La mort est une fin heureuse

Chapitre 23 : La perspective de l'éternité

5475 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 21/04/2024 18:46

Hugo, Janvier 2024.

 

        Hugo était à la fois heureux et stressé. Il avait cette sensation dans le ventre qui était tout aussi douloureuse qu’agréable. Une sorte de doute. Il était adossé contre un mur, devant l’entrée du bureau du professeur McGonagall. Il était revenu de vacances à bord du Poudlard Express dans la soirée, et s’était immédiatement présenté à la directrice après le repas pour lui présenter ses excuses concernant l’incident du Saule cogneur, comme convenu. Il n’avait pas passé un moment particulièrement agréable en compagnie de McGonagall, mais en sortant, il avait croisé Dinah qui venait faire la même chose que lui. Il avait donc décidé de l’attendre à la sortie.

        Il analysa la situation. La dernière fois qu’il avait vu Dinah, ils s’étaient embrassés. Mais ils étaient tous les deux sous l’emprise d’alcool. Mais ils s’étaient embrassés. Mais ils s’étaient ensuite séparés pendant trois semaines sans pouvoir discuter de ce qui allait se passer. Mais ils s’étaient embrassés. Hugo sourit. Tout allait bien se passer. Dinah était agréable, facile avec qui discuter, drôle, gentille. Quand elle était ivre. Sobre, elle était… Mokrane. Le sourire de Hugo se dissipa. Comment avait-il pu imaginer un seul instant que la grande Dinah Mokrane voudrait sortir avec lui ? D’un autre côté, pourquoi se serait-elle rabaissée à l’embrasser lui, si ses sentiments n’étaient pas réels ? Mais bon, elle pourrait avoir tous les garçons qu’elle voudrait, pourquoi lui ? Parce qu’il était un excellent gardien de Quidditch, meilleur élève de Poudlard depuis des lustres ? Au lieu de continuer de réfléchir, Hugo décida de commencer à paniquer. Et surtout, à s’enfuir.

— Eh, Hugo ! entendit-il alors qu’il était presque rendu à l’extrémité du couloir.

        C’était déjà bon signe, se dit-il sans pouvoir s’empêcher de tout analyser, d’habitude elle l’appelait « Weasley » ou « Petit génie ».

— Ah, Dinah, t’en as mis du temps ! répondit-il.

        Bien joué, ça. Faire croire qu’il était en train de partir car elle avait pris trop de temps. Il attendit que Dinah parvienne à sa hauteur.

— T’as passé de bonnes vacances ? lui demanda-t-elle.

— Bonnes, oui. Vacances, non, évidemment. Mes parents m’ont fait bosser trois semaines pour me punir. Ils m’ont quand même accordé trois jours de congé : un pour Noël, un pour le nouvel-an, et un pour mon anniversaire, le 5. Et toi ?

        Ils commencèrent à marcher ensemble en direction de leurs salles communes.

— Oh, Kaya n’a pas été trop sévère. C’est la directrice de mon orphelinat. Elle m’a simplement interdit de sortir pendant une semaine, ce qui ne m’a pas dérangée plus que ça.

— Au moins, maintenant qu’on n’est plus préfets, on aura pas à être de garde le soir pour surveiller Peeves, plaisanta Hugo.

— Oui, c’est vrai, quel bonheur ! se réjouit Dinah. Même au-delà de ça, ça me gonflait d’être préfète. Je déteste les responsabilités.

— Oh, moi j’aimais bien quand même…

— T’en fais pas, va, même après t’être fait virer, tu seras quand même toujours le chouchou de tous les profs !

— Oui, je me fais pas trop de soucis là-dessus, plaisanta Hugo. Tu penses qu’ils vont replanter le Saule cogneur ?

— C’est déjà fait, je suis allée voir en passant, tout à l’heure. Il est un peu patraque, beaucoup moins agité qu’avant, mais sinon il a l’air de bien se porter.

— Tant mieux.

— Tant mieux ? Ils auraient dû en profiter pour s’en débarrasser, c’est dangereux.

        Hugo ne répondit rien. Il réalisa d’un seul coup que cette affaire avait failli avoir des conséquences bien gênantes pour la jeune Leliti Tekula, qu’il avait rencontrée lors de l’accouchement de Victoire. Enfin, ils auraient sûrement fini par trouver une autre solution, mais quand même.

        Leur conversation s’était essoufflée, ils marchaient désormais en silence. D’habitude, le silence ne dérangeait pas Hugo quand il était avec quelqu’un qu’il appréciait, mais là, pour une raison qu’il ignorait, il se sentait obligé de chercher un nouveau sujet de conversation. C’était difficile. Les premiers sujets qui lui vinrent en tête ne convenaient pas. Les cadeaux qu’ils avaient eu pour Noël ? Il n’était pas certain qu’ils avaient des cadeaux, à l’orphelinat. L’article paru dans la Gazette sur le Sorcier du Ciel ? Ils n’allaient pas se mettre à parler politique. La température anormalement agréable pour un mois de janvier en Écosse ? Non, ils n’avaient pas soixante-douze ans. Hugo commença à paniquer à nouveau, d’autant plus que le couloir menant à la tour de Gryffondor, où ils allaient se séparer, commença à approcher.

— Pourquoi tu ne m’as pas écrit, pendant les vacances ? lui demanda alors Dinah.

        Pris de court, Hugo se mit à réfléchir à toute vitesse. C’était vrai, pourquoi ne lui avait-il pas écrit ? La réponse fut évidente : il n’en avait pas eu le courage.

— Je me suis dit que t’avais pas envie que je t’écrive, répondit-il.

— Pourquoi j’en aurais pas eu envie ? s’étonna Dinah.

— Je… Je sais pas, on s’est jamais écrits, je pensais que…

        Dinah éclata de rire.

— Je vois, ricana-t-elle. Même si on s’est embrassés et pire, appelés par nos prénoms, tu n’étais pas sûr que ce soit simplement les effets de l’alcool, et que je ne sois pas redevenue la bonne vieille Mokrane, c’est ça ?

        Hugo sourit, confus. C’était exactement cela.

— Euh, et bien… balbutia-t-il.

        Pour toute réponse, Dinah s’arrêta de marcher, l’attrapa par l’épaule et l’embrassa. Une manière si simple, si efficace et si agréable de mettre fin aux interrogations de Hugo. Quand ils eurent fini, à savoir beaucoup trop tôt au goût de Hugo, Dinah lui sourit, les joues un peu rosies.

— Pour être honnête, moi aussi je me suis demandé si c’était réel ou pas. Mais en te voyant essayer de t’enfuir tout à l’heure, j’ai vite compris.

        Hugo rougit comme une tomate.

— Tu savais ? Pourquoi tu ne m’as rien dit ?

— Parce que c’était trop marrant, ricana Dinah.

        Hugo soupira d’exaspération et d’amusement.

— Et du coup, qu’est-ce qu’on fait ? demanda-t-il.

— Ben, on retourne dans nos salles communes.

— Non, mais en général, entre nous, qu’est-ce qu’on fait, comment ça se passe ? Est-ce qu’on euh… planifie des rendez-vous, ou…

        Dinah éclata à nouveau de rire.

— On n’est pas obligé de tout planifier, tu sais. On peut juste profiter l’un de l’autre quand on se croise.

— Ah, d’accord.

— Mais si tu veux, si ça te rassure, on aura qu’à s’organiser un petit rencard à la prochaine sortie à Pré-au-Lard, sourit-elle.

— Je ne suis pas certain que l’on soit encore autorisé à sortir de Poudlard, remarqua Hugo, bien que très séduit par l’idée.

— Tant pis, on ira dans la Salle-sur-Demande, dans ce cas.

— La quoi ?

        Dinah marqua un temps d’arrêt.

— Attends, tu connais pas la Salle-sur-Demande ? s’écria-t-elle.

— Non, ça me dit rien…

— Mais il faut absolument que je te montre ! Suis-moi !

— Attends, attends, on est pas censé aller se coucher, là ? On a déjà eu assez d’ennuis…

— Relax, petit génie, il est à peine huit heures du soir, on a encore le droit d’être ici.

        Hugo la suivit à travers les couloirs et les escaliers du château, en direction du septième étage dans l’aile de la tour d’astronomie, tandis que Dinah lui expliqua le concept. La Salle-sur-Demande était une salle secrète dans le château, cachée, dont l’entrée n’apparaissait que sur demande, comme son nom l’indiquait. Quand elle apparaissait, elle contenait alors tout ce dont l’utilisateur avait besoin. Dinah lui donna l’exemple d’une fois où elle avait voulu récupérer un frisbee à dents de serpent au lieu d’en voler un chez Rusard, la Salle-sur-Demande lui avait fourni une collection complète de frisbees, ainsi qu’un petit terrain pour le lancer, au bout duquel un mannequin était magiquement articulé pour le lui renvoyer.

        Dinah s’arrêta près d’une grande tapisserie sur laquelle un sorcier essayait d’enseigner de la danse classique à des trolls vêtus de tutus roses. Trop occupé à contempler la tapisserie, quand il se retourna, Hugo trouva avec surprise une porte qui venait d’apparaître sur le mur d’en face. Que Dinah avait-elle demandé à la salle ?

— Viens, le guida Dinah en ouvrant la porte.

        Hugo la suivit avec appréhension.

— Oh, quelle horreur ! s’écria Dinah. On dirait le salon de thé de Madame Pieddodu !

        Hugo ne connaissait pas le salon de thé en question, mais il comprit tout de suite l’aversion de Dinah. La pièce était petite, chaleureuse et circulaire, et les murs étaient tapissés de rose pâle, et des peintures petits angelots avec des arcs se baladaient par-ci par-là. Deux gros poufs pourpres étaient installés côte-à-côte au centre de la pièce, autour d’une petite table ronde sur laquelle était installée une théière et deux tasses. La lumière était tamisée, et une unique fenêtre montrait une magnifique vue sur le lac dominé d’un coucher de soleil doré. Ce devait être une fenêtre magique, car en réalité, Hugo savait qu’il faisait nuit depuis bien longtemps. Il ne faisait aucun doute : Dinah avait demandé à la Salle un endroit où passer un bon moment en amoureux. Il rougit jusqu’aux oreilles, et remarqua avec amusement que Dinah aussi. Elle avait probablement espéré quelque chose de plus subtil.

        Ils s’installèrent sur les poufs, me ne burent pas de thé. Aucun d’eux ne semblait avoir soif.

— Remarque, c’est toujours mieux qu’à Pré-au-Lard, fit Dinah, parce que chez Madame Pieddodu, c’est la même chose mais en public.

        Hugo trembla à l’idée de se retrouver dans un endroit pareil. Finalement ils étaient bien, en privé.

— Alors, d’après ce que je comprends, c’est pas la première fois que…

— Ici, si. Mais sinon, non. Mais maintenant que je suis là, je me dis que c’est une excellente idée ! On est beaucoup plus tranquille ici que n’importe où ailleurs dans le château.

— Sauf si quelqu’un décide de rentrer.

— La Salle ne s’ouvre pas quand quelqu’un l’utilise. Enfin, sauf si le nouvel utilisateur chercher exactement la même chose.

        Hugo ne fut pas rassuré.

— Et toi, c’est la première fois ? lui demanda Dinah.

— Oui, répondit-il simplement.

— On est pas obligé, si t’as pas envie, lui dit Dinah d’une voix douce et rassurante.

— Pas obligé de quoi ? demanda-il d’un air parfaitement innocent alors qu’il savait exactement de quoi elle parlait, et qu’il en avait à la fois peur et très envie.

        C’était lui qui était capable de légilimencie, et pourtant, Dinah sembla voir très clairement ce qui se passait dans sa tête. Elle lui afficha un sourire qui fit fondre ses entrailles. Elle approcha son pouf du sien Hugo commença à trembler. Il repéra un angelot sur le mur d’en face qui semblait se moquer de lui, et décida de l’ignorer. Dinah se rapprocha encore plus, et l’embrassa. Finalement Hugo se laissa porter par ses émotions, et rapidement, ils n’eurent plus besoin que d’un seul pouf.

 

*       *       *

 

        La vie était belle, pour quelqu’un qui venait de perdre son statut de préfet et de faire repartir les points de sa maison à zéro, et subissait donc beaucoup de mauvaise humeur de la part de ses camarades. Dinah et lui ne passaient pas l’intégralité de leur temps libre ensemble, mais ils se voyaient bien une à deux fois par semaine, et rentabilisaient leur temps, et cela convenait parfaitement à Hugo. Et il semblait que sa joie de vivre était contagieuse.

        Alice était revenue des vacances avec une fine cicatrice qui traversait son arcade orbitaire de haut en bas, ainsi qu’un grand sourire. Tout comme Dinah et lui, Alice et Lorcan avaient officialisé leur relation, et cela semblait se passer à merveille pour eux aussi. Lorcan était plus que jamais la tête dans les étoiles, mais cette fois-ci, les étoiles semblaient être localisées dans les yeux d’Alice.

        De plus, les vacances en Islande de la famille Londubat avaient porté leurs fruits. Tout allait pour le mieux entre eux. Hugo voyait régulièrement Alice plaisanter avec Frank dans les couloirs, parfois même avec leur père, sans qu’il n’y ait de tensions. Il était évident que s’il avait suffi qu’un Saule cogneur lui tombe sur la figure pour qu’elle devienne aussi heureuse, Alice l’aurait fait depuis bien longtemps.

        La bonne humeur d’Alice avait eu un effet incommensurable sur Evie. On pouvait la surprendre à nouveau à chantonner, siffloter des airs de musiques, fredonner des chansons moldues que personne ne connaissait, choses qu’elle avait complètement arrêté de faire depuis la mort de sa mère.

        A voir le petit groupe d’amis, personne n’aurait pu se douter qu’un grave incident s’était produit à peine quelques semaines plus tôt.

        Le deuxième samedi après la rentrée, Hugo jugea qu’il n’avait que trop tardé, et décida d’aller rendre visite à son amie Septima Vector, professeur fantôme d’arithmancie. Il l’avait évidemment chaleureusement saluée au début et à la fin de chaque cours – et avait d’ailleurs été soulagé de constater qu’elle ne le lui en voulait absolument pas pour l’incident du saule cogneur – mais il avait hâte de lui raconter sa relation récente avec Dinah Mokrane.

        C’est donc le cœur léger qu’il frappa à la porte du bureau de Septima, avant d’entrer. Il ne lui fallut pas plus d’une seconde pour remarquer que sa bonne humeur allait être mise à l’épreuve.

        Septima flottait tristement un mètre au-dessus de son bureau, le regard vide. Sa consistance était beaucoup plus opaque que d’habitude, et ses contours étaient presque flous. Quelques larmes coulaient de ses yeux, glissaient vers le haut de son front, et venaient s’écraser sur le plafond au-dessus d’elle. Elle était de toute évidence plongée dans une profonde souffrance.

— Hugo ? fit-elle d’une voix presque inaudible.

        Il laissa immédiatement tomber son sourire, et s’approcha d’elle.

— Septima… Qu’est-ce qui t’arrive ?

— C’est dommage que tu aies choisi exactement aujourd’hui pour passer me voir, je suis désolée…

— Ne t’excuse pas ! Raconte-moi ce qui ne va pas…

— Oh, Hugo, je ne veux pas te barber avec mes histoires, vraiment…

— Me barber ? s’écria Hugo en tirant la chaise face au bureau et s’asseyant dessus. Septima, je ne bougerai pas de cette chaise tant que tu n’aurais pas dit ce tout ce que tu as sur le cœur ! Allez, tu sais que ça fait du bien de tout déballer, tu me l’as dit toi-même !

        Septima descendit à son niveau.

— C’est gentil… Je… Je ne sais même pas par où commencer…

— Commence par le tout début ? Ta naissance, par exemple ! plaisanta Hugo.

        Septima lui sourit. Puis afficha un air sérieux à nouveau.

— Je t’ai déjà parlé de mon père, Hugo ?

— Non, jamais. Comment s’appelle-t-il ?

— Il s’appelait Hugo, justement. Hugo Banach.

— Un magnifique prénom, commenta Hugo.

— Tout à fait. Il était moldu. Un pompier très respecté à Londres. Il a sauvé la vie de ma mère dans les flammes, qui s’était évanouie avant d’avoir pu se servir de sa baguette magique. Trinity Humbrey. Ils sont très vite tombés amoureux, mais ne sont restés que deux ans ensemble avant que ma mère ne soit tuée par Grindelwald en 1945. A peine quelques mois après ma naissance.

— Quelle horreur… C’est lui qui t’a raconté cela ?

— Non, c’est Albus Dumbledore, des années plus tard. Mon père, lui, ne savait même pas que ma mère était une sorcière. Elle l’aimait tellement, je crois qu’elle avait trop peur de tout gâcher. Mon père m’a donc élevée seul, sans savoir que j’étais une sorcière. C’était un père formidable. Il m’aimait tellement fort, et me le faisait savoir à chaque instant de ma vie. Quand Albus est venu me chercher pour m’annoncer que j’étais une sorcière et que je pouvais aller à Poudlard, il a crié de joie car il savait au fond de lui que ma mère et moi étions exceptionnelles.

        « Puis, il a pleuré en réalisant que j’allais le quitter. Mais il a fini par accepter. Comme tu t’en doutes, j’ai intégré la maison Poufsouffle. Au début, ça a été très dur. L’amour dont me faisait preuve mon père me manquait au quotidien. Je crois que j’ai pleuré chaque soir durant les deux premiers mois. Mais je me suis accrochée. Je profitais au maximum de mes vacances en sa compagnie. Et au final, après sept ans, j’ai terminé mes études avec trois ASPIC, dont un « O » en arithmancie, évidemment.

        « J’avais plusieurs idées de carrière, y compris professeur d’arithmancie, mais je n’ai pas voulu me lancer directement. Mon père avait quelques problèmes de santé, et il a été honoré d’une retraite anticipée. Il a alors décidé d’entreprendre un grand voyage en Scandinavie, et je suis partie avec lui. Quel voyage incroyable ! Il devait durer quatre mois, je ne suis finalement rentrée en Angleterre qu’au bout de trois ans. Après de nombreuses magnifiques randonnées dans les montagnes et les plaines, nous nous sommes reposés à Gaupne, en Norvège. Il est vite tombé amoureux d’une petite maison coincée entre une montagne, une forêt, et un lac. Il l’a achetée, et m’a annoncé qu’il allait passer sa retraite ici. Il avait l’air si heureux.

        « Je suis restée avec lui un bout de temps. Il a essayé de me convaincre de reprendre ma vie sorcière en main à Londres, que de toute façon, je pouvais prendre un « Emporte loin », comme il disait, pour venir le voir. Mais j’étais bien, avec lui. Et puis, j’ai rencontré Sven à Bergen. Je visitais un musée avec mon père, et nous nous sommes retrouvés à contempler le même tableau. J’avoue, il a attiré mon attention simplement parce qu’il était beau, mais il a su garder mon attention par ses réflexions passionnantes, ses idées farfelues mais ingénieuses, ses interprétations magnifiques. Nous avons commencé à nous fréquenter. Contrairement à ma mère, je lui ai vite annoncé que j’étais une sorcière, et il l’a très bien pris. Le type parfait. En plus, il s’entendait à merveille avec mon père. Mais au bout d’un an de relation, il m’a annoncé qu’il partait pour l’Angleterre, car il avait accepté un poste au musée de York. Je me suis dit qu’il était temps de reprendre ma carrière magique, et je l’ai suivi. Par chance, un poste à Poudlard s’est libéré quelques années plus tard, et je suis devenue professeur d’arithmancie en 1969.

        « Ma vie était magnifique. Mon poste à Poudlard me passionnait, Sven me rendait très heureuse. Nous nous sommes mariés en 1971. Mon père est exceptionnellement revenu de Norvège pour cela. J’ai pris le nom de mon mari, Vector. Nous étions aux anges, et avons fait notre lune de miel en Norvège, justement. Un choix judicieux. J’ai pu être présente lors des derniers moments de mon père. Ses soucis de santés l’avaient rattrapé, mais il n’avait pas voulu me le dire avant le mariage, il n’avait pas voulu ruiner le plus beau jour de ma vie. Il est mort dans mes bras le 16 octobre 1971 en me disant à quel point il était désolé d’avoir gâché ma lune de miel, et à quel point il était fier de moi.

        « Ça a été difficile pour moi. Sven m’a beaucoup soutenue, mais j’ai eu beaucoup de mal à me reprendre. Heureusement, je suis tombée enceinte, et notre petite Heptial est née en 1973. Une fille adorable, souriante. Grâce à elle, ainsi qu’à mon mari, j’ai rapidement repris mes esprits. L’été, on allait régulièrement en vacances dans la petite maison de mon père à Gaupne. On est restés assez loin de la montée en puissance de Voldemort. J’aurais voulu participer à la résistance, mais j’ai préféré éviter pour le bien-être d’Heptial. Nous avons été plutôt épargnés. Puis, Voldemort a disparu, et Heptial est entrée à Poudlard, à Gryffondor. Je crois bien qu’elle était amie avec l’un de tes oncles. Ça a été plus facile pour elle que pour moi, étant donné qu’un de ses parents travaillait au château. Elle a eu une bonne scolarité. Entre les deux guerres, c’était parfait. Mais à sa sortie de Poudlard, elle a préféré revenir au monde moldu. La magie ne l’a jamais vraiment emballée en tant que perspective d’avenir. C’était simplement un bonus, pour elle. Alors elle a repris des études moldues, des cours de soutien, et est devenue au bout de quelques années chercheuse en astronomie.

        « Mais ça, c’était en 2000. Entre temps, il y a eu la deuxième guerre. Cette fois-ci, j’ai participé. Je n’ai pas fait partie de l’Ordre du Phénix, mais j’ai résisté contre les Carrow quand ils ont pris le contrôle de Poudlard. Comme tous les profs, finalement. Et puis, la bataille. 2 mai 1998, la nuit où Dolohov m’a tuée.

        « L’expérience de ma mort était terrifiante mais fascinante. Je me suis retrouvée dans la maison de mon père, à Gaupne, mais c’était tout blanc, comme s’il avait neigé, et que la neige avait été lissée, sculptée. Mon père m’a accueillie chaleureusement. J’étais si heureuse de le revoir. Il m’a demandé si je voulais le rejoindre. Je voulais tellement accepter. Mais j’ai pensé à ma fille qui avait délaissé le monde magique, et à mon mari moldu, et je me suis dit que le régime de Voldemort leur serait impitoyable. Alors je me suis excusée auprès de mon père, et je suis revenue en arrière.

        « Ce fut la plus grande erreur de ma vie. Enfin, pas de ma vie, puisque j’étais morte, mais disons de mon existence. Au moment où je suis revenue, sous la forme d’un fantôme, la bataille était gagnée. Je suis arrivée juste à temps pour assister au légendaire duel entre Voldemort et Harry Potter. Forcément, j’étais rassurée, mais j’ai immédiatement eu la sensation d’avoir pris la mauvaise décision. Une décision irréversible.

        « Être professeur fantôme, c’est facile. Être épouse fantôme, ça l’était beaucoup moins. Evidemment, quand j’ai annoncé à Sven et à Heptial que j’étais morte, ça n’a pas eu autant d’impact, puisque j’étais bel et bien là, devant eux. Mais j’étais bien morte, et cela venait avec un prix. Je ne pouvais plus rencontrer les amis moldus de Sven ou d’Heptial, donc pour leur entourage, officiellement, j’étais réellement disparue pour de bon. C’est un lourd secret à porter, un mensonge difficile à entretenir. Et puis, tout simplement, je ne pouvais plus faire de câlins à ma fille, ni – pardon, Hugo – toucher mon mari. Mais nous nous aimions toujours très fort, alors nous avons survécu, et avons réussi au fil des années à reprendre une petite vie heureuse.

        « Sven a été nommé directeur de son musée à York en 2005. J’ai repris le rôle de directrice de Poufsouffle en 2008. Heptial a été embauchée à Berlin dans une université en 2010, et s’est mariée en 2012. La vie a repris son cours. Mais en 2017, Sven est tombé malade. Il commençait à se faire vieux. La maladie d’Alzheimer. C’est le nom que donnent les moldus au syndrome de l’Oubliettes. Cela a vite dégénéré. En six mois, il a dû être placé en maison spécialisée parce qu’il ne savait plus vivre correctement. Je devais lui rendre visite en cachette, de nuit. Trois autres mois, et il ne se souvenait plus de moi, ni d’Heptial. Je me souviens du choc dans son regard à chaque fois qu’il voyait un fantôme dans la pièce. Il devenait encore plus fou qu’il n’aurait dû l’être. Heptial me racontait que de jour, il hurlait de peur et disait au personnel de l’établissement qu’un fantôme venait le hanter la nuit. Evidemment, ils ne le croyaient pas. Mais j’ai dû arrêter de lui rendre visite. Cela m’a brisé le cœur. Et je crois que lui aussi, car finalement, il est mort deux semaines plus tard. Le 19 février 2018. Je… Je n’ai même pas pu assister à son enterrement. »

        Septima s’arrêta de parler. Hugo était fasciné par son récit. Il trouvait son histoire belle, joyeuse, triste, tout ce qu’il fallait. Mais il ne comprenait pas ce qui la rendait plus triste que d’habitude, car il savait déjà que Sven son mari était mort quelques années auparavant. Il n’osa pas lui poser la question, cependant.

— C’est une très belle histoire, lui dit-il simplement.

— Non, je ne suis pas d’accord, répondit Septima. Il y a beaucoup de beaux éléments dans cette histoire, mais ça n’est pas une belle histoire, car toutes les bonnes choses ont une fin. Mon histoire n’a pas de fin. Mon histoire n’aura jamais de fin.

        Hugo soupira.

— Il y a plein de fantômes dans ce château, assura-t-il, tous mènent une vie heureuse – enfin, une existence heureuse.

— Comme Cuthbert Binns ? Ou Mimi Geignarde ? Ou le baron sanglant ?

— Oui, bon, peut-être pas tous, mais le moine gras, ou Nick Quasi-Sans-Tête…

— Pour les avoir côtoyés, ils ne sont pas aussi heureux que tu ne le penses… Ils sont simplement plus doués que d’autres pour le paraître.

— Et Heptial ? demanda Hugo. Tu peux toujours t’occuper d’elle, puis de ses futurs enfants, puis de ses petits-enfants, et ainsi de suite.

        Septima s’éleva à nouveau dans les airs. Elle montra du doigt une lettre qui était posée sur son bureau.

— Heptial est morte hier. Elle a été prise dans un attentat moldu, à Berlin. J’ai reçu la lettre ce matin. Son épouse et elle sont décédées toutes les deux. Elles n’avaient pas d’enfants.

        Hugo soupira à nouveau.

— Septima, je suis vraiment désolé, je…

— Non, ne t’excuse pas, Hugo, vraiment. Ne t’en fais pas pour moi.

— Bien sûr que je m’en fais pour toi ! Nous sommes amis, non ?

— Oui, nous sommes amis. Et nous le resterons probablement jusqu’à ta mort.

        Cette phrase fut comme un coup de fouet pour Hugo. Tout d’un coup, il saisit la détresse de Septima. Elle était destinée à voir toutes ses connaissances mourir les unes après les autres, pour toujours. Vue comme ça, la perspective de l’éternité était aussi déprimante que terrifiante.

— Je… Il y a forcément quelque chose qui puisse être fait…

— Je pourrais essayer de me jeter du haut de la tour d’astronomie, suggéra Septima.

        Hugo se concentra de toutes ses forces pour ne pas rire à cette blague. Septima soupira.

— Je suis désolée, Hugo, je n’aurais pas dû dire tout cela. C’est très moche de ma part de t’imposer un tel état d’esprit. C’est très lourd à porter, et tu n’as que quinze ans.

— Seize, rappela Hugo.

— Aucune importance, je n’aurais pas dû dire tout cela, répéta-t-elle. De toute façon, je n’ai pas le choix, alors je vais forcément finir par aller mieux.

— Je ne suis pas certain que tu n’aies pas le choix, répondit Hugo.

— Evidemment que je n’ai pas le choix. Tu as déjà entendu parler d’un moyen de mettre fin aux jours d’un fantôme, toi ?

— Non, avoua Hugo.

        Mais si la magie permettait d’échapper miraculeusement à une mort définitive, il ne voyait pas pourquoi elle ne permettrait pas d’y revenir. Il se promit alors de tout faire pour en trouver le moyen.


Laisser un commentaire ?