La mort est une fin heureuse

Chapitre 20 : Petite escapade nocturne

6892 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 17/04/2024 16:11

Hugo, Septembre - Décembre 2023.

 

— Que personne ne bouge ! s’écria Basile. Il y a une affaire de taille à régler, et je ne tolérerai aucune interférence !

        Tout le monde rit d’un air exaspéré. Basile maîtrisait à la perfection l’art de toujours en faire beaucoup trop. Lorcan lança un regard complice à Hugo. Ils étaient tous les cinq, Basile, Evie, Alice, Lorcan et lui, sur le quai de la voie 9 ¾ au pied du petit escalier en fer noir qui montait vers les compartiments du Poudlard Express.

— Je vous rappelle les faits ! poursuivit Basile. Nous savions tous il y a quelques mois que statistiquement, au moins l’un ou l’une d’entre nous recevrait le badge de préfet durant l’été. Et nous avons fait des paris. J’ai misé cinq gallions pour Alice, et dix gallions pour Hugo. Aujourd’hui est le moment de révéler les résultats. Alice ?

        Evie commença à marteler une marche de fer des petits escaliers pour imiter un roulement de tambours. Au bout de quelques instants, Alice sourit à Basile.

— Désolée mon vieux, mais je n’ai pas eu cet honneur !

— Par contre, moi, oui, révéla Evie en sortant de sa poche un magnifique insigne sur lequel était inscrit la lettre « P » devant le blason bleu et bronze de Serdaigle.

— Toi ? s’étonna Basile. Toi ?

— Eh, ça commence à devenir vexant, répliqua Evie en rigolant. Pourquoi ne pourrais-je pas faire une excellente préfète ?

— Mais parce que tu es toi ! la provoqua Basile. Tu es beaucoup trop stupide pour être désignée préfète, voyons !

        Alice et Hugo éclatèrent de rire.

— N’est stupide que la stupidité, rétorqua Evie d’un air satisfait.

— Et bien on dirait que la stupidité va devoir vous faire un peu de place, à toi et à la personne que t’a choisie comme préfète.

        Tout le monde éclata d’un grand rire, faisant sursauter un élève de première année qui leur passait devant pour grimper dans le train. Basile se tourna vers Hugo.

— Hugo, s’il-te-plaît mon pote, dis-moi que j’ai au moins gagné dix gallions !

— Je suis désolé Basile, mais je ne dois pas dire de mensonges.

        Le regard de Basile s’effondra tandis que les quatre autres se mirent à rire de plus belle.

— Mais alors qui ? demanda Basile. Berric ? Impossible, il n’a aucune lumière dans son regard, on dirait un Inferius. Calogrenant ? Il est beaucoup trop immature… Remarque, ils ont choisi Evie…

— Eh ! protesta Evie sans pour autant se retenir de rire avec les autres.

— Tu as oublié la réponse la plus évidente, souligna Lorcan d’une voix assurée.

        Basile se retourna vers lui, et sembla faire une syncope en découvrant l’insigne de préfet que Lorcan venait discrètement d’attacher sur sa robe.

— Mais… mais… Ce n’est pas… Quoi ?! Evie et Lorcan, préfets de Serdaigle ? Et puis quoi encore, Hagrid ministre de la Magie ? Vous me faites marcher !

— Oui ! s’écrièrent les quatre autres en chœur, tout en éclatant de rire.

— Mon pauvre Basile, tu sais très bien pourquoi tu es le seul à avoir pris des paris là-dessus, affirma Evie en rendant son badge à Alice.

— Parce que évidemment que ça serait Alice et Hugo, continua Lorcan en décrochant son badge, personne n’avait aucun doute là-dessus !

        Basile fit mine de bouder.

— Donc il n’y a que moi qui n’était pas au courant ? demanda-t-il.

—Eh oui, et c’est Hugo qui a eu l’idée de te faire cette blague, répondit Evie.

— Eh, ça va là, t’as pas trop de scrupules à me balancer comme ça ? lança Hugo.

— Aucun, répondit Evie avec un grand sourire innocent.

— Alors comme ça, on trahit son pote ? fit Basile en s’avançant lentement vers Hugo.

— Oh, le prends pas comme ça, qui aime bien châtie bien, se défendit Hugo.

— Trouvons un compartiment, que je te mette une bonne raclée à la bataille explosive.

— Désolé Basile, mais je dois rejoindre les autres préfets à la tête du train ! ricana Hugo avant de partir en courant, suivi de près par Alice.

        Ils entendirent encore les rires d’Evie et Lorcan quand ils grimpèrent dans le wagon où ils étaient attendus.

 

*       *       *

 

        Le rôle de préfet n’avait rien d’agréable. Certes, il avait davantage de confiance de la part de ses professeurs, si c’était encore possible, mais les responsabilités qui lui étaient confiées étaient difficiles. En fait, être préfet, de base, aurait pu tout à fait lui convenir. Sur le papier, il n’y avait rien de désagréable. Mais ces temps-ci, les circonstances étaient particulières. Car depuis la fin de l’année précédente, Peeves était déchaîné. Hors de contrôle.

        Était-ce une crise du millénaire ? Un événement particulier qui avait déclenché cela ? Personne ne le savait. Mais tout le monde en souffrait, élèves, professeurs, fantômes, tableaux. Personne n’était épargné.

        En soi, aucune de ses actions n’étaient particulièrement dangereuses. Mais leur fréquence était si pénible qu’elle pourrissait la vie de tout le monde. Au début, la plupart des élèves avait trouvé cela amusant. Des armures possédées qui hurlaient des jurons ? Très drôle. Des tapis qui faisaient des croche-pattes ? Amusant. Des elfes qui sortaient des cuisines terrorisés après une attaque de poêles ? Hilarant. Mais au bout de quelques jours de chaos, cela devint vite usant. Et seulement quelques semaines après la rentrée, tout le monde était exaspéré. La vie au château en était devenue difficile.

        Travailler à la bibliothèque était risqué. Tout le monde vivait dans la peur que Peeves n’apparaisse subitement et déchire en morceaux leurs travaux, comme il l’avait fait une fois pour un groupe d’élèves de septième année. Manger calmement dans la Grande Salle était devenu impossible, il y avait toujours des chutes de bougies, des lancers de nourriture, ou des renversements de tables. Se reposer dans le parc était possible si l’on n’avait pas peur de se retrouver avec une citrouille géante sur la tête.

        Les professeurs étaient dépassés. Ils avaient encore un semblant d’autorité envers Peeves, et ce dernier fuyait dès qu’un professeur le lui demandait. Mais le château était grand, et ils ne pouvaient pas être partout. Par ailleurs, le plus terrifiant était que Peeves semblait toujours être au bon endroit au bon moment. Aux endroits stratégiques, où le plus de victimes sont rassemblées. C’était pour cela que les professeurs avaient demandé de l’aide aux préfets. Il y avait vingt-quatre préfets à Poudlard, dont deux préfets-en-chef : un garçon et une fille de chaque maison, de la cinquième à la septième année. C’était un nombre plutôt important, et pourtant, trois fois par semaine, Hugo devait patrouiller les couloirs lorsqu’il n’avait pas cours, en compagnie d’Alice. Le lundi, ils étaient affectés dans le secteur de la tour d’astronomie, le jeudi dans le tour de l’horloge, et le samedi dans le secteur entourant la tour de Serdaigle. Ajoutés aux cours, aux entraînements de Quidditch et aux devoirs à faire pour préparer les BUSE, ils étaient épuisés.

 

*       *       *

 

        Il restait encore une semaine avant les vacances de Noël. Alice et Hugo revenaient d’un jeudi soir de surveillance particulièrement intense. Les vêtements encore trempés par le tonneau de jus de citrouille que Peeves venait de leur renverser sur la tête, ils marchaient lentement, épuisés, en direction de leur salle commune après avoir prévenu le professeur McGonagall. Il devait être près de neuf heures du soir.

— J’en peux plus de ces rondes, se plaignit Alice. Comment veulent-ils que l’on prépare nos BUSE correctement ? Ma moyenne a chuté d’un point et demi…

        Hugo préféra ne pas répondre, sachant que les notes était un sujet sensible pour Alice, et que sa moyenne à lui n’avait pas bougé d’un seul dixième de point.

— Si seulement on arrivait à choper les complices de Peeves, répondit-il plutôt.

        Alice n’ajouta rien sur le sujet, n’en sachant probablement pas plus que lui. Elle changea plutôt de discussion.

— J’ai hâte d’être en vacances, dit-elle. Nos parents nous emmènent fêter Noël en Islande.

— Ah, génial ! répondit Hugo. A quelle occasion ? Pourquoi l’Islande ?

— Je sais pas trop… C’est de plus en plus difficile à la maison pour Frank, et mes parents essaient tout ce qu’ils peuvent pour renouer avec lui. L’Islande, je crois que c’est simplement ma mère qui a toujours voulu y aller.

        La voix d’Alice était légèrement tremblante. Elle grattait machinalement le gant discret qu’elle portait toujours à la main droite. Elle était vraiment à bout, en ce moment. Hugo sentait qu’elle était au bord du burn-out. Ils s’arrêtèrent tous les deux de marcher, et s’adossèrent contre le mur dans un couloir vide.

— Comment ça se fait que ce soit si compliqué entre Frank et tes parents ? interrogea Hugo, sentant qu’Alice avait besoin de parler.

        Alice soupira.

— Evie ne t’a jamais rien répété ? s’étonna-t-elle.

— Non. Elle aurait dû ?

— Non non, je lui avais demandé de ne le dire à personne…

— Alors elle a bien fait, dans ce cas !

— Oui, mais vous êtes tellement proches tous les deux, je m’étais dit que… Bref… De toute façon, je te fais évidemment confiance à toi aussi, c’est juste que c’est difficile de parler de ça.

— Tu n’es pas obligée, hein ! assura maladroitement Hugo.

— Je sais.

        Sans rien dire de plus, tremblant de tout de corps, Alice retira lentement son gant, en prenant bien soin de regarder ailleurs. Hugo s’attendait à voir une main blessée, ou brûlée, ou meurtrie, mais il ne s’attendait pas à voir rien. Rien du tout. Il n’y avait pas de main. Simplement un moignon parfaitement lisse qui s’arrêtait au niveau du poignet. C’était comme si le gant avait été rempli d’air.

— Ce n’est pas un gant, c’est une prothèse magique, expliqua Alice. J’arrive à la bouger presque aussi bien que mon autre main, mais les sensations de toucher sont très amoindries.

— Qu’est-ce qui t’est arrivé ? demanda Hugo, même s’il commençait à avoir une idée.

— Une farce de Frank qui a mal tourné, dit-elle simplement. Un pétard défectueux qui a explosé dans ma main, quelques mois avant que je ne rentre pour ma première année à Poudlard. Ils n’ont rien pu y faire, à Ste Mangouste, à part me donner ce gant.

— Et c’est pour ça que tes parents en veulent à Frank ?

— Non, mes parents ne lui en veulent pas le moins du monde. Et moi non plus. C’était un accident, je le sais, et nos parents le savent aussi. Mais Frank, lui, s’en veut toujours terriblement. Je ne crois pas qu’il parvienne un jour à se pardonner pour ça. Et il n’arrive pas à comprendre pourquoi on ne lui en veut pas. En fait, il est persuadé que nos parents ne l’aiment plus, à cause de ça. Mais il n’avait aucune raison de croire cela. Je crois qu’inconsciemment, c’est lui qui se l’inflige tout seul.

— Il est encore jeune, tenta de la rassurer Hugo. Quand il sera un peu plus mature, il comprendra.

— Oui je sais mais… c’est difficile, répondit Alice en commençant à verser une larme, parfois il y a tellement de tensions à la maison… J’aimerais bien avoir une famille qui s’entend bien, où tout va bien…

        Elle replaça son gant au bout de son bras, et Hugo, ne sachant pas trop quoi faire, posa délicatement sa main sur son épaule. Visiblement il avait fait le bon geste, car Alice posa sa tête sur son épaule à lui, et l’étreignit. Hugo lui rendit chaleureusement son étreinte, ressentant un élan d’affection et de compassion envers elle. Elle en avait de toute évidence bien besoin. Puis, Hugo eut une idée.

— Eh, tu sais ce qu’on devrait faire, pour te changer les idées ?

        Alice releva la tête d’un air interrogateur.

— Samedi soir, toi, moi, Evie, Basile et Lorcan. Et aussi Lily et Lysander. On va faire le mur !

        Alice fronça les sourcils.

— Faire le mur ?

— Oui, pourquoi pas ? On est de garde samedi, on pourra facilement se faufiler dans le parc après notre compte-rendu à Flitwick. Les autres n’auront qu’à nous attendre et se cacher grâce à la cape de Lily, ils se relaieront pour tous passer. On passera sous le saule cogneur, et on ira passer la soirée tranquilles dans la Cabane hurlante, tous les sept !

— Mais… Pourquoi faire ?

— Pour se détendre ! Avoue, tu en as besoin. On en a tous besoin, tout le monde est à cran. Evie pourra ramener son gramophone, pour mettre un peu de musique ! Et Basile, son paquet de cartes. Lorcan et Lysander seront ravis d’aller demander un peu de bièraubeurre aux elfes dans les cuisines. Ça va être très sympa ! Non ?

        Alice prit le temps de réfléchir. Au début, elle semblait dubitative. Puis, petit-à-petit, Hugo observa son visage se détendre, et son expression se transformer en un sourire.

— Ouais allez, tu as raison, on a bien mérité un petit moment de détente !

        Tous les deux se remirent en route, en direction de la tour de Serdaigle.

— Qui sait, peut-être que ça sera l’occasion pour Lorcan d’enfin comprendre que t’en pinces pour lui, la taquina Hugo en lui donnant un coup de coude.

— Oh, la ferme ! répliqua Alice en riant. Qui sait, peut-être que ça sera l’occasion pour Evie d’enfin comprendre que t’en pinces pour elle ? Ah non c’est vrai, tu lui as déjà dit !

— Ouch, ça ça fait mal…

— Quand le chartier crache, l’hippogriffe répond.

 

*       *       *

 

        Tout le monde fut emballé par la proposition, même Lysander et Lily. Ils s’organisèrent facilement pour sortir du château. Hugo et Alice étaient de patrouille dans la tour de Serdaigle, qui n’était pas très loin d’une des cours de récréation, à partir de laquelle il était possible de rejoindre le parc. Il leur suffirait de s’y rendre juste après avoir donné leur compte-rendu à Flitwick. De leur côté, les autres utiliseraient la cape d’invisibilité de Lily. Celle-ci pouvait couvrir au maximum trois personnes, Lily irait d’abord avec Basile et Evie – qui se cacheraient alors dans un buisson – puis reviendrait seule pour accompagner Lorcan et Lysander. Hugo et Alice les rejoindraient directement dans la Cabane hurlante.

        Ce plan étant relativement simple, tout se passa comme prévu. Presque.

        Après être sortis du bureau de Flitwick, Hugo et Alice se dirigèrent en silence vers la porte tout en bas de la tour, qui menait à la cour de récréation. Il était à peine plus de neuf heures du soir, et pourtant la nuit était déjà sombre depuis plusieurs heures. Ils traversèrent la cour, passèrent sous une arche creusée dans un des bâtiments, et se retrouvèrent dans le parc. Le parc était désert, si l’on excluait la silhouette caractéristique de Dinah Mokrane qui était adossée contre le mur sur leur droite. Hugo soupira. Décidément, c’était la deuxième fois qu’il se faisait prendre par Mokrane. Elle était partout.

— Oh c’est mignon, je savais pas que vous étiez ensemble ! ricana Mokrane.

— Qu’est-ce que tu fabriques ici, Dinah ? cracha Alice.

        Oh oh. Hugo trouvait déjà la situation peu idéale, mais totalement gérable, Mokrane et lui étant désormais en bons termes après avoir passé l’année précédente à apprendre à transplaner clandestinement. Mais il avait oublié un détail. Alice était l’un des personnes les plus gentilles et bienveillantes au monde, mais pour une raison mystérieuse aux yeux de Hugo, elle détestait Mokrane.

— Je profite du ciel sans nuages pour regarder les étoiles. C’est rare en Ecosse, dit-elle d’un ton mélancolique. Regardez comme on voit la Voie Lactée.

        Elle était étrangement calme. C’était louche. Alice, tout aussi perturbée par la passivité de Mokrane qu’Hugo, ne répondit pas.

— Où est-ce que vous allez comme ça ? demanda alors Mokrane.

— Ça ne te regarde pas, répondit Alice d’un ton cependant beaucoup moins agressif.

        Dinah ne répondit pas. Elle baissa les yeux d’un air nonchalant, mais Hugo ne croyait pas à cette nonchalance. Quelque chose clochait. Hugo fut pris de pitié.

— On va faire une petite fête dans la Cabane hurlante avec des amis. Ils y sont déjà. Tu veux venir avec nous ?

        Alice tourna d’un coup la tête vers lui et le fusilla du regard. Mokrane fit semblant de ne pas l’avoir remarquée.

— Oui, je veux bien, c’est gentil.

        Elle commença alors à marcher en direction du saule cogneur sans les attendre. Hugo remarqua qu’elle rangea précipitamment dans sa poche un bout de parchemin qu’elle avait froissé en boule. Alice et Hugo la suivirent en silence, mais Hugo sentait bien la frustration d’Alice. Hugo ne regrettait cependant pas. Qui sait, peut-être que toutes les deux allaient pouvoir apprendre à s’apprécier ?

        Cela ne fonctionna pas. Dès leur arrivée dans la Cabane, Alice s’installa dans un coin entre Evie et Lorcan, et commença à discuter avec eux. Mokrane ne prit pas la peine de saluer tout le monde, sachant pertinemment qu’elle n’était pas très populaire parmi ce groupe. Mais en la voyant, Basile s’écria avec un grand sourire :

— Mokraaane ! Qu’est-ce que tu fais-là, tu t’es perdue ?

— La ferme, Basile, sourit-elle en s’installant à côté de lui.

        Basile comprit le message, lui tendit une bouteille de bièraubeurre, et lança une partie de bataille explosive. Ils s’installèrent en cercle, Hugo se plaça entre Mokrane et Lily, et commencèrent à jouer. Au bout de quelques parties, Evie proposa de pimenter un peu les choses.

— Et si, lorsque l’un d’entre nous perd, en plus de se prendre une explosion au visage, il doit boire un coup ?

— Ah oui, ça peut être drôle, s’enthousiasma Lysander, mais c’est certainement pas avec de la bièraubeurre que ça va fonctionner !

— Je peux peut-être vous aider là-dessus, dit Mokrane en sortant de sa robe une bouteille de Whisky-pur-feu.

— Où est-ce que t’as eu ça ? demanda Alice d’un ton suspicieux.

— Peu importe, vous en êtes ? s’exclama Mokrane.

        Elle reçut des exclamations et des applaudissements en guise de réponse. Ils étaient vraiment une bande d’alcooliques, se dit Hugo en riant intérieurement.

        Ainsi, une bonne heure plus tard, chacun d’eux avait le visage noir de suie, et aucun n’avait été épargné par les effets du Whisky. Ils n’avaient pas bu énormément, la bouteille étant petite, mais c’était bien assez suffisant, et c’était tout de même la première fois qu’Hugo avait bu autant. Il était encore maître de ses gestes et ses pensées, bien heureusement, mais il se sentait plus léger, plus libre, plus fou. Il riait plus facilement, et se sentait plus drôle, puisque les autres aussi riaient plus facilement. Hugo remarqua que l’alcool avait un effet plus magique que la plupart des potions qu’ils préparaient avec le professeur Lecreuset : Alice et Mokrane riaient ensemble. Est-ce que cela allait tenir jusqu’au lendemain ? Hugo en doutait. Mais c’était déjà ça.

        La dernière partie de bataille explosive ne fut jamais terminée. Evie avait allumé son gramophone, et apprenait à Alice et à Lorcan à danser le rock. Apparemment, Ernest et sa mère dansaient souvent le rock avant, et Evie avait appris en les regardant. Lysander et Lily étaient en train de faire un concours de « Je te tiens, tu me tiens, par la barbichette, le premier qui rira aura une tapette ». Ils avaient déjà tous les deux les joues bien rouges. Basile était le plus ivre de tous. Il était assis sur un des matelas qui devaient servir à Leliti Tekula, regardait par-dessus son épaule, et semblait discuter avec le mur derrière lui. Mokrane s’était assise sur le sol, dos contre le mur, dans un coin de la pièce, et terminait le fond de la bouteille de Whisky-pur-feu. Hugo s’installa près d’elle et lui sourit.

— Qu’est-ce que ça te fait de faire la fête avec des gens plus jeunes que toi ? demanda-t-il.

— Vous êtes marrants, quand même, répondit-elle. Et puis techniquement vous êtes pas beaucoup plus jeunes que moi, je suis de fin d’année, tout juste à la limite. Quelques jours plus tard, et j’étais de votre année.

— Tu es du… vingt-sept août ? tenta de deviner Hugo.

— Vingt-huit, corrigea Mokrane.

— Aah, si seulement ta maman avait pu tenir quelques jours de plus !

— Ouais, une des nombreuses choses que ma mère a ratées, soupira Mokrane en terminant cul sec la bouteille.

        Hugo ne répondit pas tout de suite, sentant que c’était plus qu’une remarque anodine. Mais il vit que la main de Mokrane tremblait légèrement.

— Tu as des difficultés avec ta mère ? se lança-t-il.

        Il s’attendait à ce que Mokrane le rembarre, qu’elle lui dise de s’occuper de ses affaires. Il aurait même probablement préféré cela. Mais ce ne fut pas le cas. Était-ce à cause de l’alcool, ou de son état étrange, ou simplement de leur relation de confiance qui évoluait ? Il n’en savait rien.

— Pourquoi tu ne regardes pas dans ma tête pour le savoir, petit génie ? plaisanta-t-elle.

        Hugo sourit.

— Je ne ferais jamais ça ! J’en ai pas envie, et toi non plus.

        Mokrane lui rendit un léger sourire, semblant satisfaite.

— Ma mère a toujours été difficile avec moi, dit-elle. Une moldue.

— Et ton père ?

— Jamais connu. Parti avant ma naissance. Ma mère m’a élevée seule, comme une moldue. Mais ma mère a toujours été… particulière.

— Particulière dans quel sens ?

— Tu sais ce que c’est, la religion ? demanda Mokrane.

— Oui, j’ai pris étude des Moldus, et puis ma mère m’a expliqué.

— Et bien ma mère m’a élevée en tant que chrétienne. Mais chrétienne, à la dure. Fringues, prières tous les jours, la messe le dimanche, et puis toutes les étapes officielles comme le baptême et tout ça. Très, très important pour elle.

— Et ça ne te convenait pas ?

— Ah si, moi j’étais ravie. J’avais des copines au catéchisme, je me sentais en paix, c’était super.

        Hugo ne comprenait pas le problème. Mais Mokrane ne le laissa pas réfléchir bien longtemps.

— Mais évidemment, quand j’ai eu huit ans, j’ai commencé à faire de la magie spontanée. Sans me contrôler. Et ma mère, ça l’a détruite. Tu comprends, pour elle et sa religion, et pour moi aussi à l’époque, la magie, c’était un acte du diable. Elle pensait véritablement que j’étais possédée par un démon, et moi, je la croyais. Je voyais dans ses yeux que je l’effrayais, que je la dégoûtais. Elle me disait que j’étais le rejeton de Satan, mon père. Au moins grâce à ça, j’ai compris plus tard que mon père devait être un sorcier, lui aussi, et que ma mère l’a viré quand elle l’a su. Mais moi, elle ne pouvait pas me virer. Même si j’aurais aimé qu’elle le fasse.

        Hugo garda le silence. Il la laissa continuer, car elle tremblait maintenant de tout son corps, et une larme coulait le long de sa joue.

— Au lieu de ça, elle a essayé de me réparer. Elle m’a enfermée dans sa cave, attachée à un pilier. Elle faisait venir des prêtres pour m’exorciser. Mais évidemment, cela ne marchait pas. Alors elle a commencé à passer l’intégralité de son temps avec moi dans cette cave. Elle me lisait la Bible, je l’apprenais. Quand je me trompais, elle interprétait cela comme un signe, et me faisait couler de la cire de bougie sur le dos.

        Hugo était frappé d’horreur. Mokrane commençait à sangloter silencieusement. Hugo balaya la pièce du regard, les autres étaient toujours en train de rire ou de danser, personne n’avait rien vu. Mokrane reprit péniblement son récit, au milieu de ses pleurs.

— J’ai passé plus de deux ans dans cette foutue cave. Sans voir l’extérieur. Quand mon dos n’avait plus de places pour les cicatrices, ma mère s’est attaquée à mon torse. Elle a jamais perdu espoir de me purifier, mais encore et encore, ma magie a tenu bon. Le pire, c’est que j’étais de son côté. Je voulais qu’elle me tue, je pensais être un démon particulièrement coriace, j’avais perdu espoir. T’imagines ? J’étais une putain de gosse, et je demandais à ma mère de me tuer plutôt que de me torturer parce que j’étais démoniaque. Ça n’a aucun sens, bordel.

        Hugo posa timidement sa main sur son épaule, comme il l’avait fait avec Alice, et lui laissa le temps de se calmer. Au bout de quelques minutes, elle s’arrêta de sangloter.

— Quand elle a vu que je ne recevais pas ma lettre, McGonagall est venue en personne me chercher. Elle m’a trouvée dans la cave, nue et blessée. Ma mère l’a attaquée, McGonagall l’a facilement immobilisée, elle m’a emportée avec elle, et je l’ai jamais revue.

— Ta mère, tu l’as jamais revue ?

— Non. McGonagall m’a placée dans un orphelinat sorcier. Apparemment, le ministère s’est arrangé pour que côté moldu, officiellement, les services sociaux s’occupent de moi. Mais j’étais chez les sorciers. Il a fallu du temps à McGonagall et les gens de l’orphelinat pour me convaincre que je n’étais pas un démon, mais une sorcière comme eux. Pour me convaincre que ma mère était juste une malade mentale. Une folle, qui faisait du mal à sa fille.

— Et… tu vas à cet orphelinat, l’été ?

— Ouais. C’est pas mal, la directrice est adorable. C’est comme elle qu’aurait dû être ma mère. Elle m’a régulièrement demandé si je souhaitais des nouvelles de ma mère, puisqu’elle avait les moyens d’en obtenir. J’ai toujours refusé.

        Hugo n’arrivait tout simplement pas à se mettre à sa place. C’était une situation totalement incompréhensible, inouïe, à ses yeux. Cela faisait donc plus de cinq ans que Mokrane n’avait pas eu des nouvelles de sa mère. Il trouvait cela horrible, mais il trouvait la mère encore plus horrible. Il ne savait pas ce que Mokrane devait en penser.

— Donc t’as jamais su ce qu’elle était devenue ? Comment elle a réagi quand tu es partie ?

— Je me suis posé la question. J’ai imaginé des choses. Mais je n’ai jamais cherché à savoir, et je n’ai jamais su. Jusqu’à aujourd’hui, ajouta-t-elle en sortant le papier froissé de sa poche et en le jetant par terre.

        Hugo identifia alors le bout de parchemin comme étant une lettre, mais il n’y toucha pas, ne voulant pas s’imposer.

— La directrice m’a envoyé un hibou. Elle savait que je ne voulais pas de nouvelles, mais elle pensait que je voudrais quand même savoir que ma mère était morte. Et je alors je suis complètement perdue, parce que je me sens chanceuse d’avoir pu vivre sans elle, mais en même temps, ma mère est morte. Comment on gère un truc pareil ?

        Hugo ne répondit pas. Il ne connaissait pas la réponse à cette question. Il n’avait pas peur de la mort, de sa propre mort, en tout cas. Mais il savait qu’il serait incapable de surmonter la mort de quelqu’un qui lui était proche. Alors il n’avait absolument aucune idée de quoi répondre à Mokrane.

        Il regarda Evie. Elle s’était assise à côté de Basile, et discutait distraitement avec lui. Elle contemplait avec tendresse, mais aussi un peu de tristesse, Alice et Lorcan qui dansaient toujours, mais cette fois-ci une danse lente et paisible, et qui tournoyaient ensemble la bouche vissée l’une contre l’autre.

— Evie a perdu sa mère, il y a un peu plus de deux ans, dit Hugo.

— Vraiment ?

— Oui, elle était moldue, elle aussi. On l’a rencontrée durant les vacances d’été. Elle était si gentille, si bienveillante, si forte. Elle jouait du piano, une vraie virtuose. Le matin, je me levais plus tôt que les autres pour descendre dans le salon et l’écouter jouer. Mais une nuit, des gens sont entrés par effraction et l’ont tuée, pendant qu’on était là.

— Putain… Comme ça, sans raison ?

— C’étaient des moldus qui m’avaient vu faire de la magie discrètement, sur la plage. Ils ont su que Sabrina, la mère d’Evie, était avec nous. En un sens, indirectement, c’est à cause de moi qu’elle est morte.

— Non, c’est parce que certaines personnes sont trop connes pour accepter les choses qu’elles ne comprennent pas. Eux, et ma mère aussi, ils sont trop fermés d’esprit, ils ont trop peur de l’inconnu, et préfèrent faire du mal pour protéger leur précieux mode de vie. Comme si on allait le leur enlever. C’est pathétique.

        Hugo n’avait pas quitté Evie des yeux. Il savait que dès qu’elle vivait des moments heureux, elle pensait à sa mère. Dès qu’il y avait de la musique, elle pensait à sa mère. En voyant Alice et Lorcan ficelés ainsi, l’air épanouis, elle imaginait probablement sa mère et Ernest. Inévitablement, ses yeux brillaient d’humidité. Hugo l’avait souhaité de tout son cœur, mais il n’avait jamais réussi à la consoler. Il avait vécu cela comme un échec, comme s’il aurait pu sortir avec elle s’il était parvenu à la rendre aussi souriante qu’avant. Mais aujourd’hui, il se rendit compte que c’était impossible. On ne guérit jamais d’un tel deuil, Evie ne serait plus jamais la même, peu importe ce que faisait Hugo. Peut-être même qu’elle associait Hugo au souvenir du cadavre de sa mère, qu’ils avaient découverts ensemble. Comment être heureuse dans ces conditions ?

        Hugo quitta Evie des yeux, et se tourna vers Mokrane.

— Le monde serait bien plus beau, bien plus intéressant, si chacun pouvait juste s’occuper de son cul, dit-il d’un ton nonchalant qui ne lui ressemblait pas.

        Mokrane lui lança un regard interloqué, puis éclata de rire.

— Tu es plein de rebondissements, petit génie, sourit Mokrane.

        Hugo sourit à son tour.

— Tu dis « petit génie » comme si j’étais encore en première année et toi en deuxième, mais je suis quasiment aussi grand que toi, maintenant, lui fit-il remarquer.

        Mokrane se redressa et se rapprocha de lui pour comparer leurs tailles.

— C’est vrai qu’en position assise, on est à hauteur d’œil, constata-t-elle en le perçant d’un regard complice. Mais je ne me vois pas t’appeler juste « génie », ça serait pas assez péjoratif.

        Son sourire, ses yeux, sa voix tendre et moqueuse, son visage près du sien, son parfum. A cet instant précis, Hugo sentit monter dans son ventre ces petits papillons si familiers. C’était incompréhensible. Une heure plus tôt, il aurait pu jurer encore être amoureux d’Evie. Et pourtant, il fut pris d’une envie, d’une tentation, d’un élan…

— Pourquoi pas simplement « Hugo » ? plaisanta-t-il.

        Elle eut un petit rire, et se rapprocha encore un peu plus.

— Et quoi, moi tu m’appellerais « Dinah », c’est ça ? Comme si on était davantage que des adversaires de Quidditch ?

        Hugo respirait de plus en plus fort, son cœur battait de plus en plus vite. Il avait envie. Mais il avait peur. Mais Mokrane avait déjà parcouru la moitié de la distance qui séparait leurs deux visages, il ne pouvait pas se dégonfler.

— Pourquoi pas ? répondit-il simplement.

        Et il plongea dans le vide. Il vint délicatement poser ses lèvres sur celles de Dinah, et tous les deux s’embrassèrent. Longtemps. Et le monde autour d’eux disparut subitement. Le continuum espace-temps se déchira. Il n’entendait plus la musique du gramophone d’Evie. Il n’entendit pas le petit sifflement d’admiration et de complicité que lui lança Basile. Dinah le rendait à cet instant plus ivre que n’importe quelle quantité d’alcool qu’il ait pu boire dans sa vie.

        Quand leurs bouches se séparèrent au bout de deux mille sept-cents ans, ils se sourirent, plus que satisfaits. Hugo se demanda si c’était la première fois que Dinah embrassait un garçon. Puis, il décida qu’il pouvait tout simplement le lui demander, et parler de la potentielle relation qui les attendait par la même occasion. Mais ce n’était pas le moment de lui demander cela, non, car c’était le moment de s’embrasser à nouveau, évidemment. Après tout, les discussions pouvaient attendre quelques minutes, ou quelques jours.

 

*       *       *

 

        Hugo n’avait aucune idée de l’heure qu’il était quand tous les huit remontèrent le tunnel en direction du parc de Poudlard. Alice et Lorcan menaient la marche, avançant allègrement, main dans la main. Ils étaient mignons. Evie les suivait, seule, l’air fatigué. Basile, Lysander et Lily étaient en pleine discussion, et filaient machinalement dans les pas d’Evie. Dinah et Hugo fermaient la marche et parlaient de Quidditch.

        Au bout d’un certain temps, ils sortirent la tête du trou qui servait d’entrée au tunnel. Une bouffée d’air frais. Le silence de la nuit. Le silence ? Depuis quand les sorties du tunnel sous le saule cogneur étaient silencieuses ? Quelque chose n’allait pas. Hugo se retourna pour voir si l’arbre était déjà immobile. Mais il n’était pas immobile.

        Il n’était pas là.

        Soudain, Hugo entendit une voix crier « Attention ! », et par réflexe, il leva les yeux et hurla. Le saule cogneur avait été déraciné, et flottait à une dizaine de mètre au-dessus d’eux en gigotant dans tous les sens. Enfin, il ne flottait plus, car il était en train de tomber sur eux.

        Hugo plongea sur le côté en poussant Dinah avec lui, en espérant que cela les mette en dehors de la trajectoire de l’arbre. Il entendit alors des cris de peur et de douleur et une succession de craquements de branches sur le sol. Dinah et lui se relevèrent. Le saule cogneur ne bougeait plus, et était étalé sur toute sa hauteur. Tous avaient eu de bons réflexes. Lysander et Lily avaient plongé dans la même direction que Hugo et Dinah, et Basile de l’autre côté. Evie avait couru en avant pour s’éloigner et avait rejoint Lorcan. Et Alice… Alice ? Où était Alice ?

— Alice ? chuchota Lily.

— Alice ? appela Evie.

— Alice ?! hurla Lorcan.

        Hugo trouva Alice. Il trouva d’abord le gant – enfin, la prothèse magique – qui avait été séparé de son bras. Puis, il repéra, en balayant un tas de branches d’un coup de baguette magique, le bras sans main de son amie qui dépassait de sous le tronc.

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