Dollhouse

Chapitre 38 : Celui qui était incapable de faire ce qui était attendu de lui

16054 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 12/05/2024 17:00

-       Tu crois que tu peux me sauver ? continuai-je de lui cracher au visage. Mes mains sont déjà tâchées de sang Granger, et tu les as laissées te toucher en omettant les vies qu’elles avaient déjà prises. 

-       Tu es autant victime de lui que toutes ces vies qu’il a fait prendre, chuchota-t-elle doucement. 

-       JE NE SUIS PAS SA VICTIME, JE SUIS SON SOLDAT ! hurlai-je en lui découvrant mon avant-bras gauche, lui imposant la vue de ma Marque. QU’EST-CE QUE TU FOUS ENCORE LÀ GRANGER ?! JE SUIS DANGEREUX ! criai-je à son visage mouillé de larmes, son visage qui ne voulait pas me croire. JE SUIS UN TUEUR ! formulai-je avec une douleur écrasante qui m’assaillait. 

-       Je n’ai pas peur, murmura-t-elle en soutenant mon regard inquiétant. 

La rage bouillonna dans mes veines alors que j’étais confronté à son incapacité à voir la réalité en face. Elle me forçait à faire ça. Elle me forçait à lui faire plus de mal. A lui faire voir plus du monstre que j’étais. Pour la protéger. Simplement parce que je voulais la protéger. 

-       J’ai torturé mon propre père, crachai-je avec violence sur un ton plus bas. J’ai torturé des innocents. J’ai tué des innocents. J’ai tué des Sang de Bourbe. J’ai tué des membres de ton Ordre ! Ton professeur Lupin, ce professeur que tu aimais tant, tu te rappelles de lui ? provoquai-je avec rage. C’ÉTAIT NOUS ! CE N’ÉTAIT PAS LUI, CE N’ÉTAIT PAS D’AUTRES MANGEMORTS, C’ÉTAIT NOUS ! hurlai-je alors que mon cœur se brisait de devoir lui dire une telle chose. C’EST NOUS QUI L’AVONS TUÉ ! TU M’ENTENDS ?! l’implorai-je alors que j’entendais mon cœur battre violemment dans mes oreilles. QU’EST-CE QUE TU FOUS ENCORE LÀ PUTAIN ?! 

De plus douloureuses larmes coulèrent le long de ses joues, mais elle ne détourna pas les yeux. Et elle ne recula pas. 

-       Je ne partirai pas, chuchota-t-elle sans bouger. 

Je sentis mon poitrail se soulever intensément alors que la rage, l’impuissance et la douleur rendait ma respiration difficile. Mes lèvres se pincèrent avec violence avant de cracher tout le venin que j’avais en moi, me détestant moi-même, et la détestant elle de me forcer à dire les mots que je n’avais pas même la force de penser dans mon propre esprit : 

-       Un jour je vais me retrouver face à toi sur le champ de bataille, et quand les yeux de Voldemort seront sur moi, attendant de voir ce que je vais faire, et que la vie de ma mère et de ma famille sera en ligne de mire, je vais te chasser Granger. Je vais te chasser, et quand je vais t’attraper, parce que je vais t’attraper, tu me regarderas, terrifiée, et je vais lever ma baguette sur ton corps, sur ce corps que j’ai baisé, crachai-je avec dégoût, et je vais te tuer. PARCE QUE C’EST CE QUE JE SUIS DEVENU GRANGER ! hurlai-je à son visage qui pleurait de toute la force de mon désarroi. 

Mais elle ne recula pas. 

-       AIES PEUR DE MOI ! vibra ma voix sombre en elle alors que j’hurlais de toute mon impuissance et de toute ma douleur de la voir rester face à moi. JE SUIS UN MONSTRE ! JE SUIS UN MONSTRE ! répétai-je avec toute ma force. AIES PEUR DE MOI ! l’implorai-je violemment.

Mais elle ne bougea pas. 

-       JE TE TUERAI ! hurlai-je alors que je sentis une larme couler sur ma propre joue. QUAND LE MOMENT SERA VENU, ET QUE CE SERA TOI OU MA FAMILLE, JE TE TUERAI ! TU M’ENTENDS ?! JE TE TUERAI GRANGER ! ALORS FUIS-MOI ! ordonnai-je à quelques millimètres de son visage, mon désarroi faisant trembler l’intégralité de mon corps désemparé. 

Mais elle ne fuit pas. 

-       FUIS-MOI ! hurlai-je plus fort alors que je la poussais en arrière. FUIS-MOI !

Elle retrouva position sur ses pieds ancrés, et elle ne baissa pas les yeux. Ils continuaient de pleurer. Mais elle ne fuyait pas. 

-       Je ne peux pas, chuchota-t-elle tout bas. 

Et je la regardais, mon visage déformé par la rage, par la terreur et l’impuissance dans laquelle elle me mettait, et je sentais des larmes perler sur mes joues alors que je ne comprenais pas. Elle me regarda, elle aussi, dans toute son impuissance, et elle murmura dans toute sa vulnérabilité : 

-       Je ne peux pas, parce que je suis amoureuse de toi. 

Je m’écroulais à ses pieds, tombant à genoux devant elle en même temps qu’elle renversait l’intégralité de mon monde en prononçant ces quelques mots. Ces quelques mots létaux. Ces quelques mots qui réparaient tout ce qui avait jamais été abîmé en moi en même temps qu’ils me découpaient en lambeaux de leurs lames aiguisées. Elle les avait dits. Elle ne pouvait plus les reprendre, elle les avait dits. Son comportement envers moi me l’avait déjà montré. Mais ces mots s’imposaient à moi avec toute la violence de leur réalité concrète. Et avec la résonnance de sa voix en moi, ce fut comme si mon monde s’écroulait. 

Mes bras s’enfermèrent autour de sa taille alors que je demeurai interdit sur le sol, à genoux devant elle, mon visage reposant sur son ventre, et je sanglotai-là toute ma détresse. J’avais la sensation vertigineuse que le sol s’était dérobé sous mes pieds, et que tout ce qu’il me restait à faire c’était m’accrocher à elle pour ne pas m’effacer dans le néant. Alors je m’accrochai à sa taille, je m’y accrochai de toutes mes forces, mais ma tête me tournait et mes pieds me semblaient pendre dans le vide, attirés par ce néant angoissant qui cherchait à m’aspirer. C’était à la fois comme si elle venait de prononcer les mots que j’avais secrètement toujours espérer entendre, mais aussi les mots que je ne devais absolument et irrémédiablement jamais entendre, parce qu’ils causeraient ma perte. La vie de mes rêves était juste là, entre mes bras. La femme de mes rêves était juste là, contre moi. Et elle était amoureuse de moi. Le futur que j’avais rêvé, ce futur interdit que je m’étais pourtant autorisé à rêver était au creux de mes bras. Et je ne pouvais pas l’avoir. Et je ne pouvais pas le garder. Et je ne pouvais pas le bâtir. Et je devais trouver le moyen de la forcer à fuir loin de moi, parce que c’était sa vie qu’elle risquait pour moi. Les battements de son cœur qu’elle risquait pour moi. Pour le lâche, pour le faible, pour l’incapable que j’étais et qui pleurait à ses pieds. Parce que je n’étais pas même capable de la protéger. Je n’étais pas même capable de la protéger de moi, encore moins de lui. Tout ce que je faisais, c’était la mettre en danger, en pleine conscience. C’était moi qui savais. C’était moi qui connaissais sa cruauté et ce dont il était réellement capable. C’était ma responsabilité. Mais tout ce que j’avais fait, c’était l’entraîner avec moi dans ma chute, comme si je n’avais pas déjà assez fait tomber de gens autour de moi. Et elle disait m’aimer. Elle aimait un lâche. Un faible, au mieux un incapable. J’avais échoué à garder ma famille en sécurité. J’avais torturé mon propre père. Je l’avais regardé mourir. Mon propre sang. Je m’étais tenu à côté du Seigneur des Ténèbres et j’avais regardé le corps vidé de vie de mon propre père tomber sur le sol de sa propre maison. De la maison dans laquelle il m’avait élevé. Et je n’avais rien fait. Rien fait pour le sauver. Rien fait pour l’aider. Et elle était amoureuse de ça. 

Et j’allais devoir continuer. J’allais devoir continuer à me tenir à ses côtés à lui, et à le regarder prendre des vies. A l’aider à prendre des vies. A détruire des familles, détruire des foyers, détruire des avenirs, peut-être même détruire le monde tel que nous le connaissions. Et elle était amoureuse de ça. Et j’allais devoir faire ça, continuer de faire ça, faire plus de ça encore, maintenant que je savais ce que c’était que d’aimer et d’être aimé en retour. J’allais devoir continuer d’être ce monstre, devenir plus encore de ce monstre, alors que dorénavant je savais ce que cela faisait que d’être dans ses bras. Que de l’entendre rire. Que de la voir jouir. Que d’embrasser ses lèvres et caresser sa peau. Et elle ne serait plus dans ma vie, parce qu’elle n’y aurait plus aucune place. Et maintenant que j’avais connu cela, maintenant que je connaissais cela, comment allais-je pouvoir continuer sans ? Comment allais-je pouvoir prendre des vies sans pouvoir me reposer dans ses bras ? Comment allais-je pouvoir supporter tant d’horreurs sans pouvoir m’épancher sur son épaule, et retrouver la douceur de ses baisers ? Comment allais-je pouvoir vivre quoi que ce soit d’autre, survivre aux atrocités qui m’attendaient, maintenant que j’avais connu cela ? Comment pouvais-je continuer à vivre sans cela, sans elle dans ma vie, maintenant que je savais ce que cela faisait, de l’avoir de la sorte ? De la toucher de la sorte ? De l’embrasser de la sorte ? De lui parler de la sorte ? Et ma tête tournait, et mon corps sombrait dans le néant. Parce que tout était plus douloureux. Parce que j’avais su, dès le début, qu’il fallait que j’arrête tout. 

Parce que j’avais su, dès le début, qu’elle était léthale pour moi. Parce que j’avais su, dès le début, que ses baisers étaient empoisonnés et sa peau tranchante. J’avais toujours su, et je m’y étais abandonné néanmoins, en conscience. Je m’étais fait ça à moi-même, et je le lui avais fait à elle aussi. Je m’étais enivré de ses baisers et empiffré de son touché, sachant parfaitement que rien de tout cela ne pourrait durer. Sachant pertinemment que je la mettais en danger. Et je la mettais en danger, c’était un fait. Si cela se savait, d’une façon ou d’une autre, elle ne serait pas simplement tuée. Elle serait torturée et exposée en exemple de ce que sa cruauté était capable de faire aux nés de parents moldus. Et les images de ce qu’il pourrait lui faire s’enchaînaient dans mon esprit alors que je ne parvenais plus à respirer. J’allais vomir et mourir en même temps. Parce que c’était-là une angoisse qui était trop grande pour moi. Une tristesse qui était trop lourde pour moi. Des conséquences qui étaient trop graves pour elle. 

Et tous mes amis, chacun d’entre eux, Blaise, Pansy, Theo et même ma mère, tous seraient punis de mes propres agissements. De mes propres décisions. De mes propres sentiments et de mes propres pulsions que je n’avais su contrôler. Et ils seraient tous tués, par ma faute. Après que leurs âmes aient été détruites par ma faute. Et je revoyais Pansy s’écrouler sur le sol de notre salle commune, pleurant dans les bras de Theodore. Et je la revoyais, faisant crise d’angoisse sur crise d’angoisse la nuit précédente. Et je revoyais Blaise, physiquement retenu par Theo alors qu’il hurlait de douleur en voyant sa mère être assassinée sous ses propres yeux. Et je ressentais à nouveau les douleurs de Theo, allongé sur le sol de cette cave, quand il avait failli mourir la nuit dernière. Parce qu’ils m’aimaient, et qu’ils voulaient me protéger. Et la violence de la réalité me rattrapait, et elle m’entraînait dans un tourbillon nauséeux de culpabilité et de souffrance. 

C’était comme si pour la première fois je me la prenais vraiment en pleine gueule, cette réalité à vomir. J’avais déjà eu peur. J’avais déjà traversé de nombreuses choses indicibles. Mais elles se présentaient toutes à moi en cet instant, en un océan vertigineux d’images de tout ce que j’avais fait, des vies que j’avais prises, des gens que j’avais capturés, de ceux que j’avais regardé mourir, de ceux que j’avais torturés, de ceux que j’avais regardé être détruits sous mes yeux, de tous ces innocents que nous avions abîmés si ce n'était détruits, et la douleur immonde qui allait avec me submergeait. Parce que c’était cela, ce que je faisais. C’était cela, ce que j’avais fait. Ce que j’avais vu, et les cris que j’avais entendus. Toute cette souffrance que je voyais, et toute celle que je provoquais du bout de ma propre baguette. Tout ce sang que j’avais versé, et tout celui qui tâchait mes propres mains qui s’agrippaient violemment au pull de Granger alors que je tentais désespérément de revenir à la réalité. Mais c’était celle-là, ma réalité. C’était des personnes qui étaient mortes, sans vie, laissant derrière elles familles et amis parce que je les avais tués, parce que je les avais livrés, ou parce que je n’avais rien fait pour les sauver que de les regarder périr dans les pires souffrances imaginables. Je sanglotais contre elle sans pouvoir m’arrêter, et il me semblait que je m’entendais hurler, mais je ne parvenais pas à déterminer si c’était mes cris, où ceux des gens que j’avais brisés qui raisonnaient dans mon esprit. Les cris de Pansy. Les cris de Blaise. Ceux de Theo quand je l’avais regardé être torturé, sans rien faire. Ceux de ma mère quand j’avais torturé mon propre père. Ceux de mon père. Et je ne voulais plus les entendre. Je ne voulais plus rien entendre. Je voulais que ça s’arrête. 

Une douleur physique écrasante pesait sur mon poitrail et retournai mon estomac dans mon abdomen de la pire façon qu’il soit, brouillant ma vue alors que tout ce que je pouvais voir était l’atrocité qu’était ma vie en un défilé d’images digne du pire film d’horreur qui puisse être. Elle s’imposait à moi telle une tornade d’émotions et de sensations violentes qui me submergeaient et m’anéantissaient avec la pire violence que je n’avais jamais connue. Elle allait me tuer. Cette vie allait me tuer. Elle m’écrasait de toute son horreur, de toute sa violence, de tout ce qu’elle m’avait pris et de la terreur de tout ce qu’il lui restait encore à me prendre. Parce que c’était cela, le pire. C’était que toutes les abominations passées menaçaient aujourd’hui toutes celles de demain. Toutes les personnes qu’il me restait encore à trouver. Toutes les personnes qu’il me restait encore à torturer. Toutes les personnes qu’il me restait encore à regarder mourir. Toutes les personnes qu’il me restait encore à tuer. Toutes les personnes qu’il me restait à perdre. Tout cet espoir, si infime était-il, qu’il me restait encore à perdre. Parce qu’à chaque fois que je pensais avoir atteint le summum de l’horreur, des abominations indicibles pire encore s’abattaient sur mes épaules trop frêles pour les supporter. Et c’était cela, la vérité. Je n’avais pas les épaules pour supporter une telle vie. Je n’avais pas les épaules pour endurer de telles souffrances. Pour supporter de telles menaces, sur moi, sur les miens, sur des milliers de vies innocentes. Je croulais sous la cruauté du Seigneur des Ténèbres alors même que j’étais censé parvenir à l’égaler, tandis que tout ce que je parvenais réellement à faire c’était tomber aux pieds de la Sang de Bourbe que je n’avais pas le droit d’aimer, et pleurer.

Et je ne parvenais même plus à réaliser vraiment qu’elle était à genoux devant moi, elle aussi, parce que je ne la voyais plus vraiment. J’étais enfermé dans mon esprit, enfermé dans les horreurs de ma vie, et je ne voyais plus que cette douleur, plus que ces cadavres qui défilaient sous mes yeux. Et je ne parvenais même plus à réaliser qu’elle tentait désespérément de me parler, probablement de m’apaiser, parce que tout ce que je pouvais entendre c’était les cris de douleur de toutes les personnes que j’avais blessées, de toutes les personnes que j’avais tuées, et de toutes les personnes que j’aimais et qui souffraient de la vie que je menai. Je n’avais plus de prise sur l’instant présent, plus de prise sur mon esprit, plus la moindre prise sur ma douleur, tout ce qu’il y avait en cet instant était la traduction physique, émotionnelle, auditive, olfactive et visuelle de l’horreur. Et il me semblait que je continuais de m’accrocher à son pull, mais je n’en étais plus sûr. Et il me semblait que je continuais de pleurer, mais je n’en étais plus sûr. Et il me semblait que je continuais d’hurler, mais je n'en étais plus sûr. Mon passé, mon présent et mon futur se mêlaient les uns aux autres dans une dimension tourbillonnante faite d’angoisse et de violence qui me renversait avec elle, m’entraînant dans les pires ténèbres que je n’avais encore pu expérimenter. Parce que je me perdais en elles. Je me perdais et je perdais ma vie en elles. Et dans le moment présent, il ne demeurait plus que l’ombre de moi-même. 

Plus rien qu’une ombre telle que je ne le vis même pas, lorsque Theodore arriva en courant dans la tour. Plus rien qu’une ombre telle que je ne le vis même pas lorsque Granger s’éloigna de moi et que mes bras tombèrent sur le sol, dérobés d’elle. Plus rien qu’une ombre telle que je ne le vis même pas lorsqu’il se laissa tomber à genoux devant moi. Plus rien qu’une ombre telle que je ne le sentis même pas lorsqu’il entoura mon visage de ses deux mains, à la recherche du contact de mes yeux. Parce que je n’étais plus vraiment, en cet instant. Mon corps était face à Theodore, mais mon esprit, lui, était ailleurs. Emprisonné par les horreurs que j’avais subies et celles que j’avais subir, se mêlant les unes aux autres alors que je ne parvenais à savoir ce qui était le pire. Ce que moi je subissais, ou ce que je faisais subir aux autres. Au moins, eux, ils étaient morts, qu’il s’agisse de ceux que j’avais tués directement ou de ceux qui étaient morts par ma faute. Ils n’étaient plus. Ils ne souffraient plus. Moi, je demeurais. C’était moi qui restais avec le poids de ce que je leur avais infligé. C’était moi qui demeurais avec leurs cris qui raisonnaient dans mes oreilles et leurs visages qui hantaient mes nuits. C’était moi qui demeurais avec le poids de la culpabilité qui m’écrasait et m’empêchait d’avancer. Parce qu’il n’existait aucune partie de moi qui voulait faire le quart de ce que j’avais été obligé de faire. Il n’existait pas la moindre partie en moi qui était assez violente, assez fanatique, assez puriste pour désirer voir, cautionner, et faire tout ce que j’avais déjà vu, cautionné, et fait. Et ce n’était que le début. Et c’était cela, qui était nauséeux. C’était cela, qui était vertigineux. Ce n’était que le début de tout ce que j’étais sur le point de traverser. Ce n’était que le début de tout ce que Blaise avait à perdre. Ce n’était que le début de tout ce que Pansy avait à traverser en regardant sa moitié partir loin d’elle pour exécuter les missions les plus dangereuses qui étaient. Ce n’était que le début de tout ce à quoi Theodore allait devoir survivre. Ce n’était que le début de tout ce que j’avais encore à traverser, sans ne rien pouvoir laisser paraître. Parce que sinon je mourrai. Je serai le maillon faible. Celui qui était trop fragile pour tout cela. Celui qui n’avait pas les épaules pour faire vraiment parti des rangs. Celui qui n’était pas capable de faire ce qui était attendu de lui. Et j’allais mourir. J’allais me faire tuer parce que j’étais incapable. Mais surtout j’allais tous les mettre en danger, Pansy, Blaise, ma mère, et Theo, parce que j’étais incapable de gérer, et que ça leur retomberait dessus. Et c’était trop. C’était beaucoup trop, alors que nous n’étions pas même encore au point culminant de l’horreur que nous allions traverser. Et c’était déjà trop pour moi. Je m’écroulais déjà. Je suffoquais déjà. Je pleurais déjà. J’hurlais déjà. Je perdais déjà pied. Et je……DRAGO !... hurla soudainement à l’intérieur de mon esprit la voix de Theodore. 

La terreur fut lisible sur mes yeux quand je repris conscience de mon environnement, regardant frénétiquement autour de moi alors que je tentais de revenir à moi-même tandis que la douleur m’écrasait encore. Je pus sentir que je parvenais trop difficilement à respirer. Je pus sentir que mes joues étaient inondées de larmes et que les mains de Theodore reposaient toujours sur celles-ci. Je pus sentir le poids trop lourd qui écrasait ma poitrine et la façon violente dont mon estomac était retourné dans mon abdomen. Je pus voir le visage de Theodore à quelques millimètres du mien qui tentait désespérément, depuis je ne savais trop combien de temps, de m’apaiser. Je pus voir le visage paniqué de Granger, qui se tenait debout plus en arrière, une main sur sa bouche alors que des larmes silencieuses coulaient sur ses joues pendant qu’elle m’observait, impuissante. Je pus entendre la façon dont Theodore appelait répétitivement mon nom, la façon dont il me suppliait de le regarder, le désespoir avec lequel il essayait de m’ancrer. Mais je pouvais toujours entendre les cris des innocents que j’avais torturés, et de ceux que j’avais tués, comme un écho un peu plus lointain, mais qui demeurait entêtant. Et je pouvais toujours sentir l’odeur des cadavres que j’avais rencontrés qui m’envahissait les narines et faisait monter de violentes nausées en moi. Et je pouvais toujours sentir la façon dont la respiration de Theodore avait été coupée lorsqu’il était pour-mort sur le sol de cette cave la veille. Et je pouvais toujours voir la douleur que j’infligeai à ma mère, celle que j’infligeai à Pansy, celle que j’infligeai à Blaise, et celle que j’infligeai à Theodore. Et je pouvais toujours sentir à quel point j’étais faible. A quel point j’étais mort. A quel point j’étais incapable. Et je pouvais toujours sentir à quel point j’étais terrorisé, à quel point j’étais en détresse, à quel point j’étais arrivé au bout de moi-même et qu’il ne restait plus rien que l’angoisse, plus rien que l’horreur. Et c’était trop. Et je ne pouvais plus supporter tout ça. Et je ne pouvais plus ressentir tout ça, parce que ma tête me tournait et que mon cœur battait trop fort dans mon poitrail, et ses battements raisonnaient trop fort dans ma tête, si fort que j’avais l’impression qu’elle allait exploser. 

-       JE VEUX QUE ÇA S’ARRÊTE ! entendis-je ma voix pleine de sanglots hurler dans toute ma douleur. 

Les mains de Theodore demeuraient ancrées sur mes joues alors qu’il cherchait le contact avec mes yeux pleurants que je fermai, tentant désespérément de calmer l’horreur, de calmer le malheur, de calmer la douleur. 

-       JE VEUX PAS RESSENTIR ÇA ! m’écriai-je alors que ma voix se brisait dans un déchirement violent. 

Theodore fut forcé de lâcher mon visage lorsque je le baissai violemment, le laissant reposer sur mes cuisses à même le sol tandis que je serrai mon crâne de mes deux mains. Un hurlement douloureux emplit la tour d’astronomie alors que j’étais foudroyé par les odeurs, les sons, les images et le goût de toutes les morts, de toutes les atrocités que j’avais rencontrées. Et ma tête n’arrêtait pas de tourner. Tout au plus, elle tournait de plus en plus rapidement, et ma nausée grandissait en moi. Parce que ma vie me révulsait. Parce que je me révulsais. Parce que ce que j’avais fait me révulsait. Parce que ce qui m’attendait me révulsait. Parce que ce qui attendait mes proches à cause de moi me révulsait. Parce qu’il fallait que tout cela s’arrête, parce que je m’effondrais, et que je ne savais plus comment faire pour continuer. 

-        JE VEUX PAS RESSENTIR ! JE VEUX PAS RESSENTIR ÇA ! hurlai-je encore en sanglotant entre mes cuisses alors que la douleur ne s’apaisait pas. 

Elle était aussi vive physiquement qu’émotionnellement. Elle était aussi tranchante, aussi destructrice, aussi écrasante dans mon corps que dans mon âme, et je ne savais plus comment faire pour l’ignorer. C’était comme si pour la première fois elle s’imposait totalement, dans tout ce qu’elle était, avec tous ses composants à moi. Comme si pour la première fois elle me disait : « tiens, me voilà, dans mon entièreté, et maintenant fais avec moi ». Mais je ne savais pas comment faire pour faire avec elle.  Je ne savais pas comment je pouvais me relever alors que l’intégralité de mon cœur me faisait mal. Je ne savais pas comment je pouvais respirer alors que chaque mouvement me déchirait intérieurement. Je ne savais pas comment je pouvais ouvrir les yeux alors que tout ce que je voyais c’était la mort et la douleur. Je ne savais pas comment je pouvais continuer de vivre parce que tout ce que je ressentais c’était la terreur la plus angoissante qui ne s’était jamais présentée à moi. Parce que mon cœur ne pouvait plus le supporter. Il ne le pouvait plus. 

-       IL FAUT QUE ÇA S’ARRÊTE ! FAIS QUE ÇA S’ARRÊTE ! suppliai-je alors que je ne reconnaissais plus jusqu’à ma propre voix tant la douleur faisait de moi ce que je ne savais pas que j’étais. FAIS QUE ÇA S’ARRÊTE ! JE VEUX PAS RESSENTIR ! implorai-je autant aux Dieux qu’à mon ami dont je sentais encore la présence à genoux face à moi. JE VEUX PAS RESSENTIR ÇA ! sanglotai-je entre mes cuisses alors que je parvenais trop difficilement à respirer. 

Et j’entendais la façon dont Theodore me suppliait de le regarder, et je sentais la façon dont il essayait de toucher mon corps pour tenter de me ramener à lui, mais il n’y avait que la douleur. Il n’y avait rien d’autre que la douleur la plus frappante aussi physique qu’émotionnelle, et je ne parvenais plus à faire quoi que ce soit qu’hurler mon désespoir. 

-       Fais que ça s’arrête…, pleurai-je entre mes cuisses en le suppliant, arrivé au bout de moi-même, écrasé par la douleur. 

Et je savais que je remettais encore dans ses mains quelque chose qui était trop gros pour lui. Je savais que tout ce que je ne pouvais pas gérer finissait entre ses mains à lui, et qu’ensuite je pleurais de n’avoir pu le protéger. Et qu’ensuite je pleurais de n’avoir pu empêcher la situation dans laquelle il était à présent, et celle dans laquelle il serait demain. Mais je ne savais pas comment faire autrement. Je ne pouvais que m’en remettre à lui, parce que je ne savais plus. J’étais écrasé par les pires souffrances que je n’avais jamais expérimenter d’une façon aussi violente, d’une façon aussi écrasante, d’une façon aussi omniprésente que celle-ci. En ressentant tout, dans les moindres détails. En entendant tout, dans les moindres détails. En voyant tout, dans les moindres détails.  En sentant tout, dans les moindres détails. Et toute cette douleur était trop pour un seul corps. Et toute cette souffrance était trop pour un seul homme. 

-       S’il-te-plaît, l’implorai-je en sanglotant, s’il-te-plaît fais que ça s’arrête… C’est trop…, c’est trop, il faut que ça s’arrête… 

Et j’entendais sa voix appeler mon nom, essayer de me parler, tenter de me raisonner, ou encore essayant d’élever la voix, cherchant à trouver quelque chose qui fonctionnerait. Et je sentais ses mains dans mes cheveux, sur mon visage, dans mon dos, sur mes épaules, sur mes bras, cherchant à trouver une prise sur moi. Et je savais qu’il essayait tout ce qui d’ordinaire fonctionnait. Mais je n’avais jamais expérimenté cela jusqu’alors. Et rien ne fonctionnait. Et j’avais la sensation que toute cette douleur physique allait tuer mon corps, et que toute cette souffrance émotionnelle allait détraquer mon cerveau, et anéantir mon âme. Et elle ne s’arrêtait pas. 

-       S’il-te-plaît, s’il-te-plaît, s’il-te-plaît…, murmurai-je frénétiquement alors que la douleur m’anéantissait.

Je sentis son corps se placer derrière moi, et son torse se coller contre mon dos alors que ses bras enlaçaient les miens. Je sentis son souffle dans ma nuque alors que je ne cessai de pleurer, replié sur moi-même, et mon cœur bondit dans mon poitrail lorsque j’entendis sa voix chanter dans le creux de mon oreille d’une voix très basse : 

Quand l’aube pointera le bout de son nez,

Que les premières lueurs du matin traverseront les murs de ta maison, 

Une nouvelle journée commencera. 

Et soudain, mon cœur se mit à battre plus rapidement à nouveau, plus fortement à nouveau, mais quelque chose à l’intérieur de moi était activé. Quelque chose d’ancien. Quelque chose que j’avais oublié. Et il continua de chanter tout doucement à côté de mon oreille alors que je me concentrai pour l’entendre, la douleur en moi s’amoindrissant un peu. 

Quand le chant des oiseaux percera le silence de la nuit, 

Que la douce lumière de l’horizon brillera au-dessus de toi, 

Une nouvelle journée commencera. 

Et soudain, mes yeux purent s’ouvrir à nouveau, et les images d’horreur, de cadavres, de douleur, de visages abimés et suppliant s’évanouirent doucement à mesure que cette chose en moi était activée, battant en moi. Et il continua de chanter doucement : 

Quand les nuages s’écarteront pour laisser passer les rayons du soleil, 

Que ses couleurs chaudes embraseront le ciel, et que tu commenceras à entendre quelques pas, 

Une nouvelle journée commencera. 

L’enfant que j’étais. C’était l’enfant que j’étais qui était activé en moi. L’enfant qui avait de l’espoir, et qui savait recevoir la douleur de Theo. L’enfant que j’étais qui avait de l’espoir quant à l’avenir de Theo. L’enfant que j’étais qui avait inventé cette chanson pour aider le tout petit Theodore à dormir les premières fois dans ma chambre lorsqu’il avait peur du noir, quand bien même il y avait une veilleuse pour lui. 

Quand la brise fraîche du matin tombera, 

Que les premières fleurs s’ouvriront et que les ombres s’évanouiront devant toi, 

Une nouvelle journée commencera. 

L’enfant que j’étais et qui le faisait monter dans mon lit, et qui se collait à son dos, serrant le tout petit Theodore contre moi comme le grand Theodore me serrait contre lui en ce moment-même. L’enfant que j’étais qui chantait cette chanson au tout petit Theodore pour l’aider à repérer ce qu’il se passait, lorsqu’une nouvelle journée arrivait, et qu’il était enfermé dans sa cave, incapable de savoir combien de temps passait. Et l’homme que j’étais s’apaisa encore un peu, et il me sembla que mon corps se faisait moins douloureux à mesure que je me concentrai sur la chaleur du corps de mon frère derrière moi, et sur sa voix qui chantait pour moi : 

Quand les gouttes de rosée scintilleront sur l’herbe, que l’odeur du thé descendra jusqu’à toi,

Que les paons appelleront ton nom, 

Une nouvelle journée commencera. 

L’enfant que j’étais qui voulait rappeler au tout petit Theodore que toujours le jour se levait. Que peu importait où il était, où ce qu’il traversait, peu importait à quel point il faisait sombre dans cette cave, le jour se levait toujours. Il finissait toujours par se lever. L’enfant que j’étais et qui voulait lui apprendre que les paons de mon jardin continueraient de l’appeler jusqu’à ce qu’il nous revienne, et que ma mère préparerait toujours une tasse de thé pour lui, attendant qu’il nous revienne. Parce que l’enfant que j’étais avait décidé que c’était « Theo » que mes paons appelaient dans la cour du manoir. Parce que peu importait à quel point il faisait froid chez lui, peu importait à quel point il faisait noir. Le jour finissait toujours par se lever, et une nouvelle journée commençait. Et s’il pouvait noter les premiers signes d’un nouveau jour qui se levait, il savait que bientôt il me reviendrait. Le tout petit Theodore savait que bientôt il se réveillerait dans ma maison, et qu’il pourrait jouer avec moi. Que personne n’allait l’enfermer. Que personne n’allait lui faire de mal. Peu importait à quel point il faisait noir, le jour finissait toujours par se lever, répétait l’enfant à l’intérieur de moi. Et il continua de chanter contre moi : 

Quand le silence se dissipera, 

Que les ténèbres s’étireront et que passeront les premiers rayons de lumière,…

Une nouvelle journée commencera, murmurai-je en cœur avec lui. 

Le rappel soudain de ces souvenirs de toutes ces nuits où je lui avais chanté cette chanson que j’avais totalement oubliée, et la force de l’enfant que j’étais alors qui y était associée m’apaisèrent réellement. Je pouvais respirer convenablement. Je pouvais redresser mon torse, mon poitrail était dégagé du poids écrasant que je sentais toujours peser sur moi, mais qui ne m’infligeait plus des douleurs insupportables. Je pouvais ouvrir les yeux, et ne plus voir que des morts, ou rien d’autre que la douleur sur les visages des gens que j’aimais le plus. Je pouvais sentir l’odeur du corps de Theodore qui m’étreignait encore plutôt que celle de la mort. Je pouvais ressentir autant la douleur de la vie que je menai que l’espoir, aussi insignifiant était-il en cet instant, de l’enfant que je portais à l’intérieur de moi, et de la ferveur de son optimisme à l’époque où il chantait cela à l’homme qui me serrait contre lui cette fois-ci. 

Je m’apaisai contre son contact, et je laissai mon épuisement envahir mon corps à la place de la douleur, lui cédant volontiers la place. Un soupir soulagé s’échappa de mes lèvres quand je sentis mon âme et mon corps s’apaiser doucement, et je laissai mon visage retomber lourdement vers mon poitrail en laissant cet apaisement monter en moi, les bras de Theodore me sécurisant, l’enfant en lui appelant l’enfant en moi. Celui qui croyait encore. Celui qui espérait encore. La violence de ce que je venais d’expérimenter et la douceur avec laquelle Theodore était parvenu à m’apaiser, à faire disparaître les sanglots, la douleur physique, la souffrance psychique m’échappait. Quelques secondes plus tôt, j’avais la sensation de traverser les enfers vers mon sombre destin, et tout à coup, j’étais étreins par l’amour de l’ange que le ciel m’avait envoyé, et tout ce qui était trop dur devenait soudainement bien plus doux. Plus gérable. Et c’était un soulagement qui ne trouvait pas son équivalent en mots. 

Theo resta encore un instant contre moi, sans bouger, sans ne rien dire, avant de reprendre position face à moi, et que je puisse le regarder. Le regarder avec les yeux de l’enfant que j’étais autrefois et qu’il avait activé à l’intérieur de moi en me chantant cette chanson. L’enfant que j’étais et qui avait fait ce qu’il pouvait, à l’époque, pour rendre le quotidien du petit Theo plus supportable. Cet enfant que j’étais qui espérait que ce petit Theo s’accrocherait, quand bien même ce qu’il traversait était indicible, et que je ne pouvais rien faire contre. Cet enfant que j’étais qui pensait que si j’offrais à Theodore assez de temps, assez de patience, assez d’amitié, assez de sécurité, assez de soutien et assez d’amour inconditionnel, alors il irait bien. Et cet enfant avait eu raison. L’homme qui se tenait assit face à moi était là parce que l’enfant en moi l’avait aimé de toute son âme, dans tous les moments, même lorsqu’il n’était pas encore capable de me regarder dans les yeux, même lorsqu’il n’était pas encore capable de me parler vraiment. Et je le savais. Theo lui-même me l’avait déjà dit, mais plus que cela je le savais comme absolue certitude, j’avais été là tout ce temps. Ma mère avait été là tout ce temps. Et cela avait compté pour lui. Cela avait été important pour lui. Je ne doutais pas qu’il serait tout de même devenu la personne incroyable qu’il était aujourd’hui sans nous, parce que je croyais en lui à ce point. Mais je savais que nous avions été importants pour lui, et moi en particulier. 

Alors je laissai l’enfant à l’intérieur de moi admirer l’homme qui se tenait face à lui, et il me laissa faire sans ne rien dire, parce qu’il savait exactement ce dont j’avais besoin. L’homme aux larges épaules dont le t-shirt blanc de pyjama traçait les pectoraux, ses épais biceps et ses triceps aux allures tranchantes couverts de frissons de la fraîcheur de ce mois de janvier ressemblait étrangement au petit garçon frêle qui je serrai jadis contre moi pour qu’il puisse trouver le sommeil. Il avait l’air immense désormais. Son visage était plus fort, lui aussi. Sa mâchoire plus aiguisée, et ses joues plus creusées qu’elles ne l’étaient à l’époque. Mais ses yeux n’avaient pas changé. C’étaient les mêmes grands yeux bleus, ceux qui méritaient tout l’amour du monde plutôt que ce qu’il avait traversé à cause de leur couleur. Ses cheveux étaient un peu plus courts désormais, ils tombaient moins sur ses yeux pour les cacher qu’ils ne le faisaient dans le passé. Il était magnifique, plus encore qu’il ne l’était déjà avant. Il avait l’air puissant, et incroyablement doux et chaleureux à la fois. Mais je le connaissais assez pour savoir que cet air chaleureux, il ne l’avait que parce qu’il me regardait moi. Il n’était pas chaleureux avec les autres, et il me semblait que j’aimais ça. Lorsque j’étais spécial à ses yeux, cela me rendait spécial en tant que personne. Il était devenu impressionnant. Beau, grand et fort comme chaque petit garçon rêvait un jour de devenir. Il avait réussi. Il avait réussi à attendre qu’une nouvelle journée commence. Et une nouvelle journée avait commencé pour lui. Il avait réussi, observai-je alors que mes yeux se remplissaient de larmes de fierté. Il avait traversé les ténèbres, la violence et la maltraitance pendant toutes ces années, et il avait réussi. Une nouvelle journée avait commencé. 

Je clignais des yeux et revenais à moi, me délectant encore de la vue inspirante de mon frère. Quand le silence se dissipera, que les ténèbres s’étireront et que passeront les premiers rayons de lumière, une nouvelle journée commencera, me répétai-je alors. C’était tout ce qu’il me restait. Je n’avais plus que ça à quoi me raccrocher. Une nouvelle journée commencera, un jour, à force de nouveaux matins, à force de nouvelles aubes, à force de nouvelles rosées, un jour le jour se lèvera, et une nouvelle journée commencera. Une journée sans atrocité. Une journée sans douleur. Une journée où je me sentirai en paix, une journée où tous mes êtres aimés seront en sécurité, et où il ne nous restera plus que le reste de notre vie pour profiter les uns des autres. Oui, un jour, une nouvelle journée commencera. Je pris une profonde inspiration par le nez pour ancrer ces dernières pensées en moi, et mes yeux se levèrent vers la femme qui demeurait immobile, debout derrière Theodore, ses yeux pleins de douleur fixement posés sur moi. 

Elle avait dû être terrorisée. Je ne savais pas vraiment quel spectacle j’avais donné, je ne savais pas vraiment combien j’avais pleuré ni comment j’avais crié, mais le visage qu’elle abordait ne laissait que peu de doute à ce dont elle venait d’être témoin. Il y avait de la douceur, cependant, dans ces mêmes yeux ambrés. Cette douceur qui se retrouvait toujours dans ses iris lorsqu’elle pouvait témoigner de ma relation avec Theo. Ses joues étaient mouillées de quelques larmes qu’elle avait pleurées, comme je supposai que les miennes devaient l’être également. Et je me rappelai notre échange, ce que moi je lui avais dit, et ce qu’elle m’avait répondu. Qu’elle ne pouvait pas me fuir, parce qu’elle était amoureuse de moi. Tout cela ne changeait rien. Elle allait devoir me laisser partir, peu importait à quel point elle tentait de me retenir. Mais en cet instant je savais qu’autant mon cœur que le sien avait besoin d’apaisement après tant de violence. Alors j’ouvrais mon bras gauche à côté de moi pour l’inviter à prendre place contre moi, ce qu’elle fit sans hésiter une seule seconde, et un nouveau soupir de soulagement trouva son chemin hors de mes lèvres lorsque son corps se blottit contre le mien, assise à côté de moi. Je laissai mon bras se loger de façon possessive sur ses cuisses, pour la maintenir bien près de moi, et lui signifier que moi-aussi, j’étais juste-là, et ses petites mains douces se saisirent immédiatement de la mienne qu’elles emprisonnèrent entre elles. Son visage se reposa un instant sur mon épaule alors que nous faisions tous deux face à Theo, qui n’avait pas cessé de me regarder un seul instant. Je pris le temps de déposer un baiser appuyé sur le front de celle qui avait dû se sentir incroyablement impuissante à côté de moi, et lui chuchotai : 

-       Je suis désolé, je ne voulais pas te faire peur. 

Elle laissa son visage reposer contre mon épaule mais elle le releva vers moi, levant ses soudainement grands yeux ambrés pleins de larmes vers les miens. 

-       Est-ce que c’est moi qui t’ai fait ça ? murmura-t-elle tout doucement telle une enfant qui aurait peur de la réponse à sa question. 

Je sentis mon cœur se pincer dans mon poitrail. Les yeux implorants et effrayés qu’elle enfonçait dans les miens, son visage en-dessous du mien et l’inquiétude dans sa voix me fendirent le cœur. Elle pensait que c’était de sa faute. Si la pire crise d’angoisse que je n’avais jamais eu avait effectivement démarrée de ce qu’elle m’avait dit, c’était loin, très loin d’être le contenu principal de celle-ci. Ma main droite vint caresser sa joue dans un geste que je voulus rassurant : 

-       Non, bien sûr que non, chuchotai-je à ses lèvres en ne pouvant quitter ses yeux qui m’hypnotisaient. Bien sûr que non, répétai-je devant ses sourcils froncés qui ne me croyaient pas avant d’embrasser son front. C’est ma vie, la vie que j’ai maintenant et tout ce que j’ai dû faire jusqu’ici, et tout ce que je vais encore devoir faire qui m’a explosé en plein visage, expliquai-je alors. 

Elle me sonda un instant, ses grands yeux toujours levés vers moi. Elle avait l’air si fragile. Je ne pouvais arrêter de caresser sa joue tant j’avais peur de la blesser encore. 

-       Tu promets ? murmura-t-elle encore. Parce que si c’est moi qui te fais ça tu dois me le dire, j’arrêterai, déclara-t-elle tout bas alors qu’une larme dégoulina sur sa joue et tomba sur mon épaule. 

Il fallait qu’elle arrête. Mais en cet instant, devant les yeux qu’elle levait vers moi, j’étais absolument incapable de lui faire croire que c’était elle qui me faisait tant de mal, quand bien même cela l’aurait éloignée de moi pour toujours. J’embrassai son front une nouvelle fois et assurai : 

-       Je te le promets, ce n’est pas toi qui me fais ça. 

Elle demeura un moment encore dans mes yeux, et lorsqu’elle fut certaine d’y trouver de la sincérité, elle baissa le visage à nouveau, et je tournai finalement les yeux vers Theodore face à nous. Il nous regardait avec douceur. 

-       C’est pour ça que tu as rejoint les rangs avec moi ? lui demandai-je alors. Parce que tu savais que je n’avais pas ce qu’il fallait pour traverser ça ? 

Un sourire en coin étira furtivement le bout de sa bouche l’espace d’une seconde avant de retrouver sa place originelle. 

-       Je suis probablement la dernière personne sur cette planète à penser que tu n’as pas ce qu’il faut pour traverser ça, déclara-t-il alors. 

Je le regardai, incrédule. Lui qui me connaissait si bien. Lui qui avait vu, ce soir-là encore, ce que cette vie me faisait. Lui qui avait été là pendant chaque cauchemar, chaque crise d’angoisse, chaque pétage de plomb, chaque crise suicidaire. Comment pouvait-il sincèrement penser que j’avais en moi ce qu’il fallait pour cette vie-là ? 

-       Comment tu peux dire ça ? chuchotai-je en m’en remettant à lui. 

Il me sourit tendrement. 

-       Quand on était encore que des enfants et que j’étais encore rien d’autre qu’un gamin terrorisé, tout maigre, qui ne te regardait et ne te parlait pas, tu savais que j’avais en moi ce qu’il fallait pour que je devienne celui que je suis aujourd’hui, non ? 

J’acquiesçai. 

-       Eh ben c’est pareil, dit-il doucement. Je le sais, c’est tout, et j’ai pas besoin de preuve, assura-t-il avec confiance. 

Je ne partageai pas la même confiance. Ce que je venais de traverser, l’horreur de ce que je venais de traverser, l’impuissance totale face à toute cette douleur insurmontable que je venais de traverser ne me laissait pas supposer que j’étais capable d’affronter tout cela. 

-       Je crois pas avoir autant confiance que toi, chuchotai-je alors avec vulnérabilité. Comment je vais pouvoir continuer une fois que la Guerre sera déclarée si je fais des crises d’angoisse comme ça tous les quatre matins ? 

Il m’accorda mes doutes d’un signe de tête approbateur. Lui aussi, mes crises d’angoisse l’inquiétaient. Parce que le problème avec elles, c’était que je ne les contrôlais pas. Si un jour j’en avais une devant le Seigneur des Ténèbres, j’étais mort sur le champ. 

-       Tu dois te réentraîner à ériger tes murs d’occlumencie, observa Theo. Je t’ai vu cet été, quand on était pas à Poudlard, et qu’on était dans cette ambiance et sous cette surveillance constante, et tu as réussi, tu ne faisais pas crise d’angoisse sur crise d’angoisse. Je pense qu’ici ton corps sait qu’il peut lâcher, et qu’il a beaucoup à lâcher, amena-t-il doucement. Mais effectivement, reprit-il plus bas, tu ne vas pas pouvoir hésiter. Tu ne vas pas pouvoir paniquer, continua-t-il gravement, il va falloir que tu trouves le moyen de continuer, parce que tu ne peux pas mourir. 

Je pris une profonde inspiration, mon épuisement se répandant dans mon corps comme l’air qui remplissait mes poumons. J’étais au bout de moi-même, physiquement et émotionnellement. Et il avait raison. Je devais trouver le moyen de continuer. 

-       Je dois pouvoir me reposer physiquement pour rester un bon occlumens, réfléchis-je à voix haute. 

C’était un fait. J’étais incroyablement capable de contrôler mon esprit et mes émotions lorsque j’étais assez reposé. Cela ne signifiait pas qu’il me fallait 8heures de sommeil chaque nuit pour autant, mais l’accumulation des nuits soit intégralement blanches, soit de deux ou trois heures, associées à mon état émotionnel ne me permettait pas d’avoir l’énergie qui m’offrait un contrôle probant sur mes états internes. 

Theodore acquiesça comme si je venais de lui donner la solution au problème que nous rencontrions. 

-       Alors on va faire en sorte que ce soit le cas, le plus possible. 

Je lui rendais son geste. J’étais trop fatigué pour contester ce qu’il disait, et j’avais besoin de croire qu’il y avait peut-être encore de l’espoir. Que peut-être une nouvelle journée commencerait, un jour prochain. Et si cela était du déni, je le choisissais volontiers. Tout, sauf ce que je venais de traverser. 

Un silence régna quelques instants entre nous trois avant que la voix de Granger ne raisonne dans la tour, son visage toujours reposé sur mon épaule : 

-       Vous savez que vous êtes des Frères d’Âme, n’est-ce pas ? 

Je pouffai tandis que Theodore la regardait, incrédule, attendant la suite. Oui, je le savais. C’était mon frère. Je le lui avais déjà dit. 

-       Bien sûr que oui, chuchotai-je alors avec un sourire. 

Elle se releva de mon épaule pour me faire face, s’asseyant en tailleur de sorte à avoir Theo sur sa gauche, et moi sur sa droite. Elle était passée en mode intellectuelle. 

-       Non je veux dire littéralement des Frères d’Âme, appuya-t-elle sérieusement. 

Je fronçai les sourcils et Theo et moi échangions un regard confus avant de poser à nouveau nos yeux sur elle. 

-       Qu’est-ce que tu veux dire ? la questionnai-je alors. 

Elle nous regarda l’un après l’autre à tour de rôle comme si elle s’attendait à ce que l’on sache parfaitement de quoi elle parlait. 

-       Vous savez ce que c’est, pas vrai ? 

Nous fîmes tous deux non de la tête. 

-       Mais c’est dans le livre d’énergétique dont tu m’as parlé, s’indigna-t-elle presque vers moi. 

Le livre dont je lui avais parlé lorsque je lui avais expliqué la transcription physique de nos auras que j’avais fait apparaître pour elle lorsque nous avions fait l’amour. Je pouffai : 

-       Et toi qui te foutais de ma gueule avec mes livres sur les énergies, souriais-je alors. 

-       Eh bien comme tu l’avais dit, c’est tangible les énergies, alors je me suis penchée sur le sujet, déclara-t-elle en étant redevenue égale à elle-même. Est-ce que tu ne lis que les chapitres qui t’intéressent dans les livres ? me demanda-t-elle avec ce qui sonnait dans sa voix comme un reproche. 

-       Ben…, oui, avouai-je. 

Elle soupira en haussant les sourcils, son attitude hautaine et excédée transpirant dans son comportement, m'arrachant un sourire attendri. Mais elle nous expliqua tout de même, parce que c’était ce qu’elle préférait faire : 

-       Vous…, commença-t-elle en hésitant, vous partagez la même âme, d’une certaine façon. Les Frères ou Sœurs d’Âme sont une sorte de magie énergétique très rare parce qu’elle dépasse totalement notre entendement, c’est comme si vos âmes s’étaient rencontrées à travers vous et qu’elles s’étaient choisies, expliqua-t-elle alors que ses mains appuyaient ses mots. Il y a la part de votre âme à chacun qui vous est propre et individuelle, et il y a l’autre, celle que vous partagez tous les deux en vous. C’est un peu comme si vos deux âmes s’étaient choisies à votre insu, et qu’ensemble elles avaient créé une autre âme qu’elles partagent.

Je demeurai interdit, essayant de comprendre ce qu’elle disait. 

-       Tu veux dire qu’on aurait chacun notre âme, mais qu’en plus on aurait une deuxième âme en commun ? demanda Theo.  

-       C’est plus compliqué que ça, c’est énergétique donc c’est délicat à mettre en mots, nuança-t-elle. Vous n’avez pas deux âmes, mais disons qu’une part de votre âme n’est rien qu’à vous, mais que l’autre part de votre âme est énergétiquement littéralement liée à celle de l’autre. 

-       Mais comment ça se produit ? questionnai-je alors, choqué de ce qu’elle amenait.

-       C’est un des mystères de notre monde, on ne le sait pas vraiment, et les cas sont si rares et si peu documentés qu’on n’en sait pas beaucoup. L’hypothèse principale est qu’il y a à la base un lien émotionnel très fort entre deux personnes, énergétiquement vraiment très fort, et que lors d’un moment qui serait particulièrement chargé émotionnellement entre ces deux personnes, les âmes l’un de l’autre s’ouvriraient pour se découvrir, et dans les cas très rares où les deux âmes s’acceptent totalement et intégralement mutuellement, elles créeraient un pont entre elles et se lieraient à vie, raconta-t-elle avec enthousiasme. 

Lorsque je m’étais interposé entre son père et lui, à cinq ans, pour ne pas que son père le ramène chez lui et l’enferme, et que je l’avais serré contre moi, refusant de le lâcher pendant près d’une heure, songeai-je alors. 

-       C’est probablement énergétiquement la forme la plus puissante et concrète d’amour qui soit. C’est pas juste émotionnel ce qu’il y a entre vous, c’est littéralement physique, vos âmes se sont choisies, appuya-t-elle comme si elle était fascinée. 

Devant notre silence assommé, elle continua :

-       Bien sûr il y a d’autres histoires qui expliquent ce phénomène. Certains racontent que certaines âmes ne faisaient qu’un au commencement, et qu’elles auraient été déchirées par la vie ou la magie, se retrouvant dans deux corps différents. Mais que lorsqu’elles se retrouvent, elles ne font plus qu’un à nouveau, mais étant donné la rareté du phénomène c’est une explication qui me semble peu probable. 

-       Mais qu’est-ce qui te fait dire ça ? questionnai-je alors. 

-       J’ai commencé à me poser des questions à force de vous voir mutuellement toujours débarquer quand l’autre a besoin, en arrivant toujours au bon moment, et en sachant toujours où trouver l’autre, réfléchit-elle. J’ai commencé mes recherches, mais je ne savais pas encore trop ce que je cherchais. Et puis, hier soir…, hésita-t-elle en me regardant. 

J’acquiesçai pour lui signifier qu’elle pouvait en parler. 

-       Quand tu étais parti, dit-elle vers Theodore, et que Drago a senti le danger, quand il a senti que tu étais en danger de mort, la façon dont il ressentait ça comme quelque chose de concret qu’il traversait lui-même, et cette façon dont il a aussi senti quand ça a été terminé, puis quand tu es revenu alors que tu n’étais même pas encore là, là j’ai compris, acheva-t-elle doucement. 

-       On s’est souvent demandé comment ça se faisait qu’on savait toujours où se trouver mutuellement quand il le fallait, acquiesça Theodore vers moi. 

-       Ou comment ça se faisait que tu te réveillais toujours quand je faisais un cauchemar, continuai-je alors. 

-       Et je t’ai entendu, déclara-t-il doucement. Hier soir, quand tu m’as parlé, quand tu m’as demandé de ne pas mourir, je t’ai entendu. 

-       Oui ! s’enthousiasma Granger alors que je demeurai interdit. C’est une des choses que vous pouvez faire en tant que Frères d’Âme ! La télépathie ! 

-       Et ce soir, réfléchis-je aussi, je t’ai entendu moi aussi, dans ma tête. Tu es venu m’appeler dans ma tête. 

Nous assimilions tous deux ce qu’elle nous disait alors que nous faisions le lien avec notre histoire. Toutes ces fois en tant qu’enfant où je me réveillais en sursaut la nuit, toutes ces fois où je me sentais mal quand Theodore n’était pas au manoir et que je sentais ce qui lui arrivait. 

-       Ragnar, chuchota un Theo aussi pensif que moi. 

Je levai les yeux vers lui en acquiesçant. 

-       Qu’est-ce qu’il y a, Ragnar ? demanda Granger. 

-       Mon dragon ne peut être approché par personne d’autre que moi, pas même par ma mère qu’il connaît depuis toujours. Personne à part Theo, conclus-je sous le choc. 

-       C’est probablement parce qu’il sent que vous êtes… vraiment liés, ton âme et la sienne sont quasiment les mêmes, continua Granger en confirmant sa théorie. 

Ma bouche s’entre-ouvrit alors que je demeurai choqué. 

-       C’est un truc de malade, chuchotai-je alors. Les cache-cache aussi, depuis qu’on est gamins, songeai-je alors. 

-       Mais comment ça se fait qu’on ressente quand l’autre va mal ? demanda encore Theo. 

-       C’est pas tant que vous ressentez la douleur de l’autre en tant que telle comme si vous partagiez le même corps, expliqua Granger, c’est plutôt que vous ressentez quand l’autre est en danger, et que par conséquence il a besoin de vous, parce que c’est une question de survie. C’est l’autre moitié de votre âme qui envoie le signal de « ressens ce qu’il m’arrive, et viens m’aider, on est en danger » à l’autre. Vous êtes littéralement un « on » énergétique, tout en étant un « je » individuel, s’extasia-t-elle presque. 

-       Si je meurs, demanda Theo gravement, est-ce que ça veut dire qu’il mourra aussi ?

-       Non, assura Granger qui avait clairement elle-aussi étudié cette question en priorité. Puisque vous avez chacun votre âme individuelle et que ce n’est que la moitié de votre âme que vous partagez, cette partie-là de votre âme mourrait énergétiquement en vous si l’un de vous mourrait, mais l’autre continuerait de vivre quand même. Ce ne serait pas juste un deuil aussi horrible et compliqué qu’un deuil puisse être, l’autre perdrait littéralement et physiquement une partie de son âme, appuya-t-elle doucement. Je ne sais pas si c’est le genre de chose dont on se remet un jour, songea-t-elle. 

Ce n’était pas une option que je pouvais envisager. 

-       T’as encore frappé le crac, admira alors Theo en acquiesçant vers elle. 

Elle lui sourit timidement, rougissant presque. Flattée et fière. 

-       C’était assez évident, tenta-t-elle faussement humble. Je suis plutôt étonnée que Drago ne l’ait pas compris plus tôt. 

Alors que mon esprit assimilait tout ce qu’elle nous apprenait, et à quel point tout cela tombait sous le sens de notre relation et du lien magique qui existait depuis le commencement entre nous, je réalisai : 

-       Ça voudrait dire que mon âme serait littéralement capable de retrouver Theo physiquement où qu’il soit, même s’il était, admettons, perdu dans le néant ? demandai-je alors à Granger. 

-       Oui, confirma-t-elle, vous seriez capable de vous retrouver physiquement n’importe où en utilisant ce lien d’âme. 

Le regard que Theo et moi échangions traduisait ce que nous venions tous deux de comprendre.  

Nous avions fini par raccompagner ensemble Granger à son dortoir dans le château endormi avant de rejoindre notre propre salle commune où Blaise et Pansy nous attendaient, quand bien-même ils étaient eux-aussi épuisés. 

-       Tout va bien ? demanda cette dernière quand nous passions la porte. 

Je ne savais pas quelle tête j’avais, mais je me doutais qu’elle devait traduire ce que je venais de vivre. Nous n’expliquions pas la partie de l’histoire où je traversai la pire attaque de panique que je n’avais jamais vécue, mais nous racontions en détail ce que Granger nous avait encore apprit. Ils furent tous deux choqués comme nous de prime abord, puis Pansy déclara : 

-       Faut avouer que ça a toujours été chelou, ce qu’il y avait entre vous. 

-       J’pensais juste que vous étiez pédés et que vous vous l’avouiez pas, c’est tout, déclara alors Blaise avec un sourire provocateur. 

-       C’est l’image que tu utilises pour venir plus vite quand t’as aucune fille sous la main ? continua Theo avec un sourire. 

Blaise lui rendit la largeur de son sourire. 

-       Si tu savais, joua-t-il encore. 

-       Vous comprenez ce que ça veut dire ? renchéris-je plus sérieusement. 

Pansy et Blaise nous regardèrent à tour de rôle sans voir où je voulais en venir. 

-       Ça veut dire que l’un de nous peut aller dans l’armoire pour la réparer, et se servir de notre lien pour revenir, déclarai-je alors. 

Nous étions allés nous coucher là-dessus, parce que nous avions tous besoin d’un peu de sommeil, et le lendemain j’avais passé la journée lors des cours à lire le chapitre du livre qu’avait mentionné Granger pour confirmer tout ce qu’elle avait dit. Tout semblait vrai, et étant donné les éléments de la relation que je partageais avec Theodore, il n’y avait que peu de place pour le doute. Avant le repas du soir, j’étais allé à la bibliothèque pour confronter ce que les autres livres disaient sur le sujet. Il n’y en avait pas beaucoup d’autres qui abordaient les Frères d’Âme, mais tous semblaient dire sensiblement la même chose. Et effectivement, il n’y avait quasiment pas de doute que l’un de nous pouvait réellement aller dans l’armoire, et en sortir grâce à ce lien quasi supernaturel. Et cela signifiait que nous avions notre réponse, pour réparer l’armoire à disparaître. Ce qui signifiait que les Mangemorts allaient pouvoir pénétrer le château. Ce qui signifiait que nous étions sur le point de déclencher la Guerre. Nous avions tout ce qu’il nous fallait. La seule chose qui nous manquait. Il n’y avait plus qu’à le faire. Et la Guerre éclaterait grâce à ce que Granger nous avait appris. Cette dernière pensée serra mon cœur plus encore que l’idée que la Guerre était juste-là, au creux de mes mains. 

Lorsque j’avais confirmé à mes amis ce soir-là que cela allait réellement fonctionner, que je confirmai l’hypothèse que Granger avait amenée, une ambiance lourde régna entre nous dans notre salle commune. 

-       Qu’est-ce qu’on fait ? avait fini par avoir le courage de demander Pansy. 

J’inspirai profondément, tentant de rassembler mes esprits et d’ériger mes murs d’occlumencie aussi hauts que je le pouvais pour ne pas paniquer. 

-       Plus on va attendre, et moins il sera satisfait de nous, et plus nous serons en danger, réfléchis-je à voix haute. Mais plus on va le faire rapidement, plus nous serons en danger rapidement, nous et tous les autres dans cette école et le monde entier, pesai-je alors. 

-       Attendre ne serait que repousser l’échéance inévitable de toute façon, non ? soupesa Blaise gravement. 

-       Oui, confirma Theodore sérieusement. 

Un silence lourd pesa sur nous alors que nous réalisions tous que la Guerre était réellement juste-là. Juste devant nous. Et tout ce qui allait avec, toutes les vies qui seraient prises, toutes les atrocités que nous allions devoir commettre, toute l’horreur qui allait s’ensuivre, était juste-là également. 

-       Est-ce qu’on ne peut pas attendre un tout petit peu ? demanda tout doucement Pansy avec des larmes dans les yeux. 

-       On ne sait pas quand Voldemort va en avoir marre d’attendre, chuchota gravement Theo, et on ne sait pas comment ça va se manifester, qu’il en ait marre. 

C’était vrai, et nous en étions tous conscients. Le risque réel premier était qu’il s’en prenne à ma mère. Et nous savions tous ici qu’il en était largement capable. Il avait été parfaitement clair sur le fait qu’il voulait que nous trouvions une solution rapidement. Il l’avait été lorsqu’il avait tué la mère de Blaise, et il l’avait encore été deux nuits précédentes, lorsqu’il avait missionné Theo. Nous ne savions pas combien de délai nous avions encore, et c’était un pari dangereux à prendre. 

-       S’il arrive quelque chose à ma mère parce qu’on a préféré attendre, je ne m’en remettrai jamais, réalisai-je alors à voix basse. 

Maintenant que nous savions, c’était trop tard. S’il s’en était pris à elle, où à n’importe lequel d’entre nous alors que nous étions coincés, je n’aurais pas traîné la même culpabilité. Mais maintenant que nous savions, maintenant que nous pouvions réellement agir, je ne m’en remettrai jamais. Ils acquiescèrent tous gravement à mes mots. 

-       Alors est-ce qu’on le fait demain ? demanda Blaise avec appréhension. 

La tension entre nous était électrique. Nous tentions tous de contenir en nous l’angoisse grisante qui accompagnait ce que nous étions sur le point de faire, et la Guerre que nous étions sur le point de lancer. Nous y étions. 

Mais j’avais deux choses à faire avant d’enclencher la Guerre. D’abord, je devais la vérité à Granger. Je lui devais un au revoir digne de ce nom. Une fois que nous aurions réparé l’armoire, les Mangemorts pénétreraient le château, et je ne la reverrai, je l’espérai, plus jamais. Je refusai de penser plus loin que cela, je devais tenir. Nous y étions. Mais je lui devais la vérité, et je lui devais un au revoir. Et deuxièmement, je considérai que mes amis et moi méritions une dernière soirée en tant qu’étudiants, en tant que simples étudiants dans ce château, ensemble, avant de nous jeter dans la gueule du loup. 

-       Non, déclarai-je alors. Accordons-nous encore deux soirées. Ce soir j’ai un au revoir à faire, et demain je voudrais qu’on puisse être ensemble, tous les quatre. Ensuite, on le fera, annonçai-je gravement. 

Et l’ambiance se fit plus lourde encore quand ils acquiescèrent tous. 

Je ne me laissai pas le temps de laisser les pensées ou la panique monter en moi. Ce qui devait arriver allait arriver, et nous n’avions pas le choix. Je ne m’autorisai pas à penser plus loin. Je devais tenir. C’était une question de survie. Alors je tenais. J’avais prévenu Granger que je l’attendrais devant la Grande Salle à 23heures au travers de notre cahier. Je savais que tous seraient couchés, et je supposai que nous serions tranquilles. Je voulais quelque chose qui changeait de notre routine. Quelque chose qui marquait la fin de ce que nous avions partagé, mais quelque chose de beau. Quelque chose de spécial. Alors je m’y étais rendu en avance après avoir constaté qu’il n’y avait effectivement personne, et j’avais utilisé la magie pour plonger la Grande Salle dans l’ambiance qu’il me semblait qu’elle méritait. Un doux moment, un tendre moment de sérénité avant que de telles choses ne soient plus possibles. Et là encore, je ne me laissai pas l’opportunité d’être submergé par mes propres émotions. 

Lorsque l’heure fut venue, j’ouvris la porte de la Grande Salle, et elle se tenait derrière celle-ci. Elle portait encore son uniforme, sa petite jupe grise assortie d’une chemise blanche. Elle avait retiré son pull ainsi que la cravate aux couleurs de sa maison, et ne portait qu’un gilet gris pour lui tenir chaud. Ses longs cheveux bouclés retombaient magnifiquement sur sa poitrine, et elle me regardait avec appréhension. Je lui souris tendrement, et elle hésita à me rendre ma douceur, mais lorsque je me décalai pour la laisser rentrer avant de refermer l’immense porte derrière elle, ses yeux s’extasièrent devant le spectacle que j’avais organisé pour elle. Le plafond étoilé de la Grande Salle était animé d’aurores boréales aux teintes rosées et violettes qui ondulaient et dansaient somptueusement au-dessus de nous. La lumière surnaturelle rosée se reflétait dans le marron chaud de ses yeux alors qu’elle entre-ouvrait la bouche devant la magnificence du plafond magique que j’avais invoqué pour elle, et ce fut cela, mon spectacle magique à moi. Des reflets violets pastels venaient caresser la peau beige de son visage tandis qu’elle ne pouvait détourner le visage de la splendeur devant elle, la rendant dix fois plus douce que ce qu’elle ne l’était déjà. 

-       Wow, murmura-t-elle, stupéfaite. 

Elle m’offrit le luxe de pouvoir l’admirer encore un instant, extasiée, apaisée, touchée devant une beauté qui ne pouvait pourtant entrer en compétition avec la sienne avant de tourner ses yeux émerveillés vers moi. 

-       C’est toi qui as fait ça ? me demanda-t-elle tout bas. 

Elle était surprise. Elle ne savait pas que j’avais tant de romantisme en moi. J’aurais pourtant donné beaucoup pour pouvoir lui en offrir bien plus encore. Pour avoir le temps et l’opportunité de lui offrir tellement, tellement plus que cela. Je lui aurais offert le monde, m’autorisai-je à réaliser sans pouvoir la quitter des yeux. S’il n’y avait pas eu toute cette vie qui m’emprisonnait, je lui aurais offert le monde. Elle n’aurait eu qu’à me dire quels étaient les objets de ses désirs, et j’aurai gravi chaque obstacle qui oserait se tenir entre ses envies et elle. Alors je lui souriais tendrement une nouvelle fois, et j’acquiesçai. Ses yeux se reportèrent à nouveau sur les aurores boréales qui ondulaient lentement au-dessus d’elle. 

-       C’est magnifique, chuchota-t-elle, époustouflée.

Magnifique, c’était le mot qui décrivait la vue qu’elle m’offrait. Ses cheveux chauds reflétaient splendidement la lumière tantôt rosée, tantôt violette des aurores au-dessus de nous, et ses yeux hypnotisés me semblaient pleins d’étoiles tant ils brillaient. Elle était divine, plus en cet instant que jamais. J’avais beaucoup de choses à lui dire ce soir. Je lui permettais néanmoins d’admirer le spectacle dans le plafond encore un moment, tant que moi je pouvais l’admirer elle, sans m’autoriser à penser que c’était la dernière fois que je la voyais ainsi. Probablement même l’une des dernières fois que je la voyais tout simplement. Puis lorsqu’elle fut capable de décrocher ses yeux des aurores, je commençais doucement en l’invitant à s’asseoir à côté de moi sur le banc qui se tenait à côté de nous : 

-       J’ai quelque chose à te dire.

Je pus voir l’extasie dans ses yeux s’évanouir doucement pour être bientôt totalement remplacée par de la peur. Elle savait qu’il se passait quelque chose. Que quelque chose avait bougé. J’étais en paix. Apaisé. Je la regardais tendrement et je n’avais en cet instant pas une once de peur, pas une once d’appréhension en moi. J’étais simplement et totalement avec elle, émerveillé par sa beauté, transpercé par sa douceur, et la seule chose que je me demandais c’était comme il était possible qu’une femme pareille soit amoureuse de moi. Et cela me suffisait largement.

-       Qu’est-ce qu’il se passe Drago ? me demanda-t-elle alors doucement, effrayée. 

Je lui souris tendrement une nouvelle fois. Les aurores boréales dansaient dans leur poussière étoilée au-dessus d’elle dans la pièce plongée dans le noir, illuminée seulement par leur magie aux teintes rosées. 

-       Ce que je t’ai dit avant-hier n’a pas changé, commençai-je tendrement, mais je ne peux pas rester sur ça. Ça ne peut pas être ça, notre aurevoir. Tu mérites mieux que ça, chuchotai-je alors. 

Elle me regardait avec des yeux qui se remplissaient déjà de larmes. Elle sentait que quelque chose était différent. Que cette fois, c’était réel. Mais je n’avais pas de place pour la douleur en moi en cet instant. Je ne parvenais qu’à ressentir une gratitude telle pour elle et tout ce qu’elle était qu’une vague de chaleur apaisante berçait mon corps. Je pris ses mains dans les miennes, et elle me laissa faire alors que je continuai :

-       J’aurai aimé être plus un homme que ça pour toi. 

-       Drago…, chuchota-t-elle alors que ses sourcils se fronçaient sur son front.

-       …Écoute-moi, lui ordonnai-je en un murmure tendre. J’aurai aimé être plus un homme que ce que je le suis pour toi, repris-je en enfonçant mes yeux dans les siens. J’aurai aimé que tu ne découvres rien d’autre que le lycéen insolant et arrogant que j’étais autrefois, celui qui se prenait pour le roi du monde avec Theodore, rêvai-je avec un sourire. J’aurai aimé que tu sois excédée par toutes les bêtises que j’aurais faites avec mes amis, que tu nous dénonces auprès des professeurs pour toutes les choses qu’on n’aurait pas eu le droit de faire, mais qu’on aurait faites quand même. J’aurai aimé que tu sois offensée par la langue tranchante de Pansy, indignée par le culot de Blaise, et que tu te demandes ce que je pouvais bien trouver à ce mystérieux Theodore. J’aurai aimé continuer d’avoir de meilleures notes que toi en Métamorphose, et te rendre folle en te le rabâchant à chaque occasion, souriais-je avec elle. J’aurai aimé te taquiner chaque jour, dans chaque classe, et te faire croire que je ne voyais en toi pas l’ombre d’une menace académique, alors que je passerai mes nuits à étudier pour essayer de t’égaler. J’aurai aimé critiquer ta crinière, te donner l’impression qu’elle était négligée, alors que je passerai l’intégralité de nos cours à me dire qu’il fallait que je me concentre pour écouter afin de réussir à te battre, mais sans pouvoir quitter des yeux la cascade splendide de tes cheveux. J’aurai aimé t’insupporter à longueur de journée, pouvoir te regarder froncer les sourcils chaque fois que tu lirais, concentrée à la bibliothèque, à jalouser les pages des livres que tu dévorais. J’aurai aimé piquer ta curiosité lentement, tout doucement, en te montrant en classe, au travers d’exposés, de questions, de remarques pertinentes que tu n'aurais même pas vu venir. J’aurai aimé jouer au Quidditch pendant que tu aurais été dans les gradins, et j’aurai trouvé le moyen d’essuyer ma transpiration du bas de mon t-shirt, quand bien même nous aurions été en plein hiver, juste pour te dévoiler mes abdos en espérant que tu les regarderais. J’aurai aimé te mettre mal à l’aise devant les autres élèves sans avoir peur que qui que ce soit puisse se douter que tu me plaisais, et voir tes joues rougir quand bien même tu tenterais de le cacher. J’aurai aimé te déstabiliser, te voir douter, t’énerver encore et encore en le faisant exprès juste pour pouvoir voir la façon dont tu fronces tes sourcils, et la passion avec laquelle tu défends toujours ton point de vue. J’aurai aimé t’accompagner à la bibliothèque chaque soir, et te regarder travailler, pendant que toi tu m’enverrais bouler, et que tu me demanderais quel est mon problème. J’aurai aimé te laisser une lettre anonyme à la Saint Valentin, comme tous les garçons le font, et t’observer rougir et partir te cacher d’avoir un admirateur secret. J’aurai aimé te faire la cour, prendre le temps de te montrer qui j’étais vraiment. J’aurai aimé finir par t’attendrir à force de mon intelligence, de mon humour, et peut-être un peu de mon insolence. J’aurai aimé m’asseoir à côté de toi en classe, même si ça t’aurait rendue mal à l’aise, et passer l’entièreté des cours à te distraire en essayant de te séduire maladroitement. J’aurai aimé te voir prétendre de me mépriser toujours, mais t’arracher un sourire volé ici et là, et sentir mon cœur se réchauffer à cette vue. J’aurai aimé que tes amis me détestent de te courir après, simplement parce que j’aurais été un garçon arrogant qu’ils ne pouvaient pas supporter. J’aurai aimé te voir lutter entre tes sentiments naissants pour moi, et ta rationalité qui t’aurait crié que je n’étais pas un garçon pour toi. J’aurai aimé apprendre à découvrir Pattenrond, et te rendre mal à l’aise en l’accueillant sur moi en plein milieu de la Grande Salle, un sourire en coin satisfait ancré sur mon visage. J’aurai aimé te demander d’être ma cavalière au bal de Noël, et te faire danser toute la nuit à la vue de tous. J’aurai aimé pouvoir plaisanter en te disant que tu n’étais pas sortable, alors que j’aurais passé mon temps à me demander comment il était possible d’être aussi belle. J’aurai aimé éveiller du désir en toi, lentement, tout doucement. J’aurai aimé faire les choses bien, sans avoir peur de ce que j’étais en train de faire, sans avoir peur de te toucher, sans avoir peur de t’aimer. J’aurai aimé m’abandonner à toi et te regarder t’abandonner à moi, avec rien d’autre comme conséquence que nos amis qui nous demanderaient ce qu’on est en train de foutre. J’aurai aimé être ton premier baiser, et ton dernier. J’aurai aimé te faire l’amour sous un ciel étoilé, et te faire te sentir comme la femme la plus incroyable au monde, chuchotai-je en me perdant dans ses yeux pleins de larmes. J’aurai aimé que tu apprennes à découvrir mes amis, difficilement mais sûrement. Je crois que j’aurai même aimé découvrir les tiens, même si je les aurais probablement détestés quand même. J’aurai aimé pouvoir montrer à tout le château que tu étais mienne. J’aurai aimé pouvoir te dire que tu étais mienne. J’aurai aimé me battre avec Mac Laggen pour toi, tandis que tu m’engueulerais d’être aussi possessif. J’aurai aimé avoir le temps de te dire je t’aime de mille et une façons. J’aurai aimé te présenter à mes parents, et devoir convaincre mon père que tu n’étais pas moins digne de moi que n’importe quelle autre fille au Sang Pur. J’aurai aimé rencontré les tiens, et découvrir le monde moldu à tes côtés. J’aurai aimé te voir mal à l’aise au manoir, en rire devant toi, mais tout faire par derrière pour te mettre le plus à l’aise possible. J’aurai aimé t’emmener en voyage, et t’offrir le monde. J’aurai aimé te voir t’épanouir en devenant la femme incroyable que tu deviendras de toute façon. J’aurai aimé pouvoir me tenir fièrement à tes côtés, et marcher avec toi vers ta destinée. J’aurai aimé me disputer chaque jour de ma vie avec toi, débattre de chaque sujet qui n’ai jamais existé avec toi et m’extasier encore et encore de ton intelligence et de ta passion. J’aurai aimé te faire des enfants, et les élever avec toi. J’aurai aimé les encourager à faire des bêtises pendant que tu me regarderais avec des gros yeux, et j’aurai aimé t’embrasser pour t’apaiser. J’aurai aimé organiser des dîners avec mes amis et les tiens, et j’aurai aimé qu’on les regarde se disputer en se souriant mutuellement pendant de longues soirées d’été. J’aurai aimé grandir en tant qu’homme à tes côtés, et devenir celui que tu mériterais d’avoir. J’aurai aimé vieillir à tes côtés en me demandant comment un merdeux comme moi avait pu avoir la chance d’avoir une telle femme à ses côtés, chuchotai-je alors qu’une larme pleine de joie tombait sur ma joue. J’aurai aimé n’être rien d’autre qu’un garçon arrogant qui aurait fait craquer la sorcière la plus brillante de sa génération. Mais je n’ai pas été ce garçon arrogant très longtemps, et pourtant j’ai quand même fait craquer la sorcière la plus brillante de ma génération.

Je me léchai les lèvres et caressais ses mains entre les miennes alors qu’une nouvelle larme apaisée dégoulinait le long de ma joue en chuchotant : 

-       Merci, Granger. Merci de m’avoir vu, au-delà de ce que j’avais à montrer. Merci d’avoir vu plus loin que le masque, plus loin que l’armure. Plus loin que le monstre. Merci de m’avoir vu, et de ne pas m’avoir abandonné. Merci de m’avoir montré que même après ce que j’étais devenu, je pouvais quand même être aimé. Merci de t’être battue pour pouvoir me laisser ressentir ça, pour la première fois de ma vie. Merci de ne pas m’avoir lâché, toutes ces fois où j’ai pourtant essayé de te repousser. Merci de m’avoir aimé, Granger. Et merci de m’avoir appris à aimer à mon tour. Quoi qu’il advienne désormais, tu seras toujours la seule à avoir vu dans les tréfonds de mon âme, et celle à qui appartient ce qu’il restera de mon cœur à la fin. 

De lourdes larmes coulèrent le long de ses joues, et je léchais les miennes avant de lui adresser le sourire le plus empreint d’amour que j’avais en moi. Je me levai du banc et continuai alors qu’elle levait le visage vers moi. 

-       Il y a beaucoup de choses que j’aurai aimé et qui ne seront jamais, mais me ferais-tu l’honneur de m’accorder cette danse, Granger ? l’invitai-je en inclinant mon torse devant elle, lui tendant ma main. 

Un petit rire la secoua alors que ses yeux demeurèrent pleins de larmes, et elle m’adressa le plus somptueux des sourires que je lui rendais. Je la voulais. Je voulais la faire danser. Une fois dans ma vie. Je voulais la voir tourner du bout de mon bras. Je voulais la voir rayonner dans la lumière de la nuit, et je voulais voir ses cheveux tournoyer autour d’elle. Elle m’accorda sa main et je ne pus refreiner le sourire qui s’inscrit sur mes lèvres. Elle enfonça ses yeux dans les miens, et elle se leva du banc pour me rejoindre au milieu de la Grande Salle. Et elle me laissa la guider. Elle me laissa poser ma main sur sa hanche, et la faire danser lentement à travers l’intégralité de la Grande Salle. Les aurores boréales dansaient avec nous, mais j’étais incapable de quitter ses yeux. La chaleur de ceux-ci. L’amour qui brillait dans ceux-ci. Et elle ne quittait pas les miens non plus. Elle tournoya autour de moi, ses cheveux magnifiques volant derrière elle, et elle me laissa la guider à travers les différentes tables de la Grande Salle alors que les battements de nos cœurs nous servaient de musique.  J’eus l’impression de rêver. En cet instant, tout était parfait. Ma vie était parfaite. Elle, elle était parfaite. Et je ne ressentais qu’amour et gratitude pour elle. Une admiration et une estime des plus totales. Et je la fis danser autant qu’elle me laissa faire, sans pouvoir quitter la douceur de ses yeux un seul instant. Et pendant tout le temps que nous nous offrions, il n’y avait rien d’autre. Rien d’autre que nos deux corps dansant l’un avec l’autre au milieu de la Grande Salle dans laquelle nous avions grandi ensemble, pourtant si loin l’un de l’autre, durant toutes ces années. 

Ce fut elle qui cessa de danser de longues minutes plus tard, et elle me retourna l’intensité de mon amour pour elle en un baiser qui exprimait ce qu’elle ne pouvait pas dire avec des mots. Et je me laissai aller à elle, une dernière fois, comme elle se laissa aller à moi. Chacun de nos mouvements se fit lent, comme s’il pouvait durer éternellement. Comme si ce moment pouvait s’étirer jusqu’à l’éternité. Chaque caresse de sa joue, de ses cheveux, de sa peau, de son ventre, de ses jambes, se fit lente et aussi douce que de la soie. Chaque regard se fit enivré et profond comme des aveux interdits. Chaque baiser se fit tendre et rugueux à la fois, son cœur, son corps, et son âme s’abandonnant intégralement à mon cœur, mon corps et mon âme. Chaque caresse, chaque touché, chaque centimètre de sa peau, de son visage, de ses cheveux s’ancrait lentement dans ma mémoire alors que je la dévorai, allongée sur une table de la Grande Salle qui contenait l’énergie de notre amour. Et aussi lentement, aussi longtemps, et aussi amoureusement que nous le puissions, nous fîmes durer cet instant éternellement. Et il me sembla qu’elle n’avait jamais été aussi belle qu’en cet instant, allongée nue juste en-dessous de moi, ses longs cheveux bouclés répandus autour de son visage, les lumières rosées des aurores boréales dansant en se reflétant sur l’intégralité de son corps. 


Je sais pas vous mais émotionnellement moi j'suis morte :') 

Sinon suis mon compte insta pour du contenu en rapport avec la fic et tout ça ! @ livstivrig 

des bisous à bientôt <3 

Liv 


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