Je ne suis pas Harry ! Hourra !

Chapitre 1 : Prologue.

1578 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 04/08/2024 15:41

« « La Montagne ça vous gagne », en voilà un slogan ridicule ! Par quoi elle nous gagne ? Par ses routes peut-être ? Oui, les routes, qui serpentent comme un lacet tout contre les flancs escarpés. Les routes sur lesquelles deux voitures se croisent et c’est plié. Plié, au sens littéral du terme : l’une plie contre les rochers et l’autre contre la rambarde de sécurité. Si un bus emprunte cette route, son cul se retrouvera dans le premier virage pendant que son nez est déjà dans le suivant. Oui je sais que les cars n’ont ni cul ni nez, mais que je sois maudite si je me rappelle le nom technique. Et les usagers de ces routes !! Passe encore pour les cars et les voitures, mais les randonneurs, les vélos et les motos ! Je ne sais pas qui est le pire dans ce tiercé gagnant : les randonneurs, qui regardent le paysage, mais pas sous leurs pieds, les vélos, qui prennent la moitié de largeur de la route, ou les motos qui foncent sans faire grand cas des autres ! »

Ainsi pensa une femme du certain âge, voire d’un âge certain, au volant de Coccinelle Fabriquée en 1968, l’année ou sous les pavés se cachait la plage et il était interdit d’interdire. (1) Par pur hasard ce fut aussi l’année de la venue au monde de la conductrice, dont la naissance fut marquée par la révolution sexuelle de Mai 68, la jeunesse par la libération de la femme, l’âge mûr par l’avènement de SIDA et l’approche de vieillesse par le développement des réseaux sociaux.

Ses parents : gaucho bobo, le vent de la révolte dans le dos, les meetings plein la tête, des slogans plein la bouche et un joint entre les doigts, fêtèrent sa naissance comme une promesse de renouveau et des lendemains qui chantent.

Ils la nommèrent Maïté, en honneur de ce mois de mai révolutionnaire. Ça aurait pu être bien pire, elle avait heureusement échappé à Chegevarine, Revoltine, Proletarine ou, que dieu nous pardonne, Libertine ! (2) Donc, Maïté, consciente de sa chance, fut contente de son prénom et de sa vie en général : école de médecine, mariage, enfants, réussite professionnelle.

C'est à l'université qu'elle rencontra son mari. Il n'était ni un étudiant, ni un professeur, mais un vendeur de sandwiches et de boissons pour les étudiants constamment affamés et souvent peu fortunés. Leurs regards se croisèrent sur une limonade, leurs mains se rencontrèrent au-dessus d'un jambon beurre, et depuis ce jour, ils ne se sont plus jamais quittés.

Deux personnes très différentes, l'une Parisienne, l'autre campagnard des montagnes, l'une élevée par des parents laxistes mais adorables, l'autre un enfant mal aimé de la DASS, l'une cultivée, l'autre rusé. Un seul regard avait scellé leur destin. Ils regardaient toujours dans la même direction, et ils réussirent plutôt bien dans la vie, à l'instar du proverbe bien connu. Maité ouvrit un cabinet rue du Bac après avoir terminé son internat à l'hôpital de la Pitié, tandis que son mari créa un restaurant dans un quartier populaire de la capitale.

Maïté ne fut pas déçue par son compagnon. Tout allait bien jusqu’au jour où il lui annonça son désir de retour aux sources, pour vivre le restant de ses jours dans le calme majestueux des Alpes. En un rien de temps, le grand exode eut lieu ! Maïté vendit sa clientèle, Charles, son mari, le restaurant, et les enfants furent obligés d’accepter la situation.

Ils trouvèrent une maison, peut-être un peu trop isolée, mais très plaisante, entre Séderon et Sisteron, Maïté se constitua rapidement une patientèle (3), et Charles s’employa à rendre leur foyer agréable.

Ça aurait pu se terminer comme un conte « ils vécurent heureux et sont morts le même jour ». Mais le destin en avait voulu autrement. Dans la deuxième année de leur vie des montagnards, l’irréprochable jusqu’à ce jour, Charles, fit une grosse crasse à sa femme : il mourut. Rien d’exceptionnel : infarctus, printemps, les routes inondés et impraticables, réa-mobile retardée. Et sa femme médecin ne put rien faire, malgré tous ses efforts.

Les mois, qui suivirent ce malheur, passèrent comme dans un brouillard pour Maïté : les funérailles, les condoléances des proches, des collègues et même des patients, les enfants en pleurs, et puis le vide d’une maison qui avait perdu son âme, et la solitude des journées et des nuits sans fin.

Le retour à la réalité fut brutal. Elle reprit le cours des choses devant le lavabo de la cuisine, en essayant désespérément de remplir son verre au robinet. Remplir avec de l’eau qui refusa obstinément de couler. « Mais, que se passe-t-il, c’est quoi encore cette merde ». Ses pensées commencèrent leur sarabande : « voir le compteur d’eau, vérifier la tuyauterie. Et le compteur est dans la cour, il faut y aller, il faut une clef… » Maïté courut vers la porte d’entrée, mais s’arrêta à mi-chemin en voyant une vieille femme échevelée, pâle et mal fagotée, marcher vers elle dans le couloir. Elle eut un mouvement de recul avant de comprendre, que c'était son propre reflet dans un miroir.

Ce fut, comme une claque en pleine figure « Elle ne peut être moi ! » Puis elle regarda tout autour, le tableau fut affligeant : la poussière sur les meubles, le sol crasseux, une montagne de vaisselle sale, la poubelle puante, qui débordait sur le sol de la cuisine.

Alors, elle commença par la poubelle, elle sortit le sac dehors, et resta bouche bée : dans ses souvenirs on était en mai ou juin, mais la cour fut couverte de neige. Des mois entiers s’effacèrent de la mémoire de Maïté. Maintenant, il était clair pourquoi il n'y avait pas d'eau : Maïté, dans un état second depuis des mois, avait oublié de fermer le robinet extérieur, et les tuyaux avaient éclaté avec l'aide du gel.

En outre, la neige ne recouvrait plus uniformément le jardin, mais formait des monticules tordus. En grattant un petit peu, Maïté trouva un morceau de plastique noir : un autre sac rempli de déchets, et encore un autre, deux pas plus loin. Toutes ces bosses disgracieuses étaient en fait des amas d’ordures. Et oui, notre héroïne ne connaissait pas les jours de passage de camion benne près de son hameau perdu dans la montagne, elle ne savait pas non plus, comment régler la chaudière, pas étonnant qu’il gelait à cœur fendre dans la maison. Tout ceci était géré par Charles, dans l’esprit de partage des tâches : Charles s’occupait de maison, Maïté de l’administratif, impôts, comptes, factures. Mais voilà Charles n’était plus là…

Et Maïté se reprit en main. Elle fit appel au plombier, rangea la maison, fit un tour chez le coiffeur et l’esthéticienne, rassura ses enfants, mit sa chaumière en vente et commença à chercher le repreneur pour la patientèle, pas une mince affaire d’ailleurs. En attendant, elle continua de visiter les patients.

Le jour dont nous parlons, elle revenait de sa tournée, maugréant doucement contre la montagne, la route, le Range Rover qui refusa obstinément de démarrer ce matin, l'obligeant à prendre le volant de sa Coccinelle, si peu appropriée pour les routes enneigées.

Soudain Maïté sentit une secousse, suivie de glissade, elle eut juste le temps de penser avant que la voiture quitte la route : « Zut, une plaque de verglas ». Et Maïté s’envola, elle n’éprouva pas de peur, elle vola de concert avec sa vaillante petite voiture.

La coccinelle flottait et perdait sa matérialité, se transformant lentement en gerbes d’étincelles qui gardèrent sa forme d'origine pendant un moment. Et Maïté, au milieu de ce feu d’artifice tournoya de plus en plus vite, pour aller de plus en plus loin...

Puis les étincelles commencèrent à s’éteindre, plus que quelques lucioles l’accompagnaient, et quand la dernière s’éteignit, les semelles des chaussures de Maïté touchèrent le sol ferme.

_________________________________________________________


1.      Les slogans du mouvement de mai 1968 « Sous les pavés la plage » et « il est interdit d’interdire ».

2.      Les prénoms inventés venant de Che Guevara, Prolétariat, Révolte et Liberté.

3.      Patientèle - l'ensemble de patients réguliers qu'un professionnel reçoit dans son cabinet. Cette patientèle n'est néanmoins pas une "possession" et cette clientèle ou patientèle aura le choix lors d'une cession ou acquisition de choisir un autre professionnel que le successeur, dans le domaine.

Laisser un commentaire ?