Les enfants de la guerre
Chapitre quatorzième :
« La vérité est solitude. L'agonie est solitude. » - Huguette Leblanc.
Baiser saisissant
Voile glacé hors du temps
Funestes amants
.
.
.
.
.
Un flottement : « Drago »
.
.
.
.
.
Vide noir néant
Espoir en vain la revoir
Entendre sa voix
.
.
.
.
.
Un souffle : « Reviens… »
.
.
.
.
.
Souvenir lointain
Où ton rire demeure
Toi et moi liés
.
.
.
.
.
Un grondement : « Dépêches-toi. »
.
.
.
.
.
Pas de nuages
L'horizon calme sage
Aucune vague
.
.
.
.
.
Une explosion : « Drago ! »
.
.
.
.
.
Tes cheveux au vent
Messagers de lumière
Et au bout la vie
.
.
.
.
.
Une déflagration : « REVEILLES-TOI ! »
XXXXX
« Monsieur Malefoy ?
Il n'avait jamais entendu cette voix, ne savait pas où il était, ni pourquoi.
Son corps engourdi refusait de bouger.
Il souleva à moitié les paupières avant de les refermer aussitôt.
Tout était trop.
Trop lumineux.
Trop bruyant.
Trop vivant.
Ça martelait dans sa tête comme si on y avait lâché des cognards.
Au prix d'un effort surhumain, il essaya de se redresser en prenant appui sur ses bras, mais se laissa retomber lourdement, une douleur atroce parcourant ses avants bras.
Et des images germèrent.
Et les souvenirs s'éveillèrent.
Que voulez-vous qu'il vous dise ? Qu'il avait préféré mourir que vivre dans un monde où elle n'existait pas ? Que le seul espoir qu'il lui était resté à ce moment-là, c'était de la rejoindre ? Que sans elle, la vie ne valait simplement pas la peine d'être vécue ?
Il pourrait dire tout ça et plus encore.
Mais les mots s'éteignaient dans sa gorge avant même de naître sur ses lèvres.
Des bruits de pas s'éloignèrent de lui. Une porte grinça. Une fois, puis une deuxième. Et, délicatement, claqua.
Alors, elle était là, sa punition cosmique ? L'avoir côtoyée pendant des années tous les jours et la haïr puis avoir appris à la connaître et à l'aimer inconditionnellement pour finalement ne plus jamais pouvoir l'apercevoir ?
Ses yeux s'ouvrirent.
Ste Mangouste.
Evidemment, il aurait dû s'en douter.
Il n'y avait qu'eux pour vous sauver contre votre gré.
D'odieux rayons de soleil inondaient sa chambre de la chaleur typique d'un début de soirée d'été. Chaleur qu'il troquerait sans la moindre once d'hésitation contre celle accablante de l'enfer.
S'il évaluait les possibilités de mort rapide, sans résurrection possible cette fois, autour de lui, il fut rapidement contraint de reporter son attention sur le grabuge lui parvenant de derrière la porte. Ses oreilles captaient le son déformé de plusieurs voix et des bribes de conversations :
- … Mon fils !
- Vous n'êtes pas médicomage !
Un claquement sonore – probablement celui d'une main en colère contre une joue désormais rouge de honte – fouetta l'air jusqu'à lui.
Suivi d'un silence qu'il pouvait peser depuis son lit.
Puis, la porte s'ouvrit.
Il tourna ostensiblement la tête en direction de la fenêtre, refusant de reconnaître la silhouette s'approchant rapidement de lui dans un bruissement de tissus.
Les reproches, les cris, les insultes même, il aurait pu faire avec. Mais les larmes de sa mère… Ça, il n'y était pas préparé.
- Mon chéri…
Elle se jeta sur lui en pleurant et le serra contre elle, le berçant tendrement.
- J'ai cru que je t'avais perdu… pour toujours…
Elle attrapa le visage de son fils entre ses mains et déposa un baiser sur son front, puis sur son nez, ses joues, ses yeux avant de le serrer à nouveau dans ses bras.
Son corps si fatigué s'affaissa soudain, se laissant aller dans cette étreinte réconfortante :
- Maman…
Il s'autorisa enfin à craquer. Incapable de les retenir plus longtemps, de longues larmes coulèrent sur ses joues, trempant le chemisier de sa mère.
Elle le serra plus fort en sentant ses sanglots s'intensifier. Elle n'avait jamais vu son fils dans cet état il s'agrippait à elle comme quand il était gamin et qu'il avait fait une bêtise.
- Ooh… Drago. Calme-toi, je suis là. Tu dois rester fort pour elle. Ne désespère pas ! Je sais qu'elle va s'en sortir. Je ne connais pas de jeune femme plus forte qu'Hermione.
Il releva brusquement la tête, manquant de se cogner contre le menton de sa mère.
- Quoi ?
- Je sais que les médicomages ne sont pas sûrs qu'elle se réveillera. Mais moi, je le sais ! Je le sens. Elle va se réveiller. Il lui faut du temps.
Il n'arrivait plus à respirer.
- Elle… Elle n'est pas ?...
De nouvelles larmes jaillirent. Il n'arrivait plus à aligner deux syllabes cohérentes à la suite.
- Co… Comment ça ?
- Personne ne t'a… ? Elle est dans le coma.
- QUOI ?!
- Hermione est dans…
Elle n'était pas morte.
- Je dois… - Il se leva d'un bond de son lit – Elle est où ? – Il enfila le premier peignoir à sa portée avant de se tourner vers sa mère – Maman ?! Elle est où ?
Vous savez ce qu'on dit, la personne la plus inattendue fait toujours son entrée au moment le plus inattendu.
- Au bout du couloir, lança Kingsley Schacklebolt qui était arrivé à leur hauteur dans la plus grande indifférence.
Drago attrapa le Premier Ministre par le col, mû par une colère soudaine.
- Espèce de salaud ! Vous deviez la protéger, vous me l'aviez promis !
- Drago ! Arrête, qu'est-ce que…
- Vous êtes vraiment le pire…, il éclata en sanglot contre l'épaule du Premier Ministre. J'ai cru que je la reverrai jamais…
Kingsley n'en avait visiblement pas terminé avec les surprises de la part de cette famille. Il lui tapota le dos maladroitement. Ce n'était pas tous les jours qu'il manquait de prendre un coup de poing, pour servir, la seconde qui suivait, de réceptacle à morve pour jeune sorcier en perdition. Il pourrait l'ajouter à son CV, même s'il n'était pas certain que cette compétence soit un jour utile en dehors de ce moment précis.
- Je peux vous conduire jusqu'à sa chambre.
Drago renifla aussi bruyamment qu'une paille aspirant le fond d'un verre d'eau presque vide et hocha la tête discrètement.
Kingsley lança un rapide coup d'œil à Narcissa, restée en état de choc mi assise, mi debout au bord du lit, lui faisant comprendre qu'il gérait la situation. Après tout, cela ne pouvait pas être bien plus difficile que de gérer la politique entouré de vieux sorciers séniles.
Ils marchaient côte à côte d'un pas lent. Kingsley le regardait du coin de l'œil avec inquiétude :
- Comment vous sentez-vous ?
- Ne vous sentez pas obligé de jouer à ce petit jeu avec moi.
- Je ne joue à aucun jeu. Miss Granger et vous m'avez fait passer une des pires soirées de ma vie. Quand j'ai compris ce que vous aviez en tête… Croyez-le ou non, mais je vous apprécie énormément.
Drago s'arrêta et le regarda stupéfait.
- Ne faites pas cette tête ! Je ne suis quand même pas le premier à vous dire que vous êtes quelqu'un de bien ?
Ces mots, sortis de nulle part, faisaient écho à ceux de sa mère, à ceux d'Hermione. Depuis quand exactement était-il le gentil ? Hermione et sa mère lui dirait très certainement qu'il n'avait jamais été mauvais, qu'il avait juste fait des choix malheureux. Des choix malheureux ! Comme si harceler ses camarades de classe ou accepter la marque des Ténèbres n'avaient été qu'un choix malheureux. Malgré tout, il ne pouvait s'empêcher de ressentir une certaine douceur s'installer dans sa poitrine. Douceur qui se mua en panique soudaine lorsqu'ils arrivèrent au bout du couloir.
Kingsley posa sa main sur la poignée :
- Attendez…
Drago n'était pas bien sûr lui-même de savoir pourquoi il devait attendre.
- Attendez…
D'abord surpris, il fixa, d'un regard tendre, ce jeune homme en proie aux doutes. Il relâcha la poignée et se tourna vers Drago :
- C'est comme si elle dormait. Elle ne souffre pas, grâce aux techniques moldues. Plusieurs tuyaux sont reliés entre elle et des machines. Certains sont pour prendre des mesures, d'autres pour envoyer dans son corps des sortes de potion antidouleur. C'est impressionnant, mais cet attirail lui permet, pour le moment, de vivre. Jusqu'à ce qu'elle soit capable de le faire seule.
Drago l'avait écouté attentivement, se construisant une image mentale pour se préparer. Il hocha la tête Kingsley tourna la poignée et poussa la porte.
Elle faisait minuscule, allongée là, encore une fois, dans cet hôpital qu'elle détestait tant. Il repéra un fauteuil et le tira jusqu'au lit. Il s'y assit et prit sa main dans la sienne.
Il scrutait chaque détail. Sa bouche et son nez était recouvert par une sorte de coupelle arrondie semi opaque. Des poches de liquides de différentes teintes se rejoignaient en un seul tuyau jusqu'à son bras. Une machine derrière elle bipait en permanence tandis qu'une autre faisait le même bruit qu'un soufflet de cheminée. Il ne savait pas pourquoi mais ces sons réguliers le rassuraient. Derrière son air serein apparent se cachait de nombreuses blessures : une ecchymose recouvrait presque entièrement une de ses joues, ses mains et ses bras étaient couverts d'entailles, certains de ses ongles avaient été arrachés et elle avait sans doute plusieurs os cassés. Probablement avait-elle dû essayer de se rattraper avant d'être submergée par le maléfice de la rune. Il devinait, à travers sa blouse, un large pansement, sans doute la source de son hémorragie. Il reporta son attention sur son visage :
- Mais qu'est-ce que tu as fait stupide Gryffondor ?!
L'adrénaline retomba comme un vieux soufflé, laissant la place à l'épuisement. Bien décidé à ne plus la quitter d'une semelle, il posa sa tête à même le matelas et sombra dans un sommeil sans rêve sans lâcher sa main.
XXXXX
La direction de Ste Mangouste avait restreint les visites pour des raisons de sécurité : imaginez que quelqu'un ait le réflexe désastreux de lancer un sort ! Si McOssick n'était pourtant pas du genre à céder au chantage, elle avait bien été obligée de laisser Drago rester au chevet d'Hermione tous les jours, sans quoi il refusait catégoriquement ses soins.
Après une petite semaine de surveillance médicale, Drago avait reçu l'autorisation de rentrer chez lui. Il déclina presque poliment, arguant qu'il ne faisait pas assez confiance à cet hôpital pour prendre soin d'Hermione. Il veillait au quotidien qu'elle soit manipulée avec bienveillance, que la chambre soit aérée, les draps changés et le ménage fait. Il ne se privait jamais d'invectiver un soignant qu'il jugeait trop brusque ou, au contraire, pas assez réactif à son goût. Si le personnel grinçait des dents en se prenant ces réflexions peu élogieuses sur leur façon de travailler, la médicomage en chef fulminait un peu plus chaque jour. Elle était confrontée, une fois encore, à l'obstination horripilante de l'un de ses patients et ça ne lui plaisait pas du tout.
Au bout d'un mois, McOssick ne pouvait simplement plus tolérer qu'un patient guéri squatte son hôpital et donne des ordres à sa place. Ce fut lors d'une des visites du Premier Ministre qu'elle en profita pour l'interpeler au détour d'un couloir. Les bras croisés, le dos raide, elle ne supportait plus cette situation invivable. Son chignon, habituellement si impeccable, ne tenait plus qu'à une épingle, des mèches grisonnantes encadrant son visage sévère.
Kingsley soupira en la voyant mais lui offrit son sourire le plus avenant, ou tout du moins, il essaya. Elle n'avait pas encore ouvert la bouche qu'il avait la certitude d'être embarqué, contre son gré, dans une histoire nécessitant sa prompte intervention. Par moment, il aimerait vraiment avoir tort.
- Il refuse de la laisser seule plus de 10 minutes. Il mange à peine, ne s'est pas lavé depuis… Et bien, je ne sais même plus depuis quand ! Sans parler de son comportement frisant l'insolence. Ce n'est plus possible ! Le personnel ne peut pas travailler dans ces conditions !
Il dormait mal depuis des semaines, rongé par l'inquiétude. Ses propres conseillers, en voyant ses cernes s'étirer un peu plus chaque jour, lui avaient recommandé de lever le pied et de déléguer à ses subalternes les affaires courantes. Il avait refusé, ne voulant pas être foudroyé sur place par Miss Granger si elle avait le malheur d'apprendre qu'il délaissait le pays pour lui rendre visite.
- Faites quelque chose... Maintenant !
Il soupira une nouvelle fois. Qui au juste avait décidé qu'il devait aussi jouer les médiateurs entre McOssick et ses patients ? Gérer un pays post-guerre n'était donc pas suffisant ? Il acquiesça, plus par instinct de survie que par réelle conviction. S'il se garda de lui promettre un résultat à la hauteur de ses espérances, il accepta néanmoins de parler à Drago. Satisfaite, McOssick tourna les talons et, tout en continuant de maugréer pour elle-même, prit la direction des escaliers.
En entrant dans la chambre, il découvrit Drago, parfaitement immobile dans son fauteuil, fixant sans ciller le visage d'Hermione. L'expression « ne pas la quitter des yeux » prenait vit devant lui.
- Comment va-t-elle ?
- Je ne bougerai pas d'ici.
- Je n'avais pas l'intention…
Un seul regard orageux lui suffit à ne pas finir cette phrase.
- Malgré ce que vous semblez penser. Je préfère que quelqu'un veille sur elle comme vous le faites. Le passé m'a prouvé qu'il n'était pas bon de vous séparer trop longtemps.
- Mais… ?
Drago n'était pas dupe, il sentait quand quelqu'un essayait de le manipuler il avait été à bonne école.
- Je pense que vous découvrir dans cet état, le teint pâle, en blouse d'hôpital, pas nourri correctement depuis des semaines, pas lavé depuis des jours, serait une source inutile de stress et d'inquiétude. Ne pensez-vous pas qu'elle aura déjà beaucoup à penser et bon nombre de questions ?
En imaginant Hermione et sa mine froncée, il se renfrogna sur son siège. Pour autant il ne bougea pas d'un pouce.
- Je ne la laisse pas.
- Prenez une heure. Le temps de vous laver et de vous changer. Je reste avec elle. Je vous en donne ma parole.
Il est vrai qu'il avait cruellement besoin d'une vraie douche et de vêtements décents et propres. Sans parler d'un brossage de dents ! Et malgré tout ce qu'il avait pu en penser, Kingsley était digne de confiance. Sa mère avait fini par lui dire que c'était le Premier Ministre en personne qui était allé le récupérer, le découvrant à moitié mort au milieu de la salle de bain dans une mare de sang. Sans son intervention, il le serait peut être vraiment à l'heure qu'il est, mort. Peut-être pourrait-il en profiter pour mettre de l'ordre dans l'appartement. Personne n'y avait remis les pieds depuis. Il pourrait aussi rapporter quelques affaires pour égayer la chambre, tout faire pour qu'Hermione se sente bien.
- Une heure. Et personne ne la touche. Surtout pas cette vieille folle. J'ai votre parole ?
Un demi-sourire se dessina sur le visage du Premier Ministre, mais il se garda bien de tout commentaire. Il hocha la tête :
- Vous avez ma parole. Je ne bouge pas d'ici avant votre retour.
Drago se pencha sur Hermione et l'embrassa sur le front en murmurant :
- Je reviens vite. Ne fais pas de bêtises pendant mon absence.
Pressant le pas, il se hâta de sortir de la chambre avant de changer d'avis.
Sablina, satisfaite, le regarda tourner à l'angle du couloir et pénétra dans la chambre.
- Vous pouvez y aller. Elle ne va pas s'envoler.
- Je reste. J'ai donné ma parole.
- Ah non ! Vous allez pas vous y mettre. Sortez de mon hôpital !
Kingsley ne prit même pas la peine de répondre. S'il n'était pas capable de réaliser une si simple promesse, autant démissionner tout de suite et partir élever un mammifère moldu quelconque dans la campagne écossaise.
Après de nombreux soupirs de protestations, elle finit par quitter la pièce furieuse, faisant retentir ses pas jusque dans le couloir.
Le poids de la fonction, de la guerre et de ces dernières semaines lui pesèrent soudainement. Kinglsey plongea sa tête entre ses mains et permit à une unique larme de s'écraser sur son pantalon.
- Miss Granger… Il est temps de vous réveiller maintenant ! Pour le bien de votre Premier Ministre et la santé mentale de notre médicomage en chef, il est temps. Réveillez-vous et remettez de l'ordre avant qu'ils s'entretuent.
Il la fixa un moment sa voix se mit à trembloter :
- Nous ne sommes pas prêts à vivre sans vous. Le monde n'est pas prêt. Monsieur Malefoy ne peut se passer de vous.
Il aimait regarder de temps en temps ce que les moldus appellent des films à l'eau de rose. Dans les films, c'était le genre de moment où la personne, aimée de tous, plongée dans le coma, se réveillait. S'en suivait des larmes de joies, des rires et une fin heureuse toute recouverte de paillettes dorées et de pétales de fleurs tombant langoureusement jusqu'au générique.
Malheureusement, la réalité était loin d'être aussi romanesque que dans les films moldus.
Ses paroles restèrent en suspens, flottant nonchalamment dans l'air avant de s'éteindre sans un bruit.
XXXXX
Drago passa la porte de l'appartement. Tout était resté exactement comme il l'avait laissé. Ou presque tout. Dans le vase, le bouquet avait fané depuis longtemps. La poussière recouvrait chaque étagère en couche épaisse et grasse. Des traces de pas ensanglantés traçaient un sinistre chemin depuis le couloir, s'estompant à mi-parcours. Une odeur âcre de sang séché et de renfermé parvint jusqu'à ses narines, le faisant grimacer de dégoût. Il traversa la pièce et ouvrit en grand la fenêtre de la cuisine.
Il saisit sa baguette dans la poche arrière de son pantalon et pointa le vase. Il se ravisa subitement, rangea sa baguette et attrapa le vase. Des effluves rances de moisissures et d'eau croupie étaient à la limite de lui donner la nausée. Il se dépêcha de jeter les fleurs à la poubelle et de vider le fond de bouillon gris-maronnasse dans l'évier. Quelques coups d'éponge, une quantité industrielle de liquide vaisselle et pas mal d'huile de coude plus tard, le vase avait repris sa place sur le plan de travail, propre et étincelant.
De sous l'évier, il sortit seau, serpillères et sacs poubelle. Plusieurs fois, il avait observé, d'un œil moqueur, Hermione faire le ménage. Elle soutenait qu'il n'y avait rien de plus agréable au monde que la sensation du travail fait par soi-même, sans l'aide de la magie. Il avait argumenté que ça ne servait à rien d'être une sorcière talentueuse si c'était pour se gercer les mains avec des produits nocifs. Evidemment, elle ne l'avait pas écouté et avait continué ses habitudes, parfois en sifflotant, parfois en gardant les sourcils froncés, en fonction de son humeur.
Comme elle le lui avait expliqué une fois, il mit d'abord de l'eau bien chaude dans le seau puis y versa deux bouchons de produit pour les sols, le rose, son préféré. Son parfum acidulé d'agrumes lui rappelait un voyage qu'elle avait fait en Espagne avec ses parents. Ils avaient visité une orangeraie gigantesque avant de déguster les meilleurs pamplemousses de toute sa vie. Depuis, elle adorait cette senteur.
D'abord peu certain de ses gestes, il plongea maladroitement la serpillère dans l'eau savonneuse, manquant de renverser le seau au passage. Il l'essora et commença au niveau de la porte d'entrée. Il frotta énergiquement, rinçant et essorant sa serpillère régulièrement, avant de s'attaquer aux traces de pas. Il gratta parfois plus vigoureusement, du sang séché s'étant incrusté par endroit entre les lattes du parquet.
Arrivé dans le couloir, il nettoya des traces de pas de plus en plus épaisse jusqu'à se stopper net devant la porte entrebâillée de la salle de bain. Il la poussa pour l'ouvrir entièrement et fut saisi par l'horreur de la scène face à lui : une mare sèche de sang, des serviettes de bain imbibées et éparpillées çà et là, et, trônant presque fièrement au milieu du carnage, la lame de rasoir.
Une grande trainée tirant sur le bordeaux partait de la mare jusqu'à la baignoire. La vision d'Hermione assise tranquillement sur le rebord en lui souriant refaisait surface. Il l'avait vue et avait essayé de ramper jusqu'à elle. Il était tombé inconscient avant d'y parvenir.
Il se secoua, ce n'était pas le moment de penser à tout ça. Dans un sac poubelle, il fourra les serviettes il se fichait de savoir si elles pouvaient ou non être nettoyées, il en rachèterait. Puis avec précaution et un couteau, il décolla la lame de rasoir qu'il jeta, avec le couteau, au milieu du sac. Il utilisa une sorte de raclette, qu'Hermione prenait pour retourner les pancakes, et désincrusta tout ce qu'il pouvait. D'abord accroupi, il finit par se mettre à genoux, grattant, raclant la moindre croute. Il ne s'arrêta que pour regrouper tous ces amas en tas qu'il balaya dans sa pelle avant de la vider. Il lui fallut plus d'une demi-heure pour venir à bout de la mare de sang et au moins autant pour passer la serpillère. Il changea l'eau, plusieurs fois, colorant momentanément la vasque de l'évier d'une grenadine macabre.
Une fois la salle de bain récurée de fond en comble, il continua dans le couloir, récurant chaque trace de sang et de vomi jusqu'à la chambre d'Hemione. Là, il changea carrément de serpillère. Il plia les vêtements, rangea les lettres de Weasley à sa place, replia la carte des alentours d'Azkaban. Si ça ne tenait qu'à lui, il l'aurait simplement brulée, mais voilà ça ne tenait pas qu'à lui. Il aéra la chambre et se dirigea dans la sienne pour attraper une valise. Dedans, il mit autant d'affaires nécessaires que possible : du simple pyjama au cahier de sudoku qu'Hermione aimait compléter le soir après une longue journée de travail.
Il posa la valise par terre, attrapa des vêtements propres dans son armoire et prit une longue douche brulante. Si ses avant-bras le faisaient encore souffrir, ce n'était rien en comparaison de ce qu'elle avait dû ressentir ces dernières années, sans parler des tortures de Bellatrix et de son presque suicide en transplanant à Azkaban.
Il se sécha et s'habilla rapidement. En rejoignant la cuisine, il avait le sentiment d'oublier quelque chose il chercha autour de lui. Ses yeux se posèrent sur le vase et une ampoule s'alluma dans son cerveau.
Il l'emballa avec précaution et le rangea dans la valise par-dessus le reste.
En chemin pour Ste Mangouste, il entra dans la première boutique de fleurs qu'il croisa et acheta un énorme bouquet foisonnant d'une multitude de variété et de couleurs. De quoi apporter de la gaieté dans la chambre morne d'Hermione.
Bouquet dans une main, bagage dans l'autre, il traversa, par mégarde, ce qui ressemblait à un petit marché. Là, des volailles rôtissaient par douzaines, dégageant une odeur alléchante d'herbes et d'épices. Ici, un vieil homme bedonnant chantonnait en rangeant des livres dans des cagettes en plastique bleu. Là encore, des hommes et des femmes braillaient que leurs fruits étaient bien meilleurs que ceux du voisin, que d'abord mes légumes sont bien plus jolis ou que n'importe quoi tu oses appeler ce machin tout rabougri une aubergine ! Drago ne les écoutait pas, il bloqua sur la camionnette du bouquiniste qui était au moins aussi âgée que le vieil homme, si ce n'est plus, et qui dégueulait de livres en tout genre. Le vieil homme ne lui prêta aucune attention, se contentant de poursuivre l'empilement de ses cagettes en une tour à l'équilibre incertain. Drago balaya du regard les auteurs devant lui : Pratchett, Austen, un exemplaire usé jusqu'au fil de « La ferme des animaux » d'Orwell et au milieu des encyclopédies et des magazines de la parfaite ménagère, édition des années 50, se trouvait un recueil de poésies signé Victor Hugo. Il savait qu'elle aimait les auteurs français. Il leva la tête vers le vieil homme :
- Combien pour ce livre ?
- Cagette bleue : 3£ les cinq. Cagette verte : 6£ les deux. Si vous aimez la poésie, j'en ai d'autres.
- Je ne veux que celui-là.
Mais déjà, le vieil homme s'était retourné dans son camion, plongeant et farfouillant dans le monticule de pages et d'encre. Il en ressorti quelques instants plus tard avec une pile de livres.
- Vous aimez quoi comme poésie ?
Drago n'était pas sûr de comprendre le fonctionnement exact d'un commerce moldu mais une chose était sûre : à aucun moment c'était rentable de vendre aussi peu cher des livres qui, pour la plupart, était encore en excellent état. Pris de court, il bafouilla un « française » au vieil homme qui lui tendit quatre ouvrages supplémentaires : Charles Baudelaire, Paul Verlaine, un autre de Victor Hugo et Marceline Desbordes-Valmore.
Drago sortit un billet et, sans attendre sa monnaie, reprit sa route, ignorant les maraîchers cuisants et les poulets hurlants, à moins que ce ne soit le contraire.
Il arriva rapidement devant la vitrine aux mannequins poussiéreux. En entrant dans le vieux bâtiment, la devanture sans vie laissa la place à un hall d'hôpital grouillant de monde : des patients en blouse, certains crachant du feu, d'autres vomissant des limaces gluantes, des soignants pressés et en retard et des familles cherchant un proche. Des gens entraient et sortaient, d'autres transplanaient dans la zone réservée à cet effet. Des hiboux volaient à toute allure entre les étages et des notes de papier se plantaient dans des tableaux de liège avant d'être récupérées par quelqu'un.
Ne prenant même pas la peine de se présenter à l'accueil, il grimpa les étages.
XXXXX
Kingsley n'avait pas bougé Drago le regarda à peine. Il posa le sac au sol, le bouquet et la pile de livres sur la table de chevet. Il rangea soigneusement les affaires : les vêtements dans la petite armoire, la trousse de toilette dans la salle de bain, le sudoku dans le tiroir à côté d'Hermione. Il remplit le vase et y disposa élégamment les fleurs, prenant soin d'enlever quelques feuilles qui trempaient dans l'eau. Une douce odeur de lilas emplit la pièce qui s'en trouva immédiatement plus chaleureuse. Du fond de la valise, il attrapa cette couverture tricotée par sa maman qu'elle aimait temps et la posa délicatement sur ses jambes.
Kingsley eut la politesse de se faire aussi petit que possible, ne voulant interrompre pour rien au monde ce drôle de ballet fascinant qui se déroulait sous ses yeux. Discrètement, il se leva.
Drago attrapa un des livres qu'il avait acheté, s'assit dans le fauteuil, sans se soucier de savoir s'il y avait encore quelqu'un dedans ou non et commença à lire :
« Et toi ! dors-tu quand la nuit est si belle,
Quand l'eau me cherche et me fuit comme toi,
Quand je te donne un cœur longtemps rebelle ?
Dors-tu, ma vie ! ou rêves-tu de moi ?...
Kingsley, se sentant soudain de trop, préféra partir. Il posa la main sur la poignée. Drago interrompit sa lecture et, sans se retourner, marmonna :
- Merci.
Kingsley sourit. Cette journée n'était pas si mauvaise en fin de compte, et il quitta la chambre, le cœur un peu plus léger qu'à son arrivée.
XXXXX
Une nuit, alors que Drago s'était endormi une fois de plus sur le fauteuil auprès d'Hermione, il se réveilla en sursaut, le front dégoulinant de sueur, la respiration chaotique. Il serra la main d'Hermione dans la sienne et examina les appareils qui ronflaient et bipaient tranquillement. Il regarda le petit réveil, minuit passé.
Il embrassa délicatement la main d'Hermione et lui murmura :
- Joyeux anniversaire…
…
Tu me manques tellement…
Il la fixa longtemps, chassant de temps en temps d'un revers de manche les larmes qui dévalaient ses joues. Incapable de se rendormir, il saisit un des recueils et lui fit la lecture à la lueur de la lampe de chevet pendant plus d'une heure avant de finir par sombrer dans un sommeil remplit de rêves tortueux.
XXXXX
Drago revenait de chez le fleuriste. Il jeta l'ancien bouquet, nettoya le vase, le remplit d'eau et déposa marguerites du cap, lavande et cosmos en lui racontant, depuis la salle de bain, ses journées. Il lui parlait de tout et de rien, parfois de la météo, parfois de vieux souvenirs qu'ils avaient en commun. La plupart du temps il la regardait simplement ou lui faisait la lecture.
Il continuait de lui expliquer en détail la fois ou Crabbe et Goyle avaient été pourchassés par Peeves dans un couloir de Poudlard quand une des machines se mit à retentir furieusement. Une seconde s'affola, faisant résonner une alarme stridente dans toute la pièce, voire dans tout l'hôpital.
Il lâcha le vase qui se brisa par terre en répandant des fleurs, de l'eau et des bouts de verre un peu partout et accourut vers Hermione.
Les yeux exorbités, elle se battait avec le masque sur son visage, manquant d'arracher son cathéter.
- Hermione ? Par Salazar, Hermione ! Calme-toi, je suis là, tu es vivante. Tout va bien. Je… Je vais chercher un médicomage.
Elle essaya de le retenir mais déjà il courait vers la porte et hurlait dans le couloir :
- Elle est réveillée !
Il revint près d'elle, ne pouvant retenir ses larmes, il se laissa tomber à côté d'elle et lui prit la main.
- Tu… J'ai cru…
Ils n'eurent pas le temps de retrouver leurs esprits qu'une équipe complète, précédée par McOssick en personne entra en trombe dans la chambre. Tous s'affairaient à une tâche : on testait ses réflexes, vérifiait ses constantes, mesurait, prenait des notes, listait, changeait un pansement ou deux, arrêtait une machine puis une autre.
Enfin le tumulte se calma. Un médicomage s'avança doucement vers elle, s'assit au bord du lit et examina sa gorge :
- Vous risquez d'avoir du mal à parler. C'est normal, ne forcez pas, prenez votre temps.
Elle hocha doucement la tête en réponse. Un vent d'espoir souffla dans la pièce. Elle était réveillée et consciente, ce qui, dans son cas, relevait du miracle.
- Je vais vous poser une série de questions, d'accord ?
Elle acquiesça.
- Savez-vous où vous êtes ?
Elle fixa McOssick et leva les yeux au ciel. Le médicomage sourit distraitement et griffonna sur son bloc-notes.
- Oui, oui, très bien… Vous rappelez-vous votre nom ?
Elle ouvrit la bouche pour parler, mais seul un sifflement rauque s'échappa de sa bouche.
- Ce n'est rien, la rassura le médicomage. C'est tout à fait normal. Prenez votre temps.
Elle inspira calmement et articula douloureusement :
- Her… Hermione… Gran…ger.
Drago, resté en retrait, pleurait en la regardant : elle était vivante.
- Bien, très bien. Continuons. Vous rappelez-vous comment je m'appelle.
Elle fronça les sourcils, paniquant à l'idée d'avoir perdu la mémoire.
- Ne vous inquiétez pas. Je vous taquine. C'est la première fois que nous nous rencontrons. Je m'appelle Fergus.
Son regard s'illumina et elle prit sa main dans la sienne :
- Ron.
- Tout à fait.
Ils échangèrent un sourire.
- Vous souvenez-vous de ce qui s'est passé ?
Son visage s'assombrit brusquement, ses yeux s'embuèrent :
- Je… J'ai transplané… Pour… Pour…
Horrifiée en prenant conscience de ce qu'elle avait fait, elle dévisageait toutes les personnes autour d'elle, cherchant quelqu'un en particulier.
- Dra… Drago…
La troupe de médicomages se tourna comme un seul homme vers lui. Il avança vers elle d'un pas lourd. Elle fondit en sanglots :
- Je… Je suis… Je te demande…
- Tu n'imagines pas à quel point tu m'as manqué.
Il la prit dans ses bras, la faisant grimacer de douleur.
- Doucement, elle a plusieurs côtes cassées qui ont du mal à cicatriser, on suppose à cause de la rune, et une vilaine plaie encore infectée. Mais dans l'ensemble, elle va bien.
Elle se blottit contre lui, profitant simplement de sa chaleur, de son réconfort, de ce pilier dont elle avait tant besoin dans sa vie et continua de pleurer.
Fergus congédia ses collègues de la chambre, les laissant seuls en tête à tête. Il attendrait une heure ou deux, ou trois, avant de prévenir la famille Weasley et le Premier Ministre. Pour l'instant, ils avaient simplement besoin de se retrouver.
XXXXX
En fermant la porte derrière lui, il vit son plan si parfait voler en éclat. Un attroupement s'était formé devant la chambre de Miss Granger composé de l'équipe médicale qui venait d'en sortir, le Premier Ministre, la médicomage en chef, la famille Weasley au grand complet, maris et épouses compris et toute une horde de curieux. Seule absente : Narcissa Malefoy.
Fergus soupira avant d'être assailli de questions. Et comment va-t-elle ? Et alors que s'est-il passé ? Il paraît qu'elle a perdu l'usage de la parole. Ah moi j'ai entendu dire qu'il lui manquait des organes…
- ASSEZ !
La voix de Fergus avait résonné si fort, que des têtes à l'autre bout du couloir s'étaient tournées dans sa direction. Le silence se posa sur la foule comme le brouillard sur la capitale. On aurait pu entendre un billywig voler. Prenant conscience que le seul moyen de les retenir était de répondre à la marée de questions, il s'arma de patience pour permettre à Hermione et Drago d'avoir quelques précieuses minutes supplémentaires.
Après d'interminables elle va bien, nous ne savons pas encore ce qui s'est passé, elle n'a perdu ni la parole ni le moindre organe, elle se repose, non Monsieur Malefoy n'a pas essayé de la tuer, oui Bellatrix Lestrange était toujours à Azkaban, non vous ne pouvez pas entrer pour faire une photo, la foule en délire paraissait enfin satisfaite. Seul un raclement de gorge peu discret s'éleva. Kingsley, bien que silencieux jusqu'à présent, marmonna d'une voix à peine audible :
- Je dois parler à Miss Granger et Monsieur Malefoy immédiatement…
Face aux protestations de certains, le Premier Ministre se hâta de rajouter :
- Question d'état.
McOssick s'était tenue volontairement à l'écart des joutes verbales mais son charme naturel reprit rapidement le dessus :
- Et c'est moi qu'on traite d'insensible ? Allez, ouste, le spectacle est fini. Tout le monde à son poste… C'est un ordre.
Un tas informe de soupirs et de râles s'éloigna dans le couloir, permettant enfin à Fergus de respirer. McOssick invita, ordonna serait plus juste, à la famille Weasley de patienter dans le couloir. Elle lança un regard noir à Kingsley en guise d'avertissement. Ce qu'il prit plutôt pour une menace qu'il traduisait aisément par : « s'il arrive quoique ce soit à ma patiente, soyez assuré que votre fonction de Premier Ministre ne sera pas un bouclier à ma colère. »
Fergus s'installa près de Ron, enlaçant ses doigts aux siens et patienta avec le reste des Wealsey.
XXXXX
En entrant dans la chambre, Kingsley découvrit Miss Granger assise dans son lit, le visage pâle mais le regard alerte. Monsieur Malefoy, fidèle à lui-même, était assis sur le fauteuil qui l'avait accueilli ces dernières semaines. Seuls leurs yeux rougis de larmes trahissaient leurs récentes émotions fortes. Kinglsey, en bon gentleman, se garda de tout commentaire à ce sujet.
- Même si je suis absolument ravi de vous voir réveillée Miss Granger. Je dois vous poser quelques questions.
Drago bondit sur ses pieds :
- Peut-être que ça peut attendre Monsieur le Premier Ministre. Comme vous venez de le mentionner, elle vient de se réveiller.
Décidément, allait-il un jour s'en sortir avec ces deux-là ou était-il condamné à devoir les supporter ainsi jusqu'à la fin de ses jours ?
Mais une fois encore, ce fut Hermione qui créa la surprise :
- J'imagine que vous voulez savoir comment j'ai fait. Et par là, pas comment j'ai réussi à transplaner malgré la rune. Mais comment j'ai réussi à m'approcher aussi près d'une zone soit disant sécurisée.
Comme toujours, sa vivacité d'esprit ne cessait de l'étonner. Drago se tourna vers elle et lui prit la main dans un geste devenu naturel entre eux.
- Tu n'es pas obligé de répondre si tu n'en as pas envie.
- Je crains bien que si, insista le Premier Ministre. Imaginez un instant que quelqu'un en profite pour entrer à Azkaban, ou pire en fait sortir un prisonnier. Les conséquences seraient une catastrophe.
- C'est bon, je vais répondre. – Elle plongea son regard dans celui de son ami.- Plus vite je réponds, plus vite nous sommes débarrassés de lui.
Kingsley n'apprécia pas particulièrement le petit rictus qui se dessinait sur le visage de Monsieur Malefoy mais préféra, une fois de plus, ne pas relever.
- Je vous écoute.
Hermione inspira profondément, se forçant à se remémorer des mois de recherches.
- Pour commencer, je ne suis même pas étonnée que vous n'ayez pas pris en compte les îlots.
- Les îlots ?
- Azkaban est sur une île isolée. Elle est bordée d'une multitude de petits îlots et de rochers accessibles uniquement à marée basse. Mais même à marée basse, à cette distance de la côte, le courant est trop fort pour nager entre chacun d'eux. Au départ j'avais prévu de louer une barque et de ramer jusqu'à Azkaban. J'ai vite abandonné cette idée à cause…
- Des rochers. Que vous auriez pu percuter et couler avec votre barque.
- Exact. Et même si je suis plutôt bonne nageuse, entre le courant et le risque non négligeable d'être assommée par une pierre, sans parler de la rune, le risque était trop grand. Aussi, j'ai cherché s'il n'existait pas des cartes des îlots autour d'Azkaban. Ne pouvant aller à la grande bibliothèque magique de Londres et ne voulant pas impliquer Drago pour des raisons évidentes. Je suis allée à la bibliothèque nationale, en plein cœur de la capitale moldue. Je connaissais déjà la position exacte d'Azkaban, je n'avais donc pas besoin de la trouver mais d'une carte de ses alentours.
Même Drago était sous le choc.
- Comment ça se fait que tu connaissais la position exacte d'Azkaban ?
- A Poudlard, quand on faisait des recherches sur les horcruxes pour arrêter… Voldemort. Un soir, dans la réserve, je suis tombée sur un ouvrage qui relatait l'histoire de la construction de la prison. Au départ c'était un manoir dont le propriétaire, un sorcier complètement cinglé, y torturait des moldus et des sorciers comme moi. Après sa mort, le manoir a été transformé en prison. Une fois le nom du propriétaire trouvé, il n'a pas été difficile d'accéder aux archives des titres de propriétés sorciers.
- Fascinant.
- Incroyable.
Elle ne se laissa pas perturber par ces élans de compliments et poursuivit son récit :
- J'ai fait sensiblement la même chose pour les îlots. Pendant la seconde guerre mondiale, un météorologue a été embauché par la couronne pour baliser les alentours du continent en prévision d'une attaque des allemands par la voix maritime. Bon, ils ont attaqué par les airs. Mais les moldus se tenaient prêt à toute éventualité, comme celle d'évacuer le continent pour le bombarder eux même en espérant ainsi réduire l'armée allemande. Le météorologue a amélioré un sonar de sous-marin pour en faire une sorte de détecteur de roche. Il pouvait détecter les îlots et les roches tant que celle-ci faisait plus de 50 cm².
Elle but une longue gorgée d'eau avant de reprendre :
- Aux archives nationales, ils ont tous les travaux de Monsieur Enderby, le météorologue. Il m'a suffi de superposer les cartes et j'avais un chemin tout tracé.
- Sauf que le soir où tu as transplané, tu n'avais pas de barque.
- Non. J'ai… - Elle s'empourpra de honte.- J'avais mémorisé la carte par cœur. Du coup j'ai transplané sur un îlot à une cinquantaine de kilomètres d'Azkaban. A cette distance, le sort anti transplanage ne fonctionne pas. Après ça, j'ai utilisé le sortilège d'Elasticus pour sauter d'îlot en îlot. J'ai tout fait pour lutter contre la rune. A mon dernier saut, la rune s'est déclenchée et je me suis écrasée. J'ai rien pu faire, j'ai senti mes côtes se briser en même temps que l'Endoloris. J'ai perdu connaissance et je me suis réveillée ici.
Kingsley et Drago la fixait, la bouche grande ouverte d'admiration ou de stupeur, nul ne saurait le dire. Hermione s'allongea, soudain épuisée.
- J'ai une dernière question, osa Kingsley.
- …
- Non, en fait, ça n'a pas d'importance. Ça peut attendre.
Le Premier Ministre s'approcha lentement de la porte mais se ravisa au dernier moment :
- Miss Granger, Monsieur Malefoy, soyez assuré que je ferai tout mon possible pour soulager le monde sorcier de Bellatrix Lestrange. Aussi, je vous serai reconnaissant de ne plus vous mettre en danger inutilement.
Il les fixa un moment et dans un mouvement théâtral quitta la chambre en maugréant :
- Je suis bien heureux d'être chauve ! Personne ne peut compter le nombre de cheveux blancs que je prends à chaque fois que je vous vois !
La pause fut de courte durée. Quelques minutes à peine après le départ du Premier Ministre, ce fut au tour la famille Weasley, épouses et maris compris, de faire son entrée. Molly avait briefé tout le monde : interdiction de parler d'Azkaban, de Bellatrix, de suicide ou n'importe quel sujet fâcheux. Les retrouvailles passées, les conversations allaient bon train : la boutique de Georges, la météo clémente, la joie d'avoir Fergus dans la famille…
Personne ne se rendit compte qu'Hermione avait sombré dans un profond sommeil, un léger sourire sur les lèvres. Ron serra la main de Drago et tous quittèrent la pièce, les laissant prendre un repos bien mérité.
XXXXX
Quelques jours plus tard, Narcissa leur rendit visite. Elle était ravie de voir Hermione assise dans le fauteuil à griffonner une grille de chiffres pendant que son fils changeait lui-même les draps du lit. Elle avait ramené de la boutique de Patrick un bouquet si immense qu'il ne tenait pas dans le vase. Ils durent demander une grande bassine aux médicomages pour pouvoir le plonger dans l'eau. Patrick avait rédigé une carte, alors qu'il ne l'avait jamais rencontrée, lui souhaitant un prompt rétablissement. Hermione, sincèrement touchée par ce geste, tendit la carte à Drago qui sourit sincèrement pour la première fois depuis des mois. Narcissa ne s'attarda pas plus longtemps, refusant de fatiguer Hermione plus que nécessaire.
XXXXX
Enfin, après plusieurs mois de coma et trois semaines d'observation intensive, elle avait eu l'autorisation de rentrer chez elle. Elle se sentait à la fois heureuse de quitter l'hôpital et terrifiée à l'idée de ce qui allait se passer ensuite. Drago et elle avaient simplement esquivé les conversations, se contentant de profiter de la présence l'un de l'autre.
Ce ne fut qu'une fois la porte de l'appartement n°7 fermée et qu'ils se soient affalés dans le canapé que les choses commencèrent réellement à se compliquer.
« - Je crois qu'il faut qu'on parle.
Elle saisit Drago par le poignet et remonta sa manche jusqu'au coude. Surpris, il tira son bras vers lui, sans succès.
- Tu comptes m'expliquer ce qui t'es arrivé ?
Il bégaya des syllabes incompréhensibles sous l'effet de la panique. Hermione, bien qu'encore faible et fatiguée, ne le lâchait pas.
- Je ne suis pas stupide ! Dis-moi pourquoi. Pourquoi as-tu essayé de mettre fin à tes jours ?!
Il avait espéré pouvoir le lui cacher. Il avait fait promettre à sa mère de ne rien dire, qu'il lui parlerait quand elle serait assez forte pour l'entendre. Mais comme toujours, c'était sans compter sur sa perspicacité et son intelligence.
Lentement, il baissa son bras et posa son autre main par-dessus celle d'Hermione. Il observa ses doigts caresser sa peau pâle. Dans sa gorge, son cœur battait à en sortir de sa bouche. Le ventre noué, des sueurs froides dans le dos, il essayait de trouver les mots justes.
- Parce que… Je ne pouvais pas vivre dans un monde où tu n'existais plus.
- Quoi ? Par Merlin, qu'est-ce que tu racontes ?
La panique changea de camp. Dans sa tête des images accélérées des moments passés ensemble, des épreuves, des trajets, des larmes, des rires… De la douceur et de la chaleur en général. Et surtout ce sentiment d'avoir trouvé une place rien que pour elle, juste là, à ses côtés. Elle retira sa main de son bras brusquement. Avait-elle seulement le droit de l'aimer ? Bien sûr, pas à cause de son statut, voilà longtemps qu'elle savait à quel point il avait changé. Mais à cause de la rune. Pouvait-elle vraiment se laisser embarquer par ses sentiments ? Pouvait-elle le priver de sa magie ? De la vie de sorcier qu'il avait toujours connu ? Et même s'il acceptait, quel avenir pour eux ? Que se passera-t-il dans un an ? Ou deux ? Quand la rune la tuera ? Parce que c'est comme ça que ça allait se terminer. Elle en avait parfaitement conscience. La rune était une épée de Damoclès au-dessus de sa tête qui tôt ou tard la décapiterait sans ménagement. Ne valait-il pas mieux tuer cette histoire dans l'œuf et espérer qu'il l'oublie pour trouver une personne avec qui il pourra construire sa vie ? Elle connaissait depuis longtemps la réponse à cette question, elle n'avait fait que retarder l'échéance.
- Je… Je crois que c'est assez clair, bafouilla-t-il.
Elle s'éloigna de lui, retira sa main au moment il essaya de la prendre dans la sienne.
- Et bien pas vraiment.
Elle devait partir d'ici, le plus vite possible.
- Quand je t'ai vu transplaner, j'ai cru que je ne te reverrai jamais.
Elle cherchait un moyen de fuir. Il ne devait surtout pas finir cette conversation. Elle n'était pas sûre de réussir à lui briser le cœur.
- ça fait des mois que je lutte parce que je sais que je ne te mérite pas. Pas après tout ce que je t'ai fait ou tout ce que tu as vécu par ma faute.
Elle le regarda dans les yeux et y vit un orage de tristesse et au centre une petite étincelle brillante. Elle voulait partir, fuir, mais ses jambes refusaient de lui obéir.
- Quand j'ai cru que je t'avais perdue, que je n'aurais plus jamais l'occasion de te le dire, j'ai préféré mourir en espérant te rejoindre. Mais tu as le droit de savoir.
Elle sentait les larmes monter son cœur ne savait plus comment battre normalement et faisait des bonds et des loopings sans fin dans sa poitrine meurtrie. Elle devait vraiment…
- Je t'aime. »
Tout s'arrêta.
La Terre de tourner.
Le vent de souffler.
Son cerveau de fonctionner.
Et puis, d'un coup, tout se remit en route. Comme une vieille machine en surrégime, son cœur battait frénétiquement dans ses tempes. Ses mains cherchaient quelque chose à saisir, quelqu'un à frapper. Dans sa gorge, ses cordes vocales voulaient hurler mais rien n'en sortaient. Ses poumons inspiraient et soufflaient l'air à une vitesse folle, l'approchant dangereusement du malaise vagal.
D'un bond, elle se mit sur ses pieds et courut.
Loin du canapé.
Loin de Leinster Garden.
Loin de lui.