Lettockar, tome 2 : La Cour des Mirages
10. Improbables sortilèges
Le lendemain même, alors que la légende des Reliques des Fondateurs occupait encore l’esprit de Kelly, Ludmilla Suarlov vint la voir discrètement après le cours de métamorphose pour lui poser une question inattendue :
- Dis Kelly, j’y ai repensé ce matin… as-tu fini par avoir une idée de qui t’a volé tes culottes, le mois dernier ?
Kelly se crispa. Après cette sinistre affaire, elle n’en avait jamais reparlé avec Ludmilla. C’était encore très douloureux pour elle, elle aurait bien aimé enterrer le sujet.
- Non, répondit-elle, feignant l’indifférence. En fait, une fois qu’on les a retrouvées, j’ai plus trop accordé d’importance à... enfin, si, ça me taraudait quand même, mais j’ai été prise par plein de choses après, donc j’ai laissé tomber.
- Ah bon ? s’étonna Ludmilla. Ça te ressemble pas, dis donc !
- Qu’est-ce que tu veux, à force de me foutre en rogne, au bout d’un moment mon corps dit non ! dit Kelly en haussant les épaules. Merci encore de m’avoir dépannée, Ludmilla.
La jolie russe lui sourit. Après leur opération de récupération avec John dans la Forêt Déconseillée, Kelly lui avait rendu ses affaires dès qu’elle avait retrouvé les siennes, de bonne grâce - elle aurait juste bien gardé le joli string rouge, il lui allait super bien. Quand Ludmilla fut partie, John se rapprocha de Kelly et lui demanda à voix basse :
- Bon, et en vrai, t’as une idée ?
- C’est un Dragondebronze, a priori. Un ou une Dragondebronze qui en aurait après moi…
- Pas la peine de chercher bien loin, chuchota John avec amertume.
D’un signe de tête, il désigna Martoni, qui bavardait non loin de là avec Stephen Borntobewaïld.
- Oui, c’est ce que je me suis dit au début, mais en fait je suis pas sûre, récusa Kelly. D’accord, y’a qu’elle pour me faire une telle saloperie, mais c’est bizarre… on était toutes les deux dans le dortoir au moment où ça s’est produit. Si elle s’était approchée de mon lit pour piquer des trucs dans ma valise, je crois vraiment que je l’aurais vue. Et puis quand bien même, y’a une trentaine d’autres filles dans le dortoir, elle n’aurait pas pu passer inaperçue.
- Et si elle avait utilisé un sort qu’on connaît pas, tout bêtement ? proposa John.
- J’y ai pensé, y’a bien les sortilèges d’Attraction et de Transfert, mais on a pas encore le niveau… affirma Kelly.
- Je rêve, Kelly, ou tu es en train d’innocenter toi-même Giovanna-Paola Martoni d’une tuile qui t’es arrivée ? glissa Naomi. On t’a droguée ?
- Ooooh, attention, j’ai pas dit ça, ça peut quand même être Martoni. Mais il faut réfléchir à d’autres pistes aussi…
Intrigués, John et Naomi se joignirent avec enthousiasme à la réflexion de Kelly. Les trois amis passèrent ainsi près d’une heure à échafauder des théories sur comment les culottes de Kelly avaient pu se retrouver dans la Forêt Déconseillée.
- Les fantômes ne peuvent saisir aucun objet, on est d’accord ? demanda soudain John. Donc c’est pas un fantôme non plus…
- Un fantôme non, mais les vieux châteaux comme Lettockar sont souvent infestés de petits démons et d’esprits frappeurs, dit Naomi. Je vais faire des recherches. Il me semble avoir lu quelque chose sur les Valefors inférieurs…
- Taisez-vous, je vais parler ! s’exclama alors quelqu’un.
John, Kelly et Naomi faillirent sursauter en entendant soudainement la voix de Fistule Fistwick. Ils avaient été si absorbés par leur conversation qu’ils ne s’étaient pas rendus compte qu’ils s’étaient installés mécaniquement dans la salle de sortilèges. Le gros professeur désigna de son court index une pile de parchemins posée sur son bureau.
- Voici vos dissertations sur la magie pyrotechnique. Je sais, leur correction a un peu traîné, mais je m’excuse pas. Inutile de vous dire que vous ne m’avez pas fait rêver, vos résultats oscillent entre le « pfffff » et le « ça ira ».
Il donna un coup de canne sur le sol, et les copies s’envolèrent à travers la salle pour atterrir dans les mains de leurs auteurs. Kelly avait obtenu un 12/20 à ce contrôle qui avait conclu cette longue série de cours sur la magie du feu. Fistwick les avait fait travailler comme des forcenés non seulement sur les sortilèges classiques, mais aussi sur les « améliorations » de son invention, dont n’importe quel autre professeur aurait jugé qu’elles étaient au-delà du niveau de deuxième année. Les cours qui s’en étaient suivis, portant sur le maléfice de Répulsion, avaient été à peine plus reposants, cette fin de semestre en sortilège était des plus épuisantes.
- Grâce à moi, vous êtes moins nuls qu’avant, poursuivit Fistwick. Ceci dit, en corrigeant vos dissertations, je me suis aperçu qu’on avait pris du retard sur le cours avec cette histoire ; donc pour gagner du temps, il va falloir traiter en même temps de deux sortilèges au programme, le sortilège de Découpe et le sortilège de Ramollissement.
Cette annonce fut suivie immédiatement d’une vague de protestation de la part des élèves.
- Professeur, c’est dégueulasse ! s’écria Kelly, le teint rouge. C’est de votre faute si on a pris du retard !
- Je te retire 10 points, Powder, parce que c’est pas de ma faute, c’est celle du destin, rétorqua sèchement Fistwick. Ou alors celle de votre camarade qui s’est amusé à foutre le feu aux chiottes : vous devriez le traquer pour le lui faire payer, tiens, ça occuperait vos soirées sans ambitions.
- Mais c’est grotesque ! s’écria Naomi. C’est quoi le rapport entre le sortilège de Découpe et le sortilège de Ramollissement ?
- C’est justement ça qui est intéressant ; y’a pas de rapport ! répondit Fistwick, tout content. Et c’est là qu’on voit si on est un sorcier digne de ce nom, et pas juste un brailleur de formules. Un sorcier qui essaye de cultiver notre art va chercher à obtenir un résultat ou une conclusion inattendue à partir de sortilèges inattendus. En mettant en œuvre un peu de logique et d’imagination, on y arrive. Moi, je l’ai fait. Et vous ?
Cette tirade fut accueillie par un silence médusé des élèves, qui essayaient de trouver un sens aux envolées de Fistwick. Kelly et Naomi avaient beau se creuser la cervelle, elles ne voyaient vraiment pas ce qu’on pouvait obtenir d’un sortilège de Découpe allié à un sortilège de Ramollissement. Quant à John, il ne perdait même pas son temps à essayer de déchiffrer l’esprit tordu de Fistwick. Celui-ci, toujours aussi pédant, reprit :
- Tout est une question d’application. Comme disait Descartes : je n’ai pas plus de génie que vous, mais j’ai plus de méthode. Et...
Il s’interrompit, l’air songeur.
- Non, en fait, j’ai aussi plus de génie que vous. Mais voyons si vous avez un peu d’esprit quand même…
- Bon… comment ils marchent, les sortilèges ? lança une fille nommée Ruriko Shimizu, fatiguée.
Fistwick ouvrit une fenêtre et passa au-dehors la main qui tenait sa baguette magique.
- Comme ceci : Diffindo.
A l’extérieur retentit un bruit de craquement, suivi d’un autre bruit sourd de quelque chose de massif tombant à terre. Les élèves s’approchèrent des fenêtres pour mieux voir. Fistwick avait visé un arbre en plein milieu de la cour et l’avait proprement scié en deux.
- Pas mal, n’est-ce pas ? lança-t-il aux élèves impressionnés. Et maintenant… Elasticus !
Il lança un nouveau sortilège, et le bois parut s’affaisser, changer de composition pour devenir tout flasque. C’était l’effet du sortilège de Ramollissement : le tronc tout entier ressemblait maintenant à une énorme barre de chocolat fondant. Les élèves se rendirent toutefois vite compte qu’ils étaient loin de pouvoir en faire autant. Même quand ils s’exercèrent sur divers objets de petite taille - des morceaux de parchemins, des stylos, des barrettes à cheveux – ils furent frappés par la difficulté de ces sortilèges. Des accidents eurent très rapidement lieu : Mercedes Calamar, beaucoup moins à l’aise qu’avec la magie incendiaire, se fit une vilaine entaille sur le dos de la main.
- Faut pas se lancer un sortilège de Découpe sur la peau, ça laisse des cicatrices ! prévint Fistwick alors que Mercedes filait à l’infirmerie. J’en sais quelque chose, j’en ai laissé une belle à un anglais abominable lors d’une rixe dans un quartier magique de Londres…
- Un anglais abominable ? C’est un pléonasme, non ? lança Ludmilla en faisant un clin d’oeil à Naomi et Kelly.
- Calmos, Ludmilla McGonnadie, répliqua Kelly en souriant malgré tout. Et puis moi, j’suis écossaise.
- De qui vous parlez, monsieur ? demanda Luis del Gato, un Ornithoryx.
- J’ai jamais su, j’ai transplané après ça, répondit Fistwick. Un type hideux avec une jambe de bois , un nez en moins et un œil bizarre, qui me reprochait je ne sais plus quoi. On aurait dit qu’il avait été mâché par un Runespoor…
Cette description disait quelque chose à Kelly, mais elle n’arrivait pas à se rappeler quoi. Pour sa part, l’affreuse cicatrice qu’elle avait à la hanche, causée par une Acromentule l’année dernière, l’incita à la prudence quant à l’utilisation du sortilège de Découpe. Soudain, une petite étincelle s’alluma dans sa cervelle ; l’anecdote de Fistwick lui donnait une merveilleuse occasion de le provoquer. Elle se fendit d’un sourire goguenard et demanda d’un ton mielleux à son professeur :
- Donc, vous vous êtes servi du sortilège de Découpe pour vous défendre contre un agresseur ? Mais dites-moi, professeur Fistwick, est-ce que ça s’appellerait pas… de la Défense contre les Forces du Mal, dans ce cas ?
- Si je ne te connaissais pas aussi bien, Powder, je serais persuadé que tu cherches à perdre encore 10 points, gronda Fistwick, la voix menaçante.
- Mais non voyons, je fais que poser une question. Vous nous répétez à longueur de cours qu’on s’intéresse jamais à rien, vous devriez être content que j’engage un débat !
- C’est vrai monsieur, pourquoi se masquer la vérité ? ajouta John, qui avait compris le jeu de Kelly. Tel que vous nous le décrivez, ça ressemble un peu à un sort de la Défense contre…
- Ah, ça suffit, coupa Fistwick en agitant la main d’un air agacé. Ça vous a déjà été expliqué maintes et maintes fois que la notion de Défense contre les Forces du Mal est un non-sens. Coller des étiquettes sur la magie, c’est blasphématoire ! Un mage parfaitement accompli ne raisonne pas d’une façon aussi binaire. Tant que je vivrais, il n’y aura pas de cours intitulé « Défense contre les Forces du Mal » à Lettockar !
- Et hum… ça vous fait quel âge, déjà ? demanda distraitement John.
- Pose-moi encore une fois la question, Ebay, et tu récoltes mon âge en heures de retenue.
- Vous êtes vraiment sûr qu’on a pas besoin de Défense contre les Forces du Mal ? insista Kelly. Même en ce moment ?
- Comment ça, « même en ce moment » ?
Kelly se tut, tout à coup inquiète. Fistwick avait à présent un regard perçant, qui lui fit réaliser qu’il était à deux doigts de comprendre qu’elle en savait plus que la moyenne des élèves au sujet du contexte international et du retour de Lord Voldemort. Elle s’efforça de ne pas rosir et ne pas bafouiller lorsqu’elle lui répondit évasivement :
- Je veux dire… aujourd’hui, en 1995 ? Les temps ont changé, depuis la fondation de Lettockar, alors faudrait peut-être rénover le programme… enfin, moi, ce que j’en dis…
Fistwick plissa ses yeux délavés, l’air méfiant. La réponse de Kelly ne l’avait manifestement pas convaincu. Celle-ci baissa aussitôt la tête, feignant l’indifférence, et reprit son sortilège de Ramollissement, qui ne fonctionna qu’à moitié. Fistwick finit par s’en aller en se grattant le menton.
Les deuxième année n’en pouvaient plus d’attendre la fin de l’heure. Se concentrer sur deux sortilèges dans le même cours était épuisant pour des sorciers de leur âge. Mais même pour ceux qui y arrivaient, ils ne parvenaient pas à résoudre l’espèce d’énigme posée par le professeur : une fois qu’ils avaient découpé la cible de leur sort, ils la rendaient plus molle… et après ?
- Tssss… soupira Fistwick à l’approche de la fin du cours. Êtes-vous sûrs que c’est dans cet ordre-là que vous devez lancer vos sorts ?
Kelly, déconcertée, observa alternativement sa baguette et le flacon vide qu’elle ensorcelait depuis le début du cours. A quelques pupitres d’elle, Martoni sauta sur l’occasion d’être la première à suivre le conseil du professeur.
- Euh… Diffindo ? incanta-t-elle.
Mais son crayon gélatineux ne fut pas scindé, et il ne fit que rebondir sur son pupitre. Martoni regarda son objet tomber lamentablement par terre d’un air consterné. Fistwick, en revanche, était rayonnant.
- Et bien voilà ! Ce que je constate, c’est que si vous ne voulez pas qu’un enfoiré passant dans le coin découpe vos objets avec un sort, l’une des tactiques pour les protéger, c’est de les ramollir. Voilà comment un sorcier intelligent trouve une combinaison utile à deux sortilèges a priori sans rapport. Qu’en pensez-vous ?
La classe entière resta sans voix un court instant. Puis John leva la main et dit courageusement :
- Moi, j’en pense que j’ai jamais rien entendu d’aussi con.
- Tu ne seras jamais qu’un méthodique, Ebay, répliqua Fistwick d’un ton léger. Le cours est terminé ; pour la prochaine fois, faites les exercices 33 et 34 de votre manuel. Partez maintenant !
Deux exercices au lieu d’un. Parmi tous les élèves de deuxième année, celle qui se serait bien épargnée cette charge de travail en sortilèges était Naomi Jane. L’équipe de l’OASIS chargée de la recherche documentaire – Astrid, Oszike, Tarung et maintenant elle – était en quête d’un sort capable d’ouvrir la Palourdingue Dominante. Contrairement à ce que Kelly avait affirmé, ce n’était pas une mince affaire. Utiliser des sortilèges courants ne suffirait pas : la Palourdingue Dominante était extrêmement solide et possédait une très grande résistance à la magie. Il fallait donc trouver un sort bien spécifique, et l’OASIS ne mettait pas la main dessus. Après chaque passage à la bibliothèque, Naomi venait rapporter le fruit de leurs recherches à John et Kelly.
- On a rien trouvé dans Magie sous-marine, ni dans Les Sortilèges d’apparence inutiles… alors on s’est dit que ça marcherait peut-être avec un produit au lieu d’un sortilège. Du coup j’ai proposé de lire des ouvrages comme le Promptuaire de préparation de chaudeaux cabalistiques - il m’aura vraiment marqué, ce livre – mais ça n’a rien donné, à part un truc qui fait chanter les Palourdingues au lieu de parler...
Les semaines s’écoulaient, et avec elles les heures passées à éplucher les grimoires de toutes les époques. L’OASIS naviguait une fois de plus en terre inconnue : parmi tous les élèves qui, depuis sept siècles, avaient cherché les Reliques des Fondateurs – car il y en avait eu bien d’autres avant – personne n’avait été aussi loin qu’eux. Ainsi ils n’avaient pas laissé le moindre indice dans leur sillage.
- Rien, toujours rien…
Kelly et John suivaient l’affaire de loin. Ils s’inquiétaient surtout pour Naomi, eux qui l’avaient vue se mettre en quatre pour d’obscures formules magiques et un pentacle de téléportation, au point de frôler l’épuisement.
- Je me demande si on pourrait les aider ? suggéra un jour Kelly.
- Sans moi, rétorqua catégoriquement John. Déjà parce que Madame Astrid tient à rester avec sa petite équipe, et parce que perso, l’écumage de bouquin, j’ai donné. Comprends-moi, Kelly, je suis encore traumatisé par le cirque que j’ai dû faire devant Doubledose, l’an dernier… depuis j’ai un peu peur d’aller fouiller ces étagères…
- Mauviette !
Néanmoins, à la place, ils firent à deux ou trois reprises les devoirs de leur amie pour la soulager. Les vacances de Noël approchaient. Lors de l’avant-dernier cours de potions de décembre, Kelly se mit avec Naomi. Celle-ci fit son habituel rapport sur les recherches de son groupe, et il était une fois de plus infructueux.
- J’étais sûre qu’on trouverait quelque chose dans le Guide de la sorcellerie médiévale, vu que c’est au Moyen-Âge qu’a été aménagé le Lago que vê longe… se désola Naomi.
- Ça peut paraître stupide, mais si vous cherchiez des astuces de Moldus pour ouvrir les coquillages ? suggéra Kelly. Par exemple, ma mère, quand elle a du mal à ouvrir des huîtres, elle les met dans de l’eau vinaigrée avec un peu de bicarbonate…
- Mais comment veux-tu faire ça au fond du Lac Caca d’oie, enfin ?
- Bah, c’est ça ou mettre la Palourdingue au micro-ondes… répondit Kelly, agacée.
- Powder, Jane, je comprends que vous prépariez votre avenir en parlant cuisine, mais j’aimerais bien que vous le fassiez en dehors de mon cours. 10 points de moins pour Dragondebronze.
Kelly et Naomi tressaillirent en entendant cette grosse voix grave et se retournèrent. Grog se tenait derrière elles, les mains dans les poches et son nez crochu froncé.
- Vous êtes là pour préparer une solution Smectagol, pas nous casser les oreilles avec les Palourdingues, continua-t-il. Et puis, vous devriez le savoir, le seul fruit de mer dont doivent se préoccuper les gonzesses, c’est la moule. Sinon, vous serez jamais épanouies dans la vie.
A ces mots qui suscitèrent des souffles exaspérés de la part de la moitié de la classe, il retourna vers son bureau, leur tournant le dos. Kelly resta sereine. Elle croisa les bras et lança avec calme à l’intention de Grog :
- Vous avez raison, professeur Grog, si on doit compter sur vous pour s’en occuper, on le sera jamais non plus.
Grog se stoppa, et un silence, perturbé seulement par le clapotis des chaudrons, tomba. Toutes les filles de la classe souriaient jusqu’aux oreilles. Grog s’alluma une cigarette avant de grogner sans se retourner :
- J’ai une devinette pour toi, Powder : qu’est-ce qui est long, dur et qui va te faire mal ce soir ?
- Deux heures de retenue ? répondit-elle avec un soupir désabusé.
- Dans le mille. 5 points pour Dragondebronze parce que j’suis sympa.
Une heure plus tard, Kelly sortait de la salle Afonzo Menceldes avec une profonde lassitude, malgré la présence réconfortante de Naomi. John les laissa, car depuis peu de temps, il était devenu ami avec Henry Arvock et Katerina Van der Praoüt, deux autres élèves de deuxième année qui partageaient son goût pour le baseball, auquel ils jouaient dans la cour de l’école. Il s’en alla, tout joyeux, batte et gant à la main, tandis que Kelly et Naomi se reposaient dans la salle commune de Dragondebronze.
- Ma pauvre Kelly, j’suis tellement peinée… dit Naomi. Encore une retenue pour toi, tout ça parce que tu as cassé l’autre… enfin…
- Boarf, je crois que ça me rebondit dessus, maintenant, répondit Kelly en fermant les yeux. Je me demande juste ce que Grog va me faire faire… à tous les coups ce sera un truc trop con, genre pratiquer les sortilèges d’un livre de cuisine… mais tout compte fait c’est pas cher payé pour le ridiculiser, je comprends ce qu’a ressenti John l’an dernier.
Elle rejeta la tête en arrière et lâcha une grande expiration. Lorsqu’elle rouvrit les yeux, elle s’aperçut que Naomi s’était immobilisée sur son coin du canapé sur lequel elles étaient assises. Ses yeux étaient écarquillés, et son visage figé. Quelque chose semblait l’avoir stupéfaite. Kelly en fut presque troublée.
- Kelly, répète ce que tu viens de dire ? murmura Naomi d’une voix rauque.
- De quoi ? Que je comprends ce que John a ressenti l’an dernier ?
- Non, avant !
- Euh… que Grog allait me faire faire des sortilèges d’un livre de cuisine, c’est ça ?
Naomi resta silencieuse un long moment. Puis, son visage s’illumina d’un coup, comme si elle venait de comprendre quelque chose de primordial. Alors, soudain, elle bondit hors du canapé comme un ressort et se rua vers le portrait des Istari.
- Eh ! Naomi ! Qu’est-ce qu’il y a ? Mais Naomi, attends-moi bordel ! s’égosilla Kelly en se levant maladroitement du canapé.
- Pas le temps ! cria-t-elle par-dessus son épaule. Rejoins-moi à la bibliothèque !
Et elle disparut. Kelly fut si déconcertée qu’elle trébucha et tomba sur un tapis. Ronchonne, elle sortit de la tour de Dragondebronze, et balaya les environs du regard, mais Naomi était déjà hors de vue. Elle soupira, puis elle entendit un gémissement juste à côté d’elle. La Kagoule mangeait des bougies, recroquevillée dans un coin. La créature se mit à fixer Kelly de ses yeux globuleux.
- Qu’est-ce que t’as à me regarder, toi ? maugréa la jeune fille. T’as pas du suc de Coquelicoke à te mettre dans le pif ?
Pour toute réponse, la Kagoule lui jeta une bougie à la figure avant de déguerpir en bondissant comme une grenouille.
Peu après, Kelly retrouva enfin Naomi. Il y avait pas mal de monde à la bibliothèque, et donc suffisamment de bruit pour couvrir leur conversation. Elles s’assirent sur une table, sortant du parchemin et des plumes pour faire semblant de travailler. Naomi lui montra alors avec enthousiasme la couverture d’un vieux livre : Les meilleures recettes aux coquillages magiques. Kelly fronça les sourcils.
- Tiens ? Il me dit quelque chose, ce bouquin !
- Il était juste à côté du livre sur la magie chaotique qu’on cherchait l’an dernier, tu te souviens ? expliqua Naomi. Contrôle du chaos machin-chose… tout en haut d’une des étagères du fond. J’ai failli tomber sur la tête de Martoni en grimpant le chercher.
Naomi ouvrit le livre et le feuilleta jusqu’à la page qui l’intéressait.
- Regarde : « Soupe de Palourdingue au fenouil et à l’absinthe ». La veille, mettre la coque à dégorger dans l’eau salée… éplucher le fenouil et l’émincer, blablabla… ajouter le coquillage dans le chaudron… et là, il y a une astérisque : « Si vous rencontrez des difficultés à ouvrir la Palourdingue, utilisez le Sort à la marinière de Bartholomé le Cambusier (incantation dans les annexes) ». Et voilà ! Voilà la formule qui peut ouvrir la Palourdingue Dominante… elle était bien dans la bibliothèque.
Kelly hocha la tête, édifiée. Un livre de cuisine. La solution à leur problème se trouvait dans un simple livre de cuisine. Naomi était rayonnante, emplie de fierté d’avoir ôté une épine du pied de l’OASIS, elle la toute jeune recrue.
- J’ai un super cadeau de Noël à donner à l’OASIS, et c’est toi qui m’en a donné l’idée. Merci, Kelly, merci.
- Euh… bah de rien, lâcha celle-ci en se grattant la nuque.
Le soir même, à cause de sa retenue pour « provocation hystérique », Kelly ne put pas aller avec Naomi et John restituer la découverte providentielle à Pavel, Peter et Astrid. De retour dans la salle commune après deux heures à faire le ménage dans la salle de potions, ses amis lui racontèrent l’entrevue. L’OASIS avait à présent tout ce qu’il lui fallait pour aller chercher la première Relique de Fondateur.
- Et voilà Kelly, tout est prêt pour votre plongée dans le lac, déclara Naomi. Il n’y a plus qu’à attendre le feu vert des patrons. Astrid était super contente !
- T’aurais vu ça Kelly... marmonna John. « Bravo ma petite Naomi », « tu as rendu un grand service à l’OASIS », « je suis si fière de toi que je t’embrasserais si Peter n’était pas aussi jaloux », et gnagnagna… C’était dégoulinant de sucre. Astrid était tellement souriante que j’ai cru que c’était quelqu’un d’autre qui avait pris sa place !
- T’es pas gentil, John, dit Naomi d’un ton réprobateur. Astrid est un peu froide au premier abord, mais elle a vraiment bon fond. Faut juste… euh… gagner son estime, la convaincre que tu as des capacités, et alors elle sera très bienveillante envers toi.
- Je pense que tu as raison, Mimi, approuva Kelly. D’ailleurs, tu lui as dit que c’était moi qui t’avait soufflé l’idée ? demanda-t-elle en se lissant crânement les cheveux.
A sa grande surprise, Naomi resta coite, les yeux arrondis, et John détourna la tête. Puis Naomi un sourire horriblement crispé et répondit d’une toute petite voix :
- Mais oui !