La mort est une fin heureuse
Hugo, Avril 2024.
Dès lors qu’il entendit le son caractéristique de la cheminée qui s’ouvrait pour laisser entrer quelqu’un, Hugo sut que quelque chose de grave s’était passé.
Son père était déjà à la maison, c’était donc sa mère qui venait d’arriver. D’habitude, elle rentrait du travail vers six heures du soir, et aussitôt qu’elle franchissait le foyer, elle retirait sa cape et l’accrochait sur le porte-manteau, puis allait déposer sa baguette magique sur le meuble de l’autre côté de la pièce en faisant raisonner ses chaussures à talons sur le carrelage, avant de les retirer. Puis, on pouvait l’entendre ouvrir le réfrigérateur et se servir d’un verre de jus d’orange, avant d’aller saluer son mari puis ses enfants s’ils étaient présents.
Mais cette fois-ci, non seulement il était trois heures de l’après-midi, à savoir trois heures plus tôt que prévu, mais en plus, Hugo n’entendit absolument aucun bruit suivant l’arrivée de sa mère. Pas de talons sur le carrelage, pas de baguette sur le meuble, par de réfrigérateur. Rien. Il tendit l’oreille. De toute évidence, son père avait fait le même constat, car Hugo l’entendit sortir de sa chambre et descendre les escaliers pour aller voir.
« Hermione ! Qu’est-ce qui s’est passé ?!, s’écria-t-il.
A ces mots, le sang d’Hugo ne fit qu’un tour, et il bondit de son lit pour descendre à son tour, suivi de près par Rose qui sortait de sa propre chambre. Ils coururent dans les escaliers en sautant les dernière marches, pour découvrir, au pied de la cheminée, leur mère en larmes, à genoux, et leur père qui tentait tant bien que mal de la rassurer. Ils s’approchèrent lentement.
En les voyant, leur mère se redressa, et tordit sur son visage le sourire le plus faux, le plus forcé qu’Hugo ait jamais eu l’occasion de voir. Effrayant.
— Oh, mes chéris, fit-elle d’une voix tremblante, ne vous en faites pas, je suis juste très fatiguée, j’ai eu une journée pénible. Je vais aller me coucher.
De toute évidence, Rose et leur père furent aussi peu convaincus qu’Hugo. Mais leur père leur adressa un regard rassurant qui disait « Pas d’inquiétude, je m’en charge, je vous tiens au courant », et leurs parents disparurent dans le bureau de leur mère.
— On écoute, hein ? proposa immédiatement Rose d’un air inquiet.
— Je crois qu’il me reste quelques oreilles à rallonge ! chuchota Hugo en se ruant vers les escaliers.
Quand il revint moins d’une minute plus tard, ils avaient déjà manqué une partie importante de la conversation.
— Je ne sais pas par quel miracle on s’en est sorti, disait leur mère, ils ont commencé à débouler de partout.
— C’est bon, tout va bien maintenant, fit leur père d’une voix douce, tu es à la maison…
— Oh, c’est n’est pas le danger le problème, tu sais qu’on en a vus d’autres, avec Harry…
— Oui, je me doute bien, c’est Neville… Mais tu crois vraiment que…
— Non, bien sûr que non, je ne le crois pas. Aussi triste que cela me rende, Neville est mort. Mais… je sais pas… cette histoire de Sorcier du Ciel… Ron, je crois que…
— Que quoi ? fit leur père après un moment de silence.
— Qu’il y a un complot qui vise à détruire les relations diplomatiques entre les sorciers et les moldus, chuchota-t-elle paniquée.
Il y eut un instant de silence.
— Réfléchis-y ! poursuivit leur mère. Des sorciers proches du monde moldu qui meurent pour rien, un groupe moldu qui part en fizwizbiz et qui zigouille Neville et Sabrina Erskine, encore une fois, pour rien. Et maintenant, un terroriste sorcier qui anéantit des soldats moldus en prenant l’apparence de Neville ?
— Je… balbutia leur père. Je… Oui, c’est troublant, mais je ne vois pas vraiment… Pourquoi Neville ?
— Parce que… parce qu’il savait qu’on serait dans le bureau du premier ministre à ce moment-là, et qu’on réagirait en voyant Neville… Il… Il doit en savoir beaucoup sur nous… Oh, Ron, peut-être qu’il nous observe…
— Mais, Hermione… Qui ça, « il » ?
— Le Sorcier du Ciel !
Encore un moment de silence.
— Tu dois me prendre pour une folle, soupira leur mère.
— Hermione, bien sûr que non. J’ai pris au sérieux Mimi Geignarde, comment pourrais-je un jour ne pas te prendre au sérieux ? Mais simplement, même si cela fait peur, peut-être que tu es un peu trop pessimiste. Après tout, tu viens de frôler la mort. Je vais te donner une potion, tu vas faire une bonne sieste, prendre du recul, et faire ton travail, car tu es la meilleure dans ton domaine, et tout le monde le sait, et toi aussi. Et moi, je vais aller jeter quelques sorts de protection supplémentaires sur la maison.
Hermione soupira.
— D’accord. Merci, Ron.
Rose et Hugo entendirent des bruits de pas, et s’apprêtèrent à filer en courant.
— Ron, fit leur mère.
— Oui ?
— Les… Les moldus sont trois mille fois plus nombreux que nous, et trois mille fois mieux armés. S’il devait y avoir un conflit… Nous… nous n’avons absolument aucune…
— Ça n’en arrivera pas là.
Puis, Hugo et Rose déguerpirent vers leurs chambres respectives.
* * *
Cela faisait presque dix jours qu’Hugo était rentré chez lui pour les vacances de Pâques. La dernière période avait été éprouvante pour tout le monde.
Suite au décès tragique de Neville, les cours de botanique avaient de toute évidence été annulés jusqu’à nouvel ordre, probablement la fin de l’année scolaire. Alice et son frère Frank n’étaient pas revenus à Poudlard. Hugo l’avait vue le jour de l’enterrement, dévastée. Evie lui parlait tous les jours, Ernest Butternut avait accepté de lui acheter un miroir pour cette occasion. Lorcan passait la voir directement chez elle avec sa mère. Hugo, lui, lui envoyait un hibou régulièrement. Il ne lui disait rien d’important ou de grave, juste des petites choses rigolotes du quotidien. Quotidien qu’il s’appliquait à décrire comme vide sans elle. Il lui parlait de sa relation avec Dinah, des conneries de Basile et Lorcan, de Peeves qui était devenu étrangement calme ces derniers temps.
Mais il ne lui disait jamais les choses qui pourraient l’angoisser davantage. Il ne lui disait pas que les cours d’arithmancie avec Septima étaient de pire en pire, et que sa profonde tristesse avait commencé à se changer en humeur massacrante qui se répercutait sur ses élèves. Il ne lui disait pas qu’il avait prévu de se rendre durant les vacances à la Fourmilière, domicile de Lorcan et Lysander, pour discuter avec leur mère du Voile de la Mort, qu’elle avait vue au département des mystères, afin d’approfondir le sujet. Il ne lui disait pas que le fameux « Sorcier du Ciel » avait pris l’apparence de son défunt père pour terroriser le monde moldu, et que cela fragilisait dangereusement les liens diplomatiques entre les sorciers et les moldus. Elle n’avait pas besoin de savoir tout cela pour le moment, et de toute façon, elle le saurait bien assez tôt.
Après les événements survenus aux Trois balais quelques semaines plus tôt, Hugo avait tenté d’approfondir par lui-même l’idée que Basile avait donnée concernant l’aide qu’ils pourraient apporter à Septima : le Voile de la Mort. Il avait commencé par fouiller de fond en comble la bibliothèque, et encore une fois, les résultats n’avaient pas été très concluants.
Le mystère du Voile semblait ne jamais avoir été élucidé. Ou du moins, aucune conclusion ne paraissait dans aucun livre de la bibliothèque. Curieusement, malgré son appartenance au département des mystères, le Voile était le seul élément publiquement connu du département. En effet, le Voile était là bien avant le ministère, enfoui dans le sous-sol de la vieille ville de Londres. Au Moyen-Âge, les sorciers s’en servaient pour exécuter les malfrats condamnés à morts, et avaient pour cela bâti des gradins tout autour pour que les exécutions soient publiques. La toute dernière mise à mort par ce biais, d’un sorcier nommé Diomhair, datait de 1237, avant que les sorciers ne décident de changer de moyen. Puis, quand le ministère a été fondé, il a été décidé d’y cacher le Voile, et de créer le département des mystères par la même occasion. La seule information concernant le Voile en lui-même, était qu’il semblait ôter la vie de tout être le franchissant, et faisait complètement disparaître son corps.
Et c’était absolument tout ce qu’Hugo était parvenu à trouver dans les livres. Un énième mystère magique non résolu. Cette idée était donc extrêmement floue pour Hugo, mais malheureusement, elle restait sa meilleure idée. Enfin, sa seule idée.
Mais il y avait tout de même encore un moyen de creuser un peu le sujet : demander des informations à quelqu’un qui s’est déjà retrouvé en présence du Voile. Il ne connaissait aucun langue-de-plomb, et de toute façon aucun langue-de-plomb ne lui dirait jamais rien. Tous les membres de l’Ordre du Phénix qui s’étaient battus au département des mystères il y avait presque vingt ans étaient décédés, à l’exception de Kingsley Shacklebolt, qui était parti prendre sa retraite dans les îles de la Polynésie française, loin de tout. Ses parents ne lui diraient rien du tout, son oncle et sa tante non plus, et Neville n’était plus parmi eux. Heureusement, il restait une personne qui était beaucoup plus ouvertes sur les mystères de la magie que les autres, et qui serait davantage susceptible de lui en parler : Luna Dragonneau.
Ainsi, Hugo n’avait pas quitté Lorcan et Lysander avant de leur avoir fait promettre d’arranger une invitation à la Fourmilière durant les vacances. Et en effet, quelques jours plus tard, Ron avait reçu un appel de miroir de la part de Luna, qui les invitait tous à déjeuner le dernier samedi avant la rentrée. Hugo avait donc passé les dix derniers jours à méticuleusement réfléchir sur la façon dont il allait aborder Luna à propos du Voile.
* * *
Le matin du dernier samedi des vacances, Hugo se leva avec une certaine appréhension. Luna était l’une des personnes les plus gentilles qu’il connaissait, mais il allait aborder avec elle un sujet plus que délicat. Merlin savait comment elle allait réagir.
Le petit-déjeuner fût calme. Sa sœur mangeait tranquillement ses céréales en silence, et sa mère écoutait son père raconter des petites anecdotes du magasin. Sa mère était retournée au travail dès le lendemain de son arrivée en catastrophe par la cheminée, et n’avait laissé transparaître aucun indice sur comment cela se passait, même si elle avait l’air légèrement plus tendue qu’avant. Malheureusement, Hugo n’avait réussi à intercepter aucune autre conversation sur le sujet, et ne savait donc pas ce qu’il en était.
Vers onze heures trente, tous les quatre s’installèrent dans le grand foyer de cheminée. Son père saisit une grosse poignée de poudre de cheminette, et la jeta sur le sol en s’exclamant « La Fourmilière ! ».
Hugo n’était jamais allé à la Fourmilière. Il savait simplement que c’était un endroit immense, caché entre deux montagnes du Parc National de Cairngorms, en Écosse, pas très loin de Pré-au-Lard. En effet, dès qu’ils réapparurent après avoir tournoyé quelques secondes dans le flux du réseau de cheminée, Hugo sentit l’odeur fraiche et familière des Highlands le prendre à plein nez.
Cependant, ils n’étaient pas apparus dans la bonne maison, de toute évidence, car d’une part, personne n’était là pour les accueillir, et d’autre part, ils n’étaient pas dans une maison. Ils avaient atterri dans un vieux cabanon en ruine, à peine plus grand que leurs toilettes. Ce cabanon semblait ne servir que pour son foyer de cheminée. Hugo et Rose se regardèrent d’un air interrogateur.
— Par ici, lança son père d’un air joyeux en les guidant vers l’extérieur.
Bon, ce n’était pas la première fois que ses parents venaient, et ils étaient visiblement au bon endroit.
Le cabanon cachait bien son jeu. Quand Hugo jeta un œil à ce qu’il y avait de l’autre côté de la porte, il eût le souffle coupé.
Une immense vallée verdoyante s’étalait devant eux, délimitée de part et d’autre par deux petites montagnes. Ces montagnes étaient habillées de l’espèce de mousse typique écossaise qui donnait l’impression qu’elles avaient simplement été coloriées en vert. Pas un arbre, pas un rocher, pas un buisson ne donnait d’élément de comparaison avec la taille des montagnes, si bien que la perspective était floue, et on avait l’impression de pouvoir les atteindre en cinq minutes de marche.
Mais le plus étonnant étaient les créatures qui gambadaient au milieu de la vallée. Hugo savait que les parents de Lorcan et Lysander étaient des magizoologistes, mais il ne s’attendait pas à voir autant d’animaux fantastiques rassemblés au même endroit. Une douzaine de boursoufs de toutes les couleurs se laissaient rouler le long d’une pente douce. Des diricos apparaissaient et disparaissaient un peu partout. D’adorables veaudelunes dormaient sous un acacia. Des jobarbilles fluorescents dansaient autour d’eux dans les airs. Un couple de licornes blanches et leur rejeton à la robe dorée les suivaient du regard. Des niffleurs, des botrucs, un démonzémerveille, des crabes de feu, des gnomes, des bandimons, des hippogriffes. Il y avait aussi des animaux qu’Hugo ne reconnût pas, comme un étrange animal tout timide qui ressemblait à un minuscule rhinocéros à écailles vertes. Mais la bête la plus époustouflante arriva de leur droite.
— Est-ce que c’est… commença sa mère, ébahie en la voyant.
— On dirait bien… Comment ont-ils fait pour s’en procurer ? s’étonna son père.
C’était un arbre-daim. Il avait l’apparence d’un immense cerf brun de la taille d’un éléphant, mais ses bois se prolongeaient haut au-dessus de sa tête pour former les branches d’un chêne sombre. On pouvait distinguer quelques écureuils qui couraient le long de ses bois. Il était vieux et majestueux, et quand il croisa le regard d’Hugo, ce dernier se sentit tout intimidé, comme s’il avait affaire à un ancien empereur d’une dynastie perdue. Une sensation étrangement précise.
— Hagrid vendrait son foie pour voir une telle créature, commenta sa mère.
— En fait, c’est lui qui nous l’a amené, fit une voix enjouée derrière eux.
— Rolf ! s’écria son père en serrant chaleureusement la main de l’homme qui venait de les rejoindre.
Rolf Dragonneau était le portrait craché de ses deux fils, mais en plus vieux, et avec des cheveux roux grisonnants. Il était très grand, et portait une étrange robe de velours côtelé pourpre. Il tenait dans sa main droite un vieux oud, et une chauve-souris était perchée sur son épaule. Il saisit la main de son père, puis étreignit sa mère, et lança un sourire rayonnant à Rose et à Hugo. Il leur fit signe de tête de les suivre en direction d’un petit rassemblement de sapins plus loin dans la vallée, tout en continuant son histoire.
— Il s’appelle Eichengeweih, et c’est le dernier arbre-daim de sa tribu. Hagrid l’a rencontré dans le sud de la Forêt Noire. Vous connaissez Hagrid, Eichengeweih lui a tout de suite fait confiance. Il lui a raconté comment au fil des siècles, des sorciers avaient chassé les membres de sa famille pour fabriquer des baguettes à partir de leurs bois. Voyez-vous, les arbre-daims mettent très longtemps à se reproduire : la période de gestation est de vingt ans. Alors forcément, leur nombre a drastiquement diminué. Cela faisait cinquante ans qu’Eichengeweih était tout seul. Alors Hagrid lui a proposé de venir ici. Il ne lui a pas proposé la forêt interdite, avec sa taille, il craignait que ça fasse jaser son frère Graup. Evidemment, nous l’avons accueilli à bras grands ouverts. Il est heureux, ici. Il compte rester jusqu’à sa mort, dans une quarantaine d’années.
Hugo tourna à nouveau le regard vers Eichengeweih. Il était en train de s’incliner devant un troupeau d’hippogriffes avant de les approcher. En faisant ainsi pencher sa ramure en avant, il fit tomber un écureuil sur le sol, et un jeune hippogriffe se mit immédiatement à le poursuivre. Hugo sourit.
Ils arrivèrent finalement devant les quelques sapins après cinq bonnes minutes de marche. Hugo remarqua alors qu’une grande bosse recouverte d’herbe était cachée derrière les arbres. Et devant cette bosse : une porte d’entrée., au-dessus de laquelle un panneau indiquait « La Fourmilière ». Cette bosse était donc la maison de la famille Dragonneau. Mais quand Rolf les fit entrer, la maison n’avait plus rien d’une bosse. En fait, la maison était tout à fait ordinaire, mis à part le fait qu’elle avait l’air d’une bosse vue de l’extérieur.
— On ne voulait pas perturber le paysage, pour les animaux, expliqua Rolf en voyant le regard perplexe d’Hugo.
— Ça fait toujours cet effet, même après tout ce temps, s’émerveilla son père.
Hugo adorait sa maison à Stratford-Upon-Avon, mais il ne put s’empêcher, à cet instant, d’être légèrement jaloux du cadre dans lequel avaient grandi ses amis Lorcan et Lysander.
Le déjeuner fût globalement joyeux. Evidemment, le très récent deuil de Neville se faisait sentir derrière chaque intervention, mais il y eut tout de même quelques rires. Rolf avait préparé une grande salade composée d’une dizaine de légumes différents, dont Hugo ne reconnût pas un seul. Luna avait concocté un magnifique pudding. Durant tout le repas, Lorcan et Lysander lancèrent des regards à Hugo, pour l’inciter à lancer le sujet pour lequel il était venu. Mais Hugo ne trouva aucune ouverture, et de toute façon, il n’avait aucune intention de discuter de cela devant ses parents, persuadé que ces derniers couperaient court à une telle conversation.
Mais vers la fin du repas, une occasion en or se présenta.
— Il est midi quarante-six, c’est l’heure du goûter nocturne des veaudelunes, annonça Luna.
— Je t’accompagne, profita Hugo.
Il suivit Luna dans la vallée, et tenta une approche qui lui semblait appropriée.
— Rolf nous a dit qu’Eichengeweih allait mourir dans une quarantaine d’années, dit-il.
— Trente-neuf ans, onze mois et six jours, plus précisément, indiqua Luna.
— Hein ? Comment tu le sais ?
— Les arbre-daims savent toujours quand ils vont mourir. Quand ils ont l’occasion de mourir naturellement, tout du moins. Dès l’instant où ils naissent, la première chose qu’ils savent est le temps exact qui leur reste. En général, entre quatre et cinq siècles. Et leur horloge biologique est très précise. Enfin, ici, plutôt leur calendrier biologique.
— C’est… troublant, commenta Hugo.
— C’est aussi la raison pour laquelle le braconnage des arbre-daims est tout particulièrement contrôlé. Ils leurs retirent la mort naturelle qui leur était promise depuis leur naissance, et qui est censée être un grand honneur chez les arbre-daims.
— Ils ne vivent pas dans la peur et l’appréhension, de savoir comme ça quand ils vont mourir ?
— Bien sûr que non. Tu sais, dans l’ordre naturel des choses, la mort est une fin heureuse. Ce sont les humains qui en font tout un foin.
Hugo adorait cette façon qu’avait Luna de parler, comme si elle ne se considérait pas comme humaine.
— A ce propos, il y a un sujet que j’aurais aimé aborder avec toi… tenta Hugo.
— A propos de la mort ?
— Non… Enfin si, techniquement… C’est à propos du Voile, dans le département des mystères.
Hugo s’attendit à ce que Luna le regarde d’un air sévère, mais elle se contenta de lever un sourcil.
— Ah oui, c’est très mystérieux, ça.
— Oui. Euh, je sais que tu as eu l’occasion de t’en approcher il y a longtemps.
— C’était il y a vingt-huit ans, mais je m’en souviens encore comme si c’était hier. Avec Harry, on avait entendu des voix qui venaient de l’autre côté du Voile.
— Des voix ?
— Oui. Les autres ne pouvaient pas les entendre. Je ne sais pas si Harry a entendu la même chose que moi, nous n’en avons jamais reparlé. Mais moi, j’ai entendu un très léger brouhaha. Des gens heureux, d’autres malheureux, comme s’ils entamaient une nouvelle journée de leur quotidien, tout simplement.
Hugo ne sut pas quoi penser de cette information.
— Qu’est-ce que cela voulait dire, à ton avis ? demanda-t-il.
— Je crois que c’est simplement la Mort qui nous dit de ne pas la craindre, que quand on passe de l’autre côté, on ne change pas réellement. Comme pour les arbre-daims. Mais dis-moi, pourquoi cette fascination pour le Voile ?
— Oh, juste de la curiosité, mentit Hugo.
Mais la présence mystique de Luna lui fit changer d’avis.
— Non, ajouta-t-il, en fait, j’ai une amie qui est fantôme depuis la bataille de Poudlard. Mais maintenant, le reste de sa famille est mort, et elle se retrouve seule pour l’éternité. Je voulais savoir si traverser le Voile l’aiderait.
— Je vois. Je pense que oui.
— Mais comment être sûr que cela marchera ?
— On ne peut pas être sûr, il y a trop de mystères irrésolus. Mais on peut être presque sûr. Regarde, après plus de vingt ans, les détraqueurs n’en sont jamais revenus.
— Attends, quoi ? Les détraqueurs sont passés dans le Voile ?! s’écria Hugo.
— Et bien, oui, c’est comme ça que Harry s’en est débarrassé. Tu ne savais pas ?
— Non, c’est censé être top secret !
— Ah. Je l’ignorais, fit-elle simplement.
— Mais comment a-t-il fait pour tous les rassembler au même endroit ? demanda Hugo, piqué de curiosité.
— Ça je n’en sais rien. J’étais en Scandinavie quand ça s’est passé.
Hugo n’en revint pas. Il avait encore tellement de choses à apprendre. Il soupira.
— Bon, maintenant faut que j’arrive à convaincre le personnel du département des mystères de nous laisser y rentrer, se lamenta-t-il. Finalement, je n’ai fait que le plus facile.
— Oh, ce n’est pas si difficile.
— Tu sais, ils ont renforcé la sécurité quand six ados de quinze ans y sont entrés par effraction, hein ?
— Je suis sûre qu’ils te laisseront rentrer. Après tout, les langues-de-plomb sont des chercheurs. Je suis persuadée qu’une potentielle réponse à la question « Que se passe-t-il quand un fantôme franchit le Voile de la mort ? » attisera leur curiosité.
— Et la mienne aussi… conclut Hugo.
Il observa le majestueux arbre-daim boire dans un étang, et pensa à ce que venait de lui dire Luna. La mort était-elle une fin heureuse ? Était-ce vraiment la meilleure solution pour Septima ? Hugo prit un élément de comparaison. Septima, destinée à errer seule jusqu’à la fin des temps, était malheureuse. Eichengeweih, connaissant précisément la date de sa mort, profitait allègrement et paisiblement de ses dernières décennies. Septima avait été dupée par cette manie qu’avaient les humains de tenter de dompter les règles de la nature, et elle en souffrait terriblement. Il fallait qu’Hugo l’aide à retrouver le bon ordre des choses.
Hugo fut surprit de penser à la mort de façon si sereine. Luna avait le merveilleux don d’apaiser les conversations, sur n’importe quels sujets. Il sourit en contemplant deux jeunes écureuils sauter de branche en branche, tout en haut de la belle ramure d’Eichengeweih. Il se sentait parfaitement en paix.
Rien dans cet instant n’aurait pu lui indiquer que le soir-venu, en rentrant chez lui, le monde tel qu’il le connaissait allait être bouleversé à tout jamais.