Le cycle de la lune bleue
Chapitre 21 : Moldue ou Sorcière ?
4795 mots, Catégorie: T
Dernière mise à jour il y a environ 2 mois
- Seriez-vous finalement en train d’admettre l’indubitable vérité, Mademoiselle ? s’enquit Rogue d’un ton sarcastique.
- Non ! argua Annily avec force. Une bonne fois pour toute, professeur, je n’ai aucun pouvoir magique !
- Dans ce cas, pourquoi reconnaitre le fait que cette femme est à vos trousses ? demanda McGonagall en pinçant les lèvres, toujours aussi scandalisée lorsqu’une jeune personne se permettait toute forme d’impertinence à l’égard du corps enseignant.
Annily se leva brusquement et se retourna pour lui faire face.
- Parce qu’elle est réapparue quasiment en même temps que moi ! hurla-t-elle presque. Ça ne peut pas être une coïncidence ! Je me retrouve en danger de mort parce qu’une Créature démoniaque est persuadée que de la Magie coule dans mes veines !
Toujours prompt à réagir, Rogue plaqua ses mains sur les épaules de la jeune femme, la forçant brutalement à se rassoit dans le fond de son siège, calmant d’un coup son emportement. La respiration erratique, Annily tenta d’apaiser son agitation. S’opposer à ces Sorciers n’était décidément pas une idée remarquable. Elle devait à tout prix maitriser son tempérament impulsif lorsqu’elle était soumise à un stress intense fomenté par sa situation délicate et la pression de ses hôtes.
- Veuillez m’excuser… murmura-t-elle.
Dumbledore lui adressa un signe de tête indulgent.
- Je ne possède pas la moindre essence magique, insista plus doucement la jeune femme. Je vous prie de me croire, je vous en conjure !
- Vos affirmations me paraissent fortement contradictoires, intervint Maugrey de sa voix bourrue.
- Alastor n’a pas tort, ma chère, renchérit McGonagall. Pourquoi finalement admettre être la cible incontestée de Caàrmen, alors que vous niez toujours aussi vigoureusement l’existence potentielle de vos pouvoirs ? Quel serait dans ce cas le fondement de cette persécution démoniaque ?
- Parce que je possède quelque chose d’autre… répondit Annily à voix basse. Une chose à laquelle aucun d’entre vous n’a songé…
Rogue contourna le fauteuil pour se placer devant la jeune femme, verrouillant son regard noir de malveillance dans les prunelles humides qui lui opposaient toujours une résistance insolente.
- Quelle serait donc cette « chose » distincte d’une potentialité surnaturelle ? – ce dont je doute fort, s’enquit-il alors.
Contrainte de relever la tête, Annily observa sans faillir les lacs sans fond de l’homme qui lui faisait face.
- Mon immunité contre la Magie.
Les professeurs contemplèrent silencieusement la jeune femme durant de longues secondes. Chacun sondait cette éventualité avec le plus grand sérieux, semblant considérer cette hypothèse comme parfaitement envisageable, sans toutefois écarter la vraisemblance d’une corrélation avec un potentiel magique. En d’autres termes, les Sorciers ne pouvaient exclure la probabilité qu’Annily ait eu recours à des pouvoirs méconnus de leur Monde pour se parer d’une immunité magique totale et exceptionnelle.
La jeune femme les observait tour à tour, attendant le verdict quant à sa suggestion plus qu’évidente à ses yeux. Dumbledore fut le premier à s’extraire de ses réflexions.
- Cela me parait être une excellente raison ; votre aptitude singulière à résister à toute forme de Magie pourrait amplement justifier les sombres motivations de Caàrmen à votre encontre. Il persiste cependant un fait irrécusable que nous ne pouvons ignorer : le pouvoir démoniaque des crocs métalliques du Dermacentor réside dans sa capacité unique à emprisonner l’essence magique de ses victimes en absorbant leur fluide vital.
- Ce qui signifie, ponctua Rogue dans un rictus satisfait, que votre immunité contre nos pouvoirs est nécessairement alimentée par source magique.
Annily réprima un profond soupir de frustration. Cette discussion tournait en rond ; quoi qu’elle pût dire, ses propos ne cesseraient jamais d’être remis en question. Il était certes beaucoup plus facile de persuader quelqu’un de l’existence d’un objet, que de le convaincre de son absence. Comment démontrer à des Sorciers la non-existence de prétendus pouvoirs ésotériques sans dévier sur les soupçons d’une tromperie.
- Il est certain que je ne peux pas avancer la moindre preuve de ma bonne foi, admit finalement la jeune femme. Les apparences semblent réellement être tournées contre moi, et ce malgré mes tentatives désespérées pour vous prouver ma sincérité.
Annily se pencha en avant et les fixa gravement.
- Si je ne suis pas en mesure de légitimer quoi que ce soit, avança-t-elle avec prudence, comment feriez-vous pour témoigner du contraire ? En admettant que je possède des pouvoirs magiques, et que je suis totalement ignorante de ce fait, de quelle manière seriez-vous capables de les révéler ?
- Il n’est nullement nécessaire de nous abaisser à la moindre justification vous concernant, Mademoiselle, tança Rogue. Nos soupçons déjà grandement alimentés par une succession de faits étranges vous impliquant, suffisent à faire pencher la balance en votre défaveur.
Annily serra les poings de rage. Ses vaines tentatives pour faire admettre son honnêteté et sa bonne foi étaient un véritable fiasco. Cette discussion stérile la frustrait profondément, tandis que le mépris clairement affiché de son hôte alimentait sa fureur.
- Si j’étais réellement née avec des pouvoirs, je le saurais, je le sentirais… J’aurais conscience d’une anormalité quelconque en moi, aussi infime soit-elle… Ne croyez-vous pas ?
- Vous ne pouvez prétendre ignorer ce que vous savez et persistez à nier ! rétorqua rudement Rogue.
- Et vous Professeur, je ne crois pas que vous puissiez prétendre tout savoir de moi, alors que vous ne savez strictement rien ! contra-t-elle avec hargne.
Rogue se pencha en avant et la toisa avec une telle haine qu’Annily sentit un frisson lui remonter le long des bras.
- J’ai accumulé suffisamment d’éléments à votre encontre pour pouvoir affirmer ce que je prétends, Mademoiselle !
- Alors PROUVEZ-LE ! exigea-t-elle avec colère. Prouvez donc que je suis une Sorcière ! Je peux vous assurer que vos tentatives seront vaines !
Rogue esquissa alors un horrible rictus. Sans crier gare, l’homme agrippa les bras de la jeune femme et la tira brutalement en avant, la forçant à se mettre debout. Décollée de son fauteuil tel un emplâtre que l’on arrache d’un coup sec, Annily ne put réprimer un glapissement de surprise. Avant que quiconque ait pu esquisser un seul mouvement, Rogue sortit sa baguette de sous sa robe et la pointa sur la jeune femme, qui demeura immobile face à lui, stupéfaite. En dépit de son immunité, Annily sentit une crainte irraisonnée l’envahir. Que comptait-il donc faire ? Pourquoi personne autour d’eux ne tentait de s’interposer ? Les secondes qui s’égrenaient dans un parfait silence faisaient douloureusement écho aux battements frénétiques de son cœur.
- Severus ! intervint enfin McGonagall. Vous savez bien qu’aucun sortilège ne s’est révélé efficace sur cette jeune fille.
- Il n’est nullement nécessaire de me rappeler ce fait, Minerva, répliqua Rogue sèchement. Je tenais simplement à expérimenter un essai quelque peu différent sur elle.
- Lequel ? s’enquit aussitôt Annily, inquiète.
Rogue se tourna vers elle, affichant un rictus triomphant bien loin de la rassurer. Un Elfe de Maison apparut alors au beau milieu de l’assemblée, une fiole à la main, faisant sursauter tout le monde. Rogue s’en empara sans préambule, visiblement le seul à ne pas être surpris par cette apparition soudaine. Sans davantage d’explications, il ôta le bouchon, positionna sa baguette sur le bord du goulot et prononça un mot ; une étincelle verte jaillit alors de son extrémité et voltigea avec la légèreté d’une plume dans les profondeurs du liquide translucide, qui se tinta progressivement d’un vert de jade soyeux et homogène. L’homme remua doucement le contenu transmuté et en but aussitôt une gorgée, aussi imperturbable que s’il s’était agi d’un sirop à la menthe. Ses collègues l’observaient sans piper mot, intrigués, de même que la jeune femme, qui attendait la suite en silence, de plus en plus inquiète.
- Regardez-moi, Mademoiselle, intima-t-il alors. Regardez-moi bien dans les yeux.
Annily releva timidement la tête et plongea son regard dans les prunelles de charbon, qui se paraient peu à peu d’une myriade de liserés verts entrelacés sur la circonférence pupillaire ; le pigment se propagea rapidement en halos ondoyants excentriques jusqu’à imprégner l’intégralité de l’iris. La jeune femme en ouvrit la bouche de sidération, troublée par cette Magie toujours aussi exceptionnelle et la beauté du regard émeraude qui en découla. Les deux protagonistes se contemplèrent en silence durant de longues secondes, tandis que les professeurs autour d’eux les observaient, dans l’attente d’une réaction quelconque. Les yeux du Maître des Potions ne tardèrent pas à recouvrer leur sombre couleur d’origine, de même que le contenu de la fiole, qui retrouva sa teinte diaphane. Annily ne prononça pas un seul mot, littéralement fascinée par cette expérience extraordinaire.
- Je vais à présent renouveler cet essai, expliqua Rogue, satisfait de l’effet produit. Cependant c’est vous qui en absorberez le contenu.
La fascination fit aussitôt place à l’effroi.
- Non… souffla-t-elle, terrifiée. Je ne peux pas… C’est… dangereux… Vous êtes fou…
- Il n’y a vraiment aucun danger, mon enfant, intervint Dumbledore en constatant la panique soudaine de la jeune femme. Severus en a fait l’expérience devant vous, afin de vous démontrer les propriétés inoffensives de cette potion. Vos yeux auront bientôt retrouvé leur couleur habituellement brune.
Mais la jeune femme secoua la tête.
- Comment pouvez-vous estimer avec précision l’impact que cette potion aura sur moi ? demanda-t-elle en reculant. Etant donné les aptitudes étrangement défensives que je possède, vous ne pouvez pas prévoir l’exactitude des effets de cette préparation sur mon organisme. Cela pourrait même être tout l’inverse ! Je pourrais perdre la vue…
- Il est impossible que cet élixir ait une quelconque influence sur vos fonctions visuelles, réfuta Rogue catégorique. Ses effets se concentrent uniquement sur les pigments de mélanine contenus dans l’iris. Le seul effet secondaire envisageable – mais hautement improbable – résiderait dans l’altération définitive de la couleur de vos yeux.
Annily cligna des paupières, indécise, peu rassurée à l’idée d’être à nouveau l’objet d’une expérimentation magique.
- Quelle couleur avez-vous choisie pour moi ? demanda-t-elle avec réticence.
Rogue arbora alors un sourire mystérieux. Étonnée de le voir réellement sourire, Annily n’en demeurait pas moins inquiète quant à la suite de cette expérience à laquelle elle se voyait contrainte de se livrer. Le Maître des Potions pointa de nouveau sa baguette contre le goulot de la fiole et laissa tomber une étincelle d’un bleu céruléen, qui ne tarda pas à parer l’ensemble du liquide magique de milliers d’éclats d’angélite.
- Vous devez la boire sans tarder, intima Rogue. Les effets du sort s’estompent en quelques secondes, l’ayant vous-même constaté sur moi.
Réprimant un frisson, Annily tendit la main et se saisit avec appréhension de la fiole que lui tendait son hôte. Elle observa un bref instant le liquide azuré, poussa un soupir résigné, porta le goulot à ses lèvres et goutta la préparation à la saveur légèrement sucrée. Puis elle leva lentement les yeux et les posa tour à tour sur chacune des personnes présentes, qui l’observaient en retour avec une attention soutenue. Elle ne ressentait pas le moindre changement, ni picotement larmoyant ni trouble de la vision comme elle l’avait redouté, comme si elle n’avait bu que de l’eau. N’ayant pas de surface miroitante à portée de regard, elle ne pouvait vérifier le résultat de cet élixir teinté ; elle pouvait cependant présumer de la nullité des effets escomptés en constatant une déception unanime s’inscrire sur chacun des visages tournés vers elle. Les professeurs durent se rendre à l’évidence : à l’instar des divers sortilèges qu’Annily avait reçus, rien ne s’était produit. Les yeux de la jeune femme demeuraient aussi bruns que du cacao.
- Rien ! grogna Maugrey en lorgnant la jeune femme dans une horrible grimace dédaigneuse.
- Si ce n’est une preuve irréfutable de ce que j’avance ! conclut le Maître des Potions.
- Pardon ? s’insurgea Annily. Mais cela ne prouve rien du tout !
- Votre organisme ne peut pas dévier les effets d’une potion sans l’aide d’une quelconque empreinte de Magie, qu’elle soit intentionnelle ou non maîtrisée – qu’elle soit d’origine humaine ou d’ascendance démoniaque, ajouta-t-il dans un murmure dégoulinant de sadisme.
Préférant ignorer la remarque provocante, Annily secoua la tête, niant cette évidence qui était loin d’être la sienne.
- Je regrette, mais le fait que je résiste à la fois à vos sortilèges et vos potions magiques, ne signifie absolument pas que de la Magie coule dans mes veines !
- Ces deux formes de Magie qui ont activé votre bouclier, ne sont pas les seuls arguments mettant en doute vos certitudes Annily, intervint McGonagall avec fermeté.
La jeune femme se tourna vers elle, perplexe.
- Que voulez-vous dire ?
- Vous devez savoir, expliqua-t-elle, que Hogwarts est protégé contre toute intrusion moldue grâce à de puissants sortilèges : aucun Moldu n’a la capacité physique de percevoir le Château, pas même celle d’approcher du Grand Portail délimitant l’enceinte de cette école. Or, vous n’avez eu aucun mal à franchir cette barrière magique. Vous avez pu voir le Château, vous vous y êtes introduite sans le moindre mal.
- Mais cela ne suffit pas à prouver que je possède des pouvoirs !
- Cela démontre que vous n’êtes pas une simple Moldue – les seuls êtres humains à être totalement dénués de Magie.
- Envisagez-vous le fait que cette fille puisse être une Cracmolle, Minerva ? s’enquit Maugrey.
- Ces individus n’auraient certainement pas la moindre faculté potentielle de détourner les puissants sortilèges qui protègent le Château ! rétorqua Rogue.
Annily croisa les bras en réprimant un soupir, de plus en plus agacée.
- J’ignore ce que ce terme signifie, mais suis sûre que je ne suis rien de tout ça ! réfuta-t-elle avec vigueur. Cette discussion ne mène nulle part ! Tout cela ne prouve rien !
- Annily, insista doucement la professeure de Métamorphose, vous devez comprendre ceci. Vous représentez la personne la plus mystérieuse qui nous a été donné de rencontrer. Vous avez en vous un potentiel extraordinaire qui vous immunise contre la Magie, un bouclier inhibiteur qui représente une incroyable protection contre les sorts et que vous employez en permanence, sans même vous en rendre compte. Personne, parmi les Sorciers, ne possède une telle puissance, car nul n’a cette capacité à se défendre sans avoir recours à la Magie.
- Vous parlez d’une protection insolite et que je ne maîtrise pas ; il est donc tout à fait envisageable que je puisse l’exercer de manière innée, donc sans Magie !
- Non, ce n’est pas ce que je sous-entendais, infirma la professeure. Il est impossible au contraire, pour quiconque, de contrer des sortilèges sans faire usage de la Magie.
- Les Sorciers activent bien souvent leur potentiel magique de manière non intentionnelle, renchérit Dumbledore, ceci dès leur plus jeune âge, encore inconscients du don qui coule dans leurs veines.
- Et s’il ne s’agissait pas d’un bouclier ? suggéra la jeune femme en désespoir de cause. Si votre Magie était tout bonnement défaillante sur moi ?
- Bien que fort intéressante, cette éventualité est tout simplement impossible, réfuta le vieil homme d’un ton calme mais catégorique. Notre Magie ne peut se révéler spontanément déficiente, bien que ses effets puissent varier d’intensité selon le Sorcier qui la catalyse et sa cible. Annily, poursuivit-il avec le plus grand sérieux, votre immunité relève d’une capacité hors norme à déviance surnaturelle, et non d’un simple état de fait. Vous détenez un pouvoir réellement exceptionnel que nul autre ne possède. Mais il demeure dissimulé derrière une apparence anodine, ne se manifestant que lorsque vous êtes en contact avec notre Magie traditionnelle. Cette aptitude hors du commun est un don parapsychique que l’on ne retrouve pas parmi le commun des mortels.
- Je n’y crois pas ! rétorqua la jeune femme en secouant négativement la tête. Je ne suis pas comme vous, je ne suis pas une Sorcière et encore moins un être démoniaque ! Je n’ai rien à voir avec vous ni avec cette créature qui veut ma mort ! Je n’ai pas choisi d’être comme ça ! ajouta-t-elle en haussant la voix et se mettant debout pour leur faire face. Je n’ai pas choisi d’être immunisée contre la Magie ! Quelle importance cela peut-il avoir ?! dites-le-moi ! Tout ça n’a vraiment aucun sens ! Je ne représente aucun danger pour personne, vous m’entendez ?! pour PERSONNE !
Avant que quiconque ait pu s’insurger contre cette crise d’hystérie soudaine, Annily se rassit tout aussi brusquement et se prit la tête dans les mains, visiblement aux limites de l’implosion. Dumbledore s’approcha de la jeune femme et lui posa délicatement une main réconfortante sur l’épaule, encore secouée de sanglots silencieux. Après de longues secondes égrenées dans l’accablement et le désespoir, Annily détacha ses mains de son visage mais garda les yeux baissés sur un petit pendule exposé devant elle, les traits figés dans une profonde lassitude. Le mouvement balancier de l’objet en argent lui prodigua un allègement de surface.
- Je crois qu’il serait plus sage de remettre cette conversation à plus tard, proposa le Directeur avec sa bienveillance qui le caractérisait en toute circonstance.
- A quoi cela servirait-il… ? rétorqua la jeune femme dans un murmure désabusé. Je ne vois pas comment nous pourrions tomber d’accord sur ce sujet.
- Gardez confiance en l’avenir Annily, lui répondit-il simplement. Dans l’instant présent, vous avez surtout besoin de repos, ainsi que d’un bon repas chaud, l’heure du déjeuner étant passée depuis une bonne heure et demie. Severus, auriez-vous l’obligeance de raccompagner notre jeune invitée dans ses appartements ? Minerva, ayez la bonté de nous précéder pour aller retrouver nos jeunes élèves affamés dans la Grande Salle ; nous vous y rejoindrons sous peu.
- Un instant Albus ! intervint brusquement Maugrey, alors que McGonagall avait déjà quitté le bureau directorial. J’aimerais essayer une ultime tentative avec cette jeune fille.
- A quoi pensez-vous, Alastor ?
Le professeur sortit d’une de ses poches une baguette magique et haussa un épais sourcil d’un air entendu à l’attention de ses collègues. Ceux-ci s’étudièrent du regard avant d’acquiescer à leur tour. De nouveau plongée dans l’ignorance de leurs sous-entendus, Annily se crispa instantanément.
- Severus, reprit Maugrey en lui tendant la baguette, je vous laisse le soin de mener à bien cette ultime tentative. Je me vois contraint de vous fausser compagnie, une tout autre mission m’attend dans l’instant au Ministère.
Sans davantage d’explications, le professeur se dirigea en claudiquant vers la sortie, une flasque à la main. La jeune femme le suivit du regard, abasourdie qu’il ait pris congé aussi soudainement. Totalement dépitée, elle reporta son regard sur le petit balancier en argent. Elle sentit alors une main s’enrouler autour de son bras et l’inciter à se lever, sans amorcer le moindre geste pour s’y soustraire. Hébétée, elle se mit docilement debout et se laissa guider jusqu’au centre de la pièce. Rogue se plaça ensuite devant elle et la fixa avec une telle intensité qu’elle se sentit glisser dans un puits de confusion.
- Quelle est votre main dominante, Mademoiselle ? demanda-t-il d’une voix suave.
Annily papillonna des yeux, émergeant des abysses.
- Je suis droitière… répondit-elle, incertaine.
Rogue se rapprocha de la jeune femme, si près qu’elle fut obligée de lever la tête pour le regarder. L’air énigmatique et profondément concentré du professeur raviva aussitôt son trouble et ses craintes, et elle fit un pas en arrière. Rogue lui saisit alors les épaules et la maintint fermement immobile face à lui. Ses yeux de charbon n’avaient pas quitté les prunelles vacillantes, la vrillant avec la même intensité sibylline, dans un silence électrique. Annily avait de nouveau la désagréable sensation d’être scannée jusqu’aux tréfonds de son âme. Mais elle ne détourna pas les yeux ; elle n’avait pas la force de se défaire de cette emprise visuelle, et plongea sans retenue dans ces deux lacs incandescents. Avec une lenteur impudente, l’une des mains de l’homme glissa le long du bras frêle jusqu’à sa main droite, dont il s’empara avec douceur pour y placer la baguette. Tenant toujours sa main dans la sienne, il lui replia délicatement les doigts, enfermant le bâton acajou au creux de sa paume. Annily ne put réprimer un intense frisson à son contact. Elle baissa les yeux et examina l’objet de pouvoir, si étrange entre ses doigts. Rogue contourna la jeune femme pour se positionner juste derrière, à l’instar de Dumbledore quelques pas plus loin. Gardant une main sur son épaule pour l’empêcher de se retourner, il lui saisit le poignet droit et le monta à hauteur de buste, dirigeant la baguette devant eux. Acculée contre le torse du professeur, enserrée de ses longues mains pâles, Annily sentit son cœur s’emballer, oscillant entre l’appréhension de ce nouvel essai de Magie, et le contact rapproché de cet homme honnis qui la troublait bien plus qu’elle n’osait se l’avouer.
- Que… qu’attendez-vous de moi ? balbutia-t-elle au sombre professeur derrière elle, tremblante entre ses mains.
- Pointez cette baguette sur le tableau accroché face à vous, et faites le geste… lui murmura-t-il à l’oreille.
Annily leva les yeux pour observer une toile immense uniformément noire, dont le portrait semblait avoir momentanément déserté les lieux – à l’instar de la majorité des tableaux accrochés aux murs, tous évacués de leurs occupants. L’apparence modeste et sobre de ces toiles dépourvues de peinture expliquaient probablement le fait que ce phénomène étrange avait initialement échappé à l’analyse observatrice de la jeune femme, à l’inverse de la myriades d’objets curieux qui s’agençaient dans un désordre sonore fort peu discret au sein du grand bureau circulaire. Loin de vouloir satisfaire sa curiosité quant à ce nouvel état de fait énigmatique, Annily préféra recentrer son attention sur la baguette qu’elle avait en main – et sur l’homme qui la cernait de toutes parts.
- Devrai-je également prononcer une formule magique qui accompagnerait le geste ? s’enquit-elle timidement.
- Vous n’avez rien de plus à dire. Concentrez-vous uniquement sur le fait que vous puissiez agir sur la matière même de cet objet ; cela suffira lorsque vous agiterez votre baguette. C’est là tout le principe de notre Magie élémentaire.
Au summum de son scepticisme, Annily rassembla néanmoins toute sa concentration sur la toile ainsi que sur l’objet magique qu’elle détenait, imaginant l’œuvre parée d’un cadre doré se scinder en plusieurs fragments. Toujours guidée par la main de Rogue, elle leva le bras, agita aléatoirement la baguette, dont l’extrémité dessina une arabesque incertaine dans l’atmosphère tendue de la pièce, puis attendit.
Rien…
Bien loin d’exploser, le tableau ne s’ébranla pas d’un millimètre ; il ne changea ni de taille ni de forme ni de couleur. Son propriétaire absent ne fut pas le moins du monde alerté par cet assaut illusoire et ne réapparut pas. A l’instar de la cible, la baguette demeura parfaitement inerte ; l’extrémité acajou n’émit pas le moindre rayon lumineux, ni même la plus petite étincelle. L’objet magique reposait dans sa main tel un vulgaire morceau de bois froid sans le moindre attrait. Se sentant parfaitement ridicule, Annily abaissa son bras. Elle se tourna alors vers Rogue et lui rendit la baguette.
- Êtes-vous enfin satisfait ? s’enquit-elle d’un air las. Vous voyez bien que je ne suis pas comme vous.
- C’est évident, reconnut Rogue d’une voix onctueuse. Vous n’êtes pas une Sorcière – ni même une Cracmolle – ; vous n’appartenez pas non plus à cette communauté moldue primitive. Vous êtes tout autre chose, et nous finirons bien par découvrir quoi…