Secrets de Serpentard (II) : Le Pensionnat Wimbley

Chapitre 5 : L'ancêtre de tous les Malefoy

6974 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 03/04/2023 17:21

L'ancêtre de tous les Malefoy


Après le déjeuner, Daisy enfourcha la moto rose de sa mère et partit en pétaradant dans l'allée pavée de la Colline d'Émeraude. Alors qu'elle s'apprêtait à décoller, elle constata, dépitée, la présence d'Hector et Rascus Crabbe en travers de son chemin.

– Eh, Daisy !

– Alors, miss Goyle, on se promène ?

Daisy serra les dents, enfonça rageusement l'accélérateur, et la moto décolla, survolant les deux énormes jumeaux Crabbe qui poussèrent des exclamations déçues.

– Reviens ! beugla Hector Crabbe en essayant de lui attraper le pied.

Daisy l'esquiva et la moto rose bonbon de la famille Goyle monta dans les airs à une vitesse impressionnante. Lorsqu'elle passa au-dessus de l'imposante grille en fer forgé qui marquait l'entrée de la Colline d'Émeraude, Daisy enfonça le bouton d'invisibilité et la moto parut se volatiliser.

– Quels mufles, ces deux-là, soupira-t-elle en secouant la tête.

Puis elle jeta un œil sur la boussole incrustée dans le guidon et mit le cap sur le Wiltshire.

Sur le trajet qui la menait au manoir des Malefoy, Daisy observa le paysage avec affliction. On n'y voyait pas grand-chose, car une brume glacée flottait au-dessus du sol. Partout, insidieusement, les forces obscures gagnaient en puissance, et les animaux comme les plantes en étaient affectés. Alors que l'automne commençait tout juste, la plupart des arbres avaient déjà abandonné leur feuillage, et leurs branches se recroquevillaient sur elles-mêmes, comme apeurées. De même, sur son trajet, Daisy manqua d'être percutée par un essaim d'oiseaux migrateurs qui fuyaient vers des terres plus apaisées.

Daisy ne retrouva son sourire qu'en apercevant les innombrables tourelles du manoir des Malefoy se découper dans la brume. Celui-ci, entouré d'un solide Sortilège de Repousse-Nuages, ne souffrait absolument pas des lambeaux de brume qui s'enroulaient autour des habitations environnantes. Elle atterrit sur le perron de marbre noir, essuya ses joues humides, poussa les deux battants de l'imposante porte d'entrée et entra dans le manoir d'un pas décidé.

– Qui va là ? couina un vieil elfe à la peau verdâtre qui descendait le splendide double escalier du hall d'entrée.

– Oh, bonjour... Prunnas, c'est bien ça ? Je viens rendre visite à Narcissa.

Le vieil elfe la regarda avec méfiance. Sa peau était parcourue de stries vertes, comme l'écorce d'un vieil arbre ; il avait un nez qui ressemblait à un gros bec plat, qui lui donnait une voix nasonnante, et de petits yeux noirs et perçants.

– La maîtresse ne reçoit jamais de visites, marmonna-t-il. C'est louche.

Avant que Daisy n'ait eu le temps d'insister, une voix plus fluette retentit depuis l'étage :

– Mais si, justement, la maîtresse attendait quelqu'un ! Elle m'en a parlé ce matin, pendant que je la coiffais... C'est peut-être vous ?

Une petite elfe à la peau rose et rebondie apparut en haut des marches, souriante.

– Ce doit être moi, en effet, sourit Daisy.

– Elle sera ravie de vous voir, elle vous attendait avec impatience ! Elle est dans le grand salon !

– Lidelys ! protesta Prunnas. Nous devons demander l'autorisation du Maître avant de faire rentrer quelqu'un !

– Venez, madame, je vous emmène !

Lidelys dévala les escaliers en bousculant Prunnas, débarrassa Daisy de sa lourde cape orange et la prit par la main pour la mener au salon.

 – Maîtresse ! Votre amie est là ! couina-t-elle.

Narcissa, qui était assise auprès du feu sur un grand canapé de cuir, se leva d'un bond.

– Daisy ! s'exclama-t-elle.

– Cissy ! lui répondit Daisy en venant à sa rencontre.

Les deux amies s'étaient vues pour la dernière fois lors du le mariage d'Edgar et Carla, deux mois auparavant. Lorsque Daisy l'étreignit avec enthousiasme, elle trouva que Narcissa était encore plus pâle qu'auparavant.

– Lucius n'est pas là ? demanda Daisy.

– Non... Il a été invité à l’inauguration du nouveau Département des Catastrophes Magiques. Notre fortune a amplement contribué à le rénover.

– Oh, je vois. Dis donc, il est plus occupé que le Ministre !

Narcissa haussa les épaules avec un sourire forcé qui ne trompait personne.

– J'y étais invitée aussi, mais j'ai préféré me reposer, dit-elle en guise d'explication, comme pour sous-entendre que sa vie était toute aussi trépidante que celle de son mari.

– Je te comprends dit Daisy pour détendre l'atmosphère. Ces fêtes doivent être d'un ennui... Alors, on va revoir nos deux dragons ? J'espère qu'ils sont en forme ! Tu as ton sifflet ?

Narcissa accepta avec un enthousiasme un peu plus franc, et acquiesça en désignant le sifflet vert couvert d'écailles qui était suspendu à son cou. Les deux amies sortirent et enfourchèrent la moto en se moquant discrètement de la voix nasonnante de Prunnas. Tout en gloussant, elles atteignirent rapidement la côte ; sur le trajet, la brume se dissipa et l'air se radoucit autour d'elles.

Elles posèrent pied à terre en haut de falaises battues par les vents, couvertes d'un tapis herbeux, quelques mètres au-dessus des vagues qui s'écrasaient contre la roche. Leurs capes claquaient dans le vent et leurs cheveux venaient leur chatouiller les narines.

– Parfait ! déclara Daisy par-dessus le vagissement du vent. Je suis venue plusieurs fois ici, il n'y a jamais personne !

Elle sortit son sifflet violet du col de sa robe et le tritura avec impatience.

– On y va ?

– On ne risque pas d'être vues ? s'inquiéta Narcissa en regardant autour d'elle.

– Mais non, les Rocheux Irlandais volent toujours au ras des falaises. Dans le pire des cas, les Moldus qui sont près d'ici entendront une sorte de grondement, pas plus.

– Bon, très bien... Dans ce cas, allons-y.

Tout en frissonnant d'excitation, Daisy et Narcissa soufflèrent dans leurs sifflets et leur bruit strident et familier leur vrilla les tympans. Au lieu de s'arrêter lorsqu'elles cessèrent de souffler, le bruit se fit plus strident encore, et elles durent se boucher les oreilles pour ne pas endommager leur audition.

– Il faudra qu'on arrange ça, dit Daisy. C'est insupportable...

Mais heureusement, au bout d'une minute à peine, deux bruits énormes se firent entendre dans le lointain et les sifflets cessèrent d'émettre ce son odieux. Aussitôt, Daisy et Narcissa se prirent la main avec un regard enfantin, et gloussèrent avec impatience.

– J'ai hâte ! s'exclama Daisy.

Les grondements s'amplifiaient, de plus en plus impressionnants ; ils se rapprochaient et semblaient maintenant provenir de la falaise en-dessous d'elles.

– Ils doivent être tout près... AH !

De surprise, Narcissa s'agrippa au bras de Daisy : deux gigantesques créatures couvertes d'écailles venaient de surgir de la falaise.

– Balaur ! Ramia !

Deux formes ailées se détachèrent dans le ciel et projetèrent leurs ombres immenses sur le sol. Pendant quelques instants, elles tournoyèrent autour de Daisy et Narcissa en poussant des rugissements de joie. Tout en ralentissant son atterrissage à l'aide de ses deux immenses ailes, Ramia se posa en premier à côté de Daisy et s'ébroua vigoureusement, faisant étinceler ses écailles violettes dans la lumière de l'après-midi. Balaur, lui, vola au ras du sol sur quelques centaines de mètres, tout en labourant la terre avec sa queue hérissée de pics rocheux ; puis il revint vers Narcissa et se posa à côté d'elle en ronronnant, visiblement ravi de retrouver sa maîtresse.

– Tu es magnifique, murmura Narcissa.

Les deux dragons avaient encore légèrement grandi ; deux paires d'énormes cornes pointues avaient commencé à pousser de part et d'autre de leurs têtes. Narcissa retrouva avec bonheur le regard vert et malicieux de Balaur, ses mouvements souples et majestueux, sa peau sombre et brillante qui semblait faite de roche, ses pattes puissantes qui faisaient trembler la terre lorsqu'il se déplaçait. Il lui donna un vigoureux coup de langue râpeuse qui déchira sa robe, puis abaissa vers elle sa tête cornue afin d'être caressé.

Le souffle brûlant du dragon lui ébouriffa les cheveux, et aussitôt qu'elle eut plongé son regard dans les yeux mouvants et espiègles de son compagnon, Narcissa se sentit enveloppée par l'enthousiasme et l'affection fidèle qu'il lui portait. Du plat de la main, elle caressa avec bonheur ses écailles aux reflets verts qui diffusaient une douce chaleur, et se hissa sur la pointe des pieds pour toucher la bosse pierreuse qui luisait paisiblement au milieu de son front.

Alors qu'elle l'effleurait du bout des doigts, Narcissa retrouva cette impression délicieuse qu'elle avait eu au cours de leur première rencontre, le jour de son mariage : celle que tous ses sentiments, même les plus intimes et les plus contradictoires, étaient parfaitement entendus et compris, sans être jugés d'aucune façon. Son cœur s'allégea comme par magie ; elle raffermit sa prise sur la bosse, prit une profonde inspiration et ferma les yeux pour savourer ce sentiment de plénitude.

Ses tracas ayant cessé de parasiter ses pensées, elle put se concentrer à son tour sur ce que le dragon éprouvait en cet instant. À travers le simple contact de sa paume sur son front, toutes les perceptions de l'énorme créature parvenaient à Narcissa avec une intensité et une précision renversantes : le bonheur et l'excitation qui faisaient frétiller sa queue, mais aussi l'énorme cœur qui pulsait des battements lents et profonds dans sa poitrine, les griffes qui trépignaient d'impatience sur la roche ou encore les écailles qui frémissaient sur ses muscles bouillonnants. Quelques instants plus tard, Narcissa se sentait aussi euphorique que son compagnon ailé et ses mésaventures récentes lui semblaient parfaitement secondaires. Ravie, elle éclata de rire, et son dragon lui donna un nouveau coup de langue, encore plus vigoureux.

– Allez, Cissy, en selle ! dit la voix de Daisy plusieurs mètres au-dessus d'elle.

Tout à sa joie de retrouver son compagnon ailé, Narcissa en avait presque oublié la présence de son amie. Celle-ci avait déjà enfourché Ramia, et, du haut de son encolure hérissée de pics rocheux, elle regardait Narcissa avec défi.

Balaur poussa un rugissement excité et inclina le cou pour faciliter l'ascension de Narcissa. Elle se délesta donc de sa cape, grimpa prudemment sur l'aile de Balaur, puis effectua avec agilité le reste de l'ascension et enfourcha le dos du dragon. Ses jambes se calèrent parfaitement dans les plateformes écaillées qui se trouvaient sur l'encolure, et elle s'agrippa aux deux pics rocheux qui se trouvaient devant elle.

– Et voilà, murmura-t-elle.

Elle se trouvait déjà à trois bons mètres du sol, et eut un petit sursaut quand Balaur se redressa complètement.

– Oh ! Doucement, doucement...

Devant eux, Daisy encourageait Ramia à s'envoler. La dragonne violette ne se le fit pas dire deux fois : avec lourdeur, elle fit quelques pas vers le bord de la falaise et se jeta dans le vide. Narcissa entendit Daisy crier de surprise, puis éclater de rire dans le tumulte des vagues.

– Oh, là là, murmura Narcissa, soudain apeurée.

Elle sentit une vague de chaleur se diffuser au niveau de ses mains, et comprit que Balaur essayait de la rassurer.

– On y va tranquillement cette fois-ci, d'accord ? murmura-t-elle.

Balaur se retourna pour lui lancer un regard espiègle et compréhensif. Il remua gentiment pour éprouver la stabilité de sa cavalière, puis attendit qu'elle lui donne le signal de départ.

– Allez, c'est parti, dit Narcissa en caressant la peau écaillée qui se trouvait devant elle.

Avec précaution, il déploya ses ailes immenses, fit quelques pas sur le sol herbeux et donna une impulsion pour décoller. Narcissa se cramponna de toutes ses forces et sentit le corps de Balaur s'affranchir de la gravité, lui donnant une impression grisante de puissance et de légèreté.

Balaur vola au-dessus du sol pendant quelques secondes, puis vira souplement de côté pour survoler la mer. Là, ils aperçurent Daisy et Ramia qui volaient en tournoyant juste au-dessus des vagues, soulevant des gerbes d'écume lorsque la queue de Ramia heurtait l'une d'entre elles. Daisy riait aux éclats et leur faisait de grands signes, radieuse.

– Cissy ! Venez par ici !

Balaur se stabilisa au-dessus d'eux et poussa un rugissement ravi, aussitôt imité par Ramia. Sous Narcissa, le vent puissant s'engouffrait dans les ailes du dragon et le maintenait parfaitement stable. Elle avait de nouveau l'impression que ces immenses ailes et cette infaillible stabilité lui appartenaient pleinement, et bientôt, il ne resta plus rien de son appréhension initiale.

Au-dessus d'elle, le soleil filtrait à travers une étendue infinie de nuages, et en-dessous, la mer scintillait à perte de vue, immense, mouvante et bleue. Pendant un long moment, Narcissa se contenta de planer tranquillement au-dessus des falaises, décrivant de larges cercles pour admirer la vue, confortablement accoudée à l'encolure de Balaur et bercée par le roulis de ses battements d'aile ; ses cheveux blonds étaient fouettés par le vent, et elle repensait à la Chaumière aux Coquillages, à sa mère et à ses sœurs, envahie par une douce nostalgie. En-dessous d'elle, le corps massif du dragon diffusait une aura inexplicable, qui la réchauffait et enveloppait ses peines d'un fluide réconfortant.

Daisy, quant à elle, encourageait sa dragonne à faire des acrobaties spectaculaires : toutes les deux montaient vers le ciel à la verticale, survolaient Narcissa et Balaur puis se laissaient tomber en piqué, vrillaient au ras des falaises et se redressaient en surfant entre les vagues avec agilité.

Lorsque le soir commença à tomber, les deux amies se décidèrent à regagner la falaise, où la moto rose de Daisy les attendait sagement. Narcissa mit pied à terre et rejoignit Daisy, qui haletait et ruisselait d'eau salée après avoir fait plusieurs pirouettes au ras des vagues avec Ramia.

– Je suis trempée, rit-elle. Vite, ma baguette...

Elle passa sa baguette le long de ses vêtements et de ses cheveux, et fut entièrement sèche en un instant. Ramia, elle, décida de s'ébrouer au-dessus d'elles et les arrosa à nouveau d'une pluie d'embruns.

Après avoir fait leurs adieux à leurs montures et leur avoir promis qu'elles reviendraient vite, Narcissa et Daisy se renvolèrent sur la moto des Goyle pour arriver avant la nuit tombée. À leur retour, Narcissa était tout à fait revigorée ; elle insista donc pour entraîner Daisy faire une longue balade dans son merveilleux jardin, éclairé par de jolies bulles de lumière qui lévitaient dans les airs. Une bruine légère tombait sur le Wiltshire, mais grâce aux parafeuilles qui flottaient docilement au-dessus de leurs têtes, les deux amies n’en furent pas incommodées. Tout en lui faisant goûter les Savorines et les Flavirs Argentés, Narcissa eut tout le loisir de raconter à Daisy à quel point Lucius était un mari formidable, et comme la vie était douce dans sa nouvelle demeure. Elle omit délibérément de lui parler de ses longues soirées de solitude, de leur visite au pensionnat Wimbley et du vague malaise qui grandissait en elle depuis des mois.

– Tu as de la chance de vivre ici, dit doucement Daisy en faisant briller un flavir argenté couvert de gouttelettes d’eau dans la lumière des lanternes flottantes. Partout ailleurs, la situation se détériore terriblement...

Daisy lui donna alors des nouvelles du monde extérieur. Contrairement à ce que le Ministère essayait de faire croire aux sorciers pour les empêcher de céder à la panique, Voldemort et ses sbires étaient loin de s’affaiblir. Ces derniers s’étaient même donné un nom : les Mangemorts. Leurs agressions ne se limitaient plus aux quartiers moldus mal famés, mais visaient désormais des lieux fréquentés ; ainsi, dans le mois précédent, trois restaurants et un lieu moldu rempli de provisions appelé supermarché avaient été attaqués. De nombreux commerces, moldus ou sorciers, avaient donc fermé provisoirement leurs portes, ce qui rendait l’atmosphère encore plus pesante.

Mais parmi tous ces faits sordides, l’affaire qui défrayait actuellement la chronique était le meurtre récent de Cassandre Shelby, capitaine de la Brigade de la Police Magique. D’autres sorciers – principalement des Nés-Moldus ou leur famille – avaient déjà été tués auparavant, mais ceux-ci se promenaient dans la rue ou dans un endroit public ; à l’inverse, Cassandre Shelby avait été retrouvée morte chez elle, dans sa demeure pourtant entourée des Sortilèges de Protection les plus puissants parmi ceux qui existaient et qui étaient, jusqu’ici, un moyen rassurant de se protéger de la menace ambiante. Une enquête était en cours, mais personne ne parvenait à donner une réponse satisfaisante aux journalistes de La Gazette du Sorcier, qui harcelait le Ministère pour savoir comment des Mangemorts avaient pu s’introduire dans le domicile si bien gardé de Cassandre Shelby.

La panique de la population était donc de plus en plus difficilement maîtrisable. Eugenia Jenkins, la Ministre, était d'ailleurs vivement critiquée par Bartemius Croupton, le Directeur du Département de la Justice magique, pour la faiblesse des mesures entreprises.

– Mais, sur la Colline d’Émeraude ? l’interrompit Narcissa. Vous n’êtes pas embêtés par toutes ces histoires de Mangemorts, si ? Ils en veulent aux Moldus et à leurs défenseurs, ils ne s'attaqueront sûrement pas à nous...

– Non, pas encore de Mangemorts sur la Colline d’Émeraude, soupira Daisy. Mais cela ne saurait tarder, je vois Evan Rosier et Damian Nott se parler sans cesse à voix basse et cela n'augure rien de bon...

Daisy en profita pour parler de sa propre maison, qui ne lui offrait pas le répit recherché depuis que l'odieuse Carla avait emménagé chez eux.

– Carla a changé, soupira Daisy alors qu’elles revenaient lentement vers le manoir en traversant la serre des plantes tropicales. Elle exerce une mauvaise influence sur mon frère. Elle le harcèle pour qu’il rejoigne les Mangemorts, et surtout, elle voudrait nous chasser de la maison, mes parents et moi, pour être la seule maîtresse des lieux et pouvoir vendre tous nos animaux à des trafiquants. Maman et Papa l’en empêchent, mais pour combien de temps ?

Quand Daisy eut terminé son compte-rendu effarant, Narcissa passa un long moment à la réconforter, et à lui assurer qu’elle serait toujours la bienvenue au manoir des Malefoy dès qu’elle en éprouverait le besoin. Et tout en disant cela, la main sur l’épaule de Daisy, Narcissa se félicita intérieurement de s’être exilée dans son grand manoir, et de s’être ainsi abritée des tourments du monde extérieur – sans se douter, bien évidemment, que ceux-ci n’avaient jamais été aussi proches de venir frapper à sa porte.

Lorsqu’elles rentrèrent au manoir, elles demandèrent à Lidelys de leur apporter deux thés brûlants et allèrent s’installer au salon, près de la cheminée au somptueux manteau de marbre dans laquelle un grand feu brûlait sans discontinuer. À peine s’étaient-elles confortablement installées dans le canapé de cuir que Prunnas se présenta à elles. Il tenait un plateau d'argent à la main, sur lequel se trouvait une enveloppe rouge – de la même couleur que la couverture du précieux livre de comptes d'Abraxas Malefoy.

– De la part du Maître, dit Prunnas d'une voix mauvaise, en décochant un regard noir à Daisy.

Narcissa saisit l'enveloppe, fit un petit signe à Prunnas pour lui demander de déguerpir, et celui-ci obtempéra en maugréant. En ouvrant l'enveloppe, Narcissa découvrit un mot particulièrement aimable écrit par la plume acérée d’Abraxas Malefoy :

Chère Narcissa,

Premièrement, je tiens à vous rappeler que ce manoir n'est pas un moulin : gardez à l'esprit qu'il faut m'avertir lorsque vous souhaitez accueillir des invités.

Et ensuite, je reçois quelques amis ce soir. Pour des raisons que vous n’avez pas à connaître, je souhaite que cette visite reste entre eux et moi. Je vous prierai donc de rester dans votre chambre après vingt-deux heures.

– Décidément, il n’a pas l’air commode, sourit Daisy en lisant par-dessus l’épaule de Narcissa.

Celle-ci fronça les sourcils, interloquée, et regarda à nouveau par-dessus son épaule avec l’impression désagréable d’être observée.

– Je le déteste, dit Narcissa à voix basse, pour ne pas être entendue des personnages qui habitaient les portraits les plus proches. Il critique tout ce que je fais, et il se sert de Lucius comme d’une marionnette...

– D'après ce qu'on m'a dit, ça n’a pas l’air de déplaire à Lucius, objecta gentiment Daisy.

La remarque n'était pas malveillante, mais Narcissa lui fit comprendre d'un regard qu'il valait mieux pour elle qu'elle ne critique pas ouvertement Lucius devant elle. De manière générale, Narcissa détestait que quiconque remette Lucius en question, car avec lui, c'était tous les choix de Narcissa qui chancelaient ; et comme elle avait parfois du mal à se persuader elle-même qu'elle avait fait les bons, surtout depuis qu'ils avaient visité le pensionnat Wimbley, elle refusait que d'autres avis que le sien vienne s'immiscer dans cet équilibre déjà fragile. Et Daisy le comprit aussitôt, car elle fit un geste désinvolte de la main et poursuivit tout naturellement :

– Et sinon, tu n'as pas envie de savoir qui sont les mystérieux invités d'Abraxas Malefoy ?

– Pfff... Je me demande qui peut bien lui rendre visite. Il ne sort jamais, et ne reçoit personne… Si tu veux mon avis, il ne s’agit pas du tout d’une sympathique petite réunion entre amis.

– Allez, réponds à ma question : ça te dirait de savoir de quoi il s'agit, oui ou non ?

Le regard de Daisy brillait de malice.

– C'est peine perdue, soupira Narcissa. Je suis certaine qu'ils vont s'enfermer dans sa bibliothèque, là-bas, et Abraxas Malefoy a jeté un Sortilège d'Impassibilité sur la porte : impossible de regarder par la serrure ou d'entendre quoique ce soit !

Mais contre toute attente, le sourire de Daisy s'élargit encore.

– Je crois que j'ai ce qu'il nous faut...

Devant l’air interrogateur de Narcissa, Daisy claqua des doigts et sortit fièrement de sa poche un carré de tissu blanc, au centre duquel était brodé un grand œil bleu.

– C’est un mouchoir ? demanda Narcissa en haussant un sourcil, circonspecte.

– Non, un chiffon, dit Daisy comme si la nuance était d'une importance capitale. Mais pas seulement ! Rappelle-toi, on nous en a parlé dans un cours sur les objets magiques, en dernière année... Bon, c'est vrai que tu n'avais pas trop la tête à ça, à ce moment-là... C'est un Chispion !

– Un Chispion ?

Daisy hocha la tête avec enthousiasme, mais Narcissa n'arrivait pas à se départir de son scepticisme.

– Et ce... Ce Chispion va nous chuchoter à l'oreille qui vient rendre visite à Abraxas Malefoy ?

– Il va nous aider à le découvrir, dit Daisy en se levant. Où est la bibliothèque dont tu parlais ?

– Qu'est-ce que tu veux y faire ? s'inquiéta Narcissa. Abraxas remarque tout. Si nous bougeons le moindre objet d'un millimètre, il le saura.

– Ne t'en fais pas, je ne déplacerai rien.

Narcissa se laissa convaincre et l'emmena vers la bibliothèque, tout en s'arrêtant à chaque porte et à chaque couloir pour regarder à droite et à gauche afin de s'assurer qu'Abraxas Malefoy ou l'elfe Prunnas n'étaient pas dans les parages.

– À l'heure qu'il est, il doit être dans l'aile Nord, en train de distiller ses horribles potions, chuchota-t-elle à Daisy qui regardait par-dessus son épaule avec espièglerie.

Enfin, Narcissa passa la double porte qui menait à la bibliothèque et fit entrer Daisy. La pièce était grande, circulaire ; une large table ronde en ébène occupait le centre de la pièce et le sol était recouvert d'une lourde peau d'ours polaire, dont la tête aux yeux vides exhibait ses crocs aiguisés en direction de la porte d'entrée. Sur une commode, un globe céleste gravé de la carte des étoiles côtoyait la maquette d'un fabuleux trois-mâts et une épée au pommeau finement ciselé, enveloppée d'un fourreau enrichi de pierreries.

Mais l'attention de Daisy se porta sur la grosse lampe ronde et argentée qui était suspendue au plafond au-dessus de la table centrale.

– C'est exactement ce qu'il nous fallait, dit Daisy.

– Ce qu'il vous fallait pour quoi ? demanda une voix de crécelle dans le coin de la pièce.

Narcissa sursauta. De l'autre côté de la table ronde se trouvait le portrait d'une vieille dame, ridée et couverte de bijoux du bout de ses doigts à la racine de ses cheveux, qui avaient disparu sous des broches et des diadèmes ornés de pierres précieuses.

– Eh bien, mesdemoiselles, je vois que vous n'avez pas le sens des convenances ! s'exclama la vieille dame de sa voix de crécelle. Sachez que vous vous trouvez devant Prisca Malefoy, l'épouse d'Armand Malefoy, fondateur de ce manoir et de cette famille ! Je suis l'ancêtre de tous ceux qui sont nés entre ces murs ! Et surtout, je suis la seule femme qui ait assez de mérite pour que mon portrait soit affiché dans une des pièces principales du manoir, pendant que toutes les autres croupissent au grenier !

Tout en disant cela, Prisca se rengorgeait de fierté, manifestement ravie de pouvoir vanter ses propres mérites. Narcissa, d'abord impressionnée, se dit que la vieille femme était sans doute sensible à la flatterie, et se souvint qu'elle-même était très douée en la matière.

– Nous sommes très honorées de faire votre connaissance, dit-elle en faisant une révérence d'une profondeur exagérée.

Elle fit signe à Daisy de l'imiter, et Daisy obtempéra.

– Distrais-la, lui souffla Daisy. Je m'occupe du reste.

Tandis que Daisy s'approchait de la table ronde en regardant la lampe argentée, Narcissa se plaça face au portrait de Prisca Malefoy, de manière à obstruer son champ de vision le plus complètement possible.

– Je suis Narcissa Malefoy, dit-elle avec déférence. Croyez-moi, j'étais très impatiente de vous rencontrer...

– Bien sûr, bien sûr, comme je vous comprends, minauda Prisca Malefoy en caressant une des cinq rivières de diamants qui pendaient à son cou. Qui ne serait pas intimidé, devant une femme de ma stature ? Vous a-t-on raconté que c'est grâce à moi que mon mari Armand a hérité de ce manoir ?

Narcissa n'avait aucune envie de recevoir une leçon d'histoire, mais se força à feindre la curiosité :

– Ah, vraiment ?

– On ne vous l'a pas dit ! s'indigna Prisca Malefoy de sa voix haut perchée. Armand exagère, il tire toujours tout le mérite à lui ! Oh, certes, il a beaucoup aidé le roi dans sa conquête de l'Angleterre... Il n'excellait pas sur le champ de bataille, mais c'était un brillant stratège, comme il vous l'a sûrement dit lui-même ! C'est pourquoi, une fois installé sur le trône d'Angleterre, le roi a voulu le récompenser... Mais il nous destinait un petit château froid et humide, et en Écosse par-dessus le marché ! Moi, Prisca Malefoy, qui ne connaissait que la douceur des vallons français, aller vivre en Écosse ? Non, non, c'était inacceptable ! J'ai donc fait boire au roi une solide Potion de Confusion – j'en ai toujours une dose dans mes boucles d'oreilles, et c'est très utile, croyez-moi – et il a fini par nous léguer ce superbe manoir, qu'il voulait initialement choisir comme résidence d'été... Et mon mari et moi avons pu savourer notre victoire dans ce magnifique endroit – après avoir chassé les gueux qui vivaient sur ces terres, bien entendu !

Contre toute attente, Prisca avait piqué la curiosité de Narcissa.

– Mais alors... Nous tenons ce château d'un roi moldu ?

­– Enfin, de qui voulez-vous que nous le tenions ? Vous savez, il n'y a pas toujours eu de Ministère de la Magie ! À l'époque, nous étions bien obligés de côtoyer les Moldus pour accéder au pouvoir et aux privilèges ! Ah, il fallait se donner les moyens de ses ambitions, croyez-moi... Bien sûr, ça n'était pas sans peine, les Moldus étaient si sales, et si bêtes... Mais au moins, ils étaient faciles à manipuler !

Narcissa hocha la tête, indécise.

– Vous semblez surprise, ma petite... Toutes ces œuvres d'art, dans le château, qui les a faites, d'après vous ? Vous croyez que de nobles sorciers perdraient leur temps si précieux à peinturlurer des morceaux de plâtre ou à recopier bêtement les cartes de notre monde ?

À nouveau, Narcissa resta interdite. Elle ne s'était jamais posé la question, mais elle avait toujours été persuadée qu'elle vivait dans un environnement totalement clôturé, strictement distinct de celui des Moldus : et voilà qu'elle apprenait que le parquet qu'elle foulait chaque jour, les tableaux sur lesquels elle posait ses yeux et les fauteuils au tissu broché dans lesquels elle se prélassait des après-midis entières, tout avait donc été confectionné par des Moldus !

En face d'elle, Prisca Malefoy poursuivait, implacable :

– Vous êtes la femme de Lucius, c'est bien cela ? Eh bien, figurez-vous que le premier Lucius Malefoy – oui, il y en a eu un autre, ce prénom est si joli – a bien failli épouser la reine Elizabeth, première du nom, il y a à peine quatre siècles ! Elle a fini par l'éconduire, et bien mal lui en a pris, car ce cher Lucius lui a jeté une malédiction, et plus aucun homme n'a jamais voulu d'elle ! Na !

Pour Narcissa, l'idée qu'un ancêtre de Lucius ait voulu épouser une femme moldue paraissait aussi absurde que s'il s'était agi d'une vache ou d'une armoire.

– Enfin, ne parlons plus du passé : depuis la création du Code International du Secret Magique, nous n'avons plus besoin de nous frotter à ces stupides moldus... Parlons plutôt de vous ! Vous vous appelez Narcissa, c'est bien cela ?

– Oui, c'est exact, répondit-elle, tout en essayant de digérer toutes les informations qu'elle venait d'apprendre.

– Bon, très bien... Je regrette que nous ne nous soyons pas rencontrées plus tôt ! Auparavant, tous mes descendants venaient me présenter leur épouse, et c'était à moi de juger si elle était convenable ou non ! Mais que voulez-vous, tout se perd... Alors, regardez-moi... Ma foi, vous avez le regard vif, la dent saine, vous me semblez bien bâtie... Oui, très bien... Quel âge avez-vous ?

– J'ai vingt ans, répondit Narcissa, trop décontenancée pour s'offusquer d'être traitée comme une pièce de viande.

– C'est parfait ! s'exclama Prisca Malefoy en tapant dans ses mains, faisant tinter tous les bijoux qui recouvraient ses poignets et ses doigts. Moi qui m’inquiétais pour l'avenir de notre lignée, me voilà rassurée !

Alors que Narcissa cherchait quelque chose à répondre, elle vit Prisca Malefoy regarder au-dessus de sa tête en fronçant les sourcils.

– Hum... Dites-moi, ma chère Narcissa, savez-vous pourquoi votre amie est-elle debout sur la table de vos ancêtres ?

Narcissa fit volte-face et constata que Daisy était en effet debout sur la surface lisse de la table, pieds nus, et astiquait la lampe en argent avec énergie.

– Daisy !

Daisy sursauta, en lâcha son chiffon blanc et redescendit précipitamment de la table.

– Excusez-moi, je croyais avoir vu une toile d'araignée, là-haut, bredouilla Daisy.

– Une toile d'araignée ! Enfin, ma petite, mais il faut utiliser la magie pour ces choses-là ! Sinon, vous allez vous tuer à la tâche ! Il n'y a que les moldues qui arrivent à tenir leur maison toutes seules sans perdre la tête !

Prisca Malefoy fronça à nouveau ses sourcils dessinés au crayon.

– Vous n'êtes pas des Cracmols, au moins ?

– Oh non, répondit aussitôt Daisy.

– Bien sûr que non, renchérit Narcissa.

– Prouvez-le ! Je ne veux pas de ces saletés dans ma maison !

Narcissa trouva que c'était une remarque un peu sévère de la part d'une femme qui avait passé sa vie à côtoyer des Moldus, mais elle n'en laissa rien paraître.

– Bien sûr, voilà nos baguettes...

– Ianua aperio, dit Daisy.

La porte de la bibliothèque s'ouvrit docilement, et Prisca Malefoy se calma.

– Bon, bon, très bien... Je vous laisse partir... Revenez vite me voir, ma chère Narcissa, d'accord ? J'ai beaucoup apprécié notre petite conversation !

– Oui, oui, balbutia Narcissa en poussant Daisy vers la porte.

Daisy prit un air idiot pour annihiler tout soupçon, et Narcissa l'entraîna vers la sortie en lui tapotant sur l'épaule. Elle vit avec soulagement Prisca Malefoy lui adresser un regard compatissant.

– J'ai réussi ! se réjouit Daisy dès qu'elles furent en dehors de la pièce.

Mais Narcissa ne partageait pas son enthousiasme.

– Qu'est-ce que tu fabriquais, avec la lampe ? Imagine qu'elle raconte ça à Abraxas Malefoy ?

– Ne t'inquiète pas, tout ira bien ! Maintenant, vite, où est ta chambre ? demanda Daisy, surexcitée. Qu'est-ce qu'on s'amuse ! Ça me rappelle quand on essayait d'espionner nos parents, tu te souviens ?

Narcissa emmena Daisy jusqu'à sa grande chambre, toujours un peu renfrognée. Là, Daisy examina chaque recoin et chaque objet avec ravissement, puis se rendit dans la salle de bains. Elle admira l'immense baignoire octogonale en marbre rose qui occupait le centre de la pièce, les robinets en argent en forme de têtes de serpents aux détails si minutieusement travaillés qu'elles semblaient prêtes à mordre quiconque s'en approchait ; mais elle s'intéressa surtout au grand miroir au cadre d'or qui était suspendu au-dessus des deux éviers.

– Magnifique, magnifique, dit Daisy avec enthousiasme.

À nouveau, elle passa son Chispion sur l'intégralité de la surface du miroir, bien que celui-ci fût déjà d'une propreté impeccable grâce aux bons soins de Prunnas et de Lidelys. Quand elle eut terminé, elle recula d'un pas et déclara :

– Nettoie le verre, nettoie l'argent

Quant à nos yeux, fais-les plus grands

Récure l'ivoire, retire la craie

Et permets-nous d'entendre ce qui est secret.

Pendant quelques secondes, rien ne se passa, et Narcissa se demanda un court instant si, avec tous les malheurs qui lui arrivaient, Daisy n'avait pas perdu la tête.

– Tu vas voir, ça va marcher, assura Daisy.

Et en effet, quelque chose d'étrange se produisit. Au centre du miroir, l'image qu'il renvoyait se troubla, et la surface lisse se mit à onduler comme un liquide sur lequel tombaient une multitude de gouttes d'eau. Le processus se propagea sur toute la surface du miroir, et bientôt il prit l'aspect d'une flaque d'eau qui subissait une grosse averse : on n'y voyait que des tâches de couleur brouillées, qui apparaissaient et disparaissaient, s'agitaient et miroitaient ; puis, la perturbation se calma progressivement, les taches de couleur reprirent leur place et la surface du miroir reprit un aspect lisse et immobile. Mais ça n'était plus son reflet que Narcissa voyait : c'était la bibliothèque d'Abraxas Malefoy, avec ses livres aux reliures ouvragées, ses cartes célestes, ses fauteuils matelassés et son tapis en peau d'ours polaire. Elle voyait la pièce d'en haut, aussi clairement que si elle se trouvait elle-même accrochée au plafond à la place de la lampe en argent.

– Et maintenant, il n'y a plus qu'à attendre l'arrivée de ces mystérieux invités ! triompha Daisy en se frottant les mains.

Ravies, elles retournèrent au salon, où Lidelys leur avait préparé deux assiettes de soupe fumantes, idéales pour les réconforter après cette journée passée au dehors. Elles mangèrent gaiement, puis remontèrent dans la chambre de Narcissa.

En entrant dans la salle de bains, Daisy caressa amoureusement les bords de la baignoire octogonale en marbre rose qui occupait le centre de la pièce :

– Et si on prenait un bain ? proposa-t-elle malicieusement.

Narcissa, fourbue et gelée, accepta volontiers. Elles remplirent la baignoire au-delà du raisonnable, et Narcissa montra à Daisy tous les flacons de sels de bain et de liquides moussants, qui pouvaient former des bulles de formes diverses.

– Regarde celui-là, c'est Lucius qui me l'a offert, dit Narcissa en ouvrant un flacon qui dispersa des bulles en forme de cœur dans le bain et dans la pièce.

Daisy éclata d'un rire joyeux.

– Pfff ! Quand on sait qu'il passe son temps à menacer de mort les employés du Ministère, on ne se doute pas qu'il offre des bulles de savon en forme de cœur à sa dulcinée... Cissy, tu as transformé le grrrand Lucius Malefoy en petit nounours en sucre...

Les deux amies étaient toujours en train de s'éclabousser en riant aux éclats lorsque le gong du portail en fer forgé retentit au dehors.

– Ils arrivent ! s'exclama Daisy en sortant hors du bain.

Les deux amies se lovèrent dans deux peignoirs couleur d'ambre, posèrent des serviettes chaudes sur leurs épaules et s'installèrent devant le grand miroir de la salle de bains. Dès qu'elles s'en approchèrent, leur reflet disparut, remplacé par la bibliothèque d'Abraxas Malefoy. Celui-ci y était justement occupé à faire des vérifications dans son livre de comptes, enveloppé dans son grand manteau noir fermé jusqu'au col par deux rangées de boutons argentés. Sur sa poitrine, brodé de fils d'argent, le blason de la famille Malefoy étincelait – un M brillant cerclé de lances, de dragons et de serpents.

– Le miroir va se transformer à chaque fois que je m'en approcherais ? s'inquiéta Narcissa.

– Non, seulement quand tu le souhaiteras, la rassura Daisy.

À travers le miroir, elles entendirent la porte grincer, puis la voix de Prunnas s'éleva, légèrement atténuée.

– Maître, le premier invité est là, dit-il avec obséquiosité.

– Fais-le entrer, répondit Abraxas Malefoy.

Quelques secondes plus tard, un pas lourd résonna dans le manoir. La porte de la bibliothèque s'ouvrit avec fracas et une ombre massive entra dans la pièce. Daisy tressaillit en reconnaissant l'homme qui venait d'entrer. Piscus Crabbe n'avait pas changé d'un pouce : son œil dépourvu de sclère, entièrement noir et luisant, semblait examiner toute la pièce en même temps, tandis que l'autre fixait Abraxas avec défi ; il portait son habituel manteau de cuir doublé de fourrure et clouté aux épaules, où les coutures semblaient toujours sur le point de céder.

Il marcha droit sur Abraxas, leva sa main grosse comme une assiette, et lui administra une bourrade dans le dos, si violente que Narcissa crut qu'Abraxas allait se casser en deux.

– Toujours vivant, mon vieil ami ? À chaque fois que je te touche, j’ai l’impression que je vais te passer au travers, ricana Piscus Crabbe en lui donnant une deuxième tape dans le dos.

Abraxas Malefoy s'écarta de lui, rouge écarlate, pris d'une violente quinte de toux. Puis il se ressaisit progressivement, et son visage se contracta en un semblant de sourire.

– Alors, ne me touche pas, dit-il à Piscus Crabbe d'une voix chuintante. Ça vaudra mieux pour nous deux.

Piscus Crabbe poussa un nouveau ricanement et son regard glissa vers la porte de la pièce.

– Où est le magot ?

– Ne parle pas si fort, toussota Abraxas Malefoy, la voix un peu enrouée. Suis-moi, je vais te montrer... Tout est dans le salon.

Abraxas Malefoy saisit sur la table une fiole remplie d’un liquide noir et épais, puis quitta la pièce en s'appuyant sur sa canne, suivi de près par Piscus Crabbe.

– Qu’est-ce qu’il y a dans le salon ? demanda Daisy. Je n’ai rien vu, tout à l’heure.

– Il n’y a rien, répondit Narcissa, les sourcils froncés.

Mais déjà, les deux hommes reparaissaient dans l’encadrement de la porte, et Daisy et Narcissa se turent pour écouter ce qu’ils disaient.

– Comme tu vois, tout est en parfait état, dit Abraxas Malefoy. Et la Brigade de Police Magique ne trouvera jamais cette cachette.

– Mouais, répondit Piscus Crabbe en haussant les épaules. Je ne suis toujours pas convaincu.

– Alors, reprends ce qui t’appartient, mon ami. Mais je te préviens, je ne lèverai pas le petit doigt pour t’aider si tu te fais prendre une deuxième fois par le Ministère.

– Nous en discuterons tous les trois, quand il arrivera...

– Eh bien justement : le voilà.

Abraxas Malefoy désigna la cheminée. Les flammes qui y dansaient venaient de prendre une couleur verte intense ; elles se mirent à grandir, grandir, jusqu'à atteindre la taille d'un homme ; puis une silhouette de petite taille apparut au milieu des flammes vertes et fit un pas hors de la cheminée. Cette fois-ci, c'est Narcissa qui tressaillit.

– Orion, murmura-t-elle.

– Je suis ravi de vous revoir, mes chers amis, dit la voix nasillarde et désagréable de l'homme de petite taille qui venait d'apparaître.


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