Lettockar, tome 3 : La folie des couvre-chefs

23. La vengeance de John

Ce jour-là, avant d'aller au club de duel, Kelly et Naomi – qui étaient restées jusque-là dans le dortoir des filles - attendirent John dans le salon de la Tour de Dragondebronze, mais, même au bout de dix minutes, il ne vint pas. Intriguées, elles n’eurent d'autre choix que de descendre à la Cantina Grande sous peine d'être en retard. En fait, John était déjà là. Il avait les cheveux courts, mais Kelly sut qu’il portait la Perruque de Scravoiseux. Leurs chefs de l’OASIS auraient sans doute désapprouvé qu'il l'utilise, mais Kelly le comprenait. Il avait bien le droit de se donner les moyens d'avoir mieux, de réussir au club de duel où l’on pouvait se faire un nom…

John les aperçut, mais il n'eut pas le temps de venir leur parler, car le professeur Fistwick avait sonné le début des duels « en vrac », comme il le disait. Naomi prit comme adversaire Katerina Van der Praoüt ; Kelly accepta la demande en duel d'Anton Hapericub, et John défia Martoni. Kelly aurait bien aimé l'affronter à sa place, n'ayant pas digéré sa retenue d'il y a trois semaines ; mais face à une Relique de Fondateur, elle allait recevoir ce qu'elle méritait.

Et le résultat fut largement au rendez-vous : John battit Martoni en trois coups, tout en déviant ses maléfices avec désinvolture. Elle fut fauchée par un sortilège Repoustout qui lui fit perdre sa baguette magique et s'étala les quatre fers en l'air. A son air abruti qui combla Kelly de bonheur, John envoya un superbe :

- Merci, c'était sympa.

Et il lui tourna le dos avec élégance et s'éloigna. Bondissant de joie, Kelly fit signe à Hapericub qu'elle interrompait leur duel un instant. Elle courut vers John, lui sauta au cou et lui chuchota :

- Merci, putain.

Cédant à son extase, elle l'embrassa sur la joue. John devint aussitôt écarlate, tituba un peu, et balbutia qu'il allait se chercher d'autres adversaires. Kelly, de son côté, retourna à son duel avec Hapericub, qu'elle vainquit de justesse d'un maléfice d'Entrave. Mais elle et Naomi avaient à peine eu le temps d'affronter leur adversaire respectif que John en avait déjà écrasé plusieurs. Se promenant lentement dans la Cantina Grande, il défiait un à un des élèves de leur année, triomphant d'eux à chaque fois avec la même facilité que face à Martoni. L'excitation grandissait à chaque minute sur son visage. Il faisait ses preuves, enfin.

Fistwick, qui inspectait les duels, fit un long arrêt pour observer John, qui combattait à présent Katerina après son duel contre Naomi. Encore une fois, il faisait merveille. Fistwick avait l'air à la fois impressionné et contrarié ; il ne trouvait aucune remarque, aucun sarcasme que, d'ordinaire, il ne se privait pas d'envoyer à John. Devoir reconnaître ses indéniables prouesses l'amusait autant que cela l'agaçait. Kelly eut un sourire goguenard, ravie que Fistwick ne puisse pas la ramener, pour une fois.

Finalement, le président du club souffla trois fois dans son petit sifflet d'or étonnamment puissant. Aussitôt, les lumières magiques disparurent, les détonations cessèrent et les baguettes s'abaissèrent. Les exercices étaient terminés : à présent avaient lieu les duels sur la grande piste en bois surélevée. Tous les élèves se rassemblèrent autour d'elle, puis Fistwick réclama le silence et dit d'une voix doucereuse :

- Alors voyons, qui montera sur le ring, aujourd'hui… ? Tiens, Ebay ! Puisque tu as l'air en forme, tu vas y aller en premier !

John, bouillonnant, grimpa immédiatement sur la piste, laissant tomber sa robe d'uniforme derrière lui. Ses efforts avaient porté ses fruits ; il allait pouvoir se distinguer aux yeux de tous. Kelly était contente pour lui, quoiqu’assez inquiète. Veikko Jarvinen, un élève de troisième année de PatrickSébastos, s'était porté volontaire pour l'affronter. Or, de ce qu'elle avait vu ces deux dernières années, Veikko était un sorcier très doué ; ce ne serait pas un adversaire facile.

Du moins était-ce ce qu'elle croyait. Veikko eut à peine le temps d'échanger quelques passes avec John qu'il fut vaincu par un sortilège de Chatouillis qui faillit lui causer des fuites urinaires. Un peu choquée mais heureuse pour son ami, Kelly applaudit de toutes ses forces en même temps que tous ceux qui l'entouraient.

Un élève de quatrième année de Dragondebronze, qui répondait au nom de Fernando Tiompenès, se dressa face à John et l'attaqua sur-le-champ, sans lui laisser le temps de se préparer. Ses sortilèges étaient particulièrement précis et rapides. Pour ce combat-ci, John fut surtout sur la défensive : il alterna esquives et charmes du Bouclier. Tiompenès s'agaça très vite de l'échec de ses tentatives ; si bien qu'il commit l'erreur de hurler une grossièreté, qui laissa le temps à John de lui jeter un sortilège :

- Locomotor Wibbly !

Le maléfice de Jambencoton. Les genoux du quatrième année flageolèrent et il s'étala sur le sol, ses jambes devenues aussi flasques que de la gelée. Deux de ses amis grimpèrent sur la scène et l'entraînèrent à l'écart, pour le désenchanter, alors que John croulait sous les acclamations. Kelly se sentait s'enflammer. Les pouvoirs de la Perruque de Scravoiseux dépassaient leurs attentes ; John affrontait des adversaires de plus en plus forts – deux autres quatrième année, puis un cinquième année -, et à chaque fois, il les battait à plate couture, ses pouvoirs hypertrophiés par la Relique. Son gain de puissance se manifestait même dans la forme de ses sortilèges : les détonations étaient plus fortes, et les éclairs de lumières paraissaient plus épais. Comme si sa magie avait grandi.

John savourait ouvertement les hourras, les bravos, et les mines impressionnées des jolies filles. A chaque réussite, il écartait les bras d'un geste théâtral, saluait bien bas le public, adressait des signes de main charmeurs. En dépit de cette attitude un peu fanfaronne, Kelly sourit encore. Elle était très contente qu’il ait son heure de gloire. Naomi avait le regard embué, et contemplait John avec une expression proche de la passion.

Parmi le public, Kelly aperçut Angelica, qui discutait avec enthousiasme avec Vladimir Voulanoï. Son cœur fit un saut périlleux dans sa poitrine, et elle demanda à Naomi de se décaler avec elle vers la gauche, prétextant qu'elle voyait mal les combats de là où elles étaient. Elle sentit son cœur bondir à nouveau quand elle vit Angelica sourire et avoir les yeux pétillants en la voyant s'approcher.

- Il a mangé du lion, aujourd'hui, John ! lui dit-elle après lui avoir ébouriffé les cheveux en guise de salut.

- Euh… oui, hein ? Sinon, comment ça va ?

Elles tentèrent d'engager plus longuement la conversation, mais il y avait trop de bruit dans la Cantina Grande, que cela soit à cause des sorts lancés par les duellistes ou bien les commentaires et acclamations du public.

- Pas mal, p'tit gars ! lança un séduisant élève blond de septième année de PatrickSébastos lorsque John parvint à désarmer un autre cinquième année de sa maison.

Tout près, Sebastian Kiergard, le grand gaillard de Becdeperroquet, hochait la tête et souriait d'un air appréciateur, sans s'apercevoir du regard dévorant que sa petite amie, qu'il enlaçait nonchalamment, lançait au garçon blond. Très fier, John répondit par un haussement d'épaules faussement modeste.

Une élève de sixième année d'Ornithoryx, une certaine Panteha Gadai, monta pour l'affronter. Leur duel fut serré : contrairement à ses prédécesseurs, elle ne prenait pas John à la légère. Il manqua même de se faire avoir par un projectile jaunâtre qui lui frôla la joue. Il resta cependant parfaitement calme et répliqua par un sortilège inédit :

- Eternius !

Une sorte de fumée verdâtre entoura la tête de Panteha, qui, le corps tremblant, lâcha des éternuements sonores qui lui firent perdre ses moyens. John profita de l'ouverture pour lui porter le coup de grâce.

- Petrificus Totalus !

Et Panteha fut pétrifiée dans une posture burlesque, à moitié courbée en deux, le visage crispé et ses doigts pinçant ses narines. Alors que de nouveaux applaudissements, déjà plus hésitants, éclataient tout autour, Kelly se tortilla sur elle-même : la prestation de John était devenue plus que douteuse. Même si c'était grâce à une astuce, gagner contre une sixième année était un exploit exceptionnel. Quelques personnes assistant à la scène commençaient même à froncer les sourcils, et notamment Fistwick – ce qui mit Kelly encore plus mal à l'aise. Le professeur livra quelques commentaires sur le duel d'une voix absente et mécanique : son attention était, de toute évidence, focalisée sur autre chose. A la fin de sa petite leçon, il annonça à John :

- Allez, je t'accorde un dernier duel avant que tu n'envoies tout le club aux urgences… tu as une idée de ton adversaire ?

Kelly souhaitait sans grande conviction que John allait se montrer raisonnable et décliner la proposition, mais il n'en fut rien. Cherchant un ultime opposant, John promena son regard sur toute l'assistance, jusqu'à s'arrêter près de l'endroit où se trouvait Kelly. Ses yeux se posèrent sur Angelica, qui était l'une des meilleures duellistes qui soit. Celle-ci haussa un sourcil, et son beau sourire s'élargit. Elle décroisa les bras et rajusta le col de sa chemise, prête à relever le défi que John, en quête d'un nouvel exploit, s'apprêtait sans doute à lui lancer. Kelly espérait toutefois qu'il n'allait pas trop l'abîmer…

Alors, John leva le menton et déclara d'une voix tonitruante :

- Je défie le professeur McGonnadie !

Un silence de plomb s'installa aussitôt. Kelly eut l'impression de recevoir une gifle. Elle n'était même pas sûre d'avoir bien entendu.

« McGonnadie ? Mais… mais qu'est-ce que… ? » bégaya-t-elle intérieurement.

Une fraction de seconde après, les spectateurs se laissèrent aller à des réactions déroutées, incrédules. Certains rirent même grassement, raillant la prétention de John. Ce garçon pensait-il que ses victoires contre des apprentis sorciers le hissaient au rang d'un professeur ?

- Le professeur McGonnadie ? Tu rigoles ? glapit une deuxième année d'Ornithoryx.

- Pas du tout, répondit John. Je le veux comme adversaire.

- T'es dingue, tu vas te faire démonter ! s'écria Martoni d'une petite voix aiguë.

- Et puis, c'est pas un élève… ajouta un élève de cinquième année de Dragondebronze. Et il est pas membre du club !

- Et alors ? répliqua John d'un ton légèrement hautain. Professeur Fistwick, y'a-t-il une règle qui m'interdise de défier une personne qui n'est pas du club ?

Fistwick resta tout d'abord silencieux. Apparemment, il n'y en avait pas. Curieusement, le professeur n'avait pas participé aux quelques moqueries que la réclamation de John avait déclenchées, alors que, le connaissant, il aurait dû être en première ligne. A la place, il fixait John d'un regard perçant et songeur. Tous les élèves qui l'entouraient ne détachaient pas leur regard de lui, suspendus à sa réponse. Finalement, le professeur de sortilèges retroussa les lèvres et déclara :

- Comme tu voudras… un préfet pour aller chercher le professeur McGonnadie ? Il doit être dans son bureau.

Angelica était la seule préfète présente aujourd'hui. Elle signala à Fistwick qu'elle s'en chargeait et tourna aussitôt les talons.

- Tu veux que je t'accompagne ? lui murmura aussitôt Kelly, pleine d'espoir, sautant sur l'occasion de passer quelques minutes seule avec Angelica.

- Merci, mais je devrais trouver le chemin toute seule, répondit-elle avec un petit sourire.

Et elle quitta la Cantina Grande d'un pas souple en direction du troisième étage. Le visage de Kelly devint cramoisi, se sentant profondément ridicule. Espérant que personne n'avait relevé cette micro-humiliation, elle chercha Naomi des yeux, et vit qu'elle se frayait un chemin parmi la foule pour s'approcher de l'estrade et parler à John. Kelly la rattrapa et l'entendit chuchoter d'une voix éraillée :

- John, à quoi tu joues ?

- Ben quoi ? J'ai enfin l'occasion de rabattre son clapet à ce blaireau, je vais pas m'en priver...

- T'es marteau ! intervint Kelly, tout à fait d'accord avec Naomi. Tu vas quand même pas te battre avec lui ?

- Ne t'en fais pas, ça va très bien se passer, répondit John avec une voix chaude et supposée réconfortante.

- Mais justement ! renchérit Kelly, énervée. Si tu te bats au niveau de McGonnadie, il va comprendre que tu n'es pas dans ton état normal ! Tu vas attirer l'attention des profs sur toi ! Et même sur nous !

John se redressa. C'était comme s'il venait d'être arraché à un rêve intense. Il regarda nerveusement tout autour de lui, comme s'il venait à peine d'arriver au club de duel. Kelly se mordit la lèvre, épouvantée par l'inconscience de son ami, et par sa mine déconfite en réalisant le pétrin dans lequel il venait de se fourrer. Angelica revint et déclara d'une voix forte pour surmonter le bruit des discussions animées :

- John, c'est bon, le professeur McGonnadie relève ton défi. Il arrive tout de suite.

- Parfait. Rien d'autre ?

Angelica rosit légèrement et eut une grimace, puis répondit d'un ton très gêné :

- Euh… il a d'abord dit que si c'était un concours de celui qui mange le plus de bananes, c'était pas la peine, tu allais forcément gagner...

Le teint de John prit une couleur violacée tandis que des éclats de rire fusèrent d'une bonne partie des élèves.

- J'adore ce mec, commenta Sebastian Kiergard avec un large sourire.

John lui lança un regard noir. Kelly, elle, était bien trop nerveuse pour s'irriter de l'insulte de leur directeur de maison.

- John, il n'est pas trop tard, renonce ! insista-t-elle d'une voix sifflante.

Mais il ne voulait rien savoir. Il fixait obstinément l'entrée de la Cantina Grande, faisant semblant de ne pas entendre Kelly. Une minute plus tard, McGonnadie arriva. Il s'avança vers l'estrade, les élèves s'écartant à son passage. Sur place, il détailla John de la tête aux pieds, les bras croisés, un grand sourire amusé aux lèvres.

- Alors Ebay, claironna-t-il, tu t'es enfin décidé à répondre à tout ce que je t'envoie dans la tronche depuis trois ans ?

John eut un petit mouvement de recul, désarçonné par ces mots. Kelly elle-même fronça les sourcils. Ce n'était pas la première fois que McGonnadie sous-entendait que John devait répliquer à ses insultes, mais elle ne s'était pas attendue à ce qu'il comprenne aussi bien les intentions de John, et encore moins qu'il s'en enthousiasme. Néanmoins, ses intentions à lui restaient floues : voulait-il humilier John pour la énième fois dans un duel de magie, ou voulait-il l'encourager à se défendre ? Quoiqu'il en fut, la confrontation était inévitable. John se racla la gorge, se tint bien droit et tonna :

- Oui, exactement !

- Parfait, alors ne perdons plus de temps !

- Poséidon...

C'était Fistwick qui avait parlé, et il s'avançait de son pas irrégulier vers le professeur de métamorphose. Interloqué, McGonnadie se pencha pour écouter ce que son collègue lui chuchota à l'oreille. Kelly le vit plisser les yeux et hocher la tête. L'air plus sérieux, il grimpa sur la piste et sortit sa baguette d’acajou. Elle soupira, impuissante, priant de toutes ses forces pour que ce combat ne vire pas à la catastrophe.

John jeta un dernier regard au public excité. Il retrouva un air assuré lorsqu’il vit des filles le considérer avec admiration, et des élèves de septième année manifester leur ébahissement quant à son audace. Les deux adversaires se toisèrent, leurs baguettes pointées l'un sur l'autre. Ce fut John qui entama les hostilités.

- Incarcerem !

John fit naître une énorme corde qui fonça sur McGonnadie pour le ligoter. Celui-ci, très tranquille, fit naître un point de lumière bleue au bout de sa baguette tendue ; au fur et à mesure que la corde de John s'en approchait, elle se désagrégeait instantanément. Pas du tout perturbé, John lança à la suite deux maléfices du Saucisson, qui furent cependant contrés. McGonnadie passa alors à son tour à l'offensive :

- Volatilors !

Ce sortilège métamorphosait sa cible en poule. Il atteignit John en pleine tête, qui se recroquevilla dans un grognement. Des hoquets de peur retentirent de la foule. Kelly fut à la fois déçue et en même temps soulagée que John perde son duel, car selon elle, il en avait suffisamment fait. Et pourtant, le sortilège de McGonnadie ne fonctionna pas : John ne fut pas métamorphosé en volaille. Il ne lui poussa que quelques plumes sur le visage et un morceau de crête sous le menton.

- Même pas mal ! rugit-il.

La Perruque de Scravoiseux avait aussi renforcé sa résistance aux effets magiques. Des chuchotements impressionnés apparurent aussitôt. Même McGonnadie laissa sa bouche s'entrouvrir de surprise. John secoua la tête pour faire tomber les quelques éléments de gallinacée et répliqua aussitôt.

- Everte Statum !

Il projeta une vague d’énergie sur McGonnadie. Le professeur de métamorphose la para, mais le puissant souffle du sortilège le fit vaciller, et il mit un genou à terre. Il y eut une vague de rires et d’applaudissements à la fois. Kelly en oublia momentanément son angoisse et cria : « OUAIIIIS, JOHN !! ». McGonnadie, quelque peu offensé, frappa le sol de sa baguette. Un arceau de lumière rouge traversa toute la piste de duel dans un bruit aigu, mais John l’esquiva d’un pas chassé. Soudain, il fit tournoyer sa baguette en s'exclamant :

- Incendio !

Un jet de flammes jaillit de sa baguette magique en direction de McGonnadie. Des exclamations effarées s'élevèrent alors de la foule. McGonnadie, de son côté, parvint à conserver son sang-froid et contrecarra la tentative de John :

- Aguamenti !

Et une fontaine d'eau apparut de sa baguette pour éteindre le trait de feu. John serra les deux mains autour de sa baguette, tentant de maintenir et amplifier son sort. Certaines personnes dans le public furent impressionnées de voir de la magie incendiaire aussi réussie pour un jeune sorcier…

- Tu vas faire mouiller Calamar, John ! lui lança un élève de Becdeperroquet.

Mais d’autres personnes étaient nettement moins enthousiastes, voire carrément scandalisées. John employait une méthode soudainement beaucoup plus agressive, et même trop : il utilisait un sortilège qui pouvait être mortel. McGonnadie haussa les sourcils et lâcha dans un rire :

- Eh bien, que de violence !

Mais John, lui, garda un sérieux qui avait quelque chose d'effrayant. Il ne daigna même pas lancer une réplique. Alors, certains spectateurs – parmi les plus âgés – prirent le parti de McGonnadie :

- Allez-y professeur, passez la seconde !

- Donnez-lui une leçon à ce con prétentieux !

John ne se laissa pas déstabiliser. Il y avait suffisamment de gens dans cette salle qui pensaient le contraire, qui se réjouissaient de le voir rivaliser avec McGonnadie. Leurs encouragements lui donnaient de la force, une force qui se nourrissait déjà de sa frustration accumulée depuis près de trois ans, de sa rancœur envers l’homme qu’il affrontait enfin aujourd’hui. Le visage de John était défiguré par une véritable ivresse de vengeance. Il enchaîna très vite avec un autre sort :

- Killmistus !

De nombreux élèves, dont Kelly et Naomi, sursautèrent. Ceux qui avaient assisté à la toute première séance de duel avaient reconnu le maléfice de Moustaches Étrangleuses de Fistwick. Et rien n'indiquait que John avait voulu utiliser la version « soft » d'Angelica. Cette fois, McGonnadie ne prit pas avec humour cette attaque qu’il avait dévié de justesse ; son visage se marbra de colère et il fit un grand geste avec sa baguette. Il en sortit un disque de lumière violette grésillante, qui tournoya vers John à la manière d'un shuriken. Le maléfice était extrêmement rapide, et quels que soient ses effets, John allait être mis hors combat. Du moins, c'était ce qui se serait produit si le jeune homme ne l'avait pas évité d'un pas de côté incroyablement prompt et agile.

- Oléééé ! s’exclama Angelica, faisant rire tout le monde.

Fou de rage, perdant tout contrôle, McGonnadie le bombarda de toute une série de ces disques violets, fendant l'air de sa baguette. Mais John les esquiva sans problème, sa rapidité décuplée par les pouvoirs de la Perruque. Il n’y eut cette fois que quelques acclamations timides . Le malaise des spectateurs était de plus en plus grand : il n'était pas normal d'être aussi véloce…

- Mais qu’est-ce qu’il a pris, ce mec ? demanda à voix haute un élève à proximité de Kelly et Naomi A son niveau, il devrait être en pièces depuis une éternité !

- Protego ! s’écria alors John.

Entre deux attaques de McGonnadie, il érigea un charme du Bouclier. Kelly vit le professeur ricaner ; il était sans doute persuadé que ses sortilèges feraient voler en éclats la protection du jeune homme. Mais son dernier disque ricocha contre elle et alla s'écraser contre une armure de samouraï qui tomba à la renverse avec fracas. De nombreuses personnes détournèrent le regard pour constater, ahuries, l'étendue des dégâts… dont McGonnadie lui-même.

Cet instant de relâchement lui fut fatal ; John lui envoya immédiatement un éclair rouge qui le frappa en plein ventre. C'était un sortilège de Stupéfixion. Et il n'avait même pas eu besoin de prononcer la formule. Le professeur bascula en arrière et tomba lourdement à terre, inconscient. Bien loin d'acclamer la victoire de John comme ils l'avaient fait pour les autres combats, les membres du club de duel poussèrent des cris estomaqués.

- Quoi ??

- Un sortilège informulé en troisième année ?? C'est impossible ! s'écria un garçon de septième année, les yeux ronds.

John avait eu un sourire triomphant en remportant le duel qui s'effaça aussitôt. Il regarda tout autour de lui, désorienté : il ne suscitait plus aucune admiration, aucun applaudissement. Kelly devinait sans problème que les élèves n'en croyaient pas leurs yeux : leur redoutable professeur de métamorphose, vaincu par un simple gamin de troisième année. Même ceux qui n'aimaient pas McGonnadie avaient du mal à jubiler de le voir terrassé. Le résultat du duel était si impensable qu'il en étouffait les réjouissances. Et bientôt, ce furent des regards incrédules, horrifiés, qui se braquèrent sur John.

Soudain, Fistwick fit s'écarter les élèves devant lui à coups de canne et grimpa sur l'estrade, et tout le monde se tut. Il sortit sa baguette magique, la pointa sur son ami et prononça :

- Enervatum.

La baguette lâcha un éclat de lumière rouge, et le corps de McGonnadie fut agité d'un soubresaut. Le professeur de métamorphose toussa, se redressa péniblement, et leva la tête vers son ami. Les yeux délavés de Fistwick se posèrent alors sur John, et McGonnadie le suivit dans son mouvement. Tous les spectateurs se tendirent, s'attendant à une explosion de colère de l'enseignant ridiculisé. Mais ce n'était pas de la haine, de la rancœur, du ressentiment qui se lisait sur le visage de Poséidon McGonnadie. Il était simplement stupéfait. Une stupéfaction qui l'avait complètement vidé de sa fureur, de son orgueil démesuré, de tout sentiment agressif. Il avait même l'air effrayé. Mais pas par John, non, par autre chose…

McGonnadie se releva, épousseta ses vêtements, et fixa son élève pendant un long instant. Embarrassé, John pâlit, et son regard dériva vers ses chaussures. Mais le professeur dit simplement d'une voix paisible :

- Eh bien, félicitations, John, tu m'as vaincu.

- Félicitations, dit Fistwick dans un murmure, comme en écho.

Sur ce, McGonnadie rangea sa baguette magique, descendit de la piste de duel, fendit la foule et quitta la Cantina Grande sans rien ajouter, le visage insondable.

Un brouhaha affolé explosa dans l'immense salle. McGonnadie n'était pas réputé pour être bon perdant. Sa réaction incroyablement mesurée, voire minime, déroutait tout autant les collégiens que la performance de John. Celui-ci, blafard, descendait de l'estrade d'un pas lourd, incapable de regarder qui que ce soit. Kelly et Naomi étaient sur le point de s'arracher les cheveux : le scénario tant redouté avait bien lieu. Tous ceux qui avaient assisté à la scène se rendaient compte que sa victoire n'avait rien de naturel, et qu'il y avait de fortes chances que celles d'avant ne le soient pas non plus.

John rejoignit Kelly et Naomi, qui s'étaient détachées tant bien que mal de la foule. Des murmures malveillants s'élevaient tout autour d'eux. A présent, tout le monde regardait le trio avec des yeux flamboyants, défiants, voire hostiles pour certains. Car, comme elle l'avait craint, on se méfiait à présent aussi des deux filles qui accompagnaient ce troisième année à la puissance incongrue. Kelly sut que leurs camarades les soupçonnaient, Naomi et elle, d'être complices de ce forfait. Intimidés, les trois amis se resserrèrent les uns contre les autres. Tout à coup, Angelica fit quelques pas de côté vers eux et murmura à l'oreille de Kelly.

- Vous feriez bien d'y aller.

Kelly se retourna et lut dans ses yeux qu'elle non plus ne comprenait pas ce qu'il venait de se passer, mais qu'elle ne voulait pas qu'ils aient des ennuis. Kelly acquiesça fébrilement et attrapa doucement ses amis par le bras pour les emmener avec elle hors de la salle. Avant de partir, Naomi donna un petit coup de baguette sur le visage de John, pour faire disparaître les dernières plumes créées par le sortilège raté de McGonnadie. Sur leur chemin, ils prirent grand soin de ne croiser aucun regard et de rester impassibles.

Alors, quand ils eurent passé la grande porte, ils tombèrent sur Vladimir qui les regardait, le visage décomposé. Ils n'avaient pas vu qu'il avait discrètement quitté la Cantina Grande, et qu'il les avait attendus à la sortie, tétanisé.

- John, qu'est-ce que tu as fait ? articula-t-il d'une voix sépulcrale.