esprit en tumulte. Elle dormit à peine, les pensées tourbillonnant sans fin sous ses paupières closes.
Le lendemain fut un véritable chaos de préparatifs. Entre les robes, les fleurs, les menus, les confirmations d’invités, tout semblait s’accélérer. Hermione, quant à elle, croulait sous le travail. On lui confiait bien plus de tâches qu’elle n’aurait pu en accomplir en une semaine entière. Pourtant, son esprit n’était focalisé que sur une chose : elle devait dire la vérité à Fleur. Ce soir. Il n’y avait plus de temps à perdre.
Fleur, de son côté, ne chercha pas le moindre contact avec elle. Pas un regard volé, pas un mot doux glissé en cachette, pas même un sourire. Hermione en fut bouleversée. La tension entre elles était devenue insupportable.
Alors, lorsqu’elle s’approcha pour déposer un plateau sur la table, la servante se pencha discrètement à l’oreille de la jeune Delacour et murmura :
— J’ai besoin de te voir ce soir.
Fleur ne répondit rien. Elle ne détourna même pas les yeux de son assiette. Elle fit comme si elle n’avait rien entendu.
Mais Hermione savait qu’elle avait entendu. Et elle espérait de tout son cœur qu’elle viendrait.
Ce soir-là, une fois son service terminé, Hermione était dans un état de nerfs incontrôlable. Elle faisait les cent pas dans sa petite chambre, se tordant les mains, le cœur battant à tout rompre, se maudissant d’avoir attendu si longtemps pour parler, d’avoir tout repoussé jusqu’à la dernière minute.
Un peu après 22 heures, un coup discret retentit à la porte. Hermione s’arrêta net, inspira profondément, puis alla ouvrir.
Fleur se tenait là. Mais au lieu du visage doux et tendre qu’elle espérait, Hermione découvrit une expression fermée, presque glaciale, marquée par une tension sourde et une détermination troublante.
Sans un mot, Fleur entra, referma la porte derrière elle d’un geste sec. Avant qu’Hermione n’ait eu le temps de prononcer ne serait-ce qu’une syllabe de ce discours qu’elle avait mentalement répété toute la journée, Fleur prit la parole d’un ton ferme :
— Hermione… c’était une erreur. Je n’aurais jamais dû céder à mes envies. Nous… nous ne pouvons plus jamais recommencer.
Ces mots frappèrent Hermione de plein fouet. Elle recula légèrement, comme si elle venait de recevoir une gifle invisible. Sa gorge se serra. Elle ouvrit la bouche, mais seul un souffle brisé en sortit.
— Quoi ?… murmura-t-elle, la voix tremblante, incapable de croire ce qu’elle venait d’entendre.
Un peu plus tôt dans la soirée
Après le dîner, ce soir-là, le père de Fleur l’a prise à part pour une conversation privée et prolongée. Il avait depuis quelque temps observé la proximité croissante entre sa fille et la jeune servante. Bien qu’il eût initialement donné son accord pour qu’elles passent du temps ensemble, il ne pouvait ignorer à quel point Fleur semblait désormais distraite, plus rêveuse, presque ailleurs.
S’il n’avait pas deviné l’étendue réelle de leur relation, il soupçonnait néanmoins que la servante exerçait une influence peu convenable sur sa fille, qu’elle détournait son attention de ses devoirs. Il fit alors à Fleur une longue remontrance, teintée d’autorité et de souci paternel, sur l’importance du mariage à venir avec William Weasley. Il insista lourdement : annuler ces noces serait une catastrophe sociale pour la famille.
Il conclut son discours par un rappel des principes moraux, des attentes placées en elle en tant que future épouse, et de la nécessité de conserver l’honneur familial. Ce mariage, disait-il, n’était pas seulement une union sentimentale : c’était une alliance, un devoir, une responsabilité.
Fleur, profondément attachée à son père, ne souhaitait pour rien au monde le décevoir ni ternir le nom des Delacour. Elle l’admirait sincèrement sa rigueur, sa droiture, sa sagesse. Cette conversation mit brutalement fin à son tumulte intérieur. Sous le poids de ses paroles, elle fut convaincue d’avoir péché en cédant à ses désirs et de devoir y renoncer.
Après s’être retirée dans sa chambre, elle pria longuement et lut sa Bible. Puis, la gorge serrée, elle prit sa décision : elle mettrait un terme à cette relation. Pour elle, pour sa famille, pour ce que la société attendait d’elle. La honte l’envahit, mais elle tenta de se convaincre qu’en revenant dans le droit chemin, elle regagnerait la paix de l’âme.
C’est ainsi qu’elle se rendit chez Hermione, décidée à mettre fin à ce qui, malgré tout l’amour qu’elle éprouvait, ne pouvait continuer.
De retour dans la cabane d’Hermione
- Tu m’as entendue, Hermione. C’était mal. Mal depuis le début. Nous n’aurions jamais dû céder au péché de la luxure.
La voix de Fleur était dure, son visage fermé.
- C’est contre nature. Ce que nous avons fait n’aurait jamais dû se produire. J’ai prié pour obtenir le pardon, et je te suggère d’en faire autant.
Hermione fit un pas en avant, comme guidée par le désespoir. Mais Fleur recula aussitôt d’un pas, comme si sa simple proximité la brûlait.
Être ainsi rejetée par la femme qu’elle aimait effaça d’un coup toutes les phrases qu’Hermione avait répétées encore et encore dans sa tête. Tout ce qui franchit ses lèvres fut un murmure désespéré :
- Je ne veux pas de pardon… je te veux, toi.
- Non ! s’écria Fleur, le ton plus ferme encore.
- Je dois me marier dans deux jours, Hermione. Ce que nous avons fait est une honte. Une erreur. Je suis venue ce soir pour y mettre un terme. Je ne dirai rien à mon père, mais… cette chose entre nous, c’est fini.
La gorge d’Hermione se noua brutalement. Elle sentait l’étau de la peur et du chagrin se resserrer autour de sa poitrine.
- S’il te plaît… murmura-t-elle.
- Nous pourrions être ensemble…
Fleur la regarda comme si elle venait d’entendre une absurdité, une folie impardonnable.
- Ensemble ? As-tu perdu la tête ? Même si je n’étais pas fiancée, toi et moi… ce n’est pas possible. Cela ne se fait pas. C’est mal.
Hermione sentit qu’elle perdait tout. Qu’elle la perdait, elle. Alors, sans réfléchir davantage, elle décida de révéler ce qu’elle avait gardé en elle depuis si longtemps.
- Tu ne peux pas épouser Bill. C’est un très mauvais homme. Il joue, il ment, il a une maîtresse… et il vole.
Elle n’eut pas le temps d’en dire plus. D’un geste brusque et violent, Fleur leva la main et gifla Hermione. Le claquement sec résonna dans la pièce, et une traînée rouge apparut aussitôt sur la joue pâle de la servante, qui resta figée, les yeux grands ouverts.
- Comment oses-tu… hurla Fleur, la voix brisée par la rage.
- Comment oses-tu salir le nom de l’homme que je vais épouser ? Tu es tellement désespérée, tellement aveuglée par ton désir, que tu en viens à diffamer l’un des hommes les plus respectables d’Angleterre !
Ce fut à cet instant qu’Hermione comprit toute l’ampleur de son erreur. Elle avait trop attendu. Trop hésité. Trop espéré que l’amour suffirait à combler les silences. Et maintenant, il était trop tard. Non seulement elle n’avait pas parlé à temps, mais elle avait aussi échoué à ouvrir les yeux de Fleur sur les véritables défauts de Bill. Elle n’avait rien fait comme il fallait. Elle avait tout gâché.
Une larme coula sur sa joue, suivie d’une autre.
- Non, Fleur… je ne mens pas. Il est dangereux. Il y a un endroit, un autre temps… un endroit où nous pourrions vivre ensemble. Je t’aime.
Mais ces mots, au lieu d’apaiser, ne firent qu’alimenter la colère de Fleur. Les traits de la jeune aristocrate se durcirent davantage, et sa voix se fit glaciale.
- Ne prononce pas ces mots avec moi. Tu m’écœures. Je croyais que tu étais sincère. Que tu étais douce… que tu étais différente. Je pensais que tu étais quelqu’un que j’aurais aimé connaître. Mais maintenant, je vois clair. Tu as usé de ton charme et de ta tendresse pour m’enlacer dans tes perversions, pour me détourner de tout ce que je suis, de tout ce que je dois être.
Hermione recula d’un pas, comme frappée.
Fleur continua, la voix vibrante de rage et de douleur mêlées :
- Je vois qui tu es vraiment, Hermione Granger, l’Américaine mystérieuse. Tu m’as séduite, oui, comme la naïve que j’étais. Mais je ne le suis plus. Laisse-moi te citer Shakespeare, puisque tu l’aimes tant : "Quand le diable veut endosser les péchés les plus noirs, il les présente d’abord sous des apparences célestes."
Elle inspira profondément, les yeux brillants de larmes non versées.
- Je ne serai plus prise dans ton piège. Je vais me marier dans deux jours. Et ce sera ainsi.
Avant qu’Hermione ne puisse répondre, Fleur se retourna brusquement et quitta la pièce, claquant la porte derrière elle avec une violence qui fit trembler les murs.
Et alors, le silence retomba.
Hermione resta figée un instant, incapable de bouger. Puis ses jambes cédèrent sous elle. Elle s’effondra à genoux sur le sol froid de sa cabane, les mains plaquées contre son visage. Les sanglots montèrent, brutaux, irrépressibles. Tout avait volé en éclats. Elle s’était tue trop longtemps. Elle avait laissé la peur gagner, encore une fois. Et maintenant, Fleur ne la croyait plus. Pire : Fleur la détestait.
Elle avait perdu son amour.
Et elle était en train de perdre sa mission.
Alors qu’elle pleurait, recroquevillée sur le sol de sa cabane, un souvenir inattendu surgit de la brume de son chagrin.
Elle se revit adolescente, dans l’auditorium de son lycée, auditionnant pour le rôle de Maria dans West Side Story. À l’époque, tout s’était joué entre elle et une autre fille. Et si Hermione avait été jugée talentueuse, elle n’avait obtenu que le rôle de doublure. L’autre fille, elle, n’avait jamais manqué une seule représentation. Hermione n’était jamais montée sur scène. Elle n’avait jamais eu sa chance.
C’était un souvenir étrange pour un moment comme celui-ci, mais il portait en lui une amère résonance. Encore une fois, elle avait fait tout ce qu’elle pouvait. Et encore une fois, ce n’était pas assez.
Et puis, comme portée par ce souvenir, une mélodie monta dans sa gorge. Une chanson qu’elle avait toujours aimée. Une chanson qui, maintenant plus que jamais, résonnait cruellement avec sa douleur.
Somewhere.
Sa voix, tremblante mais juste, s’éleva doucement dans la pièce silencieuse.
« Il y a un endroit pour nous,
Quelque part, un endroit pour nous…
Tiens ma main, et nous serons à moitié là…
Tiens ma main, et je t’y emmènerai… »
Mais les larmes montèrent trop vite. Sa voix se brisa, étouffée par un sanglot. Elle tenta encore une note, en vain. Sa gorge se serra, son souffle se coupa, et elle se replia sur elle-même.
Submergée par l’émotion, Hermione se remit à pleurer, encore plus fort qu’avant. Elle pleura pour Fleur. Pour ce qu’elles avaient perdu. Pour ce qu’elle n’avait pas su protéger.
Cette nuit-là, la jeune femme venue du futur pour sauver celle qu’elle aimait s’endormit seule, le cœur brisé, les larmes séchées sur ses joues. Elle se sentait perdue, vaincue, et plus seule que jamais.
Le lendemain, veille du mariage, tout semblait… normal. Aucun des domestiques ne lui adressa la parole différemment, et cela soulagea un peu Hermione. L’une de ses plus grandes craintes était que Fleur ait parlé à son père, révélant leur relation. Mais manifestement, ce n’était pas le cas.
Pourtant, l’atmosphère restait lourde. Et Hermione se sentait toujours aussi perdue. Elle espérait, au fond de son cœur, pouvoir parler à Fleur, obtenir au moins une dernière chance de la raisonner. Elle savait qu’elle avait commis une grave erreur, et elle était prête à tout pour réparer les dégâts.
Mais au petit-déjeuner, Fleur resta distante, froide, détachée. Pas un mot. Pas même un regard.
Ce n’est que plus tard dans la matinée, alors qu’elle passait devant la chambre de la jeune aristocrate, qu’Hermione aperçut Fleur seule à l’intérieur. L’impulsion fut trop forte. Elle entra et referma doucement la porte derrière elle.
- Bella, s’il te plaît… laisse-moi parler, dit-elle d’une voix calme mais implorante.
Fleur se leva aussitôt, les yeux brûlants de colère. Elle pointa la porte du doigt.
- Hermione. Je n’ai rien dit à mon père, mais si tu oses encore prononcer un mot ou chercher à me convaincre, je te ferai renvoyer. Et pas seulement de cette maison. Je te ferai expulser de la ville. Maintenant, sors de ma chambre.
Le ton glacial, presque méconnaissable, frappa Hermione en plein cœur.
Elle ne répondit rien. Baissant les yeux, elle se retourna lentement et sortit de la pièce, le poids de la défaite écrasant ses épaules.
Elle se réfugia dans un placard à linge, s’y enferma, et laissa à nouveau les larmes l’envahir. La douleur dans sa poitrine était presque insupportable. Elle se détestait de n’avoir pas su agir plus tôt, d’avoir été trop préoccupée à conquérir Fleur au lieu de la sauver. Elle comprenait maintenant ce qu’elle avait refusé de voir : si Fleur annulait ce mariage, ce ne serait pas seulement son avenir qui serait bouleversé, mais celui de son père aussi. Et Fleur ne ferait jamais rien pour entacher la réputation de celui qu’elle aimait et admirait tant.
« J’ai été stupide, » murmura Hermione entre deux sanglots. « Stupide de croire que ça pourrait marcher. Nous venons de mondes trop différents. »
Ce fut une révélation cruelle, mais nécessaire. Une vérité douloureuse qu’elle ne pouvait plus ignorer.
Elle resta là un long moment, le front appuyé contre ses genoux. Puis, lentement, elle releva la tête. Et une autre pensée, plus déterminée, s’imposa à elle.
« Mais toi, William Weasley… même si Fleur me déteste, je ne te laisserai pas l’emmener vers une vie qu’elle ne mérite pas. Je suis venue ici pour empêcher ce mariage, et c’est ce que je vais faire. »
Le feu de la détermination brûlait à nouveau dans son regard. Si elle ne pouvait pas sauver leur amour, elle sauverait au moins Fleur.
Mais elle devait faire vite. Et agir avec prudence. Elle ne pouvait pas se contenter de dénoncer Bill : elle devait le prouver. Trouver quelque chose d’irréfutable. Quelque chose qui l’exposerait sans ternir le nom des Delacour.
La journée passa en un éclair. Hermione termina ses tâches comme un automate, évitant tout contact inutile. Elle n’aperçut même pas Fleur, et en fut presque soulagée.
Une fois ses obligations accomplies, elle se rendit discrètement à l’écurie et prépara un cheval. Elle n’avait plus le confort du XXIe siècle, pas d’Internet, pas de base de données instantanée. Mais il lui restait une journée. Vingt-quatre heures. Et elle comptait bien les utiliser.
Le cœur lourd mais la volonté affutée, Hermione prit la route en direction de Londres.
Elle devait empêcher ce mariage d’avoir lieu.
Elle n’avait besoin que d’une chose : des preuves. Et elle était prête à remuer ciel et terre pour les trouver.
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