Le cycle de la lune bleue

Chapitre 17 : Altercations

7331 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 11/05/2024 23:47

    Annily était bien loin d’imaginer qu’un tel poison, n’ayant circulé que peu de temps dans son organisme avant d’avoir été neutralisé, pouvait causer une aussi grande souffrance – à l’instar de l’intense douleur venimeuse infligée par le dard dérisoire d’une abeille. Les courbatures abominables qui suivirent persistèrent de manière lancinante pendant près de huit jours, ne lui laissant que très peu d’instants de répit, malgré les divers élixirs thérapeutiques dont on l’abreuvait quotidiennement. Durant tout ce temps, la jeune femme ne put quitter son lit – hormis pour les nécessités de sa toilette. Il lui était néanmoins vivement conseillé de redresser le buste en position semi-assise durant la journée, afin de rééduquer les muscles de son corps figés par le poison. Durant ces moments, l’infirmière demeurait à son chevet, l’aidant patiemment et consciencieusement à étirer ses membres endoloris dans de petits exercices journaliers, douloureux mais nécessaires. La jeune femme se livrait sans broncher à cette rééducation quotidienne, n’ayant rien d’autre à faire et ne souhaitant aucunement finir avec des séquelles parétiques.

    Lorsque Madame Pomfresh vaquait à ses habituelles occupations scolaires, Annily demeurait seule dans la vaste infirmerie, isolée dans l’un des lits aux draps immaculés derrière d’imposants paravents, à l’abri des regards. Ses prunelles se portaient alors par-delà les grandes baies vitrées, laissant vagabonder ses pensées sombres et lointaines drapées de mélancolie. Le carré de ciel qui se reflétait jour après jour dans ses iris bruns, dévoilait sans discontinuer la course lente des nuages, monotones et placides, qui frôlaient de leurs filaments célestes un fond bleu pâle empreint de quiétude, accompagnant dans leur voyage éthéré le vol des oiseaux au-dessus des jardins de Hogwarts encore verdoyants et fleuris pour ce début d’octobre. Derrière ces croisées, une multitude de vies évoluaient à l’air libre, insouciantes et indifférentes à son malheur. Cette liberté, dont Annily était privée depuis son réveil aux portes du Château, si proche derrière ces murs et pourtant inaccessible, l’appelait par ses couleurs, sa gaieté murmurante et sa beauté paisible. Mais la jeune femme demeurait là, enclavée dans son isolement et sa souffrance, depuis trop longtemps abandonnée et oubliée…

    Annily ne parvenait plus à endurer cette situation carcérale peuplée d’humiliations, de tourments et de désespoir. Depuis son arrivée – plus qu’indésirable – dans ce Monde qui n’était pas le sien, elle avait passé la majeure partie de son temps enfermée, sinon alitée, malade et brûlante de fièvre ou souffrant le martyr à la suite de blessures peu communes. Elle ne supportait plus cette extrême faiblesse qu’elle trahissait constamment devant ces Sorciers, dont elle ignorait quasiment tout et qui contestaient unanimement sa présence. La tristesse et le désarroi lui rongeaient le cœur chaque jour un peu plus. Perdue dans les méandres son passé, meurtrie au plus profond de son âme et de sa chair, elle accueillait sous la contrainte cette nouvelle vie qui lui avait été brutalement imposée parce que ses hôtes improvisés n’avaient finalement pas eu d’autre choix.

 

    Après plusieurs jours d’une convalescence ardue, Annily regagnait le dernier étage de la Tour Nord. Confinée derrière les hauts murs de pierres de Hogwarts, claustrée vingt-quatre heures sur vingt-quatre comme au premier jour, la jeune femme laissait les longues heures du jour fuir à travers la baie vitrée de la bibliothèque, sans tenter de les retenir ni même de les graver dans sa mémoire annihilée, tandis qu’elle perdait peu à peu les sentiments profonds de félicité et de plénitude que l’on éprouvait à vivre, oblitérant totalement le bonheur fondamental de sa propre existence… Car elle avait cessé d’exister aux yeux de ces êtres pourvus de pouvoirs magiques, qui persistaient à la renier en la reléguant chez l’homme le plus méprisant qu’il fût.

    Depuis son retour de l’infirmerie, Rogue n’avait pas daigné une seule fois prendre de ses nouvelles. Elle ne l’avait pas revu depuis le jour où il l’avait sauvée d’une mort certaine, lui épargnant des souffrances aux frontières de l’intolérable, la soignant avec une patience et une douceur inaccoutumées qui l’avaient troublée beaucoup plus qu’elle ne se l’était elle-même avoué. Mais cette attention n’avait pas duré. Elle n’avait pas non plus été désintéressée : dans le but de mener une enquête approfondie, il avait sans le moindre scrupule enfreint une partie de sa pudeur féminine, ignorant froidement le profond malaise de la jeune femme, dont le corps recouvert de lames de sang avait été éhontément exposé à son regard scrutateur. Il recherchait alors des traces corporelles, des indices gravés dans la chair, des éléments qui lui auraient permis de reconstituer certains des événements de la nuit dernière. Il avait examiné chaque plaie, chaque hématome, chaque parcelle de sa peau lésée dans ses moindres détails.

    La jeune femme rougit de honte à ce souvenir humiliant, tandis qu’un frisson hautement désagréable lui parcourait l’échine. Elle agrippa fébrilement la couverture sous laquelle elle était blottie, et la tira d’un coup sec jusqu’au-dessus de sa tête, créant temporairement une intimité illusoire. Sa vie tout entière lui avait été dérobée, balayée dans tourbillon de brumes immuables ; l’intégralité de ses souvenirs avait déserté son esprit, aujourd’hui dénué d’intérêt et de sens. Son corps était tout ce qui lui restait de précieux et d’intime… Rogue venait de lui voler son dernier bien, la dépouillant de sa pudeur en parfaite impunité. Il avait profité de son affaiblissement et de sa détresse pour la contraindre à lui dévoiler une partie de son corps, annihilant sa dignité de femme, sans se soucier de son avilissement et encore moins de son accord. Elle sentait encore ce regard noir et intense lui brûler la peau, abordant ses formes féminines comme s’il s’agissait d’un vulgaire morceau de viande fraîche dont il soupçonnait une quelconque anomalie infectieuse.

    Un nouveau frisson parcourut les épaules de la jeune femme, et se propagea, électrique, le long de sa colonne vertébrale. Mortifiée à ce souvenir qui souillait obsessionnellement sa pudeur, Annily se recroquevilla davantage sous la couverture et enlaça ses épaules de ses bras, baissant la tête pour y enfouir son visage et y noyer des larmes de rage. Bien que ses cicatrices ne la fissent plus autant souffrir, la honte d’avoir perdu une partie de son intimité, sous le regard impassible de cet homme, s’était âcrement incrustée dans sa peau.

A l’instar de cette étrange marque noire…

    Annily repensa soudain à ce symbole qu’elle arborait au niveau du bassin, et dont elle ignorait encore l’existence jusqu’à ce que Rogue inspectât son corps au millimètre… Comment ne l’avait-elle jamais remarqué ? Depuis quand cette esquisse ombrait-elle sa peau ? La jeune femme avait-elle succombé aux attraits de l’art subtil du tatouage durant sa jeunesse ou portait-elle cette marque depuis sa naissance ? Elle ignorait encore tellement de choses… Machinalement, sa main souleva sa chemise de nuit et remonta jusqu’à sa hanche, le bout de ses doigts effleurant le dessin jusqu’alors ignoré. A quoi ressemblait-il exactement ? La curiosité l’emportant, la jeune femme écarta la couverture et observa le petit symbole ; cette calligraphie complexe ne lui rappelait rien, pourtant Annily se sentit étrangement attirée par la beauté de ses volutes et ses contours rappelant une goutte d’eau inversée.

    Une clé tourna dans la serrure ; Annily se redressa en sursaut, camoufla vivement la moindre parcelle de peau sous le tissu et remonta la couverture jusqu’à sa gorge bandée. La porte s’ouvrit sur Rogue, sa silhouette sombre se découpant dans la lumière blafarde du couloir. L’homme s’avança dans la pièce d’un pas rapide, le visage inexpressif. Déposant brièvement une pile de linge sur le dossier du canapé, il se planta sans préambule devant la jeune femme et la dévisagea un instant, avant de lui présenter une fiole, qui contenait un liquide opaque. Annily la jaugea avec la plus grande méfiance.

    - Qu’est-ce que c’est ?

    - Votre remède, Mademoiselle, répondit-il de sa voix doucereuse.

    - Non, certainement pas, déclina-t-elle sèchement, humiliée et en colère. Je refuse de boire la moindre de vos mixtures. Je n’ai aucune confiance en vous !

    - C’est pourtant ce que vous avez avalé chaque matin à heure fixe et sous haute vigilance depuis que vous avez quitté l’infirmerie, rétorqua-t-il dans un murmure, et vous ne paraissez pas avoir succombé à ce traitement.

    - Mais ! comment…

    - Croyiez-vous donc réellement n’avoir bu qu’un simple jus de citrouille pour vos petits-déjeuners ? la coupa le professeur dans une inflexion jubilatoire.

    Annily ouvrit de grands yeux horrifiés, ce à quoi Rogue opposa un affreux rictus empli de malveillance. Duper sa confiance en trompant sa vigilance semblait avoir un effet vicieusement délectable chez cet homme.

    - Mais alors… les Elfes qui m’apportaient mon petit-déjeuner étaient au courant ?! s’exclama-t-elle.

    - Evidemment, répondit-il tranquillement, puisqu’ils agissaient selon mes ordres.

    - Qu’est-ce que j’ai bu ?!

    Ignorant délibérément sa question, Rogue lui tendit impérieusement le flacon, ainsi qu’un habit noir uni.

    - Vous allez prendre cette potion, puis vous mettrez cette nouvelle robe de Sorcier, intima-t-il. Le Directeur souhaite vous voir aussitôt que vous serez apprêtée.

    - JE VEUX SAVOIR CE QUE J’AI BU !! hurla-t-elle, la rage au ventre.

    D’un revers de main, elle tenta d’éjecter la fiole de la poigne de Rogue, mais l’homme fut plus rapide et la retira promptement de sa trajectoire. Plissant les yeux jusqu’à les réduire en deux fines meurtrières, il fondit subitement sur elle, la saisit par les épaules, la redressa avec rudesse et la plaqua fermement contre le dossier, faisant fi de son aversion et de sa stupeur. Les doigts de l’homme ravivaient cruellement la douleur de ses contusions, mais la jeune femme était bien trop saisie pour réagir. Immobilisée dans un étau, les yeux écarquillés, elle observa Rogue se pencher dangereusement au-dessus d’elle pour emplir l’intégralité de son champ de vision, se rapprochant si près que son visage livide de rage touchait presque le sien.

    - Je ne permets à personne de s’adresser à moi sur ce ton, lui murmura-t-il très lentement, son regard noir la transperçant comme un tisonnier. Si ce n’est toujours pas clair dans votre esprit restrictif, je ferai en sorte que vous vous en souveniez durablement !

    Rogue relâcha brusquement la jeune femme et la défia intensément du regard, foudroyant instantanément les prémisses d’une virulente révolte. Ebranlée dans sa véhémence, le dos collé au canapé, Annily tentait de se soustraire au regard inquisiteur de son geôlier, tout en massant ses bras endoloris. Le ton dangereusement bas du professeur dissuadait toujours efficacement les tentatives de rébellion, étouffant dans l’œuf la fureur de la jeune femme. Le souffle court, Annily serrait les dents ; ses pensées bouillonnaient d’une rage difficilement contenue tandis que sa cuisante humiliation atteignait un pallié supérieur.

    - Il est certain que votre vie m’importe peu, appuya l’homme avec morgue. Cet élixir n’a aucunement pour objectif primaire la guérison triviale de votre organisme – le rétablissement de votre insignifiante petite personne demeure bien le cadet de mes préoccupations actuelles. Vous maintenir en vie vise une tout autre ambition : le recueil imminent de votre témoignage. Nous ne pouvons permettre la perte d’informations cruciales, telles que celles acquise lors de votre escapade nocturne ; elles justifient bien davantage le fait de vous avoir sauvé la mise, veillée puis soignée durant ces derniers jours, exactement comme je m’apprêtais à le faire avec cette potion – une préparation que vous ingurgitez à votre insu depuis plusieurs matins déjà.

    La fiole était de nouveau à portée de sa main. Détournant le regard, Annily crispa ses doigts sur l’étoffe d’un coussin, tentant de canaliser son trouble et sa fureur. Le violent tremblement de ses mains envoyait des vibrations spastiques le long de ses bras, tandis qu’une boule cuisante enserrait sa gorge, bloquant momentanément toute capacité de discernement. Son humiliation semblait avoir atteint son paroxysme, et la jeune femme usait de toute son énergie pour endiguer ses larmes.

    Rogue n’avait pas bougé d’un millimètre. La proximité indécente de son hôte engendrait sur le psychisme de la jeune femme une profonde confusion teintée d’effroi. Elle était certaine que l’homme qui lui faisait face pouvait aisément percevoir les battements effrénés de son cœur – et s’en délecter.

Alors elle capitula.

Refusant d’affronter le regard du professeur, elle se saisit de la fiole d’un geste brusque, la lui arrachant des mains pour lui témoigner sa répugnance et tenter de se défaire de son emprise psychique. Satisfait, le Maître des Potions se redressa lentement et recula d’un pas, les bras croisés, attendant que la jeune femme s’exécute. Mais Annily ne pouvait se résoudre à coopérer. Bien que Rogue eût su se faire craindre avec une facilité déconcertante, l’idée d’incorporer ce mélange incertain à son organisme déjà hautement malmené l’effrayait bien davantage. Harponnant l’iris dément de l’homme avec davantage de détermination, elle déposa lentement le flacon inentamé sur un coussin, plaça ses mains sur ses genoux et déclara d’une voix étonnamment calme :

    - Je ne boirai pas une goutte de ce mélange tant que vous ne m’aurez pas expliqué de quoi il s’agit. Quelle personne saine d’esprit accepterait d’ingurgiter une substance inconnue, préparée spécifiquement par un étranger qui l’avilit au moindre prétexte, la méprise sans vergogne, et qui de surcroit la retient prisonnière ? Etant donné les circonstances, je ne sais pas comment vous avez pu songer un seul instant pouvoir me faire accepter quoi que ce soit venant de vous. Votre haine envers moi est si manifeste, que vous m’avez crue bien naïve pour avoir osé espérer la moindre coopération de ma part !

    Les traits du professeur se figèrent dans une expression redoutable, tandis que sa main plongeait presque instantanément vers sa baguette dissimulée sous sa robe – un réflexe qu’il savait pourtant vain en ces circonstances. Jamais personne encore ne s’était opposé à lui de la sorte depuis qu’il avait intégré le corps enseignant de Hogwarts ! Annily ne remarqua pas son geste ; elle nota cependant cette lueur démente qui brilla dangereusement au fond des prunelles fuligineuses braquées sur elle. Demeurant sur ses gardes, elle attendit en silence la sentence imminente de son geôlier, refusant néanmoins de laisser ses craintes paralyser sa résolution dans sa lutte pour sa survie. Rogue retrouva rapidement un teint de cire dénué de sentiments.

    - Vous vous aventurez sur un terrain extrêmement glissant, Mademoiselle, si vous pensez être en mesure de me tenir tête. Vous mettez de surcroit votre santé en péril et compromettez dangereusement cette sécurité précaire qui vous est offerte en ces murs.

    Annily avait parfaitement conscience de l’enjeu qui se jouait en cet instant ; à l’instar de sa sûreté et sa prise en charge dans ce Monde, le bon déroulement de sa convalescence dépendait intégralement du bon-vouloir de ces Sorciers – et de cet homme en particulier. Une dualité intérieure la tiraillait, engageant incontournablement le choix primaire mais non moins complexe entre la préservation de sa santé corrélée à l’assurance de sa sécurité, et la défense de sa liberté – déjà fortement compromise entre ces murs. La garantie de son rétablissement et sa quiétude en ce Monde imposait provisoirement le sacrifice partiel de son confort moral et de son libre-arbitre. Néanmoins la jeune femme ne parvenait toujours pas à se résoudre à prendre cette fiole ; ses craintes étaient encore bien trop vives.

    - Pourquoi refusez-vous donc de me répondre ? tenta-t-elle en désespoir de cause. Quel est votre intérêt de me laisser dans l’ignorance ? Vous-même venez d’admettre attendre quelque chose de ma part ; pourquoi ne pas simplement m’expliquer ce qu’il en est, si vous tenez tant à ce que je coopère ? S’il vous plait… Dites-moi ce qu’il y a dans cette bouteille, et j’accepterai de boire son contenu, de me soigner sans discuter, et de répondre à tout ce que vous voudrez savoir.

    Rogue la jaugea un long moment du regard, à travers deux lacs sans fond dénués de la moindre lueur.

    - Très bien, concéda-t-il enfin, glacial. Il s’agit d’un élixir prescrit systématiquement après l’administration d’un contrepoison, quel qu’il soit. Un simple antidote à un empoisonnement par une Créature magique demeure insuffisant, car les effets du poison, neutralisé après quelques heures d’action, entraînent sur l’organisme des conséquences secondaires pour le moins étonnantes, mais non moins fort intéressantes… Vous auriez très rapidement pu vous en rendre compte si vous n’aviez pas accepté votre jus de citrouille ces derniers jours.

    - Il me semble, intervint Annily avec une pointe de cynisme dans la voix, que l’état déplorable de mes muscles et de ma voix, étaient une preuve suffisante de la gravité des effets de ce poison. Je ne vois pas comment mes lésions auraient pu être plus importantes.

    - Vous croyez ! répliqua-t-il, cinglant. Vous croyez réellement que sans ce remède complémentaire, vous contentant uniquement du contrepoison, vous auriez pu vous en sortir sans autre dommage qu’une voix éraillée et des courbatures ! Vous êtes une petite idiote, de surcroît doublée d’une intrigante, qui a la prétention de s’accorder beaucoup trop d’importance, alors que vous manquez totalement d’expérience et de discernement. Votre incroyable sottise a déjà failli vous coûter la vie !

    - Mais…

    - Sachez que vous n’êtes pas retenue ainsi enfermée dans ce Château pour le simple plaisir de vous garder auprès de nous, mais pour vous préserver des multiples dangers de notre Monde. Votre passé, ajouta-t-il en se rapprochant insensiblement d’elle, a déserté votre esprit en vous abandonnant pitoyablement ici ! Mais vous n’y êtes pas à votre place, alors cessez de vous prendre ainsi au sérieux, et faites ce que l’on vous dit, une fois pour toute !

    L’apparente conciliation de Rogue venait de se fracasser en des milliers de fragments, à l’instar de sa patience déjà fortement limitée. Les prémisses du dialogue étaient coagulées, sans avoir eu la moindre chance préalable d’ancrer de réelles fondations d’échanges. Annily s’était montrée bien naïve… Jamais elle n’aurait l’opportunité, aussi infime fût-elle, d’amorcer une discussion simple et posée avec son hôte, pas même sur le plus insignifiant des sujets ; il était donc bien illusoire de l’envisager quand une situation les mettait en opposition, ce qui était continuellement le cas. Le professeur venait de clore le débat, ponctuant ses objurgations d’un regard chargé de haine, qui se déversa lourdement dans l’âme sensible de la jeune femme. Une fois de plus, des larmes cuisantes enduites d’amertume et de rage affluèrent dangereusement sous ses paupières, tandis que la boule d’humiliation devenue si familière lui enserrait douloureusement la gorge. Comment cet homme se permettait-il de la traiter avec autant de virulence ?! Comment pouvait-il se montrer à ce point dénué de compassion et d’indulgence, alors qu’elle venait de subir d’innommables souffrances juste après avoir frôlé la mort dans d’effroyables circonstances ? Comment osait-il sciemment ignorer son traumatisme et sa détresse ? Ce mépris combiné à un manque total d’empathie venait de surpasser son seuil de résilience. C’était même bien au-delà de ce que la jeune femme était capable d’endurer, chaque assaut verbal ayant minutieusement brisé la sensibilité candide de son âme. Jusqu’alors incapable de riposter, elle s’était retranchée derrière sa stupéfaction engluée d’effroi, son errance psychique et sa grande faiblesse ne lui ayant pas permis d’exprimer la fougue de sa sédition latente.

Jusqu’à cet instant.

En l’espace de quelques secondes, sa crise de larmes, sur le point d’exploser à la face de Rogue, se mua en une colère incontrôlable, qui parcourut l’ensemble de ses muscles à la vitesse d’un courant électrique, avant de venir se concentrer dans la paume de sa main, brûlante, dévastatrice. L’envie de lui administrer une gifle magistrale fut si puissante, qu’elle dut fournir un effort surhumain pour ne pas céder à cette violence qui ne paraissait pas lui ressembler. Bouillonnant intérieurement, elle sentit ses ongles s’enfoncer dans sa paume pour contrôler le tremblement qui s’était emparé de son bras. Ses pensées défilèrent à toute vitesse. Si elle levait la main sur son hôte, la réaction de celui-ci garantissait à coup sûr une riposte disproportionnée. Il était de loin le plus fort. Elle ne tenait aucunement à mener un affront physique contre l’homme qui lui faisait face, craignant davantage de découvrir la brutalité dont il pouvait faire preuve en guise de représailles. Sa colère était en train de livrer bataille contre sa raison, l’une souhaitant ardemment exploser tandis que l’autre demeurait enclavée sous l’intimidation et le joug de Rogue. La seconde finit néanmoins par l’emporter, la jeune femme étant fatalement consciente de son infériorité physique et intellectuelle. Elle n’était pas de taille à l’affronter. L’homme parvenait encore aisément à maintenir son emprise, dardant sur elle un regard comminatoire au milieu d’un visage livide à quelques centimètres du sien.

    Annily se leva brusquement, manquant de percuter la tête de Rogue, et contourna le canapé afin d’établir une certaine distance entre elle et son sujet de contrariété. Elle devait canaliser sa colère et rapidement masquer les traits de sa fureur ; elle ne tenait nullement à lui offrir la satisfaction supplémentaire de la voir succomber sous la pression qu’elle subissait depuis des semaines. La jeune femme se réfugia du côté de la baie vitrée, plongeant son regard embué par-delà les prairies verdoyantes du Château. Ses pensées s’échappèrent un instant, lui permettant d’évacuer en partie ces sentiments instables qui l’étouffaient. Tournant obstinément le dos à Rogue, elle ne l’avait pas vu avancer de quelques pas dans sa direction, puis s’immobiliser, pensif, sa main pâle posée machinalement sur le dossier du fauteuil. Elle n’avait pas vu que la haine du Maître des Potions avait fugacement quitté l’iris obscur, tandis qu’un sourcil perplexe s’était subrepticement hasardé au sommet de son front. Mais elle devinait son regard scrutateur appliqué entre ses omoplates, tel un rayon laser accrochant sa cible avant l’ultime coup de feu. Annily s’obligea à rester face à la baie vitrée, inondant son visage de la lumière du jour, absorbant un peu de la chaleur du soleil pour en faire une force. Elle ne voulait à aucun prix croiser les yeux du professeur ; outre l’humiliation cuisante et la colère qui la rongeaient simultanément, elle doutait d’être capable de garder le contrôle d’elle-même face à lui. Comment parvenait-il à l’impressionner si aisément, usant de son ascendant avec insensibilité et morgue, sans vergogne ni limites, la saturant d’offenses sans en être le moins du monde ébranlé ? Comment s’y prenait-il pour la réduire au silence d’un simple regard, fielleux et austère, sans même élever la voix ? Annily poussa un long soupir silencieux. Les tremblements de ses bras s’estompaient peu à peu, tandis que sa respiration retrouvait un rythme plus discret. Et c’est d’un ton qu’elle voulut dégagé qu’elle s’adressa finalement à lui, sans daigner se retourner :

    - Et qu’est-ce que j’ignore ? Jusqu’à quel point ai-je sous-estimé les effets secondaires de ce poison, une méconnaissance d’autant plus importante qu’elle semble justifier votre initiative sournoise habilement menée à mon insu ?

    Toujours sur ses gardes, Annily attendait l’explication sans trop y croire, le regard toujours figé sur les prés alentours.

    - Votre corps, répondit lentement la voix suave dans son dos, a seulement subi les premiers effets délétères du poison. Toute autre substance toxique n’aurait pas eu de conséquences plus graves – sauf, bien sûr, celles qui tuent en quelques minutes. Mais le Poison de Laädehn possède des propriétés autrement plus dramatiques, et dont vous ignorez tout !

    - Vous voulez dire que ce que j’ai souffert…

    - N’était rien en comparaison de ce que vous auriez pu subir… sans cet élixir que vous refusez à présent de boire !

    Annily ne savait plus quoi en penser. Elle se retourna lentement vers lui, indécise et toujours profondément septique. Tout lui paraissait excessivement exagéré. Devant l’expression dubitative qu’affichait le visage de la jeune femme, Rogue ajouta :

    - Vous n’êtes pas sans ignorer qu’un poison se révèle bien souvent mortel, s’il n’est pas rapidement neutralisé. A contrario, lorsque l’antidote spécifique est absorbé dans les temps, permettant l’annihilation de la substance toxique et son élimination complète de votre organisme, les symptômes s’atténuent progressivement jusqu’à disparaître, généralement sans grandes séquelles. Mais le Poison de Laädehn, issu des griffes d’acier d’une créature démoniaque, demeure hautement plus redoutable et dommageable sur bien des points. Dès les premiers contacts avec le sang de sa victime, le substrat se dématérialise en de multiples molécules à pouvoirs pathogènes distincts, chacun des groupements moléculaires possédant une action délétère spécifique selon la nature et la fonction de l’organe-cible. Ces toxines hautement néfastes sillonnent alors vos veines pour envahir l’intégralité de votre organisme en l’espace de quelques minutes, s’incorporant progressivement au génome cellulaire de vos organes, engendrant inéluctablement les atteintes métaboliques respectives telles que je vous les ai précisément décrites à l’infirmerie – conséquences désastreuses dont vous avez eu l‘opportunité funeste de ressentir les premiers effets. La puissance de ce poison est telle, qu’il ne vous fait passer de vie à trépas qu'après de longues et abominables semaines d’agonie, occasionnant des souffrances dont vous ne pouvez pas même imaginer l’impact ! Des souffrances proches du Doloris…

    Rogue marqua un temps d’arrêt, observant la réaction de la jeune femme face à l’évocation de ce terrible sortilège. Il se doutait néanmoins qu’Annily, ignorant tout des trois Sorts Impardonnables, ne pouvait donc pas en faire la comparaison. Sachant pertinemment que la mise en avant des pratiques magiques n’aurait que peu d’impact sur elle du fait de sa méconnaissance du Monde Sorcier, le professeur s’était davantage centré sur une explication scientifique plus abordable pour un cerveau aux basses pensées rationnelles. Sa description précise de l’action délétère du Poison de Laädehn était sciemment détaillée tel un exposé doctoral enrichi par une avalanche d’informations, afin de dérouter l’insistance arrogante de la jeune femme, tout en attisant son égarement et sa frayeur.

    - Vos souffrances, poursuivit-il sur le ton de l’enseignement, étaient les prémisses de ce qui vous attendait. Ce poison possède ainsi divers degrés d’actions ciblées afin d’incorporer et de ravager l’ensemble de vos organes ; les groupements moléculaires du substrat initial se régénèrent à l’infini par le biais de votre génome afin de poursuivre leur progression délétère sur différents niveaux de lenteur, s’attaquant ainsi à chaque partie de votre corps en les rendant d’abord douloureuses jusqu’à l’insupportable, puis irrémédiablement inactives par destruction latente. Il ne s’agissait donc pas seulement d’arrêter la progression du poison dans vos vaisseaux, mais de restaurer l’empreinte génomique d’origine et d’inhiber les mécanismes morbides que les toxines avaient engendrés dans chacune de vos cellules. Aussi ai-je du fabriquer un remède capable de rétablir vos fonctions métaboliques en un temps limité. Le taxol que j’y ai intégré, a la propriété de…

    - Du taxol ? intervint spontanément Annily, brusquement interloquée. Un antitumoral ? Mais pourquoi… ?

    - Comment pouvez-vous prétendre un tel savoir ? la coupa Rogue, visiblement surpris.

    La jeune femme demeura quelques secondes muette de stupeur.

    - Je ne sais pas… finit-elle par répondre, elle-même étonnée par cette soudaine connaissance surgie inopinément des méandres de sa mémoire. C’est… je sais ce qu’est le taxol, sans me rappeler la manière dont je l’ai acquis…

    - Et quelles autres notions scientifiques pouvez-vous vanter l’exploitation et la maitrise ?

    Annily haussa les épaules en secouant la tête.

    - Je ne sais pas, répéta-elle. Vous me prenez de cours…

    - Soit, nous verrons cela une autre fois, abrégea-il rudement. De toute évidence, les multiples facettes qui parcheminent votre esprit, semblent receler de fort surprenantes… qualités, insidieusement dissimulées. Le taxol est effectivement une substance antitumorale, mais elle ne se résume pas uniquement à cela. Sa puissante capacité de régénération cellulaire, coalisée à la reformulation du génome originel, induit progressivement la restauration des fonctions métaboliques altérées, dans la mesure où la destruction des unités organiques n’a pas outrepassé le stade irréversible.

    - Si ce que vous dites est vrai, pourquoi ai-je enduré tant de souffrances durant ma convalescence ?

    - Nul n’a prétendu que le taxol disposait de propriétés antalgiques associées. Il est en revanche le seul capable de vous soigner définitivement… si le mélange que j’ai apprêté à votre intention est pris de manière extrêmement rigoureuse ! Sans quoi, votre traitement inachevé aura été parfaitement inutile ; il vous suffit de manquer une seule administration journalière en la différant de quelques heures seulement, pour que les toxines encore présentes dans vos cellules réactivent chacun des mécanismes délétères précédemment décrits. Ne songez pas niaisement que le renouvellement thérapeutique préalablement administré suffirait à réinitialiser le processus de convalescence interrompu ; en l’espace d’une demi-journée, les toxines auront alors développé une puissante résistance réduisant à néant l’efficacité de votre traitement actuel. Leurs effets destructeurs réenclencheraient ensuite chacune des actions délétères à une vitesse dix fois supérieure à la progression métabolique initiale. Je n’aurais alors pas assez de temps pour confectionner un nouvel antidote adapté au pouvoir pathogène remanié du poison. A présent que vous voilà pleinement informée, libre à vous de choisir : boire dès l’or cette potion que j’ai moi-même composée, ou bien laisser le poison poursuivre son œuvre et vous entrainer lentement vers la mort précédée d’atroces souffrances. Votre temps de décision vous est compté ; passé le délai d’administration restreint de cet élixir, vous n’aurez plus aucune chance d’en réchapper.

    Annily le fixa longuement, sonnée par cette avalanche de précisions pointant crûment le péril mortel qui la menaçait, mais non moins stupéfaite d’avoir compris l’intégralité de cette explication complexe savamment étayée – connaissances scientifiques qu’elle n’était absolument pas en mesure de justifier, à l’instar du taxol. Rogue s’en doutait-il, légitimant ainsi le développement d’un tel exposé ? Avait-il sciemment exagéré les risques encourus en l’abreuvant de détails afin de la manipuler plus aisément, ou était-elle réellement en danger de mort imminente sans cette fiole ? La jeune femme demeurait partagée entre sa défiance dont elle ne parvenait pas à se défaire, et la crainte d’aggraver irrémédiablement son état de santé si elle s’obstinait dans le refus de poursuivre le traitement initié à son insu. Baissant les yeux vers la petite fiole posée à côté d’elle, elle tendit une main hésitante et s’empara du flacon, la froideur du verre lui procurant instantanément un incontrôlable frisson le long du bras. Sentant le regard de Rogue lui brûler le lobe frontal, elle plongea le sien dans le liquide opaque qui se mouvait doucement au rythme des balancements nerveux de sa main.

    - Pourquoi avoir pris le soin de dissimuler cette potion dans un jus, pour finalement la dévoiler aujourd’hui et prendre le risque que je vous oppose un refus ? demanda-t-elle en désespoir de cause.

    - Cette fiole-ci contient un élément supplémentaire nécessaire au déroulement chronologique de votre convalescence. Je me dispenserai de renouveler l’exposé scientifique concernant la molécule ajoutée ; si mon explication première ne parvient pas à convaincre votre esprit limité par la défiance et le manque de jugeote, je ne m’évertuerai pas une seconde fois à user de mon précieux temps pour tenter de sauver votre piètre petite personne. Sachez seulement ceci et gardez rigoureusement cette information dans un coin de votre tête : cette potion ne doit en aucun cas être assimilée à un aliment ; elle nécessite une administration quotidienne à jeun et à heure fixe, dès à présent et durant dix-huit jours précisément. Je tenais à m’assurer en personne de votre docilité – que je sais être particulièrement précaire – afin de réaliser une observance médicale des plus strictes. Si votre coopération pose problème, ne vous attendez pas à ce que je prenne la peine de vous attacher pour vous contraindre à prendre ce traitement ; l’issue fatale d’un tel comportement me satisferait bien davantage.

    La jeune femme ravala la remarque acerbe qui lui brûlait la langue ; elle connaissait pertinemment la défaite cuisante qui la guettait si elle initiait une joute verbale l’opposant au cynique professeur. Elle n’ignorait pas non plus le désir ardent de l’homme à la voir disparaître, tant de sa vue et de sa responsabilité que de leur Monde clandestin.

D’une manière ou d’une autre.

Serrant les dents, elle tenta de canaliser sa colère en concentrant ses réflexions sur la situation profondément déstabilisante du moment. D’après Rogue, il ne lui restait que peu de temps pour prendre une décision. Elle sentait néanmoins qu’elle n’avait plus vraiment le choix. Dans un soupir nourri de répugnance, elle ôta le bouchon de ses doigts hésitants et porta le goulot à ses lèvres, ingurgitant le liquide d’une traite jusqu’à ce qu’il n’en restât goutte. Le goût en était infect ! Noyé dans du jus de citrouille, le breuvage thérapeutique était passé totalement inaperçu. L’ingrédient supplémentaire devait certainement en renforcer l’amertume, que le Maitre des Potions n’avait nullement cherché à atténuer.

    Rogue ne rajouta pas un mot ; il était parvenu à ses fins. Rangeant la fiole à présent vidée de son contenu dans l’une des poches de sa robe, il se contenta de prendre le premier vêtement de la pile qu’il avait apportée et intima à Annily de s’en vêtir, lui faisant sarcastiquement remarquer que sa chemise de nuit était fort peu convenable et nullement appropriée pour son entrevue avec le Directeur. La jeune femme se saisit de la robe de Sorcier et la déplia ; elle était semblable à celle qu’elle portait cette nuit-là, dans la Forêt Interdite. Indécise quant à ce qui allait suivre, elle tritura nerveusement le tissu, encore troublée par ce qui venait de se passer.

    - Envisagez-vous réellement de rester là à me regarder pendant que je change de tenue ? lança-t-elle soudain à Rogue d’une voix presque hystérique. Tenez-vous vraiment à surveiller tous mes faits et gestes, vous assurant ainsi que je suive à la lettre la moindre de vos injonctions ? Ne pensez-vous pas en avoir déjà assez vu l’autre jour ?

    Sa voix venait d’arrimer l’octave supérieure. Son agressivité soudaine et son irrépressible nervosité dénotaient un profond mal-être trop longtemps réprimé, conjuguant l’effroyable traumatisme de son attaque nocturne, les terribles souffrances physiques inlassablement endurées, et les humiliations vindicatives accumulées dans une enclave ferrée de malveillance. Liée à la lassitude et au désespoir, sa rancœur venait d’atteindre son paroxysme, ravageant tout sur son passage. Annily ne put réprimer le flot de paroles qui se déversait à présent tel un torrent de démence foudroyante.

    - Les entraves physiques et vos potions douteuses seront-elles suffisantes pour vous permettre de venir à bout de ma personne ? Faut-il vous céder de gré ou de force mon corps et mon âme pour que vous puissiez les explorer à l’infini, jusqu’à l’outrage ultime ? Y a-t-il une chance infime pour que je réchappe à vos geôles sous l’emprise de votre ignoble pouvoir pervers et sadique ?

    La sombre silhouette de Rogue se figea dans une posture alarmante cristallisée par la fureur. Imprégnant l’atmosphère d’ondes malsaines chargées d’une hostilité redoutable, l’homme parut soudain aspirer la moindre particule diaphane à proximité, assombrissant la pièce d’un éclat crépusculaire. Ses traits cadavériques se déformèrent jusqu’à rendre son visage hideux parcheminé de sillons fuligineux. Aussi effroyable qu’un spectre, le Maître des Potions glissa jusqu’à la jeune femme furibonde, qui par instinct recula de quelques pas, les yeux soudainement agrandis d’effroi, les joues devenues aussi cramoisies que les pétales d’une Amaryllis. Réduisant ses orbes en deux fentes incandescentes, l’homme soutint le regard de la jeune impudente qui avait osé le défier avec une témérité insolente. Puis tel un ressort, la main de Rogue surgit brusquement de sous ses robes et empoigna le bras d’Annily, qui laissa échapper un glapissement de surprise. La tirant brutalement en avant, il lui agrippa rudement le devant de la chemise de nuit et la maintint face à lui dans un étau de fer, à quelques centimètres de son visage blafard déformé par la haine. Terrifiée, Annily se débattit comme une furie, sans parvenir à lui faire lâcher prise. Immuable dans sa fureur, Rogue raffermit sa poigne et lui harponna violemment l’encolure, figeant sa proie dans une étreinte féroce et brutale. Propulsé au summum de sa démence, il resserra abruptement ses doigts sur le bras enferré, cercla la jeune femme entre ses mains puissantes et lui asséna une violente secousse. A moitié étranglée, terrorisée, Annily sentit ses talons décoller du sol, tandis que le souffle chaud du professeur écumait juste au-dessus de sa tête. Rehaussant ainsi le visage effarouché à la hauteur du sien, l’homme desserra les lèvres dans un souffle rauque.

    - Qu’avez-vous dit ? demanda-t-il lentement dans un murmure terrifiant. Qu’êtes-vous en train d’insinuer, pauvre petite idiote ?

    Annily ne répondit pas, interdite. Réalisant l’énormité de ses allusions accusatrices, elle se cramponna à la main qui enferrait son col et tenta une nouvelle fois de se libérer, se tortillant et tirant désespérément en arrière dans un craquement de tissu sinistre, tandis que les ongles de l’homme marquaient impitoyablement sa chair meurtrie. Aussi brusquement qu’il s’était saisi d’elle, Rogue lâcha sa prise et la jeune femme tomba en arrière, sonnée par ce violent rapport de force. Le souffle court, la mine déconfite ravagée de larmes et l’échancrure en lambeau, elle se releva à la hâte, attrapa le reste de ses affaires et se précipita dans la salle d’eau, claquant la porte derrière elle.


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