Guérir ensemble

Le lendemain matin, après une nuit courte et agitée, emplie de souvenirs du passé, Drago était dans son laboratoire privé et il venait de terminer de brasser sa première commande de la journée. Il avait à peine laissé de côté le chaudron pour qu’il refroidisse avant de pouvoir l’embouteiller quand il entendit frapper à sa porte.

Scorpius était déjà occupé avec son précepteur et il n’avait pas de livraison prévue dans l’immédiat. En effet, certains ingrédients ne pouvant pas être transportés par hiboux du fait de leur instabilité lui étaient livrés par coursiers.

Il fronça les sourcils, peu habitué à recevoir des visites malgré son activité, et il se dirigea vers la porte à grands pas, sortant sa baguette au cas où. Il y avait longtemps qu’il vivait tranquillement puisqu’il se montrait discret, mais il n’oubliait pas que les premières années après la guerre, il avait dû faire face à beaucoup d’insultes et de menaces — voire à quelques expéditions punitives.

Il serait idiot de ne pas se méfier et il était loin d’être un idiot.

Il ouvrit la porte un peu brusquement avant de se figer en voyant son visiteur. Puis, silencieusement, il s’écarta pour le laisser entrer, avec un léger sourire de bienvenue.

Il n’y avait que Harry Potter pour se montrer aussi imprévisible bien évidemment. Il n’y avait que lui pour débarquer en pleine matinée, sans prévenir, avec un large sourire idiot et les yeux pétillants autant qu’à Poudlard, lorsqu’il venait de briser une fois de plus le règlement.

À cet instant, il semblait si vivant et si heureux que Drago eut l’impression que son cœur ratait un battement, fasciné par cet homme qui se superposait à un fantôme du passé.

Malgré lui, Drago ne put s’empêcher de sourire à son tour et il y avait plus d’amusement que d’agacement dans sa voix quand il prit la parole d’un ton léger.

   — Potter ! Qu’est-ce que tu fais là ?

Il reçut un clin d’œil joueur et il secoua la tête, attendant la suite en croisant les bras sur sa poitrine, un sourcil levé. Finalement, son ancien camarade se pencha vers lui avec un grand sourire, visiblement fier de lui, et chuchota sur le ton de la confidence.

   — J’ai démissionné.

Drago resta bouche bée un instant, ne sachant pas quoi répondre, le dévisageant juste longuement pour s’assurer que ce n’était pas une plaisanterie de mauvais goût. Puis, il se détendit et il leva un sourcil moqueur.

   — Et bien, félicitations. Vu ton air réjoui, c’est une très bonne nouvelle…

Harry plissa le nez en passant nerveusement la main dans ses cheveux, mais son sourire resta intact.

   — Ouais. Je me sens… libre. Mais je risque d’avoir à répondre à pas mal de questions dans les jours à venir… Ils étaient visiblement prêts à m’envoyer à Sainte Mangouste, persuadés que j’avais été ensorcelé ou une connerie dans le genre.

Quelque chose se noua dans l’estomac de Drago, un sentiment désagréable, alors qu’il s’obligeait à ne pas réagir. Si Harry avait reçu ce genre de remarques, il faudrait peu de temps au monde magique pour lier son comportement, soudain et étrange, et sa rencontre avec Drago Malefoy. Une fois de plus, Drago serait le coupable idéal et il ne faudrait pas longtemps au monde magique pour l’accuser d’avoir manipulé le Sauveur…

Cependant, Harry avait l’air si heureux, si soulagé, qu’il ne voulait pas lui reprocher quoi que ce soit ou le pousser à se sentir coupable. Il avait l’habitude d’être mal vu ou accusé du pire, il pourrait bien supporter quelques insultes de plus en serrant les dents.

Il sourit largement, masquant son inquiétude.

   — Tu as mis peu de temps pour te décider… à croire que l’idée était probablement déjà dans ton crâne épais, non ?

Harry ricana, sans quitter Drago des yeux.

   — Et bien pour être franc, la décision était effectivement prise depuis longtemps. Tu m’as juste donné le courage de le faire. Et tu m’as fait prendre conscience que je devais… réagir pour mes enfants.

Drago hocha la tête, avec un léger sourire satisfait. C’était agréable de retrouver le Potter d’autrefois, celui qui avait une pointe d’insouciance et le sourire aux lèvres malgré les obstacles qui se dressaient devant lui. Celui qui semblait capable de défier le monde entier et d’en sortir vainqueur. Il allait lui proposer de le suivre pour lui offrir un thé, mais Harry redevint sérieux en le fixant gravement.

   — Contrairement à ce que beaucoup de monde croit, je ne suis ni stupide ni aveugle. Je sais parfaitement que tu risques d’avoir des ennuis à cause de moi, parce qu’on s’est rencontrés en public et qu’on a passé du temps ensemble au chaudron baveur. Je compte bien m’assurer que personne ne te causera du tort.

   — Je suis un grand garçon, Potter. Parfaitement apte à me défendre.

Les yeux de Harry pétillèrent et il gloussa doucement.

   — Bien évidemment, je n’en doute pas une seconde. Mais je veux qu’au moindre souci tu me contactes ou que tu m’envoies ton fils pour qu’il soit à l’abri.

Drago cligna des yeux, puis hocha la tête sans un mot, ému qu’Harry pense à la sécurité de Scorpius. En se détournant pour conduire Harry en direction du salon, il frotta nerveusement son cou, à l’endroit où s’étalait l’ignoble tatouage d’Azkaban. C’était une marque indélébile de plus, la preuve de ses erreurs. C’était également le réflexe qu’il avait à chaque fois qu’il repensait à cette période sombre, lorsqu’il avait cru que sa vie était terminée.

Les doigts brûlants de Harry attrapèrent vivement sa main, le faisant sursauter et il frissonna en entendant le jeune homme lui chuchoter à l’oreille.

   — Tu n’y retourneras pas. Même si je dois démolir cet endroit maudit pierre par pierre pour aller t’y chercher, je te jure que tu n’y retourneras pas.

Drago se tendit, le cœur battant. Il savait que Harry était pleinement sincère, évidemment, mais il secoua doucement la tête.

   — Contente-toi de me jurer de veiller sur Scorpius, Potter.

Harry laissa échapper un rire grave.

   — C’était implicite, Malefoy. Ne t’en fais pas, je veillerai sur lui aussi.

Ils restèrent un instant de plus immobiles, Harry tenant toujours la main de Drago, ce dernier lui tournant le dos. Puis, Harry le lâcha doucement et Drago réprima un frisson pour avancer et l’inviter à prendre place dans un fauteuil, le même que la veille.