L'évadé du clair de Lune
Chapitre 8 : Le dernier héritier des Black
4792 mots, Catégorie: T
Dernière mise à jour 01/04/2024 15:37
Sous le choc de la révélation, Sirius se leva d’un bond.
— Quoi ? C'est absurde, mon frère était un adorateur de Voldemort ! Il l'a suivi jusqu'au bout et il est même mort pour lui !!
— Non, dit Sélène. C'est ce que je pensais moi aussi, mais ils m'ont raconté ce qu'il s'était réellement passé. Du moins ce qu'ils en savaient. Et ils ne parlaient pas de lui en des termes élogieux. A la fin de sa vie, il n'était plus le parfait Mangemort que tu sembles croire, bien au contraire.
Sirius voulut réagir mais, malgré la colère dans son regard, Sélène leva la main pour le faire taire.
— Oui, ton frère était très différent de toi, il était même ton opposé. Il était fier d'être un sang-pur et oui, il adhérait aux idéologies de Voldemort. Mais il semblerait qu'au bout d'un an de service, il ait pris peur et que cela ait un rapport avec Kreattur.
Sirius fronça les sourcils, étonné.
— Notre vieil elfe de maison ? Qu'a-t-il à voir là-dedans ?
— Tout. Il était le point faible de Regulus. Un jour, Voldemort a exigé de Regulus qu’il lui prête Kreattur pour une expérience. Regulus a obéi. D'après Malefoy, le comportement de Regulus a changé après ça et il a commencé à s’éloigner d’eux. Quand il s’est rendu compte que la fidélité de ton frère diminuait, Voldemort a lancé une traque contre lui. C’est pendant cette traque que Regulus est mort, mais personne ne sait comment, qui l'a tué ni où se trouve son corps.
Sirius ne savait plus quoi penser. Il avait depuis longtemps catégorisé son frère comme fidèle Mangemort et cette certitude avait muré toute la culpabilité qu'il avait ressentie lorsqu’il était parti de chez lui à quinze ans, renonçant à sortir son frère de l’endoctrinement de sa famille. Mais Sélène était en train de lui dire qu'il avait retourné sa veste. Par affection pour Kreattur ? Il avait du mal à y croire, c'était tellement absurde. Pourtant, il se rappelait bien de la relation presque fusionnelle que son frère avait entretenue avec leur elfe de maison. Il finit par se rasseoir en soupirant avant de demander, non sans une certaine colère :
— Ok… Alors qu’est-ce qu’il s’est passé à ton avis ?
Elle lui sourit tendrement, consciente des pensées qui le tourmentaient. La relation entre Sirius et Regulus était complexe. Elle doutait que James lui-même ait été au courant de ce que son ami avait réellement ressenti pour son frère. Elle avait deviné beaucoup de choses : des regrets, des rancunes, une certaine culpabilité aussi, mais Sirius s'était toujours fermé comme une huître dès que le sujet de son frère était évoqué. Elle avait appris avec le temps à attendre qu'il en parle de lui-même. Il ne l'avait fait qu'il y a six ans, après la mort de Regulus, pendant une unique soirée où il avait beaucoup trop bu pour anesthésier son chagrin. Sélène égratignait aujourd'hui la carapace que Sirius s'était bâti autour de tout ce qui pouvait toucher à son frère et elle était parfaitement consciente que la colère de son compagnon était dirigée davantage contre lui-même que contre elle.
— Ce n’est qu’une supposition mais... Ton frère était intelligent, Kreattur a dû lui raconter ce qu’il a vécu avec Voldemort. Et je pense qu’il s’y connaissait suffisamment en magie noire pour découvrir la vérité sur les Horcruxes… Et en voler un, en guise de protection, pour faire du chantage... Ou pour autre chose ?
Elle le regardait intensément et petit à petit, Sirius comprit ce qu'elle avait en tête. Il retrouva son calme en réfléchissant aux implications.
— Tu veux que je retourne Square Grimmaurd pour retrouver Kreattur et avoir le fin mot de l'histoire. C'est ça ?
Sélène secoua la tête et Sirius s'affala dans sa chaise quand elle précisa :
— Je veux qu'on y aille tous ensemble.
Le jeune homme grimaça et passa une main dans ses cheveux, trahissant sa nervosité :
— Je n'ai pas vraiment envie de revoir ma mère, tu sais.
Sélène cilla. Sirius la regarda avec étonnement, attendant qu'elle prenne la parole. Le silence dura. Sélène déglutit, elle n'avait jamais imaginé devoir le lui annoncer. Elle pensait qu'il savait, que quelqu'un lui avait dit. Elle échangea un regard avec Remus et Sirius s’en rendit compte :
— Quoi ?
Elle lui attrapa la main et lui annonça d'une voix douce :
— Ta mère est morte en début d'année, Sirius. Tu as hérité de tous les biens de ta famille. L'argent, la maison… et Kreattur.
Sirius accusa le coup.
Il était donc le dernier de la noble lignée des Black. Son frère était mort en 1979, il y a six ans. Son père était décédé peu de temps après. Et maintenant, sa mère les avait rejoints.
Un maelstrom d’émotion l’assaillit.
Il avait fini par les détester.
Tous.
Pendant des années, sa mère s’était efforcée de faire de lui le parfait héritier de la famille, lui inculquant ses idées sans jamais tenir compte de ses protestations ou de sa propre personnalité. Elle voulait le modeler à sa manière mais la force de caractère de Sirius l’avait tenue en échec. Son idéologie et son obsession du sang-pur avaient fini par le rebuter et il n’avait cessé de se rebeller jusqu’à finir par partir de la maison. Mais là, un sentiment de tristesse qu'il n'aurait jamais pensé ressentir le submergeait.
Il se leva et s'éloigna de la table. Il était en proie à des sentiments tellement contradictoires qu'il en avait presque le tournis. Comme un zombie, il se dirigea lentement vers le passage pour remonter à l'étage. Sélène et Remus échangèrent un regard puis Remus encouragea Sélène à rejoindre le jeune homme : elle était la seule à pouvoir l’apaiser.
Dans le salon, Sirius s'approcha de la fenêtre, appuya ses mains sur le rebord, le front contre la vitre, et se perdit dans ses pensées.
Durant les quatre ans passés à Azkaban, les Détraqueurs l’avaient aidé à se rappeler ce que son jeune âge avait occulté, nourrissant la colère qu’il ressentait contre toute sa famille et le système qu’elle soutenait.
Les premiers sortilèges, il les avait subis alors qu'il n'avait pas un an. Quand il pleurait, ce n'était pas sa mère qui venait le cajoler. Oh non, jamais Walburga Black ne se serait abaissée à cela. Elle l'avait mis au monde, un garçon. Elle avait donné un héritier à la famille Black. Elle avait fait son devoir.
C'est leur elfe de maison qui s'occupait du reste. Le changer, le nourrir, le rendre présentable. Le strict minimum pour qu'il soit propre et qu'il grandisse bien. Pour que ses parents puissent être fiers de présenter l'héritier de la famille. Mais quand il pleurait juste pour avoir de l'attention, l'elfe lui lançait un sort de mutisme et personne ne venait le consoler.
Après les sortilèges, ce sont les punitions qui se sont mis à pleuvoir dès qu’il n’était pas à la hauteur de ce qu’on attendait de lui : se comporter comme le parfait petit héritier de la famille. Son père lui répétait sans cesse : un Black ne pleure pas. Jamais. Sirius avait deux ans et il s’était efforcé de ne plus jamais pleurer.
Puis son petit frère était né et il avait reporté sur lui tout son besoin d’affection, le prenant dans ses bras et le câlinant autant qu'il pouvait pour que son précieux Regulus ne subisse pas ce que lui avait subi.
Par la suite, il avait adopté les attitudes hautaines de ses parents, il avait copié leur façon de parler, même s'il ne comprenait pas tout. Pour leur plaire, il avait tellement appris à se contrôler, qu’il n’avait montré les premiers signes de magie infantile qu’assez tard.
Sa mère, Walburga Black l’avait pris comme un échec personnel. Alors elle s'était efforcée de le pousser dans ses retranchements pour que ses pouvoirs se développent. Et un jour, enfin, il avait montré son talent.
Ce jour-là, c'était la première, et sans doute la seule fois, qu'il avait eu l'impression de voir un semblant de fierté dans le regard que sa mère avait posé sur lui.
Ce jour-là, il avait espéré recevoir, enfin, un peu d’amour de la part de ses parents.
Mais pour Walburga Black, l’amour n’était qu’une faiblesse et une illusion romantique. Elle n’aimait pas son fils aîné, elle le dressait pour qu’il leur ressemble. Et malgré tous les efforts de Sirius, ce n’était jamais assez. Ses parents, sa mère en particulier, lui demandaient toujours plus et quand il échouait, ils lui répétaient qu’il n'était qu’une déception, un bon à rien. Il avait alors commencé à se mettre en colère, se rebeller et tant pis pour les conséquences.
Quand, en grandissant, Sirius avait vu que ses parents étaient différents avec Regulus, que son frère était choyé, qu’il n’était presque jamais puni, qu’il ne recevait pas de coups… Sirius avait été jaloux, c’était ça avait été plus fort que lui.
Mais, malgré sa jalousie, Regulus était la seule personne dans cette maison qu’il avait pu aimer et qui l'avait aimé en retour.
Les choses avaient pourtant changé quand Sirius était rentré à Poudlard et avait été réparti à Gryffondor avec James, Remus et Peter. Une honte pour la famille mais lui, il en avait été très fier. Malgré des débuts difficiles où il s’était confronté aux préjugés que son nom suscitait, il avait fini par gagner sa place et trois merveilleux amis. Il avait rejeté en bloc tous les préceptes de sa famille. Plus il avait passé du temps auprès de ses amis, plus il s'était éloigné de sa mère, de son père, cherchant à les énerver et se rebeller toujours davantage.
Pendant les vacances, de retour chez lui, il n’avait pas tout de suite remarqué de changements chez son frère. Mais inexorablement, Regulus avait commencé à prendre ses distances avec lui. Sirius n’était plus là pour faire barrage aux idéologies de ses parents alors Regulus, tellement désireux de leur plaire, obéissait et y adhérait. A chaque fois qu’il rentrait, Sirius s’échinait alors à le détourner de la magie noire, malgré les punitions et les maléfices qu’il pouvait recevoir en retour. Regulus ne disait rien mais Sirius ne perdait pas espoir et il endurait, pour qu’un jour peut-être, son petit frère l’écoute enfin.
Tout avait basculé durant l’été 1976, quand Sirius était revenu d'une sortie avec Sélène, son père avait dépassé les bornes au cours d'une énième confrontation. Sa mère, elle, n'avait rien fait pour le défendre, elle l'avait regardé se faire battre à coup de maléfices toujours plus cuisants en croisant les bras, un sourire mauvais sur le visage. Son frère n’avait pas levé le petit doigt alors que Sirius gisait sur le sol, incapable de bouger, perclus de douleur. Regulus s’était contenté de toiser son aîné, hautain, avant de tourner les talons. Blessé et en colère, Sirius avait attendu quelques jours de reprendre quelques forces puis avait quitté la maison pour aller vivre chez James. A la suite de quoi, l’héritier des Black avait été renié, effacé de l'arbre généalogique au profit de son cadet. Sirius n'avait jamais regretté.
A la fenêtre de la cuisine, perdu dans ses pensées depuis plusieurs minutes, il n'avait pas entendu Sélène s'approcher. Il sursauta quand elle passa ses bras autour de sa taille et posa sa tête dans son dos. Il ferma les yeux savourant la douceur et la tendresse de la jeune femme. Puis il prit une inspiration soudaine et murmura :
— C'est ridicule... Cette vieille chouette m'a maltraité toute mon enfance, elle ne m'a jamais défendu contre mon père et pourtant, de savoir qu'elle est morte… Il y a seulement quelques mois…
Il ne finit pas sa phrase et fit une courte pause avant de continuer, ironique :
— Serais-je seulement allé à son enterrement si j'avais pu ? Je ne sais même pas… C'est ridicule.
— Non ça ne l'est pas. C'était ta mère, Sirius. Peu importe ce qu'elle a fait, c'est elle qui t'a mis au monde. L'enfant que tu étais l'aimait… Ça laisse des traces et c'est normal.
Sirius haussa les épaules et changea délibérément de sujet :
— Kreattur ne m'a jamais respecté. Il imitait ma mère en tout et ma mère me détestait… Rien ne dit qu'il me parlera.
— Tu es son maître, il n'aura pas vraiment le choix. Reste à savoir comment tu veux arriver à tes fins : par la douceur ou par la force.
Sirius ne répondit pas. Les souvenirs qu'il avait de Kreattur n'étaient pas les meilleurs et c'est vrai que l'elfe de maison l'aurait vendu à Voldemort s'il avait pu. Il se retourna vers Sélène pour la prendre dans ses bras.
— Je ne sais pas si j'ai envie que tu voies la maison où j'ai grandi… Cette maison, c'est un autel à la magie noire à elle toute seule…
— J'ai été invité pour le dîner chez les Malefoy, je te rappelle. Et crois-moi, ils sont plutôt fiers d'exhiber leur décoration morbide quand ils pensent être en compagnie de personnes comme eux, répondit-elle en riant.
Il sourit. Il aimait son rire. Il était clair, léger, frais. Le genre de rire qui rendait heureux celui qui l'écoutait. Il l'embrassa tendrement, le cœur moins lourd.
— Et quand veux-tu qu'on y aille ?
— J'attendais d'avoir ton aval pour ça, pour qu'on y aille tout de suite. Mais avant, j'ai quelque chose pour toi, annonça-t-elle, une lueur espiègle dans le regard. Suis-moi !
Elle lui saisit la main et il se laissa emmener sans résister. Elle l'entraîna à nouveau au sous-sol en se retournant par moment pour lui adresser un sourire resplendissant. Il avait l'impression de la revoir des années plus tôt, insouciante, quand elle le guidait dans les rues du Londres Moldu lors de leurs escapades. Ils passèrent devant Remus qui leur lança un regard amusé.
Elle s'arrêta au milieu de la grande salle et lui intima de l'attendre ici. Il interrogea Remus du regard mais celui-ci se contenta de lui répondre par un sourire énigmatique. Sélène s'éloigna et retourna dans la chambre. Elle revint quelques secondes plus tard en portant un long étui en carton, qu'elle tendit à son compagnon.
— On est un peu en retard, mais le mois de novembre n'est pas encore terminé, alors… Bon anniversaire, mon amour !
Sirius saisit le paquet, incrédule quant au cadeau et ému de l'entendre l'appeler ainsi à nouveau après toutes ces années. Il ne savait que dire. Sélène l'encouragea :
— Tu vas en avoir besoin pour la suite des évènements, lui dit-elle avec un sourire mystérieux.
Sirius l’observa, curieux, puis reporta son attention sur la boite qu’il ouvrit. Quand il en vit le contenu, il se figea pendant quelques secondes, le regard oscillant entre l'étui et la jeune femme qui souriait toujours, puis il lâcha le couvercle qui tomba au sol. De la boite, il sortit une baguette en acajou qu’il détailla avec une émotion non dissimulée. Il leva les yeux vers Sélène, incapable de prononcer un mot.
— Quand j'ai pu sortir de Sainte-Mangouste, il y a quatre ans, je suis retournée à Godric's Hollow. Je voulais me recueillir encore, chercher des indices... Je ne sais pas, mais j'ai eu envie d'y retourner. Dans les ruines, j'ai trouvé la baguette de James. La tienne avait sûrement été détruite, et je me suis rappelée qu'à Poudlard, tu avais parfois utilisé celle de James avec une certaine réussite. Et comme je savais que, tôt ou tard, tu serais de retour près de moi, je l’ai gardée…
Sirius tenait la baguette du bout des doigts, respectueusement. Sélène n'avait qu'une vague idée de ce que cela représentait pour lui. En face de lui, la jeune femme se racla la gorge, bouleversée devant son émotion palpable.
— Essaie-la, suggéra-t-elle en souriant.
Sirius hocha la tête, saisit la baguette de son ami à pleine main et effectua un moulinet du poignet. Il se sentit soudain entouré d'une douce chaleur émanant du bois qu'il tenait entre ses doigts, comme si son corps ne faisait plus qu'un avec l'ancienne arme de James. Comme si James lui-même lui faisait don de son artefact magique depuis l'au-delà, donnant sa bénédiction pour que la baguette change de propriétaire. Il sourit à sa compagne.
— Elle t'a choisi ! souffla Sélène, ravie.
Sirius confirma d'un hochement de tête avant de se précipiter sur elle pour l'embrasser passionnément.
— Merci. Je n'aurais pas pu rêver mieux. Je vais enfin pouvoir vous être utile maintenant !
Il se sépara d'elle, la laissant rougissante et se tourna vers son ami :
— Bon, on y va, on a ma vieille maison à fouiller…
Sélène et Remus se sourirent, Sirius avait toujours été enthousiaste quand il s'agissait de combattre le mal. Et si un peu de danger était de mise, il ne reculait pas et, au contraire, fonçait toujours dans le tas. Ses quatre années de détention ne l'avaient apparemment pas changé sur ce point. Et maintenant, avec la baguette de James, il se sentait enfin capable d'exercer à nouveau sa magie. C'était bon de le voir comme ça.
Remus rejoignit le couple et tous les trois se dirigèrent vers l'étage pour sortir transplaner, Sélène ayant lancé des sortilèges anti-intrusion sur la maison. Une fois à l'extérieur, ils s'éloignèrent pour se mettre sous le couvert des arbres et Sirius tendit ses bras pour un transplanage d'escorte.
OoooO
Ils atterrirent dans un square de Londres peu fréquenté en cette fin de matinée. La place était peu lumineuse, engoncée entre les hautes maisons de ville légèrement délabrées qui l'encadraient. Sirius réprima un frisson. Il n'était pas revenu depuis ses quinze ans et là, devant ses yeux, la petite place était toujours aussi sinistre qu'à cette époque.
Après un regard à ses amis et s'être assuré que la maison n’était pas surveillée, il s'avança, baguette en main, vers les marches du perron, son attention fixée sur la vieille porte noire. Il n'y avait ni trou de serrure, ni boite aux lettres. Il soupira et, après un encouragement de la tête de la part de Sélène, il frappa rapidement la porte de sa baguette magique. Il entendit toute une série de cliquetis et de grincements, puis enfin, la poignée d'argent en forme d'un serpent s'abaissa.
Il se tourna vers ses acolytes et, un sourire enjoué feint sur le visage et d’un ton faussement joyeux, les invita à entrer :
— Bienvenue, chers amis, dans la noble et très ancienne demeure des Black.
Sirius entra derrière eux et referma la porte.
— Il a toujours fait aussi sombre ici ? demanda Remus.
— Ouais, juste pour te donner envie de fuir dès le corridor… marmonna Sirius.
Il agita à nouveau sa baguette magique et des lampes à gaz anciennes projetèrent une lumière tremblante et fantomatique dans le hall. Un lustre argenté, également en forme de serpents, luisait au-dessus de leurs têtes.
— Obligé d'allumer la lumière même en pleine journée… J'te jure… continua Sirius, qui, de retour entre ces murs, se laissait gagner par la mauvaise humeur. Bon, allons trouver mon elfe de maison…
Il traîna les pieds dans le corridor, suivi par Sélène et Remus. Ce dernier, ne savait plus où regarder : partout où que ses yeux se posaient, il pouvait voir des objets qui auraient eu parfaitement leur place dans la vitrine de la boutique de Barjow & Beurk, allée des Embrumes. Le mur du hall était décoré de tête d’elfes de maison empaillées, probablement les ancêtres de Kreattur. Le loup garou réprima un frisson et baissa les yeux, pour trouver un porte-parapluie en forme de patte de Troll.
Au final, Sirius n’avait jamais menti durant leur scolarité quand il disait que tout dans cette maison transpirait la magie noire. Le regard qu'il porta sur son ami changea et il mesurait seulement maintenant les efforts que Sirius avait dû déployer pour se désolidariser de sa famille. Il comprenait aussi pourquoi il avait été si facile pour la communauté magique de l'accuser d'être un Mangemort et de pratiquer la magie noire. Il se rendait compte qu'il avait été lui-même atteint par tous ces préjugés, lors de l'emprisonnement du jeune homme, alors même qu'il l'avait côtoyé depuis leur arrivée à Poudlard et qu'il avait été tant de fois témoin de sa profonde amitié avec James.
Il soupira, se sentant coupable, et croisa le regard bleu de Sélène, qui lui sourit. Elle n'a jamais douté, se dit Remus. Elle a toujours su qui était réellement Sirius, derrière ses airs hautains et extravagants. Il reporta son attention vers son ami qui les menait à travers le hall vers l'étage inférieur et ce qui semblait être les cuisines.
De l'entrée, ils aperçurent l’elfe de maison qui leur tournait le dos. Il était vêtu de l'habit traditionnellement donné aux serviteurs : un torchon informe et sale qui lui descendait jusqu'aux genoux. Il était chauve et des poils blancs dépassaient de ses oreilles. Sirius s'avança. Il soupira avant de lancer :
— Bonjour Kreattur !
L'elfe sursauta et se tourna vivement vers les nouveaux venus. Il hésita et fit une grimace avant de se courber avec réticence devant Sirius. Son nez en forme de groin toucha presque le sol.
— Maître, coassa-t-il.
Toujours penché en avant, il continua à haute et intelligible voix, comme s'adressant à ses genoux :
— De retour dans la maison de ma maîtresse, ce sale pourceau ingrat qui a brisé le cœur de sa mère…*
Remus tiqua, surpris qu'un elfe ose ainsi insulter son maître. Il se tourna vers Sirius, qui lui lança un regard désabusé puis haussa les épaules, peu touché par les propos de l'elfe, habitué à ses sarcasmes depuis sa tendre enfance. Les mains dans les poches, il continua comme si l’elfe n’avait rien dit :
— J'ai une question à te poser, Kreattur, et tu es tenu de me répondre la vérité, tu entends ?
— Oui, maître, répliqua l'elfe en s'inclinant profondément. …. S’échappe d'Azkaban et donne des ordres à Kreattur. Et ma pauvre maîtresse qui le haïssait, que dirait-elle maintenant ? *
Sirius serra la mâchoire et les poings dans ses poches. Sentant sa colère, Sélène lui posa une main apaisante sur le bras. Il tourna la tête vers elle, le regard sombre. Il savait bien qu’elle préférerait obtenir les informations en douceur et c’est pour cette raison qu’il se retenait, bien difficilement, de lever sa baguette contre son serviteur. Kreattur était le seul rescapé de son enfance et il concentrait à lui seul toutes les émotions néfastes que Sirius ressentait envers sa famille. C’était dur, très dur de les combattre. Il inspira puis reporta son attention sur l’elfe de maison, toujours courbé devant lui.
— Je voudrais que tu me racontes une histoire, Kreattur. Que tu me dises ce qu’il s’est passé quand Regulus est venu te chercher pour t’amener à Voldemort.
A la mention du nom du cadet des Black et ne pouvant désobéir à un ordre direct, Kreattur se redressa brusquement, ses yeux remplis de larmes ficé sur Sirius. Pathétique.
— Maître ? couina l’elfe. Kreattur n’a pas envie de se rappeler, maître.
Sirius tiqua. Le ton suppliant dans la voix de son elfe contrastait avec l’arrogance dont il avait fait preuve quelques secondes auparavant. Devant lui, Kreattur tremblait comme une feuille, il jetait des regards désespérés, cherchant une échappatoire qu’il n’avait pas. Sirius sentit la main de Sélène resserrer sa prise autour de son bras. Elle aussi avait senti que le moment était crucial. Du coin de l’œil, il vit Remus se rapprocher, regardant l’elfe avec pitié. Kreattur souffrait, il pouvait bien s’en rendre compte. Sirius se dégagea de la prise de sa compagne et s’avança vers Kreattur qui se recroquevilla. Il s’accroupit en face de lui :
— J’ai besoin de savoir, Kreattur, insista-t-il, en essayant de mettre de la douceur dans sa voix.
Dans le coin de son champ de vision, il vit Remus hocher la tête, signe qu’il avait dû y parvenir.
Kreattur recula un peu, tremblant toujours comme une feuille, ses mains triturant son pagne.
— Kreattur a failli mourir ce jour-là. Kreattur a déjà tout raconté à maître Regulus, il a promis de ne plus répéter. A personne. Kreattur a promis, Maître.
Sirius ferma les yeux pour contrôler un nouvel accès de colère. Il réfléchissait à n’importe quel moyen qui lui permettrait de contourner la loyauté de Kreattur envers la parole donnée à son frère.
— Je ne sais pas ce qui s’est passé ce jour-là, Kreattur. Tout ce que je sais c’est que mon frère est mort, peu de temps après. J’ai besoin de comprendre, Kreattur. J’ai besoin de savoir ce que Voldemort t’a demandé pour que Regulus se détourne de lui comme il l’a fait.
— Maître Regulus aimait Kreattur… couina l’elfe.
Comme il n’ajouta rien de plus, Sirius soupira et s’assit par terre, adossé à la table derrière lui. Il posa ses bras sur ses genoux et sa tête en arrière.
— Je sais et moi, j’aimais mon frère, avoua-t-il dans un souffle.
Il avait prononcé ces mots la gorge serrée, comme une confidence à son elfe de maison, prononçant à voix haute des mots qu’il n’avait jamais dit, pas même à Regulus. Il releva la tête pour l’appuyer contre le pied de la table et ferma les yeux pour retenir les larmes qui commençaient à lui embuer les yeux.
Kreattur s’avança timidement, un peu étonné de voir son maître se livrer ainsi.
— Un Black… commença-t-il d’une voix monotone, s’apprêtant à répéter la phrase qu’il avait si souvent répétée durant ses années de servitude.
— Ne pleure jamais… Je sais, Kreattur… On me l’a suffisamment dit durant toute mon enfance, soupira-t-il en se relevant.
Il se retourna vers ses amis et leur fit signe de repartir, renonçant pour un temps à entendre l’histoire de Kreattur. Mais alors qu’il allait passer la porte de la cuisine pour remonter à l’étage, l’elfe de maison commença à parler.
* Extraits de HP et l’Ordre du phénix