Dollhouse
L’air dans la pièce était électrique, rempli d’une tension aussi lourde que menaçante pesant sur nos quatre esprits embués d’alcool et celui, apparemment déconnecté de toute réalité, de Granger. Le regard azuré de mon frère était fixé sur celle qui venait de renverser l’intégralité de ma stabilité mentale de quelques mots insensés avec une intensité intimidante. Il semblait pouvoir être à la fois sur le point de s’emporter dans une rage rouge, tout comme il semblait pouvoir faire preuve d’un calme d’une puissance démesurée face à la situation qu’elle nous amenait là.
Les yeux de mon frère la transcendaient de leur lucidité à laquelle elle ne pouvait échapper, et tous les nôtres étaient rivés sur lui, pendus à ses lèvres dessinées par les anges les plus doués.
- Quel est votre plan ? demanda-t-il alors de but en blanc, sa question écrasant toute l’apesanteur de la pièce en ne laissant qu’une légère brise pour parvenir à inspirer un peu d’air.
Je tournais le regard vers celle qui venait de faire la bêtise de sa vie. De la mienne. De la nôtre à tous, en réalité. Elle avait l’air profondément intimidée, se tenant toute recourbée sur elle-même sur le canapé aux côtés de Blaise, comme si elle essayait de se faire aussi petite qu’il lui en était humainement possible. Ma colère continuait de vibrer dans mes veines, agitant mon sang et le faisant pulser aux extrémités de mon corps sans ne parvenir à trouver d’échappatoire. Ses yeux demeuraient rouges, et je pouvais lire les traces des larmes qu’elle avait pleurées par ma réaction sur ses joues. Elle baissa le regard un instant et humidifia le bout de ses lèvres, inspirant profondément le peu d’air que Theodore lui laissait sous nos yeux imperturbables. Elle avait devant elle les quatre Serpentard les plus dangereux de notre génération, et cela se sentait dans le comportement mesuré, presque timide, qu’elle abordait là et qui lui ressemblait d’ordinaire si peu. Je tentais à mon tour de faire parvenir un peu d’oxygène à mon cerveau pour laisser un semblant de place aux mots qu’elle s’apprêtait à prononcer.
- Nous avons rejoint les Quartiers Généraux de l’Ordre du Phoenix, c’est une maison dans un coin reculé à côté de Londres, commença-t-elle d’une voix basse qu’elle voulait aussi non tremblante que possible.
Je notais que chacun des mots qu’elle prononçait activait violemment les battements de mon cœur, comme si ce dernier s’emportait à chaque fois qu’elle déniait parler. J’inspirai profondément une nouvelle fois, cherchant avec autant de bonne foi que je le pouvais d’écouter ce qu’elle avait à dire, ne serait-ce que pour pouvoir y répondre de façon adaptée.
- Nous y sommes seuls tous les trois, les autres membres sont dispersés ici et là en Angleterre, continua-t-elle doucement. Nous n’avons pas encore élaboré de plan précis particulier, outre le fait qu’il est temps pour nous de rejoindre la bataille. Comme je vous l’avais déjà dit lors de notre réunion, l’Ordre cherche aussi à recruter pour ses propres rangs. Notre but premier est de parvenir à défendre le plus de villages, villes et habitants possibles que les forces des Ténèbres menacent afin d’essuyer le moins de victimes possibles dans cet avant-guerre qui est déjà beaucoup trop violent, et beaucoup trop meurtrier.
Elle trouva le courage de relever le regard vers nous. Vers Theodore en particulier, à qui elle semblait avoir choisi de s’adresser.
- Il y a déjà eu trop de victimes, on ne peut plus rester sans rien faire, déclara-t-elle gravement. Nous ne servons à rien à Poudlard, alors que comme vous, nous avons des capacités qui peuvent servir à sauver des vies. Tous ces moldus, toutes ces personnes qui n’ont pas la moindre chance de se défendre face à vous, il faut les aider, elles-aussi. Et nous sommes tous les trois d’accord, on ne peut plus rester sans rien faire. Pour nous aussi, il est temps de rejoindre la bataille et de faire ce qu’on peut, à la hauteur de ce qu’on peut, pour aider ces pauvres innocents à avoir ne serait-ce que la moindre chance de survie.
Elle marqua là une pause, son regard ambré rougi retrouvant un peu de répit sur le sol avant de reprendre avec une inspiration discrète que je notai pourtant tout de même :
- L’Ordre cherche principalement à pouvoir limiter les dégâts et sauver un maximum de vies. Il cherche à déterminer la stratégie derrière vos rixes afin de pouvoir y intervenir aux côtés du Ministère de la Magie, et potentiellement prochainement aux côtés de l’armée moldue avec qui nous sommes désormais entrés en contact. C’est un rôle de défense, nous apprit-elle alors. Nous ne sommes pas encore de taille pour passer à l’offensive et vous traquer, c’est le rôle des Aurors et ils sont déjà débordés à essayer de pouvoir se rendre sur les différents et éparses lieux de vos attaques…, soupira-t-elle avec regret. Notre alliance tient toujours, et les promesses que je vous ai faites aussi, tenta-t-elle de nous apaiser alors. Rien de tout cela ne change, nous continuerons de travailler main dans la main pour parvenir à vaincre Voldemort. Comme nous l’avions convenu, je vous donnerai des informations sur l’Ordre et tout ce qui le touche de près ou de loin, et vous m’en livrerez aussi. Nous ferons attention à être discrets et à laisser fuiter assez d’informations d’un côté comme de l’autre pour que cela passe aussi inaperçu que possible, mais nous ne pouvons plus rester sans rien faire. Je ne le peux plus, moi non plus, avoua-t-elle dans un murmure. Alors le plan c’est simplement de nous défendre. C’est simplement de défendre ceux qui n’y arrivent pas seuls, parce que vous êtes trop forts, trop dangereux, et trop puissants. Notre plan c’est simplement de survivre, et d’aider autant de personnes que possibles à survivre aussi. Avec un peu de chance, de limiter aussi vos possibilités de recruter plus de personnes. Mais surtout, surtout de limiter votre capacité monstrueuse à prendre des vies.
Elle haussa les épaules en pinçant les lèvres, comme étant arrivée au bout de sa tirade. Je pouvais entendre les battements vifs de mon cœur résonner contre mes tempes, rythmant adroitement ma colère sourde face au danger dans lequel elle se mettait si nonchalamment. Un nouveau silence s’abattu lourdement sur nous, comme si chacun d’entre nous attendions encore qu’elle parle. Comme si aucun d’entre nous n’était satisfait de ce qu’elle avait livré là.
De longues secondes s’écoulèrent. Ni Granger, ni aucun d’entre nous ne prononça le moindre mot, pas même Theodore. La pièce bercée de nuit et de whiskey semblait elle-même digérer les sonorités insensées qui étaient provenues de la voix de ma Gryffondor. Et finalement, ce fut la voix acérée de Pansy qui trancha le silence de sa lame glaciale :
- Donc là on va vraiment faire genre que cette décision ne nous affecte pas tous ? questionna-t-elle vers nous. Notre liberté dépend exclusivement du fait que cette demeurée reste en vie jusqu’à la fin, au cas où vous auriez oublié, piqua-t-elle avec une moue dépassée qui durcissait son visage pale.
- Wesh, eh meuf, tenta doucement Blaise de temporiser vers sa meilleure amie fiévreuse.
- Non mais merde, le coupa-t-elle à juste titre, soyons sérieux deux minutes, il faut bien que quelqu’un dise les termes !
Ses yeux verts se levèrent vers le ciel pour marquer sa lassitude face à la remarque de son ami.
- J’parie qu’t’avais pas pensé à ça, hein ? renvoya-t-elle avec un sourire qui n’avait rien d’amical vers Granger.
Une fois de plus, ma sorcière humidifia le bout de ses lèvres, sa position au dos voûté profondément défensive face à notre chien de garde quand elle répliqua avec un calme qu’elle espérait certainement apaisant :
- Je n’ai pas prévu de mourir, même si je peux comprendre tes inquiétudes.
Je pouffai.
- Bien sûr, parce que ça aussi c’est encore un putain d’truc qu’tu penses que tu peux contrôler, grommelai-je d’une voix basse qui n’avait, elle, rien d’apaisée.
- C’est quelque chose auquel je peux faire attention, nuança-t-elle en tournant finalement les yeux vers moi.
Je sentis ma mâchoire se serrer douloureusement sous le poids de la douceur de son regard inapproprié. Y faire attention, bien sûr. Parce que cela était suffisant sur un champ de bataille face à nous, de faire attention. Je me demandai dans combien de couches de déni, exactement, s’était-elle moelleusement enrobée ?
- Non mais attendez du coup, juste pour que les choses soient claires, renchéri une Pansy pas le moins détendue non plus, les engagements que t’avais pris envers nous c’est d’la merde pour toi, c’est ça princesse ?
- On est en pleine guerre mondiale, est-ce que vous pensiez vraiment que j’allais juste regarder et ne rien faire pour aider les miens ?
La pression appuyée que notre invitée avait mis sur ce dernier mot trahissait l’agacement qui grandissait en elle face aux accusations de notre amie. Ce fut au tour de Pansy de pouffer, ses yeux verts dénués de toute ombre de tendresse fixés avec menace sur la Gryffondor.
- Les tiens ? répéta une Pansy abasourdie. Dis-moi Granger, qu’est-ce que les « tiens » pensent du fait que tu baises le putain d’Grand Intendant ?
- Attention à ce que tu dis Pansy, trancha la voix sèche de Theodore.
- Oh j’t’emmerde, tourna-t-elle alors son regard vers lui. T’as dit qu’on allait parler, eh ben je parle putain.
- Est-ce qu’elle a tort en même temps ? ponctua alors un Blaise audacieux.
Je tournais le regard vers Granger. Elle demeurait silencieuse sur son canapé, son regard porté bas à nouveau, comme embarrassée. L’air sembla flotter un instant tandis que Pansy se repaissait du constat qu’elle était venue démontrer, et qui avait eu l’effet escompté.
- Ouais, c’est bien c’que j’pensais, confirma-t-elle alors vers elle. Pour « aider les tiens », tout en te gardant bien de leur dire à quel point t’aimes sa bite de Mangemort, cracha-t-elle alors avec venin.
Je tournais un regard sombre vers elle, quelque chose d’animal réveillé en moi et grondant sourdement.
- Reste à ta place, l’avertis-je alors que la colère continuait de bouillir inlassablement en moi.
La question n’était pas de savoir si elle avait tort ou raison, parce qu’elle avait raison. La question était celle du respect, et c’était à ma partenaire qu’elle s’adressait-là.
Les lèvres pleines de Pansy s’étalèrent sur ses joues, dévoilant sa dentition parfaite tandis qu’il n’y avait pas l’ombre d’un sourire dans ses yeux. Un rire étouffé s’échappa de sa gorge alors que ses yeux ne me quittaient plus. Je maintenais le contact avec ceux-ci en gardant ma position.
- Putain, t’es sérieux ? pouffa-t-elle alors. J’suis morte pour la sécurité de c’te pétasse ! s’emporta-t-elle alors en la pointant du doigt.
- T’as le droit d’être énervée, et t’as aussi le droit de le dire, mais il va falloir que tu le fasses avec le respect que tu lui dois, temporisai-je avec le plus de calme que je pouvais.
Mon combat actuel n’était pas contre Pansy, et je n’avais pas l’énergie qu’il le devienne. Cette bête-là était si têtue et si hargneuse qu’elle gagnerait sans nul doute de toute façon. Je marchais difficilement sur des œufs en espérant qu’elle ne se mettrait pas à hurler et à tout casser à son tour.
- Tout va bien, tenta Granger à voix basse.
- Le respect que je lui dois ? répéta une Pansy visiblement sidérée vers moi, appuyant chaque mot comme si elle ne pouvait pas croire que je les avais prononcés.
- L’insulter parce qu’elle a des sentiments pour moi, c’est dépasser les bornes, maintenais-je alors sur un ton aussi posé que possible.
Les lèvres de Pansy s’entre-ouvrirent pour venir laisser le choc qu’elle ressentait s’en échapper. Ce fut Blaise néanmoins qui réagit le plus rapidement depuis sa place à côté de Granger :
- Ouais enfin c’est ce qui a littéralement tué Pansy à la base, donc j’pense qu’elle a le droit d’être saoulée qu’elle balaie un sacrifice pareil comme si c’était rien, juste pour ses convictions.
- Merci ! appuya Pansy en tendant la main vers lui.
- Et c’est pas non plus comme si ça avait pas eu d’conséquences sur Pansy et sur sa vie depuis qu’elle est revenue à la vie, trancha-t-il plus froidement encore avec un regard qu’il tenait sur Theodore et moi.
Blaise ne prenait que très rarement parti, moins encore en public, et moins encore lors d’un réel conflit. La prise de parole et le sérieux dans ses yeux en cet instant attestait plus que quoi que ce soit d’autre n’aurait pu le faire de la rage insoupçonnée qui brûlait certainement en lui en cet instant.
- Je suis absolument persuadé que Granger n’a pas pris cette décision parce qu’elle n’était pas reconnaissante de ce que tu as fait pour elle, temporisa ensuite mon frère vers sa pas-si-douce et pas-si-tendre.
- Aller vas-y, céda Pansy avec un geste de la main dépassé, défends encore ta préférée, c’est tout c’que tu sais faire de toute façon.
- T’as fini ?
La question de mon frère vers elle était si plate, si simple, pourtant si violente venant de lui - et adressé à elle - que tous nos yeux devinrent ronds alors que nous les regardions avec anticipation. Le regard de Pansy, lui, était aussi sombre que les tréfonds de mon âme.
- Pardon ?
Les yeux de mon frère ne s’attendrirent pas en sa direction, ils restèrent simplement là, posés et ancrés dans ceux de sa bien-aimée, aussi solides et puissants qu’ils pouvaient l’être. Il n’y avait pas non plus l’ombre d’un sourire sur ses lèvres parfaitement dessinées, rien que le plus mortel des sérieux dont il était capable.
- J’ai dit : t’as fini ? répéta-t-il alors platement.
La colère ne sembla faire que grandir au travers des traits de Pansy. Ses sourcils se froncèrent sur son front et sa bouche s’ouvrit en une moue exaspérée avant qu’elle ne s’ouvre plus grand encore pour laisser transparaître sa rage à travers ses mots :
- Non j’ai pas fini putain ! s’emporta-t-elle alors. Au risque de me répéter, est-ce qu’on va vraiment faire genre que tout est normal juste parce que c’est putain de Granger et que pour une raison que j’m’explique pas, elle vous rend tous complètement cons, sauf peut-être pour Blaise, alors qu’on sait tous très bien que ça va être dangereux pour nous, un parce que ça va rendre Drago barge de pas pouvoir la protéger, numérota-t-elle en ne prenant pas même la peine de respirer, deux parce qu’il risque quand même d’essayer et de prendre le risque de nous faire découvrir, comme il l’a déjà putain de fait, ce qui nous tuerait tous et pas juste moi cette fois, et trois parce que cette meuf avait promis qu’elle nous sortirait de là si on prenait le TRÈS dangereux putain de risque de faire alliance avec elle pour LES faire gagner, CE À QUOI ON S’EST DÉJÀ ENGAGÉ BORDEL ! éleva-t-elle sa voix teintée d’une sombre colère éclatante qui m’intimidait moi-même.
Je tournais les yeux vers mon frère, y cherchant l’encrage que j’y trouvais toujours. Secrètement, j’espérais qu’il parviendrait à la raisonner, même si ses mots sonnaient dangereux justes. Le regard azuré de Theodore était rivé avec un sérieux intimidant sur Granger tandis que le silence retombait avec la colère de Pansy.
- Elle n’a pas tort, déclara-t-il alors d’un calme qui contrastait avec le feu de sa moitié.
- Oh tu es trop généreux, lâcha Pansy avec une ironie qui débordait de ses lèvres pulpeuses.
Avant qu’il ne puisse adresser l’attitude provocatrice de notre amie, Granger tenta de temporiser une nouvelle fois de sa voix aussi tendre qu’angélique :
- Je comprends que vous soyez inquiets, mais rien de tout ça ne change quoi que ce soit à notre alliance. Je vais tenir la promesse que je vous ai faite à tous les quatre, mais je ne resterai pas passive en attendant. Et si on est en train de se parler avec honnêteté, ça n’a jamais fait partie de mon plan, avoua-t-elle enfin.
Les pulsations frénétiques de la colère reprirent de plus belle à l’intérieur de mon corps tandis que je ne voyais plus qu’elle.
- Quoi ? m’étonnai-je alors.
Elle tourna ses yeux ambrés directement vers moi quand elle m’adressa ces quelques mots :
- Rester en retrait et regarder mes amis et ma famille être menacés de mort n’a jamais fait partie de mon plan, explicita-t-elle alors que je voyais flou.
- Et quand est-ce que tu comptais me parler de ton petit plan ? la questionnai-je avec un agacement grandissant. Puisque tu l’as pas fait à Poudlard, pas même après que ma meilleure amie soit morte pour toi, et pas non plus après que j’me sois complètement dévoilé à toi, dis-moi quand, ça m’intéresse ?
Je n’arrivais pas à croire ce que j’entendais. Si cela avait toujours été son plan, comment avait-elle pu ne jamais m’en parler, tous ces mois durant ? Comment avait-elle pu être là à prétendre me soutenir, moi et mes amis d’ailleurs, sans ne jamais me dire qu’elle comptait se mêler activement à la guerre pour me faire face ?
La réponse qu’elle m’offrit envoya valser le peu de raison qu’il me restait, et il n’y avait plus rien que le tsunami de rage qui renversait tout à l’intérieur de moi :
- Je ne pensais pas que j’avais besoin de le dire.
Rouge. Je voyais rouge.
- Est-ce que tu te fous de ma gueule là ?
Je marquais une pause tandis que ses yeux témoignaient de ma sidération proprement outrée. Je pouvais sentir le sang pulser dans mes veines avec une violence intimidante. Devant son silence, je continuais :
- Tu ne pensais pas que c’était putain de pertinent d’me dire que la meuf que j’aime et qui m’a putain d’harcelé pour rester en contact avec moi…
Mon cerveau n’enregistra pas les messes-basses que Blaise fit à Pansy en lui chuchotant « … en contact, c’est le terme ».
- … prévoyait en fait depuis le putain de début de m’affronter SUR UN PUTAIN DE CHAMP DE BATAILLE ?! m’écriai-je alors d’une voix d’une gravité sombre.
- Drago, sévit une nouvelle fois Theo.
Mais je ne voyais plus rien, plus rien qu’elle et la façon dont elle s’était royalement foutue de ma gueule tout ce temps. Est-ce qu’elle considérait vraiment que ce n’était qu’un détail ? Songeait-elle vraiment que ce n’était pas si important que cela ?
- Je pensais que tu me connaissais mieux que ça, trancha-t-elle alors froidement.
Si ma mâchoire n’avait pas été si tendue en cet instant, elle se serait certainement ouverte de choc.
- Merde elle tire à balles, commenta alors un Blaise que je ne regardais pas non plus.
- Ne joue pas à ça avec moi, putain certainement pas maintenant, avertis-je dangereusement ma Gryffondor.
Elle semblait si calme, si imperturbable. Elle ne bronchait pas de son canapé, ne bougeait pas ses bras, n’avait pas une seule jambe qui tremblait. Elle était simplement là, calme et sereine, impassible devant nos explosions de colère qu’elle provoquait elle-même. Je la détestais encore plus pour cela.
- Je ne peux pas simplement rester en retrait et ne rien faire, continua-t-elle alors simplement.
Pour ma part, je ne tenais plus en place. Je me levais de mon canapé tandis que je pouvais sentir mon cœur battre jusque dans mes tempes, agitant mes bras le long de mes flancs, ces bras qui m’appelaient à de la violence contre laquelle je me battais pour ne pas y céder. Je tournais sur moi-même alors que les idées sombres se mêlaient et se bousculaient à l’intérieur de moi, rien d’autre qu’un amer sentiment de trahison et de rage bouillonnant inlassablement en moi.
- Tu risques ta putain d’vie en faisant alliance avec nous, en quoi est-ce que c’est ne rien faire ?! m’écriai-je alors.
- C’est pas suffisant, continua-t-elle de son calme olympien.
- Non, bien sûr, réussir à convaincre la tête de l’armée de Voldemort de le trahir au profit du reste du monde, c’est pas suffisant, ironisai-je avec une froideur qui ne trouvait pas d’égal dans les lacs gelés des pays du Nord.
Elle tourna des yeux vides vers moi. Vides d’intimidation. Vides de peur. Je ne comprenais pas comment elle pouvait rester aussi impassible que cela.
- Je ne peux pas laisser tous les autres se battre pendant que je reste assise là à regarder Drago, et ça inclut de vous voir vous, vous battre et traverser tout ça, déclara-t-elle avec une force tranquille qui me dépassait.
- Oh, parce que tu crois que tu pourras t’comparer à nous une fois que t’aurais rejoint un champ de bataille du bon côté ? pesta Pansy avec un rire qui n’avait rien d’amical. Chérie, s’te plaît, lui sourit-elle faussement encore.
- Il ne s’agit pas de se comparer, rétorqua Granger en détournant les yeux de moi. Il s’agit juste de faire quelque chose. Vous êtes sur le front à prendre tous les risques, et je suis censée vous regardez vous détruire vous-mêmes et vous regarder anéantir les miens ?
Pansy pouffa.
- T’es quoi, putain d’Martin Luther King ?
Blaise ri à la remarque de sa meilleure amie.
- « Les miens », répéta Pansy d’une voix moqueuse.
- Oui, c’est les miens, ne se démonta pas Granger. Ce sont les miens qui, peut-être comme moi, ont souffert pendant des années d’être jugés inférieurs et harcelés par des gens comme toi parce qu’ils n’étaient pas nés de parents sorciers, osa-t-elle avec une sècheresse qui trahissait sa rancœur.
- Oh putain, chuchota un Blaise dans l’anticipation anxieuse de la réponse que nous attendions tous de notre amie.
Pansy sondait Granger de ses deux grands yeux verts dans lesquels je pouvais voir des nuances plus sombres que d’ordinaire tourmenter son regard perçant. Un ange passa à nouveau. Finalement, les lèvres meurtrières de mon amie s’ouvrirent :
- C’est à moi qu’tu dis ça alors qu’y a ton mec juste là ? J’vois qu’tu sais clairement choisir tes batailles, Sang-de-Bourbe.
A l’instant où cette insulte quitta sa bouche pour s’écraser sur celle qui était mienne, le corps de Theodore se leva de son fauteuil avec une rapidité fulgurante. D’une main ferme, il saisit le bras frêle de Pansy au sol, et la souleva sans le moindre effort.
- Putain, qu’est-ce que tu fous ?! tenta-t-elle de se défendre tandis qu’il la remettait sur ses pieds.
Il ne lâcha pas sa prise sur elle tandis qu’il l’entraîna derrière lui dans un coin reculé de la pièce pendant qu’elle continuait de pester avec colère.
- Elle va le défoncer, marmonna Blaise dans sa barbe.
- Ça arrive souvent ? demanda alors une Granger surprise de la tournure soudaine des événements.
Blaise ne tourna toujours pas le visage vers celle qui était assise juste à côté de lui, et il ne sembla pas prêt à lui répondre non plus. Malgré tout concerné de ne pas la laisser à l’écart alors qu’elle venait d’être insultée, j’explicitais sur un ton néanmoins dénué d’affection :
- Il veut probablement pas la remettre à sa place devant nous, enfin…, surtout devant toi, parce qu’il sait que ça piquerait trop son ego.
- J’sais pas qui c’est qui a l’plus besoin d’être remise à sa place ici, commenta soudain Blaise d’une voix basse.
Je posais les yeux sur lui à l’instant où je le vis tourner son visage vers Granger. Il la regardait droit dans les yeux, avec un sérieux dont il ne faisait que fort peu souvent preuve.
- T’en prendre à ma meilleure pote, qui au passage est morte pour toi, juste parce que ça t’évite de confronter ton p’tit copain qui, lui aussi, t’as harcelé pendant des années, une fois, pas deux, menaça-t-il froidement. Elle, elle te doit plus rien, j’crois qu’sa dette est largement payée, parce que pendant qu’toi tu peux tranquillement profiter des bras d’ton mec, elle, elle est toute seule dans cette merde.
Le ressentiment était aussi clair dans ses mots que dans sa voix. Je demeurai moi-même bouche-bée devant la prise de position de Blaise pour son amie. Elle était la seule pour qui il se mouillait en de très, très rares occasions. Uniquement lorsque la limite du supportable était très clairement franchie pour lui. Granger sembla le comprendre, quand bien même elle ne le connaissait pas comme nous autres, puisqu’elle demeura silencieuse à ses mots, son regard soudainement porté bas comme si elle se sentait honteuse. Je me demandai si Pansy saurait un jour, elle qui n’avait jamais vu Blaise la défendre comme j’avais pu en témoigner à plusieurs reprises, à quel point cet ami lui était réellement loyal. Blaise n’était pas du genre à se venter après coup, et à vrai dire, je le soupçonnais de même préférer que cela ne se sache pas. Je tournais les yeux vers le coin éloigné de la pièce où Theodore avait coincé Pansy contre le mur, sa voix si basse que nous ne pouvions pas l’entendre. Dans la tension environnante qui nous encerclait tous dans l’intensité de cette discussion sans fin, j’utilisais notre lien pour suivre leur conversation avec une double attention sur Granger et Blaise. Comme si je vivais la scène au travers des yeux de Theodore, je me retrouvais face à une Pansy au visage colérique :
- Et qu’est-ce que tu crois qu’tu fous en me coinçant là, l’fantôme ?
Elle cracha ce dernier mot comme si cela était une insulte, ses lèvres légèrement retroussées sur ses dents pour appuyer le dégoût qu’elle feignait. Je savais que pour mon frère, ce mot résonnait pourtant comme la plus mélodique des poésies.
- Ta colère est légitime et tu as le droit de l’exprimer, mais le manque de respect insultant et absolu, lui, il ne l’est plus, imposa Theodore avec son calme froid qui l’encerclait tandis qu’il se tenait si près d’elle.
Les sourcils de Pansy se dressèrent sur son front alors qu’elle ne lâchait pas son regard intimidant une seule seconde. Elle, elle n’avait pas l’air intimidée du tout. En réalité, de ce que je percevais au travers des yeux de mon frère, elle avait plutôt l’air déterminée à être parfaitement insubordonnée.
- Tu la kiffes à ce point, hein ? lui renvoya-t-elle alors avec une attitude qui n’avait plus rien d’étonnante.
- Arrête tes conneries Parkinson, murmura doucement Theo.
Je repérai dans sa voix un mélange de fatigue et d’amusement. Je me doutais qu’il était parfaitement excédé de se retrouver face à une Pansy Parkinson jalouse de Granger, comme s’il y avait là le moindre minuscule risque.
- Quoi ? défia-t-elle en relevant le menton plus haut encore. C’est pas comme si c’était pas une Sang-de-Bourbe dans les faits.
Theodore demeura silencieux quelques secondes, ses yeux la sondant ostensiblement.
- Elle est avec Drago, déclara-t-il finalement, et elle fait équipe avec nous, alors fait preuve d’un peu de respect.
Les lèvres de Pansy se plissèrent en une moue jaugeant ses mots.
- J’vois pas Drago la défendre le quart de c’que tu l’fais, haussa-t-elle les épaules avec l’attitude insolente qui lui était caractéristique.
- Drago peux pas te contenir, enchaîna-t-il sans la laisser respirer.
Je ne pouvais faire autrement que noter la tension excitée naissant dans la tonalité basse de sa voix.
- Parce que toi tu crois qu’tu peux ? le défia-t-elle encore, une once d’hésitation brillant dans ses yeux verts qui brûlaient étrangement lorsqu’ils étaient posés sur Theodore à travers qui je regardais la scène.
- T’es pas coincée contre ta volonté là ? murmura-t-il tout bas.
Je ne suivrai peut-être pas leur conversation très longtemps, après tout.
- Ouais, pour le bénéfice de la Sang-de-Bourbe, d’où mon observation, rétorqua Pansy sans lui céder.
- Est-ce que tu es jalouse, Parkinson ? osa-t-il alors demander d’une voix mielleuse dans laquelle je pouvais entendre un discret sourire satisfait.
Pansy ri, et je l’entendis moi-même depuis le salon.
- Jalouse ? répéta-t-elle comme si c’était là une supposition proprement ridicule. J’observe juste, et j’te dis quand t’es en train d’faire d’la merde.
- Et de quelle merde il s’agit là ? creusa-t-il à son tour, l’amusement dans sa voix semblant ne faire que grandir alors que Pansy se tenait si près de lui.
Ou plutôt qu’il se tenait si près d’elle.
- Que t’as l’air de l’apprécier un peu trop, surtout vu le psychopathe antisocial que t’es, piqua-t-elle sans grand entrain.
Quelque chose s’était comme adouci dans la façon dont elle lui répondait désormais.
- Elle est effectivement une personne gentille, agréable et douce, admit dangereusement mon frère.
Une nouvelle fois, les sourcils de Pansy se dressèrent haut sur son front. De tout ce temps, le contact entre leurs deux paires d’yeux n’avait pas cessé une seule seconde, comme s’ils ne pouvaient pas s’offrir le luxe de se perdre l’ombre d’un instant.
- Parce que c’est ça qui t’fait kiffer ? le poussa-t-elle encore comme elle savait si bien le faire.
- C’est ce qui semble plaire à Drago, nuança-t-il habilement.
- Drago l’aime, donc tu l’aimes aussi ? Est-ce que c’est un délire sombre de « j’veux c’que t’as » ? taquina-t-elle encore avec une voix qu’elle voulait piquante.
Le haut du corps de Theodore se pencha plus encore en avant vers elle, son dos musclé s’élargissant derrière lui, effaçant totalement Pansy de notre champ de vision à nous. Au travers des yeux de Theodore néanmoins, je vis une lueur nouvelle briller dans le regard de mon amie.
- Est-ce que tu penses vraiment que je la veux, Parkinson ? roucoula-t-il de sa voix débordante d’ombres aussi dangereuses qu’envoutantes.
Je ne pouvais pas voir comment il la regardait, mais je savais Pansy courageuse de ne pas baisser le regard en cet instant.
- Je sais pas, c’est l’cas ? lui rendit-elle sur le même ton.
Je sentis à travers notre lien le large sourire de prédateur s’étaler sur les joues de mon frère quand il lui répondit sans l’ombre d’un détour :
- Non, ça ne l’est pas.
- Tu pourrais très bien mentir, continua de le pousser sa moitié.
La satisfaction qu’elle trouvait dans cet échange était aussi clair dans la façon dont elle laissait son dos reposer lassement contre le mur, dans le coin droit de ses lèvres qui menaçait de se relever, ainsi que dans la lumière sans équivoque qui ne brûlait dans ses yeux que lorsque c’était lui, ce cinglé, qu’elle regardait.
- Tu penses que c’est ce que je fais ? enchaîna-t-il sans avoir besoin d’une seconde pour réfléchir à quoi lui répondre.
- Peut-être, haussa-t-elle encore les épaules avec une nonchalance que je savais qu’elle feignait.
A la façon dont les yeux de Pansy descendirent vers les lèvres de Theodore, je devinais qu’il se les humidifiait du bout de sa langue. Lorsque le regard d’émeraude de mon amie remonta jusqu’à celui de mon frère, il était chargé d’une électricité enivrée qui me déstabilisa.
- Est-ce que tu veux que je sois clair devant tout le monde sur le fait que je n’ai aucun intérêt romantique ou sexuel envers elle ? proposa soudain Theo de sa voix dangereusement sombre.
- Parce que tu le ferais ?
Pansy sembla réellement étonnée. Touchée presque, en fait.
- Si tu veux que je le fasse, oui, promit-il alors.
Mon amie retrouva la face aussi rapidement qu’elle l’avait perdue, prétendit réfléchir en détournant finalement les yeux de l’homme dangereux devant elle lors d’une seconde dont elle avait sans nul doute grand besoin, puis elle pinça les lèvres avec une nouvelle nonchalance qui n’avait rien de crédible :
- Mmh…, ouais, je veux. Mais qu’on soit bien clair c’est pas pour moi, nuança-t-elle avec une gravité nouvelle, c’est pour le bien de cette alliance, tenta-t-elle de garder la face.
Je pouvais encore le sentir sourire au plus profond de son être, mon taré de frère.
- Bien sûr, lui laissa-t-il en bon gentleman. Est-ce que tu vas arrêter de te montrer outrageusement irrespectueuse avec elle après que j’ai fait ça ?
Une dernière fois, Pansy haussa les épaules. Elle avait l’air d’une vraie gamine pourrie-gâtée insolente, et le pire dans tout cela c’était que je savais que Theodore adorait cela.
- J’vais y réfléchir, mais si elle m’attaque elle n’aura que ce qu’elle mérite, pesta encore sa meilleure moitié.
- Oh je te demande pas de perdre ton piquant, ce serait bien trop dommage…, traina-t-il dangereusement sur ce dernier mot. Juste de rester respectueuse, murmura-t-il finalement.
- J’ai dit que j’y réfléchirais, si tu remplis ta part du contrat, rappela la femme d’affaires que Pansy était incontestablement.
Il lui sourit, je le sentis. Je le sentis parce que lorsqu’il souriait, ce n’était pas simplement un geste sur son visage. C’était une vague d’émotions qui le traversait à l’intérieur de lui et qui venait se greffer à son visage comme la plus magnifique récompense pour quiconque en était le destinataire.
- Ok, chuchota-t-il doucement.
Je m’extirpai de son esprit lorsqu’il se retourna soudain vers nous, son regard azuré plongé dans le mien pour m’attester qu’il m’avait remarqué. Il n’y avait aucun reproche dans ce regard qu’il m’offrit, rien que ce savoir omnipotent qui caractérisait mon frère, et qui était aussi rassurant que terrorisant. Lorsqu’il fit un pas vers nous, il n’y avait plus rien de son aura de prédateur affamé, tout cela il le laissait avec Pansy. Il n’y avait plus que cette énergie imposante de leader vers lequel toutes les attentions se tournaient, parce qu’il était celui qui donnait le tempo de cette soirée infernale. Suivi de près de Pansy qui retrouva sa place par terre vers la table basse, et qui vida un nouveau verre pour l’occasion, Theodore regagna sa place sur son fauteuil. Il ne perdit pas la moindre seconde quand il déclara, son regard tout droit enfoncé dans les yeux ambrés de Granger :
- Je veux qu’il soit très clair pour tout le monde ici, et toi Granger incluse, que je ne ressens pas le moindre minuscule intérêt envers toi, que celui-ci soit physique, énergétique, intellectuel, ou bien romantique, et moins encore sexuel, lâcha-t-il avec le plus grand sérieux au monde.
Face à lui, Granger était aussi confuse et mal à l’aise que Blaise et moi étions abasourdis. Il la regardait droit dans les yeux, pas l’ombre d’une émotion sur son visage, et il crachait tout cela avec une détermination et une facilité déconcertante. Chez lui, il n’y avait absolument rien d’embarrassé. Absolument rien qui laissait supposer qu’il se sentait ne serait-ce qu’un tout petit peu mal à l’aise de dire cela devant cinq personnes, droit dans les yeux, à une tierce personne qu’il appréciait et qui n’avait, au demeurant, absolument rien demandé. La situation était presque comique.
Ses yeux mortellement sérieux toujours inlassablement enfoncés dans le regard abasourdi de la Gryffondor, mon frère continua avec un plat déconcertant :
- Je ne suis ni attiré d’une quelconque façon, ni te trouves particulièrement séduisante, plaisante, où à mon goût, et les sentiments que j’éprouve envers toi, quels qu’ils soient, sont sans l’ombre d’un moindre doute absolument et complètement platoniques. Je te vois plutôt comme une personne dénuée de sexe, de sexualité, d’un quelconque sex appeal ou d’intérêt romantique…, continua-t-il de lister avec un acharnement si calme et plat que je me retrouvais obligé de l’interrompre, conscient qu’il pouvait continuer ainsi pendant encore un certain temps.
- … Ok c’est bon, je pense qu’on a tous comprit là. Pas besoin d’en rajouter plus, tu as été parfaitement clair, lui assurai-je alors.
Il y avait sur le visage de Pansy un sourire en coin qui l’illuminait d’une lueur à la fois diabolique et pourtant quelque part enfantine. Blaise, lui, affichait deux gros yeux ronds sur mon frère :
- Ooookkk… ? ponctua-t-il avec une confusion que Granger semblait partager. Content que ce soit clair ? hésita-t-il encore.
Le regard chaud de Zabini tourna finalement en la direction de Pansy comme s’il venait enfin de terminer l’addition mystérieuse qui nous menait à ce résultat inattendu, et il explosa d’un rire expressif qui emplit la pièce froide que nous occupions depuis trop longtemps. Le sourire de Pansy disparu alors que son meilleur ami ne cessait de rire aux éclats. Les larmes aux yeux, il la pointa du doigt avec un large sourire qui dévoilait ses dents :
- Merde meuf, tu lui as vraiment fait dire ça ???
Il explosa encore de rire, et le visage de Pansy se ferma encore un peu plus. Theodore, lui, demeurait toujours de marbre.
- Lui ??? répéta Blaise en pointant désormais mon frère du doigt. Granger ??? la désigna-t-il ensuite.
Cette fois-ci, son dos rencontra le dossier du canapé tandis qu’il se fendait ostensiblement la gueule. Je ne pouvais nier qu’un sourire en coin s’était dessiné sur mes lèvres, et que ce petit instant de légèreté qu’il nous offrait là était largement bienvenu.
- Ferme ta vieille gueule Zabini, trancha finalement Pansy, c’est pour le bien de l’alliance.
- Oh oui, acquiesça-t-il vers elle, bien sûûûr.
- Enfoiré, tu veux t’battre ? menaça son amie avec une froideur qu’elle ne feignait qu’à moitié.
- Oh prends moi bébé, lui renvoya-t-il sans perdre son large sourire qui nous faisait du bien à tous.
Même à Granger, je le notai.
- Tu vas pas aimer c’que tu vas bouffer, rétorqua encore notre amie.
- Ah non, ou ah Nott ? taquina encore Blaise.
Pansy s’appuya d’une main sur le sol pour venir frapper la cuisse musclée de son meilleur ami avec force, et l’impatience face à l’urgence de la situation me rattrapa finalement avec l’angoisse terrorisante qu’elle entraînait tandis que Blaise riait encore.
- Est-ce qu’on peut reprendre la conversation sérieuse qu’on était en train d’avoir ? massai-je soudain mes tempes douloureuses.
- Pardon princesse, c’est ma faute, me renvoya Pansy avec un faux regard désolé.
Je lui renvoyais un regard noir dénué de plaisanterie. La situation demeurait critique, et elle nous rattrapait tous.
- Oh sérieux, soupira-t-elle alors, bois un verre putain.
- Bonne idée, la seconda Blaise qui se pencha vers la table basse pour remplir nos verres, y compris celui de Granger.
- T’es pas obligée de boire, m’entendis-je adresser à la Gryffondor avec une pointe de douceur que je ne m’expliquai pas dans la voix.
- Je sais, apaisa-t-elle vers moi, j’en ai bien besoin aussi.
Elle saisit son verre à nouveau remplit de ses doigts fins, et nos yeux se rencontrèrent avec une intimité d’une intensité lourde de sous-entendus dans cette apesanteur qu’elle nous imposait. Comme une pause que nous nous accordions mutuellement, l’amour que nous avions l’un pour l’autre exprimée par la douceur qui se trouvait dans la façon dont nous étions capables de nous regarder, mais parfaitement conscients qu’il nous restait un ouragan à traverser. Oui, une petite pause de quelques secondes durant laquelle ses yeux me disaient exactement la même chose que les miens lui renvoyait.
- J’parie qu’tu bois pas des bouteilles aussi bonnes à Poudlard, nous coupa Blaise dans cet échange non-verbal.
Elle détourna son regard ambré de moi pour tourner les yeux vers lui.
- Non, en effet, confirma-t-elle vers lui.
- Te bourres pas la gueule au point d’plus t’contrôler, on en a déjà entendu assez comme ça, taquina-t-il avec son regard pétillant.
Granger baissa les yeux sur le sol en prenant une gorgée de son verre, ses joues rougissantes.
- Merde Blaise, tu t’fatigues pas ? soupirai-je à mon tour.
- Beh non en fait, j’me trouve plutôt rafraichissant, se venta-t-il en gonflant le torse.
- Tu l’es bébé, confirma Pansy vers lui.
- Merci mon cœur, lui renvoya-t-il avant d’appuyer vers moi un pincement de lèvres plein d’une attitude aussi puérile qu’insolente.
Je passai une main fatiguée sur mon visage.
- J’suis pas d’humeur pour vos conneries.
- Oh s’te plaît, ta vie serait trop déprimante sans nous, défendit encore Pansy.
- De ouf, appuya Blaise, on n’a pas la reconnaissance qu’on mérite.
- Est-ce que les deux pestes ont fini ? m’impatientai-je encore. C’est putain d’sérieux, tentai-je de rappeler la gravité de la situation.
De la situation de vie ou de mort que Granger nous amenait-là, et qui ne cessait de me rattraper en des vagues puissantes d’anxiété qui remontaient dans mes entrailles, et retournaient tout sur leur passage lorsque je me rappelai malgré moi le danger terrifiant dans lequel elle se mettait.
- Sa Majesté va nous engueuler, chuchota Pansy vers Blaise.
- Tu crois qu’il va nous mettre une fessée ?
- Nan, il est trop niais pour ces bails-là.
- OH MON DIEU, ÇA SUFFIT ! pestai-je finalement, excédé. J’suis sérieux là putain !
Finalement, ce fut Theodore qui parvint à récupérer la situation qui m’échappait incontestablement :
- Bon, Granger expliquait qu’elle ne pouvait pas continuer de ne pas en faire assez selon elle pour le reste du monde, et si on est honnête, c’est parfaitement compréhensible, même si je dois admettre que ça rend les choses plus compliquées pour nous.
Je tournais des yeux ahuris vers lui. Il me rendit un regard imperturbable.
- Compréhensible ? répétai-je, hébété.
- Oui, répliqua-t-il aussi simplement que cela.
Les relents de ma colère se réveillèrent doucement en moi.
- Putain, en quoi c’est compréhensible ?
Il haussa doucement les épaules :
- Eh bien, si j’étais à sa place et que je pouvais choisir de me battre pour les personnes que j’aime contre les forces qui veulent me les prendre, je me battrai aussi, déclara-t-il avec son calme plat qui était proprement enrageant.
- T’es pas un bon exemple, déniai-je en balayant ses mots de mon esprit.
- En quoi c’est différent ? insista-t-il néanmoins.
- Parce que toi t’aurais une vraie chance de t’en sortir vivant, et aussi parce que c’est juste la personne que t’es, m’impatientai-je à nouveau avec une lassitude grandissante.
- Je pense qu’on peut dire exactement la même chose à propos d’elle, se permit-il encore platement.
- Oh pitié, pesta Pansy en levant les yeux au ciel.
- Je suis sincère, ne lâcha pas mon frère.
- Merci, lui sourit Granger avec tendresse.
Je me tournais vers elle avec une gravité que je ne cherchais pas à dissimuler. Visiblement, la situation semblait trop légère à tout le monde, et j’étais le seul réellement conscient de tout ce que cela impliquait.
- Ça va tout rendre plus compliqué, incluant le fait que je puisse faire correctement mon travail et donc nous protéger tous, toi incluse, pour éviter qu’on crève.
- Ouais, eh bien c’est une guerre, non ? relança la voix de Theodore derrière-moi.
Je ne pouvais cacher la colère qui m’animait quand je me retournais froidement vers lui, ni celle, froide dans ma voix, quand je lui rappelai :
- Elle était en sécurité à Poudlard.
- Je suis d’accord, acquiesça-t-il néanmoins.
- J’avais pas à me poser de question sur aucune autre action qu’on menait à l’extérieur de Poudlard, appuyai-je encore.
- Oui.
- Et ça nous donnait plus de chances de réussir à nous en sortir une fois la guerre terminée, si on réussit à l’arrêter, insistai-je.
- Oui, je suis d’accord avec ça aussi.
- Donc elle devrait y retourner, pour le bien de l’alliance, positionnai-je avec force.
- Ce serait mieux pour nous, oui, m’accorda-t-il enfin.
- Merci !
- Mais autant que je sois d’accord, reprit-il calmement, et autant que je n’apprécie pas cette nouvelle non plus, surtout vu les conséquences que ça va avoir pour nous, je pense aussi que ce serait injuste de lui demander de rester dans son coin à regarder pendant qu’on tue ses amis et sa famille.
Le sang ne fit qu’un tour dans mes veines.
- Ouais sauf qu’elle va probablement crever pour ses putains d’idéaux pour pouvoir juste continuer de se regarder dans un miroir !
- Je suis juste là, appela doucement la voix de Granger sur ma gauche.
Je me retournai vers elle.
- Quoi ?
- Je suis juste là, tu peux me parler, amena-t-elle doucement.
J’acquiesçai gravement vers elle, la rage pulsant dans mes tempes avec un rythme de plus en plus dangereusement soutenu.
- Très bien, tu vas probablement crever, tout ça pour tes putains d’idéaux pour lesquels tu te battais déjà de toute façon !
- Je ne peux pas laisser mes amis mener un combat qui est aussi le mien juste pour une question de sécurité quand on est déjà en guerre de toute façon, continua-t-elle avec cette douceur si inappropriée au contexte mortuaire qu’elle m’imposait.
- Putain, t’es bien au chaud et en sécurité à Poudlard ! tentai-je désespérément de lui faire comprendre en lui dévoilant mes paumes de main impuissantes.
- Oui, tu l’as déjà dit avant ça.
Imperturbable. Elle demeurait calme, comme sereine, impassible devant les expressions d’inquiétude, de colère ou de terreur dont je pouvais tant bien que mal tenter de lui faire part. Démuni, j’étais proprement démuni. C’était comme si nous ne parlions pas le même langage en cet instant, et tandis que je m’acharnais à essayer de lui faire comprendre mon message, elle demeurait muette et intransigeante devant moi.
- Oh, donc c’est une question d’égo ? Est-ce que c’est parce que je t’ai déjà balancé ça ? tentai-je encore de comprendre, la rage mêlant les idées dans mon esprit.
- Non, posa-t-elle simplement. Mais c’est vrai. Je ne peux pas rester au château pendant que je regarde mes amis partir faire une guerre qui est aussi la mienne.
Je la regardais, abasourdi. Proprement et simplement abasourdi. Je ne pouvais pas comprendre. Je ne pouvais tout simplement pas comprendre. Elle avait assuré leur victoire en me convaincant, moi, le Grand Intendant, de trahir mon Seigneur. Elle avait déjà fait sa part. Si la Guerre était gagnée à la fin, ce serait uniquement grâce à elle. Simplement et uniquement grâce à elle. Je cherchais dans ses yeux les réponses aux questions qui n’avaient aucun sens pour moi. Ce n’était pas une question de gloire, elle n’était pas comme cela. Personne ne saurait ce qu’elle avait fait si l’on finissait par gagner et retourner la situation, mais ce n’était pas la renommée qu’elle cherchait. Si c’était réellement une simple question de ne pas rester sans rien faire, elle pouvait largement trouver satisfaction dans le fait de savoir qu’elle serait l’unique raison pour laquelle le monde entier retrouverait la paix, son argument ne tenait pas debout. Les idées fusaient, dénuées de contexte et de rationalité dans mon esprit tandis que je sondais ses yeux. Ses amis. Elle ne pouvait pas laisser ses amis. Weasley. La main de Weasley sur la sienne plus tôt ce soir-là. La façon dont il l’avait protégée en se mettant devant elle. La question qui sortit soudain de mes lèvres le fit avec une froideur calme terrorisante, une menace sourde et pourtant lourde d’impact sur elle :
- Est-ce que tu le baises ?
Ce fut son tour d’être abasourdie. Elle cligna des yeux, comme si elle venait de rêvasser, cherchant à revenir à la réalité.
- Quoi ?
Comptait-elle vraiment jouer l’imbécile, elle ?
- Weasley, explicitai-je froidement pour elle, est-ce que tu le baises ?
- Oh mon dieu, pas les conneries d’pétasse insécure encore, soupira une Pansy à qui je n’accordai ni le moindre regard, ni la moindre importance.
Mon regard orageux était rivé avec une menace électrique sur Granger. Allait-elle me mentir droit dans les yeux ? Serais-je seulement capable de le déceler ? La haine pulsait dans mes veines à un rythme effréné que je ne parvenais plus à ralentir. Elle sembla retrouver son calme assuré lorsqu’elle répondit finalement :
- Non, de toute évidence, je ne le fais pas.
- T’es sûre ?
- Oui, je suis sûre ! s’agita-t-elle enfin d’une once. D’où ça sort ?
Je retroussais ma lèvre supérieure en une moue aussi réflexive qu’accusatrice, mes yeux sombres ne lui laissant pas l’espace de détourner le regard de moi, et elle ne le faisait pas.
- J’sais pas, il avait l’air plutôt proche de toi ce soir à Poudlard.
La sidération fut lisible sur son visage, sa bouche s’entre-ouvrant comme si elle était excédée par la remarque pertinente que j’avançais là.
- On était menacés par des Mangemorts ! se défendit-elle alors comme un accusé mis au pied du mur. Il avait peur et il voulait être un soutien, comme n’importe quel ami le serait !
Comme si elle venait d’être découverte, la gentille et loyale Gryffondor. Je voyais rouge.
- Et quel autre genre de soutien il t’apporte quand t’as peur ou qu’t’es triste ? continuai-je d’une froideur qui ne trouvait d’égal ni dans la neige, ni dans la glace la plus tranchante qui puisse être.
L’expression de son visage changea encore, ses sourcils se fronçant très légèrement sur son front, ses yeux devenant comme tristes.
- Arrête ça, murmura-t-elle alors.
- Quoi, j’tiens un truc ?
Elle fit doucement non de la tête.
- Tu sais très bien que non, tu fais juste ton connard là.
Elle ne flancha même pas en prononçant ce mot, et moi non plus. J’haussai les épaules sans la lâcher du regard.
- J’sais pas, perso j’tiens pas la main d’mes ex.
- Tu aurais pu tenir celle de Pansy dans un contexte pareil ! tenta-t-elle encore de se défendre en vain en pointant de sa main dans la direction de mon amie.
- C’est pas mon ex ! lui fis-je remarquer en élevant la voix à mon tour.
- Eh, laissez-moi en dehors de votre crise de jalousie merdique, ponctua une Pansy que je ne regardai pas.
- Dit Madame-j’ai-besoin-qu’il-rende-clair-publiquement-qu’il-n’est-pas-intéressé-par-toi, entendis-je Blaise pointer du doigt.
Il y eu un nouveau bruit de claque, mais je ne détournais pas le regard de mon accusée. « Mon » accusée ? Elle non plus, elle ne les regarda pas un seul instant. Son visage continuait de faire « non » pour elle, l’ombre dans ses yeux devenant de plus en plus triste à chaque seconde qui s’écoulait qu’elle passait dans la noirceur sans pareille des miens.
- Tu racontes n’importe quoi et tu le sais Drago. Ne fais pas ça, chuchota-t-elle tout bas, tu sais qu’il n’y a personne d’autre.
Je fus décontenancé par la sincérité que j’entendais dans sa voix, et celle que je pouvais lire dans le plus profond dans ses yeux, comme une porte jusqu’à son âme. Je perdais la face, abandonnant cette idée qui me semblait ne plus tenir debout du tout, et retrouvais ma parfaite impuissance :
- Mais putain alors pourquoi tu ferais un truc aussi débile que ça ?!
- Parce que je dois le faire, argumenta-t-elle encore avec une simplicité qui ne m’apaisait pas.
- Tu pourrais être en sécurité ! essayai-je encore, le désespoir montant en des torrents angoissants à l’intérieur de moi.
- Ce n’est pas qui je suis, murmura-t-elle doucement.
Je me levai du canapé, la surplombant de ma hauteur tandis que ses yeux suivaient les miens. Je savais que des larmes proprement impuissantes y montaient.
- TRÈS BIEN, ET MOI ALORS ?! hurlai-je alors. QU’EST-CE QU’IL EN EST DE CE QUE ÇA ME FAIT, À MOI ?!
Elle ne sembla pas le moins du monde impactée par le désespoir vulnérable que je la laissai entrevoir là, et cela me déstabilisa au plus profond de mon âme. Comment pouvait-elle se montrer si insensible à ce qu’elle me faisait-là ?
- Ce n’est pas à propos de toi, ça va beaucoup plus loin que ça. Ça nous dépasse largement et tu le sais très bien.
J’ouvrais la bouche, sous le choc. Sous le choc de son impassibilité. Son insensibilité inhumaine. Il me sembla que le sol se déroba sous mes pieds, et malgré tout je demeurai debout face à elle.
- Est-ce que t’as ne serait-ce que pensé à ce que ça me ferait à moi quand t’as pris ta décision, où est-ce que ça ne t’a même pas traversé l’esprit ? murmurai-je presque alors.
- Et toi, quand tu as décidé de vendre ton âme pour celle de Pansy ?
Je demeurai bouche-bée. Était-ce vraiment là ma Granger ? Je ne la reconnaissais pas.
- Ouuuuh, souffla Blaise à côté d’elle, une pointe d’irritabilité dans sa voix pleine d’avertissement.
- Oh meuf il vaudrait mieux pour toi qu’tu sois pas sérieuse là, renchérit froidement Pansy.
- Je dis que c’est pareil, se défendit toujours calmement Granger que je ne quittais pas de mes yeux ahuris. Tu fais ce que tu as à faire de ton côté parce que c’est important, reprit-elle vers moi, et je fais ce que j’ai à faire du mien parce que c’est important aussi.
Une nouvelle fois, je lui dévoilais l’impuissance dans les paumes de mes mains que je lui présentais.
- NOUS ON N’A PAS LE CHOIX, TOI TU L’AS ! m’écriai-je désespérément.
- Je me bats pour ce qui est juste Drago, comment tu peux être en colère contre ça ?
- PARCE QUE JE VEUX PAS QUE TU MEURES PUTAIN ! hurlai-je finalement, des larmes naissant dans mes yeux.
Elle resta silencieuse. Je pouvais entendre les battements incessants de mon cœur, affolés à l’idée de la perdre. Je l’attendis un instant, elle et un peu plus de raison, mais elle ne me donna rien. Rien qu’un regard qu’elle gardait rivé sur moi.
- COMMENT TU PEUX ÊTRE AUSSI AVEUGLE ?! m’indignai-je d’une voix tremblante d’émotion.
- Est-ce que tu m’estimes vraiment si peu que tu crois sincèrement que je n’ai pas la moindre chance de survie ? me demanda-t-elle alors platement.
- MAIS PUTAIN DE MERDE GRANGER J’AI TOUTE UNE ARMÉE DE PSYCHOPATHES SURENTRAÎNÉS, TU PEUX PAS ÊTRE AUSSI ARROGANTE QUE ÇA, SI ?!
Comme au loin, j’entendis Pansy marmonner « tu veux parier ? », mais je n’y prêtais pas la moindre attention. Je m’arrachai les cheveux, il n’y avait pas d’autre terme. Elle me faisait perdre la tête devant son déni complètement irraisonné, comme un parent démuni devant un enfant qui n’avait pas encore acquis le langage.
- EST-CE QUE TU RÉALISES SEULEMENT TOUT CE QUE J’AI FAIT ET TOUT CE QUE J’AI TRAVERSÉ POUR TOI ?! me laissai-je alors submergé par mon désarroi. EST-CE QUE TU TE RENDS COMPTE DE TOUTE LA TORTURE, LES TORMENTS ÉMOTIONNELS, TOUTES LES PEURS, TOUS LES DOUTES, TOUTE L’ANXIÉTÉ QUE TU M’AS CAUSÉ ?! EST-CE QUE TU AS LA MOINDRE IDÉE DE CE QUE J’AI RESSENTI À ME TENIR LÀ DEVANT DUMBLEDORE, À DEVOIR FAIRE LA CHOSE POUR SAUVER MA VIE ET CELLE DE TOUTE MA FAMILLE, ET ÊTRE INCAPABLE DE LE FAIRE PARCE QUE TU AVAIS DÉCIDÉ QUE TU VOULAIS ÊTRE LÀ ?! beuglai-je d’une voix désormais intégralement déformée par mes larmes face à son impassibilité. EST-CE QUE TU IMAGINES SEULEMENT CE QUE J’AI RESSENTI EN REGARDANT MA MEILLEURE AMIE MOURIR PARCE QUE TU AVAIS DÉCIDÉ D’ÊTRE LÀ QUAND JE T’AI SPECIFIQUEMENT DEMANDÉ DE NE PAS L’ÊTRE ?! EST-CE QUE TU SAIS SEULEMENT QUE LA SEULE ET UNIQUE RAISON POUR LAQUELLE ON EST VENUS EN PAIX CE SOIR À POUDLARD C’EST À CAUSE DE TOI ?!
Mes mains s’agitaient devant moi au même rythme que mes émotions se déchaînaient aussi douloureusement que violemment en moi.
- PARCE QUE J’AI NÉGOCIÉ AVEC PUTAIN DE VOLDEMORT PARCE QUE TU ALLAIS ÊTRE PUTAIN DE LÀ ?! POUR TE GARDER EN PUTAIN DE SÉCURITÉ ! PUTAIN, EST-CE QUE TU TE RENDS COMPTE DE TOUT CE QUE J’AI PAS PU FAIRE ET DE TOUT CE QUE J’AI FAIS POUR TA SÉCURITÉ ?! pleurai-je dans toute ma douloureuse impuissance. EST-CE QUE TU AS LA MOINDRE IDÉE DE CE QUE ÇA ME FAIT QUE TU ME JETES ÇA À LA GUEULE COMME SI C’ÉTAIT DE LA MERDE ET QUE ÇA REPRÉSENTAIT RIEN POUR TOI ALORS QUE ÇA M’A TORTURÉ PENDANT DES MOIS ?! QUE TU DÉCIDES JUSTE DE RUINER LE PEU DE PAIX QUE JE POUVAIS TROUVER DANS TOUTE CETTE MERDE MONSTRE PARCE QUE JE N’AVAIS PAS À M’INQUIÉTER DE TA PUTAIN DE VIE À TOI AUSSI ?!
Ma voix se brisa sur cette dernière phrase, comme une amère émotion s’échappant douloureusement de mes lèvres pour venir s’écraser sur elle. Et elle demeura silencieuse, ses yeux vides rivés dans les miens, les miens qui pleuraient. Et elle ne dit rien. La tête me tournait, et mon cœur battait la chamade dans mon poitrail. Comment…, comment pouvait-elle ? Comment pouvait-elle rester silencieuse devant moi ? Devant moi, dans cet état, avec ces aveux fiévreux ?
- Ah tu vas rester muette maintenant, Granger ? m’indignai-je, complètement ahuri. Ça y est, t’as perdu ta langue ?
Elle ne broncha pas, et ses lèvres ne s’entre-ouvrirent pas pour me rassurer, ni pour me réconforter, ni même pour me dire qu’elle me comprenait enfin. J’avais l’impression de vivre un cauchemar éveillé. Rien de tout cela ne pouvait être réel. Rien de ce que je voyais d’elle en cet instant ne correspondait à ce que je savais et connaissais d’elle. De sa douceur, de la façon dont elle était toujours présente et rassurante pour moi. Apaisante. Je ne pouvais pas croire ce que j’avais pourtant bel et bien juste en face de moi. Et elle demeurait silencieuse. Impassible.
- RÉPONDS-MOI ! hurlai-je alors à son visage. JE T’AI DONNÉ TOUT CE QUE JE NE POUVAIS PAS ME PERMETTRE DE PERDRE, QU’EST-CE QUE TU VEUX DE MOI MAINTENANT ?! QU’EST-CE QU’IL ME RESTE QUE TU NE M’AS PAS ENCORE PRIT ?! QU’EST-CE QUE JE NE T’AI PAS ENCORE DONNÉ ?! QU’EST-CE QU’IL ME RESTE QUE TU VEUX ENCORE ME PRENDRE ?!
Elle demeura silencieuse.
- TU VEUX MON ARGENT ? PRENDS-LE, J’EN AI PAS BESOIN. TU VEUX MON CORPS ? PRENDS-LE, IL EST À TOI DE TOUTE FAÇON. PRENDS MA PUTAIN DE DIGNITÉ, MERDE PRENDS LE PEU D’ESPRIT SAIN QU’IL ME RESTE SI TU VEUX, MAIS LAISSE-MOI LE PEU DE REPOS QUE J’AVAIS QUAND JE SAVAIS QUE TOI AU MOINS TU ÉTAIS EN SÉCURITÉ, QUAND IL N’Y A RIEN D’AUTRE QUE JE PEUX CONTRÔLER ! suppliai-je finalement dans toute ma vulnérabilité impuissante.
Je les vis enfin, les larmes naissantes dans ses yeux. Ces larmes qui venaient rougir son regard. Enfin. Enfin…
- Est-ce que tu es vraiment aussi égoïste que ça, Drago ? murmura-t-elle alors.
J’eus le sentiment de me prendre un coup de massue. Je clignais des yeux.
- Quoi ? murmurai-je dans un souffle perdu, sonné.
Elle humidifia ses lèvres du bout de sa langue, les larmes naissantes dans ses yeux ne coulant toujours pas sur ses joues.
- Est-ce que tu t’es déjà demandé comment c’était pour moi, depuis tout ce temps ? demanda-t-elle tout doucement, d’une voix si basse qu’elle semblait presque imperceptible comparé à mes hurlements précédents.
Je demeurai inerte devant elle. Je ne comprenais pas ce qu’il était en train de se passer.
- Est-ce que tu l’as fait ? répéta-t-elle toujours aussi bas.
- Je l’ai fait, lui répondis-je finalement, confus. Je t’ai dit que je ne voulais pas te faire de mal. Je t’ai dit que je savais que je te faisais du mal. Que toute cette situation te ferait du mal. Tu as choisi de ne pas écouter. Est-ce que tu vas me blâmer pour ça aussi maintenant ? plaidai-je avec une tristesse qui venait lentement éteindre le feu ardent de mes angoisses mêlées de colère.
Est-ce que c’était là, notre destination ? Après toutes ces épreuves, après tout ce temps, est-ce que c’était vraiment à cela que nous en arrivions ? À des reproches que j’avais tant bien que mal tenté de dissiper en la prévenant, encore et encore, et encore.
- Non, je ne te blâme pas. En fait, si tu te rappelles bien, je ne t’ai jamais blâmé pour rien de tout ça, continua-t-elle calmement. Je demande simplement Drago, quand je t’entends dire en long, en large et en travers tout ce que tu as fait pour moi et tout ce que cette relation te fait, est-ce que tu t’es déjà vraiment demandé comment c’était pour moi ?
J’étais décontenancé à la fois par son calme impénétrable, ainsi que par les mots qui sortaient de sa bouche pour venir écraser mon âme.
- Tu as choisi ça, rappelai-je dans un murmure.
C’était injuste. Elle était injuste. Elle faisait mal à mon cœur.
- Parce que toi non ? ne s’arrêta-t-elle pas.
Je demeurai silencieux, et elle me laissa le temps de l’être avant qu’elle ne reprenne sans élever la voix une seule seconde, les larmes coincées dans ses yeux comme seule preuve de ses émotions en cet instant :
- Est-ce que je t’ai forcé à être dans cette relation ? Est-ce que j’ai vraiment un tel pouvoir sur toi ? Es-tu vraiment aussi facilement influençable ?
Elle marqua là une courte pause avant de reprendre sur le même ton :
- Ou bien es-tu juste un lâche qui fuis ses responsabilités ?
- Fuir mes responsabilités…, répétai-je dans un soupir. C’est tout ce que je fais Granger, prendre mes putains de responsabilités ! m’emportai-je encore.
- Vraiment ? questionna-t-elle alors. Parce que ce soir je n’ai entendu que des choses à propos de toi. À propos de comment ma décision te fait sentir. Comment ma décision t’affecte. A propos de tout ce que tu traverses à cause de moi. Alors je vais me répéter, autant que je t’entende, est-ce que parfois tu te questionnes à propos de moi ?
Je demeurai silencieux face à elle, debout et impuissant tel un profond idiot. Sonné. Elle continua donc, sa voix toujours aussi douce, pas le moindre mot prononcé plus haut que l’autre :
- Est-ce que tu te demandes comment c’était, de découvrir que j’étais amoureuse d’un Mangemort alors que ça allait à l’encontre de tous mes principes ? De toi, en plus, ajouta-t-elle avec un faible sourire triste sur les lèvres. Est-ce que tu te demandes ce que ça fait, de mentir à tous mes amis ? À ma famille, parce que j’en ai une moi aussi, nota-t-elle doucement.
Elle parlait doucement. Elle articulait chaque mot parfaitement. Son ton était aussi régulier que son rythme de parole était posé et lent, comme pour être certaine que chacun de ses mots aurait le temps de m’atteindre correctement.
- Est-ce que tu te demandes parfois ce que ça m’a fait, d’être abandonnée à Poudlard comme si je n’étais rien pour toi ? D’être laissée par terre sans une main tendue pour m’aider à me remettre sur mes pieds ? Est-ce que tu te demandes ce que ça me fait, d’être dans ce château derrière la page blanche d’un journal, dans l’attente constante de quelques pauvres mots distants de ta part ?
Elle marqua une nouvelle courte pause alors que chacun de ses mots s’abattait violemment sur mon esprit malgré la douceur de sa voix.
- Est-ce que tu t’es déjà demandé ce que c’était, des jours, des semaines entières sans avoir la moindre nouvelle de toi alors que je connaissais ta position dans les rangs ? Lire à propos des massacres dont je te savais à l’origine dans les journaux, avec mes amis autour de moi qui parlent d’à quel point c’est monstrueux de votre part, et me sentir malade parce que moi je savais, moi je savais depuis le début et je ne pouvais rien dire parce que je t’aime, avoua-t-elle avec vulnérabilité. Est-ce que tu t’es déjà demandé ce que ça m’avait fait d’être encore à Poudlard après que tu sois parti, chaque élève du château racontant horreur sur horreur à propos de toi pendant que j’attendais quelque chose, n’importe quoi, qui me permettrait de savoir que tu n’étais pas mort ?
Une larme perla finalement sur sa joue, et elle n’y prêta pas la moindre attention. Moi, elle me trancha mon cœur déjà meurtri.
- Est-ce que tu te demandais parfois ce que je ressentais à être là, face à ce journal à chaque fois que tu en avais besoin, à m’oublier moi, mes propres besoins, mes valeurs, même mon respect de moi-même, parce que je considérais que tu en avais plus besoin que moi ? D’être utilisée et ensuite jetée comme si je n’étais rien d’autre qu’une vieille chaussette, encore et encore, mais toujours rester là, à attendre, fidèle, sans ne jamais exprimer la moindre frustration. Parce que je savais trop bien, et que je me demandais aussi trop comment tu devais toi te sentir. Et je sais que je ne peux même pas imaginer Drago, chuchota-t-elle presque. Je le sais. Et je ne regrette rien de tout ça, et il n’y a rien que je referais différemment. Mais je me demande simplement, alors que je suis là devant toi après des mois passés à effacer mes besoins pour ton profit, à tout accepter, toute l’horreur, la terreur, me laisser prendre et jeter à ton bon vouloir, les insultes, les intimidations, les touchés quand tu en as besoin et la violence quand ce n’est pas le cas, je me demande juste… Es-tu vraiment si égoïste qu’il ne t’a jamais traversé l’esprit que moi aussi, parfois, je me sens mal ? chuchota-t-elle, une nouvelle larme perlant sur sa joue.
Je demeurai réduit au silence devant elle, mon cœur m’étant douloureux dans mon poitrail alors que je témoignais finalement de ses propres fardeaux. Des fardeaux que je lui imposai, moi.
- Que moi aussi, je puisse avoir envie de protéger les miens, comme toi tu protèges les tiens ? Que je puisse avoir peur, comme toi tu as peur parfois.
Elle haussa faiblement les épaules.
- Parce que c’est le cas. Je suis assise là en face de toi, à t’apprendre que j’ai quitté la sécurité que je savais avoir à Poudlard, parce que c’est ce que je suis. Et j’ai peur, murmura-t-elle. Bien sûr que j’ai peur. Je sais et j’ignore complètement à la fois dans quoi je m’engage, et non, en effet, je ne sais pas ce qu’il va se passer. Je sais juste que je ne peux pas rester en retrait plus longtemps. Je sais juste que ce n’est pas qui je suis. Et que j’ai peur. Et je comprends que tu aies peur aussi. Vous tous, d’ailleurs, adressa-t-elle en tournant un instant les yeux vers mes amis silencieux. Vraiment, je le comprends. Mais j’ai peur, moi aussi, reprit-elle vers moi. Et parfois je voudrais juste que tu me tiennes la main comme je tiens la tienne, et que tu me dises qu’on va y arriver, comme je le fais avec toi.
Mes sourcils froncés de douleur sur mon front, je fis doucement non de la tête. Je sentis une larme couler sur ma propre joue alors que je chuchotai douloureusement :
- Ce serait mentir.
- Je m’en fiche, me sourit-elle alors. J’aimerais juste que tu puisses me prêter ton épaule, juste une fois de temps en temps, et que tu me donnes ne serait-ce qu’un peu de l’amour, la patience, et la confiance que je te donne. C’est tout, chuchota-t-elle tout bas. Est-ce que c’est trop demander ?
- Je suis de plus en plus mal à l’aise avec toutes ces démonstrations d’émotions, trancha étrangement la voix de Blaise cet instant qui me sonnait complètement.
- Putain Blaise, même moi j’étais investie dans l’spectacle, tu fais chier, râla la voix de Pansy en réponse.
Mes yeux embués demeuraient rivés sur Granger. Elle pinça ses lèvres en un sourire embarrassé, baissa les yeux sur le sol et, d’une main tremblante, elle sécha la larme qui perlait sur sa joue pour la faire disparaître.
- Désolée pour ça, s’excusa-t-elle tout bas.
Figé, et complètement sonné. Était-ce vraiment ce que j’étais, aussi égoïste que cela ? Étais-je vraiment passé à côté de tout cela ? L’avais-je vraiment laissée porter autant sur ses épaules sans même me rendre compte de ce que je lui demandais ? Sans même me demander ce qu’elle, elle pouvait ressentir de tout le poids que je lui rajoutais ? Avais-je vraiment fait tout cela ? En cet instant, je n’étais pas capable de le nuancer. Je n’étais pas capable de me rappeler si je lui avais déjà réellement demandé comment elle allait, ou si c’était trop lourd pour elle. J’avais essayé de la repousser pour éviter tout cela, et toute la douleur que je savais que j’allais lui apporter, c’était vrai. Mais chaque fois qu’elle avait elle-même décidé de rester tout de même, je ne lui avais pas demandé. J’avais tellement été tourmenté moi-même, tellement dépassé moi-même, que je ne m’étais pas même réellement demandé ce qu’elle traversait, elle, parce qu’elle m’aimait. C’était sa décision, c’était vrai. Mais chaque fois que j’avais profité d’elle, de sa présence, de sa douceur, de sa loyauté, de son cœur, de son corps, je ne m’étais pas demandé. Je ne m’étais pas demandé ce que ça lui faisait. Je ne m’étais pas demandé ce dont elle, elle avait peut-être besoin.
Oui, figé, et complètement sonné. Était-ce vraiment là toute l’étendue du monstre que j’étais devenu ?
- Ne t’excuse pas, me ramena dans le présent la voix de mon frère. C’est normal que tu puisses être entendue aussi.
Je notai le regard attendri qu’elle livra à Theo, et le sourire profondément sincère et touché qu’elle lui adressa.
- Ouais ça y est c’est fini, pesta Pansy que j’entendis ensuite boire.
Et je demeurai figé devant elle, immobile.
- C’est juste que…, reprit une Granger hésitante vers mes amis, je comprends vos peurs et votre frustration vis-à-vis de la promesse que je vous ai faite, et je comprends vos peurs à propos de comment on va pouvoir gérer ça maintenant, mais…, je ne peux pas seulement me battre pour vous. Je dois me battre pour les miens aussi.
- Tu le faisais déjà, notai-je encore tout bas.
- Drago, écoute-là, me rappela à l’ordre mon frère.
Je redevenais silencieux.
- Dans l’ombre, oui, acquiesça Granger. C’est une guerre. Je ne peux pas continuer de regarder ces personnes mourir et trouver de la paix dans le fait de savoir qu’au final, je vous ai juste convaincu de lui tourner le dos, si tant est que ça fonctionne à la fin. Je suis désolée, ce n’est pas la personne que je suis, murmura-t-elle finalement.
Un nouveau silence s’abattu sur l’assemblée, et je retrouvais finalement l’assise de mon canapé. J’étais si confus. Plus rien ne me semblait clair. Je ne parvenais plus à savoir si ma colère était ne serait-ce que légitime, ou si je me montrais injuste envers elle. Je ne parvenais plus à établir si j’avais été monstrueux avec elle aussi, ou si j’avais été sincère et légitime tout ce temps. Comme si je ne pouvais même plus me faire confiance à moi-même, ni à mes pensées. Je ne savais plus rien, et c’était complètement déstabilisant. Je ne savais plus où se trouvait le Nord, ni où était le Sud. Tout ce que je savais, c’était qu’elle aussi, elle souffrait. Mais dans ce que j’avais le droit de lui dire, dans ce que j’avais le droit d’attendre d’elle, dans ce que j’avais le droit ne serait-ce que de penser, je ne savais plus rien. Et cela, c’était profondément déstabilisant.
- Merci pour ton honnêteté le crac, retentit à nouveau la tendre voix de mon frère.
Je tournais les yeux vers lui, mais c’était elle qu’il regardait. Mon Nord. Le seul Nord qui demeurait lorsque plus rien autour n’avait de sens. J’étudiais la façon dont il la regardait.
- Merci de m’en avoir donné l’espace, entendis-je Granger lui rendre sur le même ton.
Il la regardait avec une tendresse aussi sincère que profonde. Brute. Cela devait signifier qu’elle était légitime dans ce qu’elle avait livré là.
- C’est bon, stop les conneries sensibles à deux balles-là, coupa la voix tranchante de Pansy.
Je clignais des yeux, cherchant à reprendre conscience de l’environnement autour de moi. Je regardais Blaise qui envoyait un regard joueur plein de malice à Pansy.
- Regarde-toi, la taquina-t-il.
- Lâche-moi tarlouze, se défendit-elle avec une fausse froideur, on t’a pas entendu de toute la soirée alors que j’sais qu’t’es complètement d’accord avec moi.
Je la regardai, elle aussi. Elle était légitime dans tout ce qu’elle avait dit, elle aussi. Certes parfois la forme avait manqué, mais dans le fond, elle était parfaitement légitime. Je tournais les yeux vers mon frère. Il la regardait, lui aussi. Avec une tendresse démesurée et qui n’avait rien à voir avec celle qu’il avait adressée plus tôt à Granger. Oui, elle était légitime elle aussi.
- J’ai pas besoin d’dire grand-chose quand y a un clébard qui gueule comme toi à côté, la charia Blaise avec un clin d’œil.
- Ouais, c’est vachement pratique ça hein, répliqua Pansy, une pointe de ressentiment dans la voix.
Si Pansy était légitime dans tout ce qu’elle avait dit, et si Granger était également légitime dans tout ce dont elle nous avait fait part ce soir, qui avait raison, et qui avait tort ? C’étaient là deux vérités largement opposées qu’elles avaient toutes les deux exprimer sur une même et unique situation. Je cherchais le Nord dans tout ce brouillon confus.
- Oooook j’vais l’dire, reprit alors Blaise, puisque tout le monde apparemment a l’droit à son tour.
Je tournais à nouveau les yeux vers lui. Il gonfla son poitrail d’air, expira profondément, puis il déclara :
- C’était une idée stupide d’la Gryffondor.
Il y eut un nouveau silence. Je demeurai sonné.
- Oh, ironisa Pansy vers lui, merci de ta pertinente contribution.
- Eh, j’essaye ! se défendit-il faussement, se gardant bien de lui dire comment il l’avait défendue avec une sévérité qui n’avait rien eu d’anecdotique plus tôt.
- Pardon, bien joué bébé, s’adoucit Pansy en tendant une main douce vers sa cuisse.
- Merci, gonfla-t-il encore le torse avec un sourire vainqueur.
- J’me fous d’ta gueule bouffon ! claqua-t-elle encore sa cuisse. Merde, fais-toi pousser une paire de couilles, c’est pas vrai !
- TRÈS BIEN ! lui céda-t-il finalement en lui dévoilant les paumes de ses mains.
Soudain, son visage devint profondément sérieux, toute ombre d’un sourire ou de dynamique joueuse effacée de son être :
- Je pense que ça va pousser Drago à prendre des décisions débiles et à faire des erreurs qui risquent de tous nous coûter trop cher, alors que je considère qu’on a déjà payé assez cher pour votre relation à tous les deux, et je vais pas perdre ma meilleure amie deux fois, déclara-t-il avec un sérieux presque intimidant.
Pas l’ombre d’un sourire, pas non plus celle d’une étincelle joueuse dans le regard pour adoucir son discours d’un « je rigole ». Non, il ne rigolait pas du tout. Pansy demeura bouche-bée. Il avait raison, lui aussi. Comment tout le monde pouvait-il avoir raison ? Autant de vérités pouvaient-elles co-exister sur une seule et même situation, sans que personne n’ait vraiment ni tort, ni raison ? Si c’était le cas, avais-je quelque part été légitime dans ce que j’avais dit, moi aussi ?
- Oh, accueilli finalement Pansy, très clairement touchée.
Réduite au silence, comme cela arrivait bien (trop) peu souvent.
- Ouais, répliqua Blaise en baissant son regard toujours aussi sérieux, bien que maintenant un peu gêné.
Non, il ne savait pas bien se montrer vulnérable.
- Je comprends, promit alors de sa douce voix Granger.
J’acquiesçai à ses mots, mon esprit désormais plus silencieux. Moins chaotique.
- Ouais, moi aussi, accordai-je alors.
- Ouais vous comprenez, continua Blaise avec une pointe d’irritation dans la voix, mais ça ne change rien, n’est-ce pas ?
- Non, murmura Granger, ça ne change rien.
Blaise leva un regard teinté d’une ombre de colère vers mon frère.
- Donc au final c’est quoi le but de tout le délire là, à part se balancer nos quatre vérités à la gueule qui auraient mieux fait d’être tues, puisque ça changera rien à tout c’merdier ?
- Le but c’est que chacun puisse sortir ce qu’il a à dire en espérant que ça ne pourrira pas notre alliance de l’intérieur, alors qu’on va très clairement vers des temps plus compliqués encore, lui expliqua alors un Theo toujours aussi solidement et sereinement ancré.
Personne ne répondit rien, l’ambiance à la fois lourde et apaisée.
- Et pour que tout, de tous les côtés, soit aussi clair que possible plutôt que rempli d’interprétations et de compréhensions unilatérales, ajouta-t-il encore. Vous savez, les différentes versions d’une même histoire dont Drago nous a brillamment parlé plus tôt, conclu-t-il avec un sourire en ma direction.
Je ne contrôlais pas la façon dont les coins de mes lèvres se relevèrent à mon tour. L’œil brillant de mon frère, l’amour et la tendresse que j’y lisais lorsqu’il me regardait. Il était là, le Nord.
- Enfoiré, pestai-je en lui souriant.
Il m’adressa un clin d’œil, ce somptueux enfoiré. Pansy porta son verre à ses lèvres, et Blaise soupira finalement.
- Tu kiffes vraiment jouer au daron, hein ? lança Pansy vers Theo une fois qu’elle eut avalé sa gorgée empoisonnée.
Il tourna des yeux malicieux vers elle.
- Quelqu’un doit bien le faire, vu comme vous pouvez être immatures.
Il avait le plus magnifique des sourires en coin qui venait décorer son visage déjà parfait.
- OOOOOOOH THEO NOUS CLASH !!!! s’exclama alors Blaise avec entrain. Putain ça vaut bien un shot ça, des shots pour tout le monde !
- Et voilà qu’il recommence, rendre la situation moins sérieuse parce qu’il est mal à l’aise avec la vulnérabilité, commenta encore Pansy vers son meilleur ami.
- Eh ! se défendit-il faiblement.
Nous rions tous. De faibles rires, mais nous rions tous. Granger incluse.
- Je sais que tu m’aimes trop, tu peux plus le retirer maintenant, taquina Pansy vers lui.
Blaise haussa les épaules nonchalamment, ses joues foncées prenant néanmoins une attendrissante nuance de rouge.
- Qu’est-ce que tu veux que j’te dise, j’ai un faible pour les garces arrogantes pourries gâtées comme toi.
- N’est-ce pas l’cas d’chacun d’entre nous ici, ajoutai-je alors avec tendresse, pour pouvoir supporter vos conneries à tous les deux au quotidien depuis autant d’années.
- Vous seriez tous des grosses tarlouzes si j’avais pas été là, se venta Pansy à juste titre.
- C’est vrai, confirma Theo sans détour.
Pansy tourna son regard d’émeraude vers lui, et je pouvais y lire tout le mélange complexe et enivrant d’émotions qui tourbillonnait dans ses yeux quand elle le regardait comme cela. Et il le lui rendait bien. Je me sentis sourire à nouveau. Je ne savais pas que je pourrais à nouveau sourire ce soir.
- Ouais, buvons à ça, proposa encore notre alcoolique de Blaise.
Nous levions tous nos verres dans les airs avant d’en prendre une épaisse gorgée en cœur, Granger incluse. Elle aussi, elle souriait. Je ne retenais pas ma main gauche de venir se loger chaleureusement sur sa cuisse. Je ne savais pas si c’était suffisant, je ne savais même pas si elle le voulait, mais elle était là, elle s’était dévoilée à moi, et quand bien même je n’avais pas encore fait le tri ni dans mes pensées, ni dans mes émotions, en cet instant je voulais simplement lui montrer que j’étais là. Elle leva des yeux pleins de tendresse vers moi, et elle me sourit, à moi. Pas au groupe, mais à moi. Encore après tout cela. Malgré tout cela. Malgré tout. Je serrai sa cuisse d’une légère pression que j’espérai chaleureuse.
- On va y arriver, promit alors Theodore au groupe.
Je tournais les yeux vers lui sans enlever ma main de la fine cuisse de Granger, et j’inspirai profondément. Mon Nord. S’il disait cela, je supposai que je me devais de le croire, puisque je n’étais pas capable en cet instant de penser par moi-même. Je lui souriais.
- On y arrive toujours, non ? renvoyai-je alors au groupe que nous étions.
- Va falloir, parce que j’crèverai pas deux fois pour celle-là là-bas, ajouta Pansy en levant les yeux vers Granger, une lueur joueuse dans les yeux.
- J’appuie cette déclaration, la seconda Blaise avant de reprendre une gorgée de son verre.
- Et moi de même, conclu Granger.
Pansy soupira tout l’air de ses poumons et leva une nouvelle fois son verre avant de déclarer sur un ton plus haut, moins sérieux :
- Aller nique toute cette merde, cette nuit on est en vie. Blaise balance la musique, ce cul a besoin d’danser.
- Allerrrrr, c’est parti ma star ! encouragea Blaise en se levant pour lancer le tourne-disque.
Pansy s’appuya de ses deux mains sur la table basse pour se relever difficilement. J’en avais presque oublié que nous étions tous déjà ivres avant même l’arrivée de Granger, et le sérieux de la situation ne m’avait pas permis de me rendre compte que nous étions désormais certainement beaucoup plus ivres encore, chacun d’entre nous.
- Et toi, dit Pansy en pointant un doigt bancal vers Theo alors qu’elle tenait difficilement sur ses pieds, tu vas boire encore plus pour nous avoir forcé à passer c’moment d’merde.
Elle attrapa de sa main fine la bouteille qui ornait notre table basse, et d’un pas claudiquant elle s’approcha de mon frère qui siégeait royalement sur son fauteuil. Il leva un regard enivré haut vers elle, un sourire attendri sur ses lèvres :
- Ah oui ?
- Oh, oui, confirma-t-elle en saisissant son menton qu’elle leva plus haut encore vers elle.
Il se laissa faire comme s’il était sa joyeuse marionnette. Je savais qu’il l’était. Elle leva la bouteille ouverte au-dessus du visage de mon frère, et sans lâcher son menton entre son pouce et son index, elle ordonna :
- Ouvre la bouche.
Un large sourire se dessina sur les lèvres pleines de Theodore. Il les humidifia du bout de sa langue avant d’obéir, maintenant le contact visuel avec elle tout du long. La musique que Blaise avait lancée retentit soudain pour emplir l’intégralité de la pièce d’une ambiance bien plus légère et agréable que jusqu’alors.
Pansy renversa la bouteille vers la bouche ouverte pour elle de Theodore, leurs yeux excités rivés les uns dans les autres, et elle commença à verser l’alcool à même la bouteille dans la bouche de mon frère qui ne la refermait pas. Elle versa, et elle versa encore. Il garda la bouche ouverte et les yeux dans les siens alors que sa glotte avalait de temps à autre, la laissant tout simplement maîtresse de combien d’alcool il boirait en cet instant, et Pansy versa, et Theodore recevait ce qu’elle décidait de lui donner sans se retirer. Quand elle décida qu’il en était assez, sans retirer sa main de son menton, elle releva la bouteille désormais bien entamée, et d’une voix enivrée elle ordonna à travers la musique rythmée qui retentissait dans la pièce :
- Sois un grand garçon, et avale.
Theodore ferma la bouche, un sourire prédateur duquel un filet d’alcool coulait sur les lèvres, et il avala sans la lâcher des yeux. Du bout de son pouce, Pansy essuya le fil d’alcool qui traçait son menton.
- Ça c’est un bon garçon, roucoula-t-elle ostensiblement.
Puis elle se retourna, et le laissa là, pantelant sur son canapé, l’esprit sans nul doute bien plus embué par la femme qu’elle était et l’attitude dont elle était capable de faire preuve envers lui et qu’il lui laissait avec grand plaisir avoir, puis elle porta la bouteille directement à sa bouche alors qu’elle se retournait vers un Blaise qui dansait déjà au centre du salon. Theodore la regarder partir comme si elle était une vision proprement divine, hypnotisé.
Le sourire aux lèvres, je me levai de mon canapé et m’installai aussi proche que mon corps me le permettait de Granger. Elle m’accueilli avec un sourire tendre, et je passai un bras autour de ses épaules, son odeur sucrée emplissant délicieusement mes narines, réchauffant mon âme noircie qu’elle rendait plus douce de son amour. Je laissai mon visage se reposer un instant dans le creux de son épaule où je déposai un baiser appuyé, comme un gage de paix qui donnait suite à ces émotions débordantes et chaotiques que nous avions traversé cette nuit. Je me permettais de fermer les yeux un instant. Ne pouvait-ce pas se limiter à cela, la vie ? Des amis qui dansaient, un peu d’alcool de temps en temps, des rires qui emplissent une pièce pourtant déjà remplie de musique, et Granger à côté de moi, souriante et apaisée. Sa main se posa sur ma cuisse, celle que j’avais de libre trouva sa juste place sur la sienne, et je relevai les yeux vers mon frère. Il me regardait déjà en souriant. Oui, je voulais que la vie se limite à cela. C’était cela, tout ce que je voulais. C’était pour cela que je me battais. Exactement pour cela. Je tournais les yeux vers Blaise et Pansy. Il la faisait tantôt tournoyer d’un bras musclé, tantôt il l’encourageait à onduler ses hanches sans ne jamais trop s’approcher d’elle lorsqu’elle faisait cela. Mais toujours, toujours il l’encourageait dans ce qu’elle faisait. Et de temps en temps, il faisait l’idiot, et le rire de Pansy résonnait dans la pièce plus fort que la musique. C’était un son beaucoup plus agréable à nos oreilles à tous, de toute façon. Alors je restai là, tout contre Granger, son odeur dans mon nez et sa peau dorée contre la mienne, les battements de son cœur en vie résonnant avec les miens comme s’ils ne faisaient plus qu’un, et je laissai mes yeux lourds de fatigue profiter du spectacle que mes amis donnaient. Le soleil ne tarderait pas à pointer le bout de son nez, et pourtant c’était eux qui illuminaient le plus la pièce.
Pansy dansa, et elle dansa. Elle dansa la vie et elle dansa la mort, ses cheveux transpirants et son maquillage s’étalant discrètement de quelques poussières noires sous ses yeux d’un vert profond. Blaise ne la laissait pas tomber sur la piste, il ne le faisait jamais. Non, jamais. Mon cœur était rempli, je ne savais pour combien de temps encore, mais peu importait. J’avais là tout ce dont je ne pourrais jamais avoir besoin. Alors je demeurai là, et j’en profitais.
- Tes amis ne sont pas des gens ordinaires, murmura la voix angélique de Granger dans le creux de mon oreille.
Je me sentis sourire contre elle. Non, ils ne l’étaient pas. J’aimais le fait qu’elle puisse s’en rendre compte, le fait qu’elle en ait l’opportunité. J’aimais la sentir là, tout contre moi alors que ma famille était réunie avec nous. J’aimais qu’elle ne soit pas un secret ici, qu’elle ne soit pas quelque chose que je devais leur cacher à eux. Et j’aimais le fait qu’ils m’aimaient tous assez pour, en cet instant au moins, supporter la présence les uns des autres, et m’offrir ce moment parfait. J’aimais le fait qu’elle puisse se tenir là, tout près de moi, ma peau contre la sienne et son corps emmêlé au mien comme s’il n’y avait rien de plus naturel que cela. J’aimais le fait qu’en cet instant, nous y avions droit. J’avais le droit de la toucher, et j’avais le droit de l’aimer. Et cela pouvait se voir sans nous condamner. J’inclinais le visage pour la regarder, elle et sa peau dorée, ses yeux ambrés qui avaient mille et unes histoires à raconter. Elle me retourna mon geste, ses lèvres s’étalant sur ses joues en un sourire si tendre, si sincère que j’aurai voulu pouvoir le caresser. Je sentis la gratitude me déborder par tous mes pores, des sensations enivrantes et continues de picotements chaleureux qui traversaient l’intégralité de mon corps, comme cherchant à gagner celui de Granger. Pour lui faire ressentir exactement cela, à quel point j’étais reconnaissant de l’avoir dans ma vie, elle aussi. Elle qui ne m’avait jamais abandonné, malgré toutes les bonnes raisons qu’elle aurait eu de le faire, encore et encore. Ce soir encore. Et elle se tenait là, elle se tenait juste là à côté de moi. Sa main était mêlée à la mienne, et la tendresse dans ses yeux lorsque c’était moi qu’elle regardait sans égal. Ce n’était pas le genre de tendresse avec laquelle l’on pouvait regarder un ami, ni même un membre de sa famille. C’était une tendresse dangereuse. Le genre de tendresse pour laquelle on commettait des erreurs, celle pour laquelle on repoussait ses limites, celle qui nous dépassait largement et qu’on ne pouvait plus parvenir à contenir tant elle était profonde. Oui, elle me regardait comme cela. Comme si elle débordait de tendresse pour moi. Alors, avec un émoi que je ne pouvais contenir, je caressais sa joue, et venais déposer sur ses lèvres un baiser d’une délicatesse qui dépassait l’entendement. Peut-être était-ce l’alcool, peut-être était la fatigue, peut-être était-ce mes émotions chaotiques, ou peut-être était-ce tout simplement l’amour. « Je t’aime », avait-elle dit ce soir. Dans la langue que je lui prêtais, sur ses lèvres éperdues que je réclamais miennes, je laissai là ces quelques mots en suspens. La façon dont elle s’abandonna à moi dans cet échange : la lourdeur de son visage que je soutenais du creux de ma main, la langueur avec laquelle ses lèvres s’ouvraient pour moi, et l’effusion de chaleur qui vivait dans ses pupilles enivrées m’apprenaient sans conteste que mon message avait été livré.
Un peu plus tard encore, j’avais retrouvé mon frère un instant sur son large fauteuil. Je m’étais laissé tomber à côté de lui, et avec un regard plein de sous-entendus, il m’avait laissé la place de le faire. Je regardais la scène depuis sa place. Pansy et Blaise qui dansaient. Granger face à nous qui les regardait faire avec un sourire, parfois même en riant, les yeux brillants.
- Merci, chuchotai-je alors, le sentiment de gratitude débordant de moi par tous mes pores.
Tout cela, c’était grâce à lui. Pansy et Blaise qui dansaient. Granger avec nous, qui souriait. Cette paix. C’était grâce à lui. Rien qu’à lui.
- Je ne sais pas ce que je ferai sans toi, lui livrai-je alors que les larmes montaient à mes yeux.
Non, je ne savais pas ce que je ferai sans lui. Il était mon Nord. Il était notre Nord à tous, et je n’étais même pas certain qu’il en était réellement conscient. Tout cela, c’était son œuvre. Que je tienne encore, c’était son œuvre. Que je n’aie pas encore totalement perdu pied malgré tout, malgré toute l’horreur, c’était son œuvre. C’était lui. Lui, et personne d’autre. Il tourna son parfait visage vers moi, ses lèvres m’adressant le plus parfait, le plus somptueux des sourires. Sa main gauche se saisit chaleureusement de mon crâne, et je fermai les yeux sous ce contact familier. Il porta mon visage à lui avec douceur, et déposa un baiser appuyé sur mon front. Un instant, il laissa son visage reposer contre le mien, et je profitais de la chaleur que ce contact faisait naître en moi.
- On va gérer, chuchota-t-il avec la confiance débordante qui le caractérisait.
Je fermai à nouveau les yeux, et laissai ces mots, sa voix, et sa puissance résonner en moi. Oui, mon Nord. En cet instant je le croyais, et il me semblait que c’était tout ce qu’il comptait. Et puis, il m’avait lâché, et avec un regard appuyé il m’avait empressé de retrouver ma douce et tendre, ce que j’avais fait. Je m’étais lové contre elle, et je l’avais félicitée et remerciée pour son honnêteté en me perdant dans l’ambre qui brûlait dans ses yeux. Puis j’avais embrassé ses lèvres, et je m’étais perdu dans la douceur indécente que j’y trouvais toujours. Et finalement, nous avions regardé mes amis danser, et je m’étais demandé si c’était la dernière fois qu’une telle scène ne se produirait jamais. Nous cinq, ensemble, heureux bien que certainement ivres. De tout mon cœur, de toute mon âme, je priai que ce ne soit pas le cas. Mais si c’était moi qui manquais à l’appel dans le futur, je serai en paix avec cela.
Je tournai le regard vers mon frère. Il était enfoncé dans son fauteuil, ses jambes écartées en une posture aussi fatiguée qu’étrangement séduisante. Son visage était légèrement penché sur le côté, reposant sur le dossier du canapé alors que ses yeux ne parvenaient pas à lâcher Pansy. En cet instant il me semblait que je pouvais presque voir son cœur battre dans le creux de ses pupilles azurées. Il y avait tout un monde qui y dansait, dans ces pupilles-là. Tout un monde d’émotions que les mortels ne pouvaient pas comprendre, parce qu’elles les dépassaient largement. Je me sentis attendris de le voir ainsi. Il était subjugué, totalement hypnotisé. Elle était sans nul doute le plus magnifique des spectacles qui puisse être à ses yeux, et quiconque le regarderait en cet instant en serait un indéniable témoin. Parfois, ses yeux descendaient avec envie le long du corps de Pansy, mais le plus souvent c’était son visage qu’il regardait. La légèreté que l’on pouvait y lire, le sourire qu’elle abordait parfois. C’était cela qu’il regardait. Cela qui l’enivrait. Cela qui faisait battre son cœur plus fort que n’importe quoi d’autre pouvait se vanter d’en être capable. Finalement, elle se retourna vers lui, et comme moi, elle ne put faire autrement qu’être témoin de ce que j’avais déjà sous les yeux.
Elle s’approcha lentement de lui, et Theodore ne bougea pas d’un pouce alors qu’il la suivait du regard. Il ne chercha pas à se relever sur son fauteuil, ni à redresser son visage, ni même à cligner des yeux pour cacher l’amour qui y dansait explicitement. Je ne savais même pas s’il pouvait le faire, mais en tout cas, il n’essaya pas. Il la regarda simplement avancer vers lui, ses lèvres légèrement entre-ouvertes, et il la laissa faire lorsqu’elle s’inséra entre ses cuisses écartées, debout face à lui. Elle s’arrêta là, et Theodore ne la lâcha pas du regard une seule seconde, comme s’il avait peur qu’elle disparaisse s’il ne faisait ne serait-ce que cligner des yeux. Soudain, un sourire en coin se dessina sur le visage de Pansy. Elle passa son pouce sur le menton d’un Theodore parfaitement inerte, puis lentement elle porta ce doigt à ses lèvres. Elle lécha son pouce sans rompre leur contact visuel avant de déclarer, ce sourire en coin malicieux décorant toujours son visage :
- Tu baves.
Le corps de Pansy effectua un micromouvement sur la gauche, signe qu’elle s’apprêtait à se retourner et s’en aller, le laissant ainsi. Je le décelais à peine, mais lui l’avait vu très clairement. A l’instant même où elle allait se retourner pour ne laisser derrière elle qu’une amer sensation de froid là où elle lui amenait chaleur, Theodore se redressa droit sur son fauteuil, et ses deux bras encerclèrent avec une vitesse surhumaine la taille de Pansy qui sursauta de surprise. Avant même que mes yeux ne puissent comprendre quoi que ce soit, les bras de Pansy étaient relevés sur les côtés, ses yeux exorbités alors qu’elle non plus, elle ne comprenait rien. Elle était là, debout entre les cuisses de Theodore, et les bras musclés de celui-ci la tenaient là, contre lui. Ses mains épaisses caressaient doucement le dos de Pansy dans des gestes timides, et il appuya le corps de Pansy contre son visage désormais caché en elle.
- S’il te plaît, laisse-moi juste… chuchota-t-il dans son ventre.
Les bras de Pansy étaient toujours relevés dans les airs, perdue dans l’incompréhension la plus totale. Personne n’avait anticipé ce mouvement de Theodore, pas même lui, j’en étais certain. Il avait beaucoup bu ce soir. Dans un geste tendre, les mains de Theo effleurèrent le dos de Pansy, ses mains pleines frôlant le tissu noir qui recouvrait la peau de cette dernière.
- Rien qu’un instant…, murmura-t-il sans relever les yeux vers elle.
Je pouvais voir les mains de mon frère caresser timidement son dos, des mains tremblantes comme si elles touchaient là un trésor interdit, et pourtant il y avait dans la prise qu’il avait sur elle une possession qui elle, n’avait rien de timide.
- Juste… Ne bouge pas, s’il-te-plait…, supplia-t-il alors que son visage caressait à son tour le tissu qui recouvrait le ventre de Pansy dans de discrets effleurements de gauche à droite.
Elle ne bougea pas. Pendant un instant, Pansy demeura figée, coincée entre les cuisses de Theodore, son corps rigide alors qu’il la retenait prisonnière. Puis, lentement, je vis son dos s’affaisser, et je savais qu’elle se détendait à son tour. Ce ne fut qu’à partir de cet instant que les bras de Theo se renfermèrent plus encore contre sa taille, l’encerclant intégralement, la serrant fort contre lui. Il avait le visage enfoncé droit dans son ventre, caché de tous contre celle qu’il aimait. Je pouvais voir son dos épais prendre de profondes inspirations, inspirant sans nul doute l’odeur de celle qui le remplissait pour s’en imprégner. Profitant sans l’ombre d’un doute de son contact si proche dont il avait été privé pendant tant de temps. Ses mains parcouraient le dos si fin de Pansy comparé à celui de mon frère, ses mains paressant géantes sur ce dos frêle. Il montait tantôt sa prise le long de la colonne vertébrale de Pansy, sa peau parcourant le tissu de cette dernière, sentant contre sa paume le moindre des battements de son cœur, et tantôt il laissait ses mains redescendre dans une caresse veloutée tandis qu’il la pressait contre lui, appuyant sur son dos pour sentir plus de son ventre contre son visage. Comme s’il cherchait à fusionner avec elle. À se noyer en elle. Dans sa peau étincelante, dans son odeur tonifiante, dans la mélodie des battements de son cœur et celle, plus discrète, du sang qui dansait dans ses veines. Elle était vivante. Elle était juste là. Elle le laissait la toucher. Les bras de mon frère étaient désormais si serrés autour de la taille fine de Pansy qu’il était évident pour quiconque le regardait qu’il était absolument terrorisé que l’on puisse la lui arracher à nouveau. Personne ne le pouvait, pas même la mort. Et lorsque Pansy entendit sa supplication silencieuse, lorsqu’elle sentit dans la façon dont il la touchait le désarroi qui l’assaillait, elle baissa finalement les bras.
Elle laissa ses coudes retomber lentement le long de son corps, avec une langueur timide comme si elle avait peur de le briser de son mouvement, et dans un instant qu’elle étira, elle porta ses mains au crâne de Theodore. Il ne bougea pas. Il ne cessa pas de la serrer tout contre lui de toutes ses forces, son visage toujours caché contre le ventre de celle pour laquelle il n’avait plus aucune face à garder. Et Pansy passa d’un mouvement alangui ses doigts fins dans les boucles sombres de Theodore. Lentement, elle laissa ses doigts s’emmêler dans ses cheveux avec une douceur qui ne lui était que très rarement attribuable, s’autorisant à découvrir la texture de soie de ses boucles. Elle le regarda, ce Theodore caché contre elle. Et tout doucement, elle caressa ses cheveux de corbeau dans des gestes débordants tant de tendresse qu’ils en étaient intimidants. Le corps de Theodore sembla se détendre sous ce contact, comme s’il pouvait respirer pleinement à nouveau pour la première fois depuis qu’elle lui était revenue, et pourtant les muscles de ses bras ressortaient avec tranchant, signe de la force avec laquelle il la serrait contre lui. D’à quel point il était terrorisé qu’elle lui échappe. D’à quel point il avait viscéralement besoin d’elle. Vulnérable, et sans l’ombre d’un masque. Simplement… à nu.
Ils restèrent ainsi de longues minutes. De très longues minutes, comme si le temps lui-même s’étirait pour leur offrir plus de répit, et je ne pouvais rien faire d’autre que les regarder, et je savais que tous les autres faisaient de même. Blaise avait même cessé de danser, des larmes naissant dans ses yeux. Theodore montrait à quel point il était pitoyable pour elle. Il le lui montrait à elle, et il nous le montrait à tous. Sans l’ombre d’une fierté, sans l’ombre d’un ego, sans l’ombre d’un faux semblant hypocrite. Il la serrait contre lui avec une force terrifiante qui pourtant ne semblait pas effrayer Pansy, et il cachait son visage tel un enfant contre son ventre en dévoilant sa plus profonde faiblesse. Et Pansy caressait ses cheveux dont elle redécouvrait la douceur, et elle ne bougeait pas. Elle ne lui demandait pas de la lâcher. Elle ne lui lançait pas la moindre moquerie ou pique acerbe. Elle ne bougeait tout simplement pas, elle non plus, pendant ces minutes étirées. Et finalement, quelques temps plus tard, Theodore bougea finalement.
Ses bras ne se desserrèrent pas de la taille fine de Pansy, pas même d’un seul millimètre. Il releva seulement le visage vers elle, là-encore avec une langueur effrayante, comme s’il était terrifié qu’elle lui retire son contact. Elle ne le fit pas. Il posa son menton sur le ventre de Pansy, et leva des yeux rouges de larmes haut vers elle. Le visage de mon frère n’avait plus rien de celui de l’homme fort et puissant qu’il était. Non, il n’en restait rien. Ses sourcils étaient suppliants vers elle, déconstruits et baissés en une prière silencieuse. Il regardait Pansy comme si elle pouvait le briser d’un simple mouvement, d’un moindre mot, d’un simple regard. Ils offraient malgré eux un spectacle déstabilisant. Theodore était si grand, il était si large et puissant, et Pansy si fine, son corps avait l’air si fragile à côté de celui, monstrueux, de mon frère. Et pourtant c’était indéniablement lui qui était en position basse, il avait l’air si fragile, sur le point d’être brisé en mille morceaux par celle qui lui rendait une tendresse démesurée. Elle était là, haute devant lui comme un phare dans la nuit étoilée, guidant son voyage tout en étant sa destination finale, ses mains encadrant désormais son visage comme si elle gardait en lui le peu de raison qu’il lui restait. Il ne lui en restait guère. En cet instant, dans la façon dont il la regardait, son menton posé sur le ventre de Pansy et ses yeux azurés larmoyants levés haut vers sa déesse, il ne lui restait rien de raison. Il n’y avait qu’elle. Il n’y avait qu’elle qui le dominait de sa hauteur, plus encore qui le dominait de la femme qu’elle était, et le serviteur dévoué qu’il était pour elle. À elle. Il n’en restait pas le moindre doute.
Si Pansy ne savait pas jusque-là, désormais elle savait. Il était complètement et intégralement à elle. Il lui appartenait, lui, son corps, son cœur, ses yeux, son âme. Il lui appartenait intégralement. Il la regardait comme si le moindre geste de sa part pouvait le briser, cet homme si démesurément fort et puissant qu’il était. Il n’en restait rien en cet instant. Il était là, sous elle, ses bras la serrant contre lui comme si elle était le trésor le plus précieux qu’il puisse un jour posséder, son menton enfoncé dans son ventre alors qu’il devait lever ses yeux si haut pour parvenir à la regarder en retour. Et Pansy le regardait, elle aussi. Et je savais qu’elle pouvait le voir. Dans les yeux aussi larmoyants que suppliants qu’il levait vers elle alors qu’il ne pouvait se résoudre à la lâcher tandis qu’il ne se donnait pas le droit de la toucher pleinement, je savais qu’elle pouvait le voir. Il était putain de pathétique pour elle. Il n’existait pas d’autre mot pour le qualifier. Il était complètement et irrémédiablement pathétique pour elle, et c’était magnifique. Il était magnifique, ce guerrier monstrueux qui se dévoilait dans toute sa vulnérabilité à elle, ce guerrier à bout de forces et qui s’accrochait désespérément à elle comme si elle était son unique raison de combattre. Le moindre mot de la part de Pansy, le moindre souhait, le moindre désir, même le plus insensé, il y répondrait. Il y avait dans cette femme qui se tenait haut contre lui toutes les réponses aux questions les plus profondes, les plus énigmatiques de l’univers. Pour cet homme-là, il y avait entre ses cuisses tout ce que l’univers pouvait avoir à offrir. Et cela le dépassait largement. Même lui, il n’était pas assez fort pour ça. Même lui, il n’était pas assez fort pour se battre contre cela. Parce qu’il y avait en Pansy toutes les réponses aux questions que Theodore ne s’était jamais posé, et qu’un amour si surnaturel ne pouvait pas être contenu dans des frêles corps de mortels.
Oui, il était pathétique pour elle. Le grand Theodore Nott, réduit à néant, réduit à l’ombre d’un enfant suppliant pour elle. Rien que pour elle. Moi aussi, je sentis une larme couler sur ma joue. Pour eux. Pour cela. Je me battrai pour cela. Pour ces instants-là. Parce qu’il n’y avait rien de plus vrai dans la vie que cela. C’était la première fois depuis qu’elle était revenue à la vie qu’il la touchait vraiment. C’était la première fois depuis qu’elle nous était revenue qu’il se ressourçait en elle. Il n’avait jamais rien montré jusqu’alors. Il n’avait jamais faibli, n’avait jamais perdu la raison, ne s’était jamais plaint. Il avait toujours tenu et continué avec une force d’esprit qui dépassait l’entendement, comme s’il pouvait tout supporter, tout endurer. Tous pouvaient le voir désormais. Il était brisé. Son corps, son cœur, son âme, tout de lui était brisé. Et il n'y avait qu’elle qui pouvait le réparer. Nous étions tous réduits au silence. La musique elle-même semblait si distante qu’elle n’était plus qu’un murmure effacé. Il n’y avait que la nudité de l’âme précairement fragile de Theodore qui s’imposait à nous avec une douleur amère, mêlée d’une magnificence ressourçante.
Il l’avait perdue par ma faute. La force enragée qui bouillonnait en moi devant ce spectacle me promettait que j’allais la lui rendre. Il n’existait désormais plus le moindre scénario dans lequel mon frère ne retrouverait pas une parfaite plénitude après cette Guerre. J’allais la gagner pour lui. J’allais le réparer.