L'évadé du clair de Lune
Noir. Tout était noir autour d’elle.
Le sol sur lequel elle marchait, noir. L’air brumeux qui l’entourait, noir. Le ciel au-dessus de sa tête, noir.
Tout.
Sélène suffoquait et une sueur glacée coulait le long de son échine.
Le brouillard autour d’elle se mouvait, ondulait, voletait. L’atmosphère était électrique.
— Il y a quelqu’un ?
Pas de réponse.
Elle n’entendait même pas le son de sa propre voix. L’écho ne lui renvoyait que des sifflements incompréhensibles.
— Sirius ?
Elle sentait la panique la paralyser de plus en plus, remontant de ses jambes jusqu’à son cœur. Elle n’arrivait plus à bouger et le brouillard sombre l’entourait toujours plus. Il se referma sur elle, glissait sur sa peau, ses cheveux, s’insinuait partout.
Sélène reconnut l’odeur, cette odeur viciée qu’elle avait respirée dans le cimetière du Père Lachaise. Celle qui s’était échappée du coffre où se trouvait la coupe. Celle du renfermé. Cette odeur qui ne quittait plus ses rêves. Cette odeur qu’elle détestait et qui la terrorisait.
Depuis ce jour, des mois plus tôt, quand elle avait échappé à l’Avada Kedavra de Bellatrix et où ses réflexes lui avait permis de détruire un des Horcruxes contenus dans son sac, Sélène avait l’impression que cette odeur imprégnait la moindre parcelle de ses vêtements, de sa peau, de son âme. Elle avait le sentiment qu’elle trainait cet effluve dans son sillage où qu’elle aille comme faisant désormais partie intégrante de sa vie.
La jeune femme frissonna. Puis soudain, des sifflements se firent entendre, comme à chaque fois. Des sifflements qu’elle ne discernait d’abord pas mais qui se faisaient de plus en plus clairs à mesure qu’ils approchaient. Des sifflements qui se transformèrent en paroles distinctes alors que les volutes de brouillard qui entouraient Sélène se transformaient petit à petit en silhouette.
Une vieille femme âgée se tenait là. Les couleurs de la vision semblaient passées, fades, mais on pouvait deviner des vêtements autrefois flamboyants et en tissu fin, rose. De la soie peut-être. Les pommettes de la vieille dame étaient bien trop rouges dans un effort vain de paraître coquette. Bien qu’elle ne l’eût jamais vue, Sélène savait parfaitement de qui il s’agissait : Hepzibah Smith, une fervente collectionneuse d'antiquités. Elles avaient rendez-vous pour clôturer une vente, mais Sélène savait qu’elle obtiendrait tout autre chose.
Au début, Sélène se sentit dévorée des yeux, puis Hepzibah, assise devant elle dans un lourd fauteuil en velours, au milieu d’un salon à la décoration chargée, posa deux coffrets sur ses genoux et lui sourit. Sélène frissonna d’excitation.
— Je pense que vous allez beaucoup aimer, Tom*, gloussa Hepzibah Smith à son intention avant d’ouvrir le premier coffret.
Comme Sélène ne bougeait pas, la vieille dame minauda :
— Je me demande si vous savez ce que c’est, Tom ? Prenez-la, regardez-la bien !*
De son siège, Sélène tendit une main aux doigts effilés qui n’était pas la sienne et prit la coupe par l’une des poignées, la soulevant de son écrin de soie douillet. Elle retint sa respiration en même temps qu’une bouffée d’excitation quand ses yeux examinèrent le dessin gravé sur la coupe. Puis, indifférente au regard remplit d’adoration de sa cliente et sourde à toutes les vantardises que celle-ci déblatérait, elle souffla :
— Un blaireau ! Alors ceci appartenait…
— A Helga Poufsouffle, comme vous le savez parfaitement, mon garçon, car vous êtes très intelligent. *
Madame Smith se pencha en avant pour se vanter de son affiliation à la célèbre fondatrice de Poudlard, mais Sélène n’écoutait plus, toute entière absorbée par son inspection de la relique, dévorée par un sentiment urgent de posséder ce trésor. Aussi, quand la vieille dame lui reprit la coupe des mains, elle dut réfréner de toutes ses forces une envie violente de la blesser. De la tuer.
Ce n’est que lorsqu’elle ouvrit le deuxième coffret, révélant un trésor encore plus inestimable, que Sélène détourna son regard : un lourd médaillon d’or sur lequel chatoyait un S ouvragé. Sélène s’en saisit sans y être invitée et dévora la relique des yeux.
Un jour, ce bijou sera à elle. Bientôt. Un tel trésor ne pouvait pas rester entre les mains d’une telle parvenue. Il devait revenir dans la famille. Il devait lui appartenir. Bientôt. Très bientôt. Après tout, il lui revenait de droit !
Soudain, la vision se transforma à nouveau dans un nuage de volutes noires à l’odeur viciée. Les trésors avaient disparu. A nouveau, elle eut la nausée.
Elle se retrouva dans le même salon, de nuit, la baguette à la main. Devant elle se trouvait le corps sans vie d’Hepzibah Smith et à ses côtés, sa vieille elfe de maison, insignifiante, figée dans une expression de terreur. La jeune femme ressentait une satisfaction malsaine à cette vue. Elle venait de tuer et, par Merlin, que c’était bon !
Elle baissa les yeux et saisit la coupe de Poufsouffle sur les genoux de son ancienne propriétaire. Elle luisait maintenant d’une énergie nouvelle, magnifique. Sélène se rapprochait de son but ultime : elle avait créé son troisième Horcruxe.
Elle arracha ensuite des mains de l’elfe le coffret qui l’intéressait le plus et qui contenait le médaillon de Serpentard. Elle se sentit sourire. Puis elle leva sa baguette sur l’elfe terrorisée et modifia ses souvenirs. Aux yeux du monde, c’était maintenant cette bonne vieille elfe, devenue sénile avec les années, qui avait empoissonné la tasse de chocolat de sa maîtresse.
Satisfaite, Sélène releva la tête et croisa son reflet dans un miroir en face d’elle : son crâne était devenu chauve et son visage ressemblait à un serpent au teint extrêmement pâle, ses yeux flamboyaient d’une lueur rouge et son nez n’étaient plus que deux fentes en guise de narines. Elle se mit à rire, démente.
OoooO
Sirius se réveilla quand il sentit Sélène se redresser en sursaut. Cela faisait des mois maintenant qu’ils avaient regagné leur maison, qu’elle était sortie de l’hôpital et qu’elle continuait à faire des cauchemars. Il soupira en allumant la lumière du chevet. Mais alors qu’il se tournait vers elle pour tenter de la calmer, il stoppa son geste : sur le dos nu de la jeune femme, il eut, le temps d’un battement de cœur, l’impression de voir ses cicatrices bouger, serpenter le long de la colonne de la jeune femme.
Il cligna des yeux. Non, ce devait être une hallucination, un effet de lumière qui, trop brutale en pleine nuit, se reflétait sur les gouttes de sueur froides sur la peau de sa fiancée. Oui, ce devait être la chair de poule qu’il avait vu lui hérisser l’échine, ou une simple invention de son esprit encore embrumé par le sommeil, les réminiscences de son propre rêve à lui.
Il se redressa et observa la jeune femme toujours assise dans le lit : elle haletait encore, une main sur le cœur, les yeux fixant un point droit devant elle. A quoi ressemblaient ces terreurs nocturnes ? se demanda le jeune homme. Sélène n’avait jamais voulu lui en parler, balayant d’un geste la moindre de ses interrogations.
Que pouvait-elle ressentir ? Que voyait-elle ? Revivait-elle encore et encore cette fameuse nuit à Paris ? Lui-même repensait sans cesse à ce qu’il s’était passé, à ce qui aurait pu arriver, à ce qu’il avait vu dans ce brouillard opaque. Qu’avait-elle vécu elle, prisonnière de son esprit durant vingt-quatre heures ? Quel combat avait-elle dû mener pour parvenir enfin à se réveiller ? Le silence de la jeune femme à ce propos rendait la chose encore plus terrible pour lui.
Sirius se sentait impuissant et c’était une situation qui le frustrait terriblement. Il repoussa une mèche de cheveux derrière l’oreille de la jeune femme, attirant son regard terrorisé. Le cœur de Sirius se serra et maladroitement, il tenta de lui sourire avant de lui offrir ses bras. Elle se ressaisit alors, le regarda tendrement et se blottit contre lui. Aucun mot ne fut échangé, mais Sirius se promit de lui en reparler le lendemain. Cette situation ne pouvait plus durer : la jeune femme était épuisée. Ils se recouchèrent, toujours enlacés, et Sirius ne s’autorisa à se rendormir que lorsqu’il entendit le souffle de Sélène ralentir, apaisé. Il éteignit la lumière, la serra encore plus contre lui et ferma les yeux à son tour.
Le lendemain matin, la clarté du soleil de ce début mai, qui s’infiltrait par les interstices des volets, le sortit du sommeil assez tôt. Sélène était toujours endormie, la tête reposant sur son bras. Il se dégagea lentement pour ne pas la réveiller et observa la belle endormie. Le drap dénudait sur dos et Sirius glissa un regard pour se rassurer : les cicatrices de la jeune femme étaient parfaitement immobiles. Il restait toutefois ces cauchemars persistants dont il allait falloir s’occuper.
Sirius se leva, laissant Sélène se reposer encore un peu, et descendit au rez-de-chaussée. Leur affaire ayant été classée avant Noël dernier, Sirius avait été innocenté et Sélène acquittée. Ils avaient déserté le sous-sol, aménagé le temps de leur mission, pour reprendre possession de l’étage. Le passage secret sous la cave avait été refermé en attendant de lui trouver une utilisation moins clandestine. C'était une façon comme une autre de laisser tout cela derrière eux.
Dans l’escalier, il croisa leur elfe de maison qui s’apprêtait à venir les réveiller :
— Le petit déjeuner est prêt, maître Sirius, croassa-t-il.
— Merci Kreattur, j’arrive. Laisse Sélène dormir un peu.
— La maîtresse a encore fait un cauchemar cette nuit, monsieur ?
— Encore un, oui, souffla Sirius.
— Alors Kreattur va lui préparer son thé à la citrouille.
Sirius sourit en regardant l’elfe faire demi-tour. Le jeune homme était stupéfait de la vitesse à laquelle Kreatur avait finalement accepté Sélène comme faisant partie de la famille et l’avait respectée en tant que telle. Ce n’était pas gagné étant donné le statut de sang de la jeune femme et l’éducation à ce propos qu’il avait reçu de Walburga Black. Sélène avait réussi à le faire changer d’avis quand elle lui avait permis de garder pour lui le médaillon de Regulus que Sirius avait récupéré quand il était allé tenir sa promesse faite à l’elfe : retrouver le corps de son maître adoré et de lui offrir une tombe de héros.
Cela avait été une épreuve pour Sirius et il en frissonnait encore, plusieurs semaines plus tard. Il était allé rechercher le corps de son frère dans la grotte où Voldemort avait voulu cacher son médaillon. Quand Kreattur l’avait escorté là-bas, Sirius avait ressenti la puissance des émanations de la magie maléfique qui s’échappaient encore de la caverne. A chaque pas qu’il faisait et grâce aux commentaires de son elfe qui l’accompagnait, Sirius put revivre le périple de son frère.
Dès l’entrée, Sirius avait vu les traces de sang sur le mur de la grotte. Ce sacrifice, sans doute nécessaire à l’époque pour traverser le seuil de la caverne, avait dû affaiblir Regulus. Ensuite, Sirius avait pris la barque tangente, attachée à une lourde chaine, qui scintillait encore de magie, et ramé à son tour pour rejoindre l’îlot au centre du lac noir. Le cœur battant, il s’était approché du bassin qui avait contenu la potion et qui dégageait encore une odeur infecte. La main tremblante, il s’était saisit du faux médaillon puis s’était recueilli un instant avant de demander à son elfe, la voix basse, l’endroit exact où Regulus avait sombré. Sirius s’était approché de l’eau et été resté là, transpercé par le froid glacial qui s’était emparé de tout son être.
Paralysé par sa culpabilité d’avoir cru son frère fanatique de Voldemort jusqu’au bout, il lui avait alors fallu plusieurs tentatives pour parvenir à se lancer un sortilège de Têtenbulle qui lui avait permis de plonger au fond du lac et repêcher le corps de Régulus, du moins, ce qu’il en restait. Quand il était remonté à la surface, Sirius avait refusé l’aide de Kreattur pour le déposer sur l’îlot au milieu du lac. Malgré le poids supplémentaire des vêtements détrempés que le squelette portait encore, il l’avait hissé aussi doucement qu’il avait pu puis il s’était étendu à ses côtés. Il n’avait alors pas pu se retenir davantage et avait pleuré comme jamais auparavant, son chagrin résonnant sur les parois froides de la grotte.
Sirius avait offert ensuite à Regulus une sépulture de héros et il avait consacré la seule interview qu’il avait consenti à donner à rétablir la vérité sur son frère. Oui, ce dernier avait été un Mangemort, mais il avait retourné sa veste et œuvré contre son ancien maître. C’est également lui, par-delà la mort, qui avaient guidé Sirius et Sélène pendant leur quête. Sans Regulus, le monde des sorciers aurait sans doute un tout autre visage maintenant. Sirius avait mis un point d’honneur à ce que cela soit dit de la manière qu’il convenait. Il n’avait pas hésité à renvoyer l’article au rédacteur en chef du journal, profitant de son statut de héros de guerre et de la situation exceptionnelle pour le faire corriger jusqu’à ce qu’il fût satisfait.
Perdu dans ses pensées, il arriva dans la cuisine à la suite de Kreattur et à peine fut-il entré dans la pièce, qu’une tornade d’énergie aux cheveux de jais en bataille lui sauta dans les bras.
— Tonton Sirius ! J’ai aidé Kreattur à faire tes tartines ! se vanta le jeune Harry.
— Petit maître n’avait pas à faire ça ! C’est le travail de Kreattur ! bougonna l’elfe dans le coin de la cuisine.
Sirius sourit en ébouriffant la tignasse de son filleul.
— Déjà debout ?
— Oui, tu as promis qu’on allait essayer de voler à nouveau aujourd’hui s’il faisait beau et regarde : il fait grand soleil !
— Haha, c’est vrai, je te l’avais promis. Laisse-moi juste prendre mon café, d’accord ?
Satisfait de la réponse de son parrain, Harry se hissa sur sa chaise et commença à prendre son petit-déjeuner. Le jeune garçon ne semblait pas souffrir de séquelles de son enlèvement, ni des blessures reçues lors du combat final contre Voldemort, et sa joie de vivre avait rapidement pris le dessus. Il était venu vivre habiter avec Sirius et Sélène quelques semaines après le dénouement, le temps de régler les tracasseries administratives et le procès de Sirius. Il avait ensuite découvert sa chambre – bien plus grande que le placard dans lequel il avait dormi durant ses premières années – avec émerveillement et s’il avait été un peu étonné et déboussolé par tous les changements dans son quotidien – ici, la vaisselle se faisait toute seule, alors que chez tante Pétunia, il était obligé de faire la plonge depuis qu’il était assez grand pour voir au-dessus de l’évier –, il s’était très vite adapté à sa nouvelle vie et s’était découvert une passion pour le Quidditch, le sport des sorciers, à l’instar de son père.
Sirius le regarda dévorer son petit déjeuner avec fierté et tendresse. Il écouta pour la énième fois Harry décrire le nouveau balai de la compagnie Nimbus, sorti quelques jours auparavant et qu’ils avaient pu admirer dans la vitrine du magasin d’accessoires de Quidditch sur le chemin de traverse. Les yeux du jeune garçon s’étaient illuminés et il s’en était fallu de peu pour que Sirius cède et le lui achète. C’était Sélène qui avait mis le holà :
— Arrête de le gâter à ce point Sirius, James et Lily voulaient qu’il soit élevé dans la simplicité.
— Mouais, moi je te parie que pour un balai, James aurait cédé à n’importe quelle demande de son fils en dépit de ses convictions, avait rétorqué Sirius en éloignant le gamin de l’objet tant convoité.
Depuis ce jour, Harry était intarissable et s’imaginait déjà voler sur le balai, faire des vrilles interminables, la course avec les oiseaux, mimant parfois ces acrobaties en chipant le balai de Kreattur, qui lui courrait après dans toute la maison. Alors, sous l’insistance de Sirius, Sélène avait consenti à lui acheter le balai de ses rêves pour son prochain anniversaire dans quelques mois. Ils allaient devoir tenir encore un peu et ne pas céder devant les yeux brillants d’excitation de leur filleul – et les cris affolés de leur elfe de maison quand Harry manquait de se cogner contre les murs.
Alors qu’ils terminaient leur petit-déjeuner et que Sélène venait de les rejoindre, accueillie par un sourire lumineux de la part des deux personnes déjà attablées, la porte de la cuisine s’ouvrit, laissant entrer Remus, chargé de viennoiseries.
— Oncle Remus !! Des pains au chocolat !!! Youpiiiii, hurla Harry en guise de bienvenue.
Et il s’empara du trésor encore chaud alors que Remus, heureux de tant d’enthousiasme, lui ébouriffait les cheveux.
— Cet enfant est un estomac sur pattes… déplora son parrain en secouant la tête, faussement affligé.
— Salut Remus, ta potion sera prête dans quelques heures, il me faut encore des ingrédients dans le jardin pour la touche finale. J’ai pris un peu de retard, je suis désolée, annonça Sélène en l’embrassant sur la joue.
— Ne le sois pas, la pleine lune est dans quelques jours seulement. En fait, je venais surtout fêter une grande nouvelle avec vous.
Ses deux amis se firent plus attentifs alors que Harry entamait déjà sa deuxième viennoiserie. Machinalement, Sélène lui retira le reste du paquet, insensible aux protestations du jeune garçon. Remus sourit puis annonça :
— J’ai encore du mal à y croire, mais Dumbledore m’a offert le poste de Professeur de Défense Contre les Forces du Mal. Je commence à la rentrée prochaine.
— Mais c’est super ça ! Félicitations, Monsieur le Professeur ! congratula Sirius en lui donnant une tape dans le dos.
— Professeur ! Moi ! Vous vous rendez compte ? Qui l’aurait cru, compte tenu de ma particularité ?
— James ! Répondit Sirius sans aucune hésitation. Il disait toujours que ton « petit problème de fourrure » ne devait pas t’empêcher d’avancer et de réaliser tes rêves.
— C’est vrai, il disait ça. Je ne l’ai jamais cru, murmura Remus avec nostalgie.
Un léger silence, lourd de souvenirs s’installa alors qu’Harry regardait tour à tour son parrain et Remus, conscient qu’ils parlaient de son père et que cela les rendait tristes. Comme à chaque fois, il mourrait d’envie de poser des questions. Sélène lui fit un léger signe de tête pour lui faire renoncer puis se leva :
— Bien, j’en ai pour quelques minutes pour terminer ta potion et tu restes manger pour fêter cette jolie nouvelle. En attendant, dehors, tous les trois, Harry veut jouer au Quidditch et il fait beau ! Ouste !
Les deux hommes sourirent et obéirent sans se faire prier alors que le jeune Harry, oublieux de toutes les questions qui avaient occupé son esprit quelques instants auparavant, hurlait son contentement en chantant l’hymne de son équipe de Quidditch préférée : les canons de Chudley.
Sirius resta volontairement en retrait et, alors que Sélène s’apprêtait à sortir, il la retint par le bras :
— Tu as encore fais un cauchemar cette nuit, s’inquiéta-t-il.
— Je sais, soupira la jeune femme sans pour autant se retourner.
— Sélène, tu devrais revoir les médicomages. Ça ne peut plus durer, tu es épuisée.
— Ils ne feront rien de plus, tu le sais. À part peut-être m’enfermer. Ils me prennent pour une folle, Sirius, riposta-t-elle en lui faisant face à nouveau. Et toi aussi, si j’en crois le regard que tu poses sur moi.
— Je m’inquiète pour toi, Sélène, c’est tout.
— Tu n’as pas à le faire, je gère.
Subitement, Sélène se sentait de plus en plus en colère. L’inquiétude de Sirius l’étouffait, son insistance à la faire examiner lui hérissait les poils. Elle bouillait et, pour fuir ce sentiment intrusif qu’elle ne comprenait pas et qu’elle avait peur de ne plus maitriser, elle fit mine de sortir.
— Sélène, tu ne vas pas bien, tenta encore son fiancé en la retenant par le bras.
— ET MOI, JE TE DIS QUE SI ! hurla la jeune femme en se dégageant violemment de la poigne de Sirius.
Elle haletait sous le coup de la colère quand elle leva les yeux vers lui. Il la regardait d’un air blessé, choqué. Il avait les joues rouges, signe qu’il luttait contre une remarque cinglante. Quand leurs pupilles se croisèrent, elle sentit en elle une pulsion de haine pure. Elle voulut, l’espace d’un court instant, lui sauter à la gorge, le mordre, l’attaquer… le tuer.
Cette sensation l’effraya et elle baissa la tête. Le sentiment de haine reflua alors instantanément alors que les larmes lui montaient aux yeux.
— Pardon. Pardonne-moi. Je ne voulais pas… Je ne pensais pas… murmura-t-elle en posant son front contre le torse de Sirius. Je t’aime.
Oui, elle l’aimait. Mais alors pourquoi cette pulsion de haine ? Il s’inquiétait juste pour elle, cela ne justifiait pas cette violence.
Elle avait voulu le tuer. Elle en avait eu envie, non ?
Pourtant, elle ne pouvait pas le tuer. Elle refusait de le tuer.
Non.
Pas lui. Elle l'aimait tant.
Elle lutta contre les larmes alors qu’il l’entourait enfin de ses bras.
Les minutes passèrent ainsi, chacun perdu dans leurs pensées, jusqu’à ce que Harry, impatient, revint supplier son parrain pour l’entrainer dehors :
— Tonton Siriuuuuuuus !!! T’as promiiiiiis !!!!
A regret, Sirius se détacha de Sélène après l’avoir tendrement embrassée sur la tempe. Il lui lança un regard, cherchant silencieusement un signe que tout allait bien entre eux. Elle hocha la tête, il lui sourit et répondit enfin à son filleul :
— J’arrive, j’espère que tu as pu t’échauffer un peu, parce que je ne vais pas te faire de cadeau !
— Ahaha, je vole plus vite que toi de toute façon ! riposta l’enfant en tirant la langue.
Sélène les regarda s’éloigner, les bras croisés contre sa poitrine, cherchant à retenir un peu la chaleur du corps de son amant. Elle les suivit des yeux jusqu’à ce qu’ils disparaissent derrière la maison. Elle sortit ensuite pour chercher dans son jardin les herbes médicinales dont elle avait besoin pour terminer la potion Tue-loup de Remus. Mais en chemin, ses sombres pensées la rattrapèrent.
Que se passait-il ? Pourquoi avait-elle ressenti cette colère alors qu’elle regardait l’homme qu’elle aimait tant ? Quel était ce frisson glacé qui lui avait parcouru le dos ? Le même que celui qu’elle ressentait alors qu’elle se réveillait de ses cauchemars ? Que lui arrivait-il ?
Alors que la sensation de malaise qu’elle avait éprouvée peinait à s’effacer, les paroles que Dumbledore avait prononcées pour leur expliquer comment Harry était devenu un Horcruxe involontaire lui revinrent en mémoire :
« Voldemort venait de tuer Lily, un fragment de l’âme du seigneur des Ténèbres s’est alors attaché à Harry, parce qu’il était le seul être vivant en état de faiblesse et à sa portée à ce moment-là. »
Sélène et Sirius avaient hoché gravement la tête en signe de compréhension. Mais alors que, depuis le réveil de son coma, elle revivait en rêve des souvenirs de Voldemort que personne ne lui avait racontés, une autre éventualité s’imposait dans son esprit.
Et si, cette nuit-là, au milieu du cimetière du père Lachaise…
Non.
Impossible.
Non.
Elle était terrorisée. Elle se sentait différente. Souvent, elle ne parvenait plus à contrôler ses émotions. Des sentiments négatifs la parasitaient alors qu’ils visaient les personnes qui comptaient le plus pour elle : Sirius, Harry, Remus. Elle rêvait parfois de leur faire du mal.
La semaine précédente c’était en parlant de James et Lily. Elle avait voulu rire alors que Sirius et Remus évoquaient la mort de leurs amis. Elle avait retenu, in extremis, un rire démoniaque.
Une autre fois, c’était Dumbledore. Elle avait failli lui jeter un sort alors qu'il l’avait surprise en pleine concoction de potion.
Aujourd’hui, elle avait voulu tuer Sirius.
La prochaine fois, ce sera qui ?
Harry ?
Et si elle n’arrivait pas à se retenir ? Et si ces sentiments finissaient par la dévorer toute entière jusqu’à la transformer en monstre ? Que se passerait-il alors ?
Soudain prise d’angoisse, elle eut besoin de se rapprocher de Remus, de Sirius et de Harry. Elle voulait se rassurer en les regardant vivre. Elle revint donc sur ses pas, presque en courant, vers le terrain de Quidditch improvisé. Elle leva la tête vers eux et les entendre rire allégea son cœur immédiatement. Apaisée, et pour prolonger encore les bénéfices de cette aura de bonheur, elle s’assit dans l’herbe sans les quitter des yeux.
Ils étaient sa famille, son ancre, ses piliers. Tant qu’ils seraient ensemble, il ne pourrait rien lui arriver.
Harry l’aperçut après quelques minutes. Il lui fit de grands gestes entre deux éclats de rire. Gagnée par la bonne humeur du jeune garçon, elle lui répondit en souriant.
Non, elle ne se laissera pas dévorer.
Pas sans réagir.
Pour protéger son bonheur, sa liberté et celle de ceux qui comptait, elle se battrait jusqu’au bout, sans ménager ses efforts.
Elle chasserait cette noirceur de son cœur.
Pour Remus.
Pour Sirius.
Pour Harry.