La mort est une fin heureuse

Chapitre 28 : La chute

3231 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 08/05/2024 18:29

Pravin, Avril 2024.

 

— Alors, ça se passe bien, à l’école ? demanda Fischer.

— Comment ça, ça se passe bien ? répondit froidement Pravin.

— Eh bien, tu apprends des choses ?

— Si le simple fait d’apprendre des choses suffit pour dire que cela se passe bien à l’école, alors oui ça se passe bien, cracha Pravin. Ces choses sont-elles intéressantes ? Ces choses sont-elles utiles ? Ces choses me plaisent-elles ? Le cadre d’apprentissage est-il agréable ? Suis-je heureux d’apprendre là-bas ? Est-ce que j’y mène une vie joyeuse et paisible ? Suis-je comblé et épanoui par mes apprentissages et les liens sociaux que j’ai tissés au sein de mon école ? Des questions auxquelles on ne demandera pas de réponse, car de toute façon, j’ai indéniablement appris des choses à l’école, alors tout se passe bien.

        Fischer le regarda silencieusement, avec des yeux ronds.

— Ah, tant mieux alors, fit-il finalement, c’est bien, c’est très bien.

        Seigneur, qu’il était idiot. Pas étonnant que la tante Karen ne le voie pas souvent. En observant Fischer siroter une cuillerée de soupe en faisant tomber la moitié sur son t-shirt, Pravin fut pris d’un élan de sympathie envers sa défunte tante. Après tout, on ne choisit pas sa famille, il était bien placé pour le savoir. Et Fischer, le cousin de la tante Karen, était si simple qu’on avait peine à croire qu’il était un adulte responsable. Malheureusement, il était le seul membre de la famille à connaître l’existence du monde sorcier, alors c’était à lui que Pravin avait été confié.

        La tante Karen, elle, avait été beaucoup moins stupide. Pravin avait d’ailleurs été très surpris par son éclair de lucidité quand il lui avait annoncé l’identité du meurtrier de son frère.

— Quoi ?! avait-elle crié. Attends, tu veux dire que c’est un élève qui a tué Cranston ?!

— Non, c’est un prof, avait-il répondu. Tu l’as rencontré, il était dans le bureau de la directrice quand tu es venue me chercher. Il s’appelle Neville Londubat.

        Cette fausse révélation avait été suivie d’un silence d’une dizaine de seconde. Au début, Pravin avait pensé que la tante Karen avait été pétrifiée de stupeur. Mais il s’était avéré qu’elle était en train de réfléchir à toute allure.

— C’est toi qui as mon téléphone, pas vrai ? lui avait-elle demandé.

— Oui, je l’ai pris parce que tu m’as pris ma lettre, s’était-il empressé de mentir.

— Peu importe, petite raclure, ce n’est pas plus mal. Tu vas pouvoir continuer ce que j’ai commencé.

— C’est-à-dire ? avait-il feint.

— Les sorciers ne sont pas dignes de confiance.

— Pas tous, avait rétorqué Pravin en pensant à Frank.

— Non, pas tous, de toute évidence, regarde ton père. Mais la plupart d’entre eux n’est pas digne de confiance, et même en tant que société. Ils placent d’incapables mollusques à la police, et des assassins dans les écoles. Nous sommes plusieurs à avoir commencé à agir de notre côté.

— Et que veux-tu que je fasse ? avait-il répondu en sachant pertinemment qu’il n’allait probablement pas l’écouter.

— Tu comprendras tout en lisant les messages sur mon téléphone. Prends le relais, je ne pourrai plus continuer.

— Pourquoi ? Que vas-tu faire ?

— Dis-moi simplement où et quand je peux trouver ce Neville Londubat.

        Et ainsi, la tante Karen avait mordu. Non seulement elle s’était débarrassée de Neville Londubat pour lui, non seulement elle s’était elle-même retirée de sa vie, mais elle lui avait en plus donné une bien séduisante idée.

        Car Pravin était désormais pourvu d’une arme très puissante : un téléphone portable, au bout duquel une escouade de gens affamés de sang sorcier était prête à en découdre. Avec une conversation par messages, il pourrait facilement se faire passer pour la tante Karen, et mener ces gens là où il voulait de la même façon qu’il avait mené la tante Karen à tuer le père de Frank. Il n’avait jamais été aussi proche de regagner l’amitié de Frank. Seules Alice et sa mère Hannah étaient sur son chemin.

        Il se sentit puissant. Il pouvait agir dans l’ombre, en toute sécurité depuis son petit téléphone, au-delà de toute suspicion.

        Le lendemain de l’attaque de Karen, deux Aurors étaient venus à Poudlard. Le professeur Vector, la directrice dépressive de sa maison, était venue le chercher dans la salle commune, et l’avait mené dans une petite salle où l’attendaient les deux Aurors, ainsi que McGonagall. Les Aurors lui avaient annoncé le décès de sa tante, et lui avaient expliqué ce qu’il savait déjà sur ce qu’elle avait fait. Il s’y était préparé, et s’était au préalable entraîné à avoir une réaction de choc et de tristesse crédible. Ils n’y avaient donc vu que du feu. Ensuite, les deux Aurors lui avaient posé tout un tas de questions sur la tante Karen. Avait-il connaissance de son animosité envers les sorciers ? Envers Neville en particulier ? Envers certains moldus ? Sabrina Erskine, par exemple ? Avait-il connaissance de certains antécédents judiciaires de sa tante ? Avait-il déjà été témoin d’un comportement suspect de sa part ? Avait-il connaissance d’une quelconque raison pour laquelle la tante Karen aurait pu s’en prendre à un sorcier ?

        Toujours « sous le choc », Pravin avait fait semblant de s’efforcer de répondre à toutes ces questions. Le plus difficile fût de leur faire croire que la tante Karen était la personne la plus aimante et chaleureuse qui soit, et qu’il n’arrivait pas à concevoir qu’une telle chose ait pu lui traverser l’esprit.

        Rapidement, les Aurors étaient repartis, et McGonagall l’avait raccompagné dans sa salle commune en lui lançant un très désagréable regard de compassion et de pitié.

        Il n’avait pas eu l’occasion de croiser Frank, cependant. Ce dernier était parti à Ste Mangouste directement depuis Pré-au-Lard, et n’était jamais revenu à Poudlard. Pravin n’avait donc aucune idée de sa réaction, ni de son état d’esprit. Il ne se faisait aucune illusion : il était probablement triste que son père soit mort. Et il serait probablement triste aussi quand viendra le tour de sa sœur et de sa mère. Mais Pravin ne se fit pas de soucis pour lui, quand ils redeviendront amis, que ce soit dans deux mois ou dans dix ans, tout sera pour le mieux pour eux. Ils seront parfaitement heureux.

        Cela dit, Frank lui manquait toujours beaucoup. Pravin ressentait encore la profonde blessure que lui avaient infligé les mots de Frank. Il avait hâte de se sortir de ce pétrin.

 

*       *       *

 

        Le soir-venu, comme à son habitude, Fischer décida de se planter devant la télévision. Il regardait des émissions débiles, où des gens étaient enfermés sur une île pendant des semaines, ou devaient cuisiner des pâtisseries le plus vite possible, ou faisaient des blagues grivoises devant un jury pour essayer de plaire. Souvent, Pravin s’installait avec lui, car aussi insupportables ces émissions puissent lui être, ses pensées tournées vers Frank l’étaient davantage. Ce soir-là, l’émission portait sur une éducatrice qui aidait des parents à gérer leurs enfants.

        Pravin était installé inconfortablement dans un fauteuil trop mou, et observait avec pitié le visage de Fischer, qui était absorbé par son émission.

        Fischer était-il heureux ? Savait-il que Pravin le trouvait idiot ? Que tout le monde le trouvait idiot ? Lui avait-on déjà dit ? Même son activité professionnelle était idiote : il travaillait régulièrement avec les sorciers pour tester leurs sortilèges Repousse-Moldus. C’est littéralement le métier de la bonne pomme que l’on exploite. En tout cas, l’expression sur son visage était celle d’un homme qui n’avait pas de problèmes, d’un homme serein. Être simple d’esprit, c’est peut-être avoir l’esprit tranquille, se dit Pravin. Après tout, les animaux aussi sont des idiots. Si on prenait en compte toutes les formes de vie sur Terre, plus de quatre-vingt-dix-neuf pourcents d’entre elles étaient idiotes. Et toutes semblaient vivre sereinement. Les humains, bénis d’intelligence, se prenaient la tête. Finalement, Fischer faisait bien d’être aussi futé qu’un bigorneau, se dit Pravin. Il était heureux. Et quelque part, Pravin fut pris d’un sentiment de jalousie qu’une forme de vie aussi limitée ait une existence plus heureuse que la sienne.

        Fischer poussa un grognement qui fit soupirer Pravin. Il pouvait tout de même garder ses formes de communication étranges pour lui. Mais en voyant l’écran de télévision, Pravin découvrit que ce qu’il avait pris pour un grognement d’imbécilité, était en fait de la stupeur.

        L’émission de Fischer avait été arrêtée en plein milieu, et à la place, le visage d’un vieil homme dégarni remplissait l’écran. Un bandeau sous son menton le décrivait comme était « Boris Grant, Premier Ministre ». Pravin n’avait jamais suivi la politique, ni moldue ni sorcière, et ne l’avait pas reconnu. Était-il le chef d’état anglais, ou y avait-il encore quelqu’un d’autre au-dessus de lui ? Il n’était pas sûr.

        « Anglaises, anglais, mes chers compatriotes, commença-t-il d’un air grave en fixant la caméra. Milles excuses d’interrompre votre programme de divertissement de la soirée. Récemment, de graves et importants événements se sont déroulés, à l’horizon du pays mais aussi dedans, et l’heure est arrivée de vous en informer. Je vous prie donc de m’accorder quelques petites minutes, un maigre temps qui aura de lourdes conséquences.

        « Sans autre préambule je lâche la bombe. La magie existe. Les sorciers sont parmi nous. Ils vivent cachés, partout en Grande Bretagne et à travers le monde. Ils ont bâti une société entière à notre insu, et se prolifèrent en secret sous nos pieds comme des cafards. Et je tiens profondément à m’en excuser.

        « J’ai été mis au courant le jour de mon institution à Downing Street par mon prédécesseur. J’ai aussitôt été dégoûté par ce que j’ai appris, j’ai remis en question tout ce que je savais, ou pensais savoir. J’ai immédiatement envisagé de vous mettre, vous le peuple britannique, au courant, par simple respect et camaraderie. Mais ils sont capables de choses inimaginables. Ils sont capables d’effacer mes souvenirs, me faisant oublier leur existence, oublier mon poste de Premier Ministre, oublier les visages de mon épouse et de mes enfants, oublier qui je suis. Ils sont capables de contrôler mes faits et gestes, de me faire dire des choses que jamais je ne dirais. Indirectement, ils ont accès à l’artillerie nucléaire dont dispose la Grande Bretagne !

        « Alors j’ai décidé de me plier à leur demande, et d’à mon tour respecter le secret, comme tous mes prédécesseurs. J’ai essayé de faire tourner notre magnifique pays en laissant de côté le monde sorcier. Mais nous vivons de sombres années, mes chers compatriotes, et la guerre fait rage en Orient. Tous les membres de l’ONU ont été choqués de découvrir que des sorciers ont pris parti durant ces conflits, et ont massacrés des dizaines et des dizaines de troupes. Des conflits qui ne les concernent pas, et ils sont lâchement intervenu, face à de braves soldats ne connaissant pas leur existence, ne sachant évidemment pas comment réagir face à une telle puissance magique. Et puis, j’ai découvert que le ministre de la Magie anglais, avec qui j’étais supposé entretenir des relations diplomatiques amicales, était derrière ce complot contre nous. Contre son propre pays. Une immense trahison, qu’il m’est impossible de passer outre.

        « Me voilà donc, face à vous, risquant ma vie pour vous prévenir du danger qui nous menace tous et toutes. Méfiez-vous. Ils nous ressemblent en tous points, peuvent être votre voisin, votre ami, un passant dans la rue, un client à la boulangerie. Restez tranquille sur un point : nous ne resterons pas sans rien faire. Je suis actuellement caché dans un bunker, en train de préparer la riposte. Je suis en contact avec mes confrères et consœurs à l’international. Vous n’êtes pas seuls. Des spécialistes sont en train d’élaborer des mesures pour votre protection. Nous sommes en guerre, et vous n’êtes pas seul. Prenez soin de vous. »

        Pravin continua de fixer l’écran sans le regarder. Il était abasourdi.

— C’était pas censé rester un secret, ça ? demanda bêtement Fischer.

— Si, répondit simplement Pravin.

— Qu’est-ce que ça va changer pour toi ?

— ‘Sais pas.

        L’émission de Fischer ne reprit pas. A la place, un journal télévisé avait pris le relais pour commenter les révélations du Premier Ministre.

— Je ne comprends pas comment cette intervention a pu être validée par l’équipe, dit un premier analyste.

— Rien n’a été validé du tout, John, il débloque complètement ! s’exclama un autre d’un air exaspéré.

— Le Premier Ministre a toute une équipe de communication derrière lui, Martin, répliqua John, et si son équipe a validé cette intervention, c’est qu’elle l’a jugée comme légitime.

— Légitime ? Raconter des salades sur des magiciens qui vivent cachés sous nos maisons, ou je ne sais quoi, c’est légitime ?

— C’est bien pour cela que je me demande comment cette intervention a pu être validée !

— Et si c’était vrai, tout simplement ? proposa un troisième intervenant.

— Vrai ? Mais enfin, Doug, toi aussi tu perds la boule ? s’inquiéta John tandis que Martin éclatait de rire.

— Attendez, je ne dis pas que c’est vrai, je propose simplement d’imaginer l’espace d’un instant la possibilité que les propos du Premier Ministre soient fondés. Regardez…

— Mais soyons sérieux deux minutes ! s’écria Martin. Il n’y a rien dans cette intervention, aucune preuve, aucune indication, juste du « croyez-moi sur parole », c’est tout de même gros, non ?

— Mais regardez juste ce que nous…

— Et puis, ça se saurait, non ? coupa John. Si mon voisin était un magicien, pourquoi prendrait-il la voiture tous les matins alors qu’il n’aurait qu’à changer son vélo en montgolfière ?

— Mais regardez, enfin ! Nous venons de…

— La magie ! s’exclama Martin. A tous les coups, Grant s’est retrouvé mêlé dans une nouvelle secte, c’est tout ! La semaine prochaine, il nous annoncera que la Terre est plate…

— Mais…

— Techniquement, la magie est simplement une science que l’on n’a pas encore comprise, rétorqua John.

— Et pourquoi l’auraient-ils comprise, eux ? Ils ont des gars plus calés qu’Einstein et Newton, c’est ça ? Quel intérêt de garder ça pour eux ?

— TAISEZ-VOUS ! beugla Doug. Nous venons de recevoir une vidéo par mail qui ferait soi-disant office de preuve, regardons-la.

        Le journal lança la vidéo. La vidéo semblait provenir d’une petite caméra de sécurité à bord d’un char. Elle montrait une escouade d’une vingtaine de soldats britanniques, qui mangeaient allègrement sous une tente ouverte. Soudain, la tente s’envola, et les soldats tombèrent vers le haut.

        C’était probablement une attaque du Sorcier du Ciel, se dit Pravin. Il en avait entendu parler par quelqu’un dans la salle commune de Poufsouffle. Après quelques instants de silence, la vingtaine de soldats s’écrasa violemment sur le sol, et les images furent censurées, mais Pravin devina un bain de sang. Puis, lentement, une silhouette se posa sur le sol. C’était un homme assez grand, vêtu d’une cape de sorcier grise, et une capuche noire recouvrant son visage. Pravin reconnût à sa main une baguette magique. Le Sorcier du Ciel se dirigea vers le char, leva sa baguette, et tourna la tête vers la caméra.

        Avec stupeur, Pravin découvrit le visage de Neville Londubat. Il ouvrit la bouche en grand sans qu’aucun son n’en sorte.

        Neville Londubat était mort depuis presqu’un mois. Etait-ce une vieille vidéo ? Ou les actes de Pravin avaient-ils eu des conséquences indirectes sur ce qui venait de se passer ? Avait-il sans le vouloir amorcé un incident diplomatique majeur ? Il n’en savait rien, mais il se mit à rire. A rire fort, très fort. Il ne put plus s’arrêter. Fischer rit avec lui sans trop savoir pourquoi, mais Pravin l’ignora et continua à rire.

        C’était la meilleure blague qu’il avait jamais entendue. Et par ailleurs, quelque chose lui disait que sa petite escouade privée qu’il avait au bout de son téléphone, allait s’agrandir, et petit-à-petit se transformée en armée.


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