La mort est une fin heureuse

Chapitre 24 : La surface de l'eau

2373 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 25/04/2024 11:15

Pravin, Février 2024.

 

        Pravin commençait à avoir froid. Cela faisait une bonne heure qu’il avait les pieds plongés dans l’eau gelée du lac noir. Il était assis au bord d’un des pontons du hangar à bateaux. C’était l’endroit où Frank et lui avaient l’habitude de se retrouver pour élaborer leurs plans, durant la journée. Ils y étaient parfaitement tranquilles, personne ne venait jamais les déranger. Tout comme ce jour-là, personne ne vint déranger Pravin. Pas même Frank.

        Pravin avait passé de très mauvaises vacances de Noël. Pas parce que la directrice l’avait exclu une semaine avant et qu’il avait donc eu trois semaines au lieu de deux. Pas non plus parce que pour le punir de s’être fait punir et de venir la déranger une semaine plus tôt que prévu, la tante Karen l’avait forcé à servir de larbin à elle et à ses copines, et faire pour elles des tâches et corvées en tous genres. Non, il avait passé de très mauvaises vacances, parce que la dernière chose que Frank lui avait dite avant de partir était « La ferme, toi ! C’est de ta faute ! Espèce de malade, t’as aucune limite en fait ! Dégage de là ! ».

        Ces paroles, accompagnées d’un véritable regard de haine, avaient profondément blessé Pravin. Frank était son ami. Son meilleur ami. Son seul ami. Le seul ami qu’il n’ait jamais eu, et qu’il aurait jamais. Il avait passé trois semaines à réfléchir, à tracer et retracer encore et encore les événements de cette soirée pour essayer de comprendre ce qui lui avait échappé, ce qu’il avait fait de mal. Mais il n’avait rien fait de mal. Il avait fait tout ce que Frank voulait, même les choses qu’il n’avait pas osé dire. Pravin le connaissait bien.

        Alice avait été blessée. Mais d’une part, elle allait beaucoup mieux, et d’autre part, étant donné le nombre de fois où Frank s’était plaint d’à quel point sa sœur était trop parfaite, trop rigide, à quel point elle avait un « Brossdur 15 dans le cul » selon ses propres mots, Pravin en avait tiré la conclusion évidente qu’il la détestait. Comment ne pas la détester ? Elle était exactement tout l’inverse de ce qu’aspiraient Frank et lui à être. Alors où était le problème ?

        Le problème était que Frank se voilait la face. Il n’osait pas s’assumer jusqu’au bout, s’affirmer auprès de sa sœur et de ses parents. Il avait peur d’avouer que oui, il préférait la compagnie de Pravin plutôt que celle de sa famille. En fait, Frank était comme un elfe de maison, et Pravin se devait de le libérer.

        Il avait essayé de lui parler, lors de la rentrée après les vacances. Heureusement, Frank n’était plus en colère contre lui. Malheureusement, il n’était pas non plus redevenu son ami.

— Salut, Frank ! avait-il lancé de façon anodine.

— Bonjour, Pravin, avait répondu Frank d’un air sombre.

— Tu… Tu as passé de bonnes vacances ?

— Oui, avait-il simplement répondu avait de tourner les talons et s’en aller.

        Et c’était tout. Pravin n’avait eu aucune autre interaction avec lui depuis le début des vacances de Noël. Plusieurs fois où Pravin avait essayé de l’aborder, Frank semblait miraculeusement doté d’un sixième sens pour l’éviter. Et cela tuait Pravin de ne pas comprendre pourquoi.

        Pravin jeta un œil à la carte du Maraudeur, qui était posée à côté de lui, grande ouverte. Il avait jeté un sort pour qu’elle ne s’envole pas d’un coup de vent. Il la regardait machinalement toutes les trois minutes, espérant inconsciemment voir le nom de « Frank Londubat » se diriger vers le sien. Mais Frank était dans la bibliothèque, seul. Était-il en train de travailler ? Cela ne lui ressemblait pas. Enfin, après tout, rien dans son comportement actuel ne lui ressemblait.

        Pravin trouva Peeves à l’autre bout de la carte, en haut de la tour du clocher. Il était probablement en train de saboter l’une des cloches qui servaient à annoncer la fin des cours. Il avait aussi tenté d’approcher Frank par l’intermédiaire de Peeves, quand ce dernier était venu le voir pour lui demander quel serait leur prochain fait d’arme.

— Je ne sais pas, Peeves, avait-il répondu. Frank ne me parle plus.

— Vous n’avez pas besoin de vous parler pour semer le chaos !

— Si, pour élaborer nos plans. Et de toute façon, je n’ai pas l’impression qu’il en ait envie.

— Pourquoi n’aurait-il pas envie de semer le chaos ? s’était indigné Peeves comme s’il trouvait l’idée complètement insensée.

— Aucune idée, pourquoi ne vas-tu pas le lui demander ?

        Peeves s’était immédiatement exécuté. Mais Frank l’avait envoyé bouler.

— Tant pis pour vous, je n’ai besoin de personne pour tout faire péter, avait ricané Peeves. Si vous me cherchez, vous savez où me trouver !

        Et il avait disparu.

        Tout était bizarre. Pravin n’aimait pas que ses habitudes changent. Peeves n’était pas à proprement parler son ami, mais il était un allié inestimable. Mais bon, de toute façon, sans Frank, Pravin n’aurait trouvé aucun intérêt à continuer à exécuter leurs plans. Car en fait, il faisait ça pour lui. Cela le faisait rire, bien sûr, mais au-delà d’en rire lui-même, il aimait par-dessus tout faire rire Frank. Son rire si unique, si dissonant, si contagieux, si beau. Ce rire lui manquait énormément. Il avait besoin de sa dose quotidienne de rire de Frank. Non, de sa dose horaire, même.

        A une vingtaine de mètres de lui, Pravin vit un des tentacules du calmar géant sortir de l’eau avant de disparaître à nouveau. Cela lui rappela une de leurs idées qu’ils n’avaient jamais mise à exécution. Une journée d’été, lorsqu’un grand nombre d’élèves seraient dans le parc de Poudlard pour profiter du beau temps, ils auraient, d’une façon encore indéterminée, fait sortir le calmar géant du lac et l’auraient lâché sur les élèves. Une vision cauchemardesque pour les victimes, hilarante pour eux. Mais cela n’arriverait probablement jamais. Pravin soupira.

        Après encore une demi-heure, Pravin commença à trembler de froid. Il savait au fond de lui que Frank ne viendrait pas, mais il ne pouvait s’empêcher d’alimenter ce faux-espoir. Pourtant, un rapide coup d’œil à la carte lui indiqua que Frank avait quitté la bibliothèque. Paniqué, comme si cette information était de prime importance, Pravin se jeta sur la carte pour le trouver. Mais Frank ne venait pas vers le hangar à bateaux. Il était dans le hall d’entrée du viaduc, en compagnie de sa sœur et de son père. Les entrailles de Pravin se mirent à bouillir.

        A peine quelques jours plus tôt, il avait surpris une conversation entre eux trois à la sortie de l’un de leurs cours de botanique. Il était resté caché derrière une armure pour les écouter. L’amure lui avait lancé un regard indigné.

        Mr Londubat leur avait annoncé, en avance, que le prochain week-end à Pré-au-Lard aurait lieu à la fin de la première semaine de mars. Il leur avait proposé de se retrouver aux Trois balais, et que même leur mère prendrait sa journée pour les rejoindre et passer un bon moment avec eux, en famille. Tous les quatre. Ce qui avait brisé le cœur de Pravin, c’était le grand sourire de Frank quand ce dernier avait accepté. Lui qui détestait ses parents, qui avait passé tant de temps à s’en plaindre auprès de Pravin.

        Cela faisait quatre semaines que les cours avaient repris, et durant ces quatre semaines, Pravin avait douloureusement assisté, de loin, à la resocialisation de Frank. Il l’avait vu discuter avec d’autres personnes de leur dortoir, de leur maison, de leur classe, avec sa sœur et son père, même avec les amis de sa sœur. C’était avec extrême jalousie qu’il avait découvert que Frank s’entendait très bien avec le Norbert numéro 3, qui apparemment passait désormais son temps à dévorer l’intérieur de la bouche d’Alice. Quelle idée.

        En fait, la pire chose était que de l’extérieur, Frank laissait supposer que tout allait pour le mieux pour lui sans Pravin. Mais ce dernier n’y croyait pas un seul instant. Peut-être qu’il s’entendait réellement bien avec ces idiots de leur dortoir, peut-être même que le Norbert numéro 3 était vraiment sympathique, mais il était évident que Pravin manquait à Frank autant que Frank lui manquait. Mais ce qui était tout aussi évident, c’était qu’Alice, et surtout Mr Londubat, n’approuvaient pas du tout leur amitié. Il avait parfaitement remarqué les regards dégoûtés qu’ils lui lançaient à chaque occasion. Mais malheureusement, ils avaient une certaine emprise sur Frank, et ce dernier se laissait berner.

        Pravin baissa les yeux et contempla la surface de l’eau. Il aimait bien regarder l’eau, d’habitude, car il y voyait son visage accompagné de celui de Frank, bercés par les légers mouvements du lac, par le vent. C’était paisible et heureux. Mais ce jour-là, il n’y avait ni vent, ni vagues, et la surface de l’eau ne lui montrait que son propre visage, plat, vide, seul.

        Il détruit son propre reflet d’un coup de pied, et se leva. Il avait pris sa décision. Si Frank ne pouvait pas être son ami à cause d’Alice et de Mr Londubat, alors Alice et Mr Londubat étaient un problème. Un problème qu’il allait régler.

        Il ferma la carte du Maraudeur, et la rangea dans sa poche. Il se dirigea d’un pas décidé en direction de sa salle commune. C’était un samedi matin, et il ne croisa pas grand monde dans les couloirs, ni dans la salle commune de Poufsouffle. Son dortoir, quant à lui, était vide. Frank devait encore être en train de discuter avec sa famille. Il ouvrit sa malle, fouilla un peu, et en sortit un vieux téléphone portable.

        C’était le téléphone portable de la tante Karen, qu’il avait trouvé dans sa cachette, et grâce auquel il avait découvert qu’elle avait participé à l’assassinat de Sabrina Erskine. Il avait décidé de le lui subtiliser durant l’été, afin de l’utiliser avec Frank pour leurs farces. Mais l’occasion ne s’était jamais présentée.

        Il savait que le téléphone ne fonctionnerait pas dans l’enceinte du château, trop d’ondes magiques. Alors ressortit la carte du Maraudeur, et constata que la voix était libre. Il courut donc discrètement en direction du Saule cogneur. Curieusement, ce dernier sembla s’agiter encore plus que d’habitude en sa présence. Peu importe, il l’immobilisa facilement et s’enfonça dans le tunnel. Il marcha, encore et encore et encore, pendant vingt bonnes minutes, avant de resurgir dans la Cabane hurlante. Ce devait être bon.

        Il alluma le téléphone. Il avait craint que ce dernier n’ait plus de batterie, mais il l’avait laissé éteint tout ce temps, et avait visiblement bien fait. Le téléphone s’alluma accompagné d’une petite musique et d’une vibration. Il saisit alors le numéro du vrai téléphone de la tante Karen, celui qu’elle utilisait tous les jours. La tante Karen décrocha au bout de quelques secondes.

— C’est qui ? beugla-t-elle.

— Tante Karen, c’est Pravin, répondit-il d’une voix assurée.

— Quoi ? Qu’est-ce que tu me veux ? Qu’est-ce que t’as fait, encore ?

— Tante Karen, je sais qui a tué Papa.

        La tante Karen parut choquée, car elle resta silencieuse pendant une bonne dizaine de secondes.

— Quoi ? s’écria-t-elle.

— Je l’ai entendu s’en vanter, un soir, dans les couloirs du château.

— Quoi ?! cria-t-elle. Attends, tu veux dire que c’est un élève qui a tué Cranston ?!

— Non, c’est un prof. Tu l’as rencontré, il était dans le bureau de la directrice quand tu es venue me chercher. Il s’appelle Neville Londubat.


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