Secrets de Serpentard : La noble famille Black

Chapitre 33 : Mrs Narcissa Malefoy

Chapitre final

17361 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 26/12/2022 10:38

Le mariage de Lucius et de Narcissa eut lieu en décembre, quelques mois après ce superbe été. La plupart des invités s'accordèrent pour dire que c'était le plus réussi auquel ils aient jamais assisté ; mais pour Narcissa, ce fut un peu plus compliqué que cela.

Le matin du jour fatidique, Narcissa se réveilla à l'aube, et se tourna des dizaines de fois dans son lit, sans réussir à se rendormir. Elle finit par se lever, et fit les cent pas dans l'aile Ouest en se mordillant les ongles et en triturant sa bague de fiançailles qui enserrait son annulaire.

Il régnait dans la maison une effervescence joyeuse à laquelle Narcissa n'arrivait pas à s'abandonner. Un grand vacarme et des effluves prometteurs montaient des cuisines, à la mesure du festin qui s'y préparait. Par la fenêtre, sous un ciel bleu vif, Narcissa observait l'elfe Lidelys s'affairer dans le jardin avec énergie. Dans un premier temps, elle la vit claquer des doigts, et l'air qui se trouvait autour du manoir se dilata légèrement. Narcissa devina qu'elle venait d'installer la même aura de douce chaleur que lors du bal de Noël, permettant ainsi aux invités de déambuler dans le jardin sans s'embarrasser de leurs capes. Puis Lidelys plaça devant le perron les nombreuses tables et les chaises destinées au banquet, les recouvrit de nappes blanches, y disposa des guirlandes de lierre doré et des bouquets de roses.

Quelques siècles auparavant, une ancêtre de Lucius, Lucrèce Malefoy, avait créé une variété de roses spécialement pour son mariage : leurs pétales denses étaient blancs, comme ceux d'innombrables autres roses banales, mais portaient sur leur bordure un liseré doré qui les faisait scintiller dans la lumière. Une partie du jardin des Malefoy était, depuis, spécialement réservé à ces roses, qui poussaient en hiver comme en été, et qui étaient donc utilisées pour tous les mariages de la famille ou bien vendues à de riches sorciers à travers le monde.

Lorsque Lidelys eut disposé un bouquet de ces superbes roses blanches et dorées sur chacune des tables, l'elfe s'éloigna, et alla répandre des pétales de fleurs dans la fontaine, et lui jeta un sort pour que l'eau prenne une belle couleur dorée. Puis elle installa le nécessaire pour la cérémonie elle-même, qui devait avoir lieu au milieu du jardin, entre les massifs de fleurs et les haies d'ifs parfaitement entretenues.

Elle commença par monter une arche métallique au milieu de l'allée de graviers blancs, devant la statue d'Armand Malefoy, qui s'était détourné du portail et surveillait les préparatifs avec intérêt. Puis Lidelys couvrit l'arche de roses blanches et or, jusqu'à ce que la structure métallique ait disparu sous les pétales denses et scintillants. Ensuite, elle étala dans l'allée de graviers un long tapis de soie blanche, brodé d'or, qui courait de l'entrée du manoir à l'arche couverte de roses ; puis elle installa des guirlandes de fleurs qui flottaient dans les airs, au-dessus de chacune des allées du jardin. Et enfin, de part et d'autre de l'allée principale, elle entreprit d'installer d'innombrables rangées de sièges en métal blanc, sans oublier d'accrocher sur le dossier de chacun une des célèbres roses créées par Lucrèce Malefoy.

Cramponnée aux rebords de la fenêtre, Narcissa sentait une angoisse inexplicable grandir en elle à chaque chaise que Lidelys posait sur les graviers blancs. Elle savait pertinemment que, durant toute la journée, tous les regards seraient posés sur elle, sur sa robe, sa coiffure, sa démarche et ses bonnes manières ; elle savait que ce mariage serait l'objet de toutes les conversations des semaines, peut-être même des mois à venir, et que La Gazette du Sorcier lui consacrerait un article dès le lendemain. Si elle montrait le moindre signe de faiblesse, si elle laissait paraître la moindre trace de nervosité, tout serait noté, remarqué, répété et déformé à l'infini. Elle savait que certaines personnes, comme Carla Avery et Juliet Selwyn, venaient à ce mariage dans le seul espoir de la voir mordre la poussière.

Une autre des raisons pour laquelle elle se sentait si anxieuse était que son père ne lui avait pas donné de nouvelles depuis le décès de sa mère. Même s'il n'y avait aucune raison pour qu'il désapprouve, Narcissa n'avait aucune idée de ce qu'il pensait de ce mariage. Elle lui avait écrit une lettre pour l'avertir personnellement de sa décision, et pour lui demander de marcher à son bras lors de la cérémonie, mais sa lettre était restée sans réponse. Narcissa n'avait demandé à personne d'autre de le remplacer, de peur qu'il ne se vexe, mais elle comptait sur sa marraine, Vera Goyle, pour se substituer à lui s'il ne se montrait pas.

Narcissa avait choisi Daisy et Bellatrix comme demoiselles d'honneur, et attendait leur arrivée avec impatience, persuadée qu'elles sauraient la rassurer. Mais quand Daisy arriva, en fin de matinée, celle-ci était très agitée, et elle jetait d'étranges regards en coin à Narcissa, bien qu'elle assura le contraire. Quant à Bellatrix, Narcissa avait peur qu'elle ne vienne pas en raison de leur dernière dispute, devant le Serpent qui Fume ; mais Bellatrix se présenta quasiment en même temps que Daisy, vêtue de la robe noire que Walburga lui avait offerte un an plus tôt, avant le bal de Noël donné chez les Malefoy. Elle avait le teint pâle, les yeux cernés, les joues creuses, et l'air mélancolique. Mais quand Narcissa s'inquiéta de la voir ainsi, Bellatrix la rabroua vertement et la pria de se mêler de ses affaires.

Les trois jeunes femmes s'isolèrent dans l'immense chambre de Narcissa, et Bellatrix ne fit aucun effort pour cacher sa désapprobation devant tant de luxe inutile. Mais Daisy la fit taire, et elles aidèrent Narcissa à enfiler sa robe. Cela prit un certain temps, car la robe était très compliquée ; et lorsque Narcissa fut prête, on entendait déjà la rumeur des invités enfler depuis le jardin, et l'orchestre magique jouer une musique gaie et légère.

Mr Tissard, de la boutique luxueuse Tissard et Brodette qui se trouvait sur le Chemin de Traverse, avait eu l'honneur d'être désigné pour confectionner la robe, et Lucius avait été clair avec lui : si par malheur on lui trouvait une seule imperfection, Lucius se débrouillerait pour faire fermer sa boutique. En revanche, s'ils en étaient satisfaits, Lucius promettait de vanter les mérites du couturier aux sorciers les plus influents, et de lui assurer ainsi un avenir prospère.

La robe était d'un blanc si éclatant qu'elle semblait irréelle. Le bustier était assez serré, et donnait à la poitrine de Narcissa plus de volume qu'elle n'en avait réellement ; les nombreux jupons descendaient jusqu'au sol, et étaient couverts, tout comme ses épaules, de la dentelle la plus fine qui soit.

– Tu es magnifique, dit Daisy lorsque Narcissa tourna sur elle-même pour leur faire admirer le résultat.

– Une vraie pouliche prête à être vendue, marmonna Bellatrix.

Narcissa décida d'ignorer sa sœur, et se plaça devant son miroir pour arranger ses cheveux. Daisy l'aidait, mais elle avait du mal à la coiffer, d'une part parce que ses doigts tremblaient légèrement, et d'autre part parce que Narcissa était un peu plus grande qu'elle, et qu'elle ne pouvait s'empêcher de remuer.

– Ah, au fait, Cissy, je suis venue accompagnée, annonça Bellatrix à ce moment-là, sans enthousiasme. J'espère que ça ne te dérange pas.

– Vraiment ? Qui est l'heureux élu ?

Bellatrix hésita un instant, puis avoua :

– Rodolphus Lestrange.

– Rodolphus ? Lui ? s'offusqua Narcissa. Tu as invité ce malappris ?

– Oh, arrête un peu, avec tes grands mots de dame distinguée ! Tu croyais que j'allais venir seule, au milieu de tous ces imbéciles de Collinards, qui viennent se goinfrer de petits fours au lieu de rejoindre notre lutte ?

– Bella ! Rodolphus Lestrange est abject ! Et je t'interdis de faire allusion à Voldemort aujourd'hui, c'est compris ? Tu embarrasserais les invités.

Bellatrix croisa les bras, renfrognée.

– Je sais bien que Rodolphus est un imbécile, mais je n'avais pas le courage d'affronter tous ces petits précieux toute seule, dit Bellatrix. Et Rodolphus était le seul qui voulait bien m'accompagner, après ce qu'on a appris hier...

Narcissa fronça les sourcils, et voulut se retourner vers sa sœur, mais Daisy maintenait son visage face au miroir pour pouvoir la coiffer correctement.

– De quoi parles-tu ? demanda Narcissa en s'agitant.

Dans le reflet du miroir, elle surprit Daisy et Bellatrix échanger un regard furtif qui ne lui disait rien qui vaille.

– Dites-moi, ordonna-t-elle.

– Plus tard, décréta Daisy en continuant de regarder Bellatrix avec sévérité. Il est l'heure de descendre.

En consultant l'horloge murale, Narcissa fut obligée de constater que Daisy avait raison, et elle sentit son estomac se contracter légèrement. En pensant à ce qui allait se passer, elle en oublia momentanément les cachotteries de Bellatrix et de Daisy.

– Alors ça y est, murmura-t-elle en regardant dans le miroir la coiffure que Daisy avait fini par achever.

Ses cheveux blonds étaient ramenés vers l'arrière en un joli chignon, auquel était accroché un voile blanc et vaporeux qui lui descendait jusqu'à la taille.

– Oui, ça y est, dit Daisy en posant sa tête sur l'épaule de son amie. Ne t'en fais pas, tout va bien se passer.

Narcissa prit une inspiration, mais elle avait le souffle court, comme si ses poumons avaient rétréci pendant la nuit. Bellatrix restait renfrognée, mais lorsque Daisy lui lança un regard encourageant, elle finit par les rejoindre devant le miroir.

– Cissy, je n'arrive pas à être heureuse pour toi, mais je te promets que je fais de mon mieux, dit-elle en essayant de camoufler tant bien que mal sa hargne habituelle. Je trouve que Lucius est sournois et prétentieux, et à mon avis, ce mariage est une idée farfelue... Mais en tout cas, si jamais il te cause du chagrin, je me ferais un plaisir de venir lui botter le derrière.

Daisy soupira, mais Narcissa sourit, jugeant qu'elle ne pourrait rien espérer de mieux de la part de Bellatrix. Elle saisit sur sa coiffeuse en bois verni la ravissante fleur de Lune que Lucius lui avait offerte quelques jours après leur première rencontre, et demanda à Daisy de la piquer dans ses cheveux blonds, au-dessus du voile accroché dans son chignon. Puis elle saisit les mains de ses deux demoiselles d'honneur, et elles sortirent toutes les trois de la chambre.

Elle parcourut les couloirs de l'aile Ouest comme si elle les foulait pour la première fois. Elle remarqua des détails auxquels elle n'avait jamais prêté attention jusqu'alors : le parquet qui craquait devant sa porte, le léger ronflement d'un homme dans un portrait, le grincement d'une poignée de porte. Ainsi, pensa-t-elle, ces longs couloirs vides seraient sa maison pour toujours. Quelques mois plus tôt, le manoir et ses alentours lui avaient parus immenses et merveilleux ; ce jour-là, Narcissa avait l'impression de marcher dans les intestins d'un géant ou d'une gigantesque machine toute prête à la broyer en morceaux.

Avait-elle pleinement réalisé avec qui elle se mariait ? se demanda-t-elle. Derrière ses manières bienveillantes et sereines, Lucius ne cachait-il pas l'ambition avide de dominer et de manipuler tous ceux qui se présentaient à lui ? Bellatrix avait raison, Lucius était bel et bien sournois et prétentieux – ou du moins, il pouvait l'être à l'égard de certaines personnes. Certes, depuis que Narcissa l'avait remis à sa place au dîner de Noël de Slughorn, Lucius avait été irréprochable, et Narcissa s'était orgueilleusement persuadée qu'elle serait épargnée par ses méchancetés. Mais tout de même, n'était-il pas trop présomptueux de penser qu'un tel homme, qui avait un tel succès, pourrait la chérir à tout jamais ? Serait-il possible qu'il l'ait séduite par défi personnel, et que toute la gentillesse dont il faisait preuve à son égard disparaisse au moment où elle lui serait entièrement et durablement acquise ? Et si leur couple fanait progressivement, et finissait par ressembler à tant d'autres, comme à celui d'Orion et de Walburga ?

Tout en déroulant dans son esprit des craintes de moins en moins rationnelles, Narcissa arriva sur le palier du premier étage, au niveau du double escalier qui descendait dans le hall d'entrée. La gorge nouée, elle passa devant une fenêtre qui donnait sur l'avant du manoir, et aperçut la foule d'invités confortablement installés sur les chaises blanches installées dans le jardin. Il n'y avait pas une place qui ne fut pas occupée ; des enfants se hissaient sur les genoux de leurs parents, et scrutaient avec impatience la porte close du manoir ; les invités les moins prestigieux se tenaient même debout, par manque de place.

– Il y a beaucoup trop de monde, gémit Narcissa.

– Tu n'as qu'à les imaginer sans leurs vêtements, proposa Bellatrix avec amusement.

Narcissa et Daisy se tournèrent vers elle, interloquées, et Bellatrix haussa les épaules.

– C'est ce que j'ai conseillé à Regulus, quand il m'a dit qu'il n'osait pas parler devant ses camarades de classe. Apparemment, ça a marché, car depuis, il est premier dans toutes les matières.

Narcissa fut rassurée d'apprendre que Bellatrix ne donnait pas que des mauvais conseils à Regulus, et se sentit un peu plus légère. En regardant à nouveau par la fenêtre, elle aperçut la statue d'Armand Malefoy qui était descendue de son socle. L'homme de pierre dépassait tout le monde d'un bon mètre, et se tenait près de l'arche fleurie, où il se disputait avec véhémence avec une petite femme habillée de vêtements rose bonbon.

Elle vit également Lucius, qui attendait près de l'arche fleurie, au milieu de l'allée de graviers blancs. Il portait un superbe costume gris foncé, parfaitement coupé. Il discutait tranquillement avec Regulus et Severus, qui se pressaient tous les deux autour de lui, sans doute pour qu'il leur raconte en détail son année à Durmstrang. En regardant Lucius rapidement, il avait l'air parfaitement serein et détendu ; mais Narcissa remarqua qu'il jetait de temps à autre des coups d'œil à sa montre de gousset, ou à l'imposante porte du manoir que Narcissa était censée franchir dans quelques minutes. Elle en fut attendrie et quelque peu rassurée.

Ensuite, Narcissa chercha des yeux la silhouette élancée et rassurante de sa marraine, Vera Goyle, mais ne la vit pas. Alors qu'elle s'apprêtait à demander à Daisy où étaient ses parents, un grand raffut monta du rez-de-chaussée : on entendit un bruit de verre brisé, des cris d'elfes de maison et des glapissements furieux. Un bruit de battement d'ailes se rapprocha d'elles, et un oiseau tenant une enveloppe violette dans son bec surgit de la cage d'escalier, et se percha sur la rampe, visiblement excédé.

Aussi étonnant que cela puisse paraître, il ne s'agissait pas d'un hibou, mais d'un aigle royal aux ailes immenses et aux plumes ébouriffées qui appartenait aux Goyle.

– Cléopâtre ! s'exclama Daisy avec enthousiasme en prenant l'aigle sur son poing. Tiens, Cissy, l'enveloppe est pour toi. Je parie que ce sont mes parents qui sont en retard !

– Un aigle royal, se moqua Bellatrix en regardant l'oiseau, avec toutefois une pointe d'envie dans la voix. Vous, les Goyle, vous ne pouvez vraiment rien faire comme tout le monde !

– Comme dit ma mère, la vie sans fantaisie est aussi insipide qu'un anniversaire sans bougies, sourit Daisy en caressant la tête de l'aigle qui donnait des coups de becs menaçants en direction de Bellatrix.

Narcissa saisit l'enveloppe violette que lui tendait Daisy, et la déchira d'un coup sec. À l'intérieur se trouvait une petite carte, toute aussi violette, sur laquelle s'étalait l'écriture désordonnée de Vera Goyle.

Nous sommes désolés pour le retard, ma chérie, ton cadeau nous donne du fil à retordre. Nous avons envoyé Cléopâtre en avance, et nous serons là très vite, en espérant qu'il reste du champagne. Il nous tarde de t'embrasser.

Avec toute notre affection,

Vera et Fergus

– Tu ne sais pas où ils sont ? demanda Narcissa à Daisy.

Mais Daisy n'avait aucune idée de ce que ses parents mijotaient, ni de la nature de ce mystérieux cadeau qui était la cause de leur retard.

Elles descendirent le double escalier du hall d'entrée, et trouvèrent Cygnus Black qui les attendait près d'une des grandes fenêtres donnant sur le jardin. En voyant son ombre imposante se découper dans la lumière du soleil, Narcissa déglutit avec difficulté. Pendant toutes les nuits qui avaient précédé son mariage, elle avait imaginé la réaction de son père, et s'était persuadée qu'il serait transporté de bonheur et de fierté. Elle avait rêvé, avec plus d'intensité que jamais, des paroles tendres qu'il lui adresserait, de la fierté et de l'affection qu'elle lirait enfin dans son regard, de la manière dont il bomberait le torse lorsqu'elle apparaîtrait à son bras, au regard entendu qu'il adresserait à Lucius lorsqu'il lui confierait sa fille – un regard qui voudrait dire « Ne fais pas de bêtises, jeune homme, ou bien tu auras affaire à moi, car je tiens à celle que tu prends pour femme comme à la prunelle de mes yeux »...

Mais malheureusement, la réalité fut toute autre. Lorsque Narcissa apparut en haut de l'escalier, Bellatrix toussota pour signaler leur présence ; Cygnus Black se retourna vers elles, et regarda Narcissa descendre les escaliers, sans qu'un seul sourire ne vienne éclairer son visage soucieux. Il semblait presque dépité de la voir aussi belle, et avait l'air gêné d'être là, ce qui lui donnait l'air plus déplacé que jamais.

Quand Narcissa s'approcha de lui, il détourna les yeux, et lui présenta son bras.

– Allons-y, dit-il, visiblement pressé d'en finir.

– Papa... Tout va bien ? s'inquiéta Narcissa.

– Mais oui, voyons, très bien. Allez, viens, tout le monde nous attend.

Narcissa sentit Bellatrix exercer une légère pression sur sa main, et sa gorge se noua encore un peu plus étroitement. Puis Daisy et Bellatrix lui lâchèrent la main pour aller tenir sa traîne, et Lidelys vint lui apporter un petit bouquet des fameuses roses blanches aux pétales bordés d'or.

– Voilà, Madame, dit l'elfe en s'inclinant respectueusement.

Narcissa prit le bouquet, et s'agrippa au bras de son père, qui regardait droit devant lui, l'air absent. Lidelys grimpa sur un siège pour taper au carreau de la fenêtre, sans doute pour donner le signal à Prunnas. Narcissa entendit l'orchestre commencer un morceau solennel, puis des raclements de chaises lui signalèrent que l'assemblée se levait. Les deux lourds battants de la porte d'entrée s'ouvrirent devant elle, et la lumière de l'extérieur pénétra abondamment dans le hall.

Un peu plus tard, lorsque Narcissa voudrait écrire dans son journal ce qu'elle avait ressenti en faisant ses premiers pas en robe de mariée devant plusieurs centaines de personnes, elle serait bien en peine de le faire, car en réalité, elle ne ressentit rien. Les émotions qui se bousculaient dans sa tête semblaient se battre entre elles, sans qu'aucune ne triomphe. Elle voyait les visages radieux se tourner vers elle, elle sentait les tiges froissées des fleurs au creux de sa paume moite et crispée, sa robe qui lui oppressait la poitrine et alourdissait chacun de ses pas, mais aucune de ces sensations ne paraissait réelle.

Elle traversa le perron de marbre noir, descendit les quelques marches en soulevant légèrement sa robe, et marcha entre les tables vides avec l'impression de flotter au-dessus du long tapis de soie blanche qui courait jusqu'à l'arche fleurie.

Elle parvint ensuite au niveau des invités qui se trouvaient dans les derniers rangs. Elle reconnut de nombreux visages : il y avait Mr Tissard et Mrs Brodette, Mr Ollivanders, Mr Eric Jentremble – le patron ventru de Fleury & Bott, des Aurors et des employés du Ministère que son père et Abraxas Malefoy avaient côtoyés. Au fur et à mesure qu'elle avançait, les invités étaient de mieux en mieux habillés, et de plus en plus hautains.

Elle aperçut les Crabbe – il était difficile, pour ne pas dire impossible, de les manquer. Piscus Crabbe avait l'air furieux, sans doute parce qu'à ses yeux, c'était son fils qui, le premier, aurait dû passer la bague au doigt d'une fille Black, et non ce maigrichon de Lucius Malefoy. Sa femme, Ursula Crabbe, usée par leurs longues années de vie commune, avait fini par ressembler à son mari : elle était aussi patibulaire et aussi imposante que lui, et avait enrobé ses hanches épaisses dans une robe brune qui lui donnait l'air d'une énorme Chocogrenouille. Elle se tenait entre ses deux fils, Hector et Rascus Crabbe, et avait posé ses mains sur leurs épaules massives. Les deux jumeaux regardaient Narcissa avec défi, tout en tenant en laisse leurs deux énormes pitbulls qui s'agitaient et bavaient sur les bottes de leurs voisins. Narcissa repensa au conseil de Bellatrix, et essaya d'imaginer les quatre Crabbe sans leurs vêtements, mais cette pensée lui parut encore plus effrayante que la réalité.

Elle passa ainsi sous les regards attentifs de tous les habitants de la Colline d'Émeraude : les Avery, les Nott, les Flint, les Selwyn, les Rosier, ainsi que tous leurs cousins, proches ou non. Elle aperçut également Eugenia Jenkins, la Ministre de la Magie, et Claudéon Bouchacour, le Président de la République Sorcière de France, qui était un grand ami d'Abraxas Malefoy.

Au troisième rang se trouvait la tante Walburga, qui regardait Narcissa avec fierté ; mais c'était une fierté mauvaise dont Narcissa ne voulait pas, qui lui signifiait qu'elle avait agi exactement comme sa tante l'avait souhaité. En passant près de Walburga, Narcissa faillit défaillir en voyant qu'elle avait eu l'audace de mettre à son cou le Collier de Charme qu’elle avait usurpé à sa mère, le jour où elle avait emmené Andromeda acheter ses premières fournitures sur le Chemin de Traverse. Narcissa raffermit sa prise sur le bras de son père, regarda Lucius qui l'attendait près de l'arche fleurie, et réussit à se retenir de sauter à la gorge de la tante Walburga devant tout le monde.

Orion était là, lui aussi, avec un volumineux médaillon en or bien en évidence sur sa poitrine, observant Cygnus avec un petit sourire en coin ; mais il s'était assis loin de Walburga, pour que personne ne remarque à quel point il était plus petit qu'elle.

Au deuxième rang, juste derrière les deux places réservées pour Bellatrix et Daisy, Carla Avery portait une robe rouge criarde. À côté d'elle, Edgar Goyle, avec qui elle était désormais fiancée, portait un costume bien trop petit pour lui et, en voyant les regards furieux qu'il adressait à Carla chaque fois que les boutons dorés entravaient sa respiration, Narcissa devina que c'était elle qui l'avait choisi pour lui, et elle se détendit légèrement en pensant que son mariage la préserverait définitivement des prétendants aussi peu désirables qu'Edgar Goyle.

À côté d'eux se tenait Juliet Selwyn, dans une superbe robe blanche qui ressemblait un peu à celle de Narcissa. C'était la seule personne de l'assemblée qui ne regardait pas la mariée : elle gardait ses yeux suppliants fixés sur Lucius, comme si elle espérait encore que celui-ci change d'avis.

De l'autre côté, juste derrière Lucius, Regulus était habillé avec une chemise blanche et un veston gris argent qui le faisait paraître plus âgé qu'il ne l'était, et Severus Rogue arborait une veste noire mal coupée et un pantalon si large qu'on aurait dit une jupe longue. Regulus adressa un grand sourire à Narcissa, Severus une petite grimace qui, venant de lui, avait à peu près la même valeur que le sourire de son voisin, et Narcissa leur sourit à son tour.

Abraxas Malefoy, enfin, était la seule personne à des kilomètres à la ronde qui ne soit pas debout. Il était assis sur le siège qui se trouvait le plus proche de Lucius, appuyé sur sa canne noire dont le pommeau argenté était sculpté en forme de tête de serpent, et scrutait alternativement Narcissa et Lucius de son regard pénétrant et glacé.

La musique de l'orchestre s'arrêta au moment précis où Narcissa et son père atteignaient Lucius, donnant ainsi l'impression que la chorégraphie avait été répétée de nombreuses fois. Cygnus Black fit un petit mouvement de tête dans la direction de Lucius, puis rejoignit sa place à côté d'Abraxas Malefoy. Les deux hommes échangèrent une discrète poignée de main, et s'assirent côte à côte.

Bellatrix et Daisy lâchèrent la traîne de Narcissa, et passèrent à côté d'elle en lui effleurant le coude pour aller s'asseoir à leurs places. Et enfin, Narcissa tourna son visage vers Lucius, qui semblait n'attendre que cela.

– Tout va bien ? lui demanda-t-il doucement. Tu es toute pâle.

Narcissa essaya de lui sourire malgré l'angoisse inexplicable qui lui nouait la gorge.

– Oui, oui, balbutia-t-elle. Je n'ai pas dormi de la nuit... L'excitation, sans doute...

– Je n'ai pas réussi à fermer l'œil non plus, voulut la rassurer Lucius. J'étais bien trop impatient.

Malgré sa nuit blanche, le visage séduisant de Lucius ne portait aucune trace de fatigue. Ses yeux brillaient, et il rayonnait de bonheur.

En face d'eux, la statue d'Armand Malefoy s'apprêtait à prendre la parole, mais une petite femme toute de rose vêtue s'agrippait à son bras pour l'en empêcher.

– Que se passe-t-il ? chuchota Narcissa à Lucius.

– L'envoyée du Ministère nous cause des problèmes, soupira Lucius avec dédain. Dans notre famille, c'est notre ancêtre qui dirige toutes les cérémonies, c'est ainsi depuis des générations... Nous sommes obligés de convier un envoyé du Ministère pour que le mariage soit reconnu, mais habituellement, ils savent se tenir, alors que cette petite femme tient absolument à prononcer les paroles d'usage elle-même...

Armand Malefoy finit par avoir raison de l'envoyée du Ministère, et l'éloigna des mariés en la repoussant du bout de sa canne de pierre.

Alors qu'Armand Malefoy prononçait un long discours de sa voix de statue, enrouée et rocailleuse, Narcissa observa un peu plus en détail l'envoyée du Ministère. Elle essaya d'estimer son âge, et supposa qu'elle avait à peu près le même âge qu'elle, ce qui signifiait que sa carrière au Ministère venait de commencer. Elle avait une silhouette trapue, une grosse tête et un cou quasi inexistant ; sa bouche large et molle et ses grands yeux ronds la faisaient ressembler à un gros crapaud ; ses cheveux châtain clair, courts et bouclés, étaient légèrement décoiffés après sa dispute avec Armand Malefoy, et la barrette rose qui s'y promenait semblait sur le point de tomber par terre. Elle portait un cardigan duveteux, tout aussi rose que le reste de ses vêtements, et avait l'air absolument furieux. Narcissa supposa qu'elle s'était vantée auprès de nombreuses personnes d'être celle qui allait diriger le mariage des Malefoy, et qu'elle devait être dépitée d'avoir été démise de ses fonctions – et par une statue par-dessus le marché.

Armand Malefoy fit un long discours ennuyeux, où il retraça toute l'histoire des Malefoy à travers les siècles, raconta de nombreuses anecdotes sur tous les mariages qu'il avait célébrés en s'emmêlant les pinceaux.

– Ahem... Où en étais-je... Lucius, aidez-moi... Je parlais de Brutus Malefoy, ou bien du grand Septimus ?

Alors que de nombreux invités commençaient à trépigner d'impatience ou à regarder en l'air, Lucius crut judicieux d'abréger le discours :

– Vous vous apprêtiez à conclure, vénérable ancêtre, dit Lucius en adressant un clin d'œil à Narcissa.

– Vraiment ? Bien, bien... Allons, dit-il d'une voix plus forte, unissons les mariés !

Narcissa entendit nettement des soupirs de soulagement dans l'assistance, et adressa un sourire reconnaissant à Lucius. Armand Malefoy se retourna et fit un signe à l'employée du Ministère, qui attendait près de l'arche fleurie, avec une expression enfantine et boudeuse sur le visage.

– Vous, approchez, je vais avoir besoin de votre baguette... Alors mettez-vous à côté de moi, et faites ce que je vous dis, ordonna-t-il. Allez, allez, plus vite que ça !

Quelques invités gloussèrent. La petite femme aux yeux de crapaud devint rouge écarlate, mais s'approcha néanmoins de Lucius et de Narcissa.

Elle se plaça face à eux, de sorte que Narcissa put voir le badge en forme de fleur épinglé sur son cardigan rose bonbon, et elle y lut le nom charmant de Dolores Ombrage.

– Je n'aime pas être traitée de la sorte, Mr Malefoy ! dit-elle à voix basse à l'intention de Lucius. C'était à moi de célébrer ce mariage ! Je suis venue de Londres pour cela, et...

– Et si vous continuez à tout faire pour gâcher le plus beau jour de ma vie, vous allez pouvoir retourner à Londres par le premier carrosse, répliqua Lucius en remuant à peine les lèvres. D'ailleurs, je vous avais demandé de porter du bleu clair, pas du rose... Rien que pour cette faute, je pourrais vous faire renvoyer du Ministère.

Lucius claqua discrètement des doigts, et la tenue de Dolores Ombrage vira immédiatement au bleu. La jeune femme ouvrit la bouche pour protester, mais Lucius la fit taire d'un geste de la main.

– Taisez-vous, et tenez-vous tranquille, ou bien vous le regretterez toute votre vie, dit Lucius avec un calme olympien et autoritaire.

Et leur échange s'arrêta là, car Armand Malefoy énonça d'une voix forte :

– Nous sommes ici pour célébrer l'union de Miss Narcissa Druella Black avec Mr Lucius Abraxas Malefoy...

– Pourquoi lui avais-tu demandé de porter du bleu ? lui demanda discrètement Narcissa.

Lucius se tourna vers elle, et lui sourit tendrement.

– Pour être assortie à tes yeux, évidemment.

Narcissa leva les yeux au ciel.

– Tu as le sens du détail, sourit-elle.

– Toujours.

Ces quelques phrases échangées renvoyèrent Narcissa à tous les instants délicieux qu'ils avaient passés ensemble – le club de Slug, les heures passées à pouffer de rire à la bibliothèque en méprisant le reste du monde, leur premier baiser en haut d'une tour du manoir, leurs longues balades sous les parafeuilles du jardin...

Elle se détendit un peu, et l'expression furieuse de Dolores Ombrage la réconforta d'autant plus.

– Procédons à l'échange des vœux, les interrompit Armand Malefoy.

Lucius prit doucement la main de Narcissa, et ils présentèrent leurs deux mains enlacées devant la jeune femme. De mauvaise grâce, Dolores Ombrage pointa sa baguette sur leurs poignets, et un lien blanc et scintillant vint s'enrouler autour de leurs mains.

– Répétez après moi, mon ami, dit la voix rocailleuse d'Armand Malefoy.

Lucius reporta son attention sur la statue de son ancêtre. Il s'éclaircit discrètement la gorge, et répéta d'une voix claire, sans défaut, les phrases que lui dictait son ancêtre.

– Ici, Narcissa, je te prends pour femme... Pour le beau et le laid, le meilleur et le pire... Et je promets de t'aimer... Dans la gloire et dans la déchéance, dans la fortune et la ruine... Jusqu'à ce que la mort nous sépare, et pour tout ceci j'engage ma parole.

Narcissa lui enviait son assurance sereine. Elle se demanda s'il avait déjà douté, lui, mais absolument rien n'indiquait que c'était le cas. Elle se demanda ce qu'elle avait fait pour mériter une telle affection, et réalisa une nouvelle fois à quel point celle-ci lui était précieuse.

– Miss Narcissa Druella Black... Acceptez-vous les vœux de Mr Lucius Abraxas Malefoy ici présent ?

Narcissa entendait la multitude respirer derrière elle, mais sa présence, si pesante quelques instants auparavant, ne lui importait plus. Lucius lui adressa un beau sourire, qui leur promettait de longues années de bonheur. Quand il la regardait ainsi, toutes les craintes de Narcissa s'évanouissaient comme par magie. Et de toute manière, il était trop tard pour avoir peur, se dit-elle avec résolution.

– Oui, je les accepte, dit-elle.

– Et jurez-vous, à votre tour, de lui retourner ces vœux, jusqu'à ce que la mort vous sépare ?

Narcissa serra la main de Lucius un peu plus fermement.

– Oui, je le jure, s'entendit-elle prononcer avec assurance.

Le scintillement du lien argenté qui unissait leur deux mains s'accentua, puis disparut.

– Au nom de la loi, de la grandeur des sorciers et de tous vos vénérables ancêtres, je vous déclare mari et femme, conclut Armand Malefoy. Vous pouvez vous embrasser !

Et d'un même mouvement, Lucius et Narcissa se tournèrent l'un vers l'autre. Lucius se pencha légèrement, Narcissa tendit le cou, et ils s'embrassèrent. En ouvrant les yeux, ils se regardèrent en riant, tous les deux surpris par leur propre bonheur, puis s'embrassèrent à nouveau. La musique retentit à nouveau au-dessus de l'assemblée, rapidement couverte par les applaudissements enthousiastes et les exclamations joyeuses. De nombreux invités pointèrent leurs baguettes vers le ciel, et firent pleuvoir sur eux des confettis dorés et des pétales de roses, qui s'accrochaient dans les cheveux de Narcissa et s'accumulaient sur leurs épaules. Les roses blanches qui étaient accrochées aux sièges se métamorphosèrent en colombes qui s'envolèrent au-dessus de l'ovation que leur donnait la foule de convives.

Narcissa se sentit soulagée d'un énorme poids. Tout s'était bien passé, et elle se dit que c'était de bon augure pour leur vie commune. Dans l'assemblée qui les acclamait, elle essaya de ne pas regarder son père, mais plutôt les mines défaites des Crabbe, de Carla Avery et de Juliet Selwyn.

Après la cérémonie, le banquet commença, plus fastueux que jamais. Les elfes Prunnas et Lidelys s'étaient surpassés : on mangea du foie d'hippogriffe, des huîtres, de la viande d'occamy à la sauce aux airelles, des faisans cuits à la broche, de la truffe, du vin et du fromage fraîchement livrés depuis la France, des Flavirs Argentés, des Savorines, des dragées, des fruits rouges, des choux à la vanille, de la glace, et ce, durant tout l'après-midi.

Pour plus de tranquillité, on présenta aux enfants qui étaient présents une antilope aux longues cornes d'or et on promit son poids en friandises à celui qui l'attraperait. Les enfants se consacrèrent donc pleinement à cette mission avec enthousiasme, et on ne les vit pas de tout le banquet ; on devinait seulement leur présence grâce aux cris d'excitation qui résonnaient derrière les haies d'ifs.

Au fur et à mesure du banquet, Narcissa commença à sentir l'angoisse la rattraper de nouveau. À plusieurs reprises, elle surprit quelques personnes – surtout des femmes, et surtout celles qui étaient proches de Carla et de Juliet – en train de la regarder de travers, avec une moue désapprobatrice ou un sourire moqueur. De même, et c'est ce qui l'incommodait le plus, elle surprit son père en train de lui jeter des regards en coin, en se détournant précipitamment lorsqu'elle croisait son regard. Tous les invités qui se relayaient pour la féliciter lui donnaient le tournis, et elle avait de plus en plus de mal à leur répondre de façon pertinente. Elle aurait voulu que Lucius la regarde à nouveau comme il l'avait regardé devant l'arche fleurie, mais il était occupé à serrer des mains et à surveiller le bon déroulement du banquet.

Deux heures après le commencement du repas, elle remarqua que son père n'avait quasiment rien mangé, et gardait la mine sombre ; elle prit son courage à deux mains, et se décida à aller le voir. Elle s'excusa donc auprès de la énième personne qui venait la congratuler, et alla s'asseoir auprès de lui.

– Ah, Narcissa, te voilà, dit son père en évitant soigneusement de la regarder dans les yeux.

– Papa, vous êtes bien songeur...

– Oh, je... Oui, sans doute...

Et il entreprit de s'essuyer les mains dans sa serviette, bien qu'elles fussent parfaitement propres.

– Vous ne m'avez même pas dit ce que vous pensiez de Lucius, dit Narcissa à voix basse afin qu'Abraxas Malefoy ne les entende pas.

Son père jeta un coup d'œil à Abraxas, très occupé à parler affaires avec deux hommes que Narcissa ne connaissait pas, mais qu'elle avait vu glisser des pièces d'or dans la main du maître des lieux. Puis le regard de Cygnus se posa sur Lucius, entouré par une foule de convives qui lui tapaient sur l'épaule en regardant de temps à autre vers Narcissa avec satisfaction.

– Il est charmant, dit Cygnus Black. J'aurais aimé que tes sœurs prennent exemple sur toi.

Et il retomba dans son mutisme, tout en suivant des yeux Bellatrix qui réprimandait sévèrement Rodolphus Lestrange après que celui-ci ait effleuré son décolleté.

– Quel gâchis, marmonna-t-il.

– Qu'est-ce qui vous rendrait le sourire ? essaya encore Narcissa, qui commençait à sentir sa gorge se nouer à nouveau.

– Rien que tu puisses me procurer, hélas, répondit aussitôt Cygnus Black d'un ton sec.

Narcissa s'agrippa un peu plus solidement à ses accoudoirs pour prendre son courage à deux mains, et se lança :

– Je pensais à autre chose... Je pensais... Puisque Maman n'est plus là... Voulez-vous venir habiter ici ?

Cygnus sursauta, et la regarda avec de grands yeux ronds.

– La vie y est plus agréable qu'au square Grimmaurd... Il y a deux elfes de maison, et de nombreuses chambres... Et au moins, nous serons ensemble, poursuivit Narcissa, suppliante.

– Je ne peux pas accepter, décréta Cygnus, catégorique.

Aussitôt, Narcissa sentit des larmes de colère et de tristesse lui monter aux yeux. Pourquoi refusait-il ainsi d'être fier d'elle ? Et pourquoi ignorait-il obstinément toutes les mains qu'elle lui tendait ? Narcissa essaya de se souvenir d'une seule fois où il l'aurait félicitée, mais maintenant qu'elle y pensait, il lui semblait que son père ne lui avait jamais adressé le moindre compliment.

Son père sembla remarquer sa détresse, et tenta d'expliquer :

– Je ne peux pas laisser Walburga.

– Walburga ? C'est donc elle qui vous retient loin de moi ? Est-ce elle qui vous a empêché de répondre à mes lettres ?

– Non, j'ai bien reçu tes lettres. Mais... J'étais trop occupé pour y répondre.

– Occupé ? Mais occupé à quoi, exactement ? Vous n'avez plus de travail, n'avez jamais eu d'amis...

Narcissa commençait à parler un peu trop fort, et plusieurs regards se tournèrent vers eux. Son père lui sourit avec un air désolé, puis déclara avec gravité :

– Écoute, Narcissa... Il y a quelque chose que je dois te dire...

– Narcissa, tu es là, dit une voix grinçante juste à côté d'elle.

Carla Avery venait de s'asseoir sur la chaise voisine, rapidement imitée par Juliet Selwyn. Narcissa ne sut pas dire si elle leur en voulait d'avoir interrompu la confidence de son père, ou bien si elle leur était reconnaissante d'avoir fait cesser ce dialogue particulièrement désagréable.

Les deux jeunes femmes portaient des robes flambant neuves, respectivement rouge et blanche, des gants et des éventails assortis. Carla avait poudré ses joues, ce qui faisait ressortir ses pommettes saillantes et son front extraordinairement large. Juliet, quant à elle, clignait des yeux sans cesse pour mettre en valeur ses grands cils et ses yeux verts, entortillait des mèches de ses cheveux blonds autour de son doigt et se caressait la joue pour souligner la forme ravissante de son visage. Durant quelques instants, Narcissa se sentit écrasée par les deux jeunes femmes si apprêtées ; puis elle les revit en train de s'étrangler de jalousie à la bibliothèque de Poudlard, pendant que Lucius lui expliquait si patiemment les cours de Potions, et se rappela que c'était elle qui avait su séduire Lucius, mieux que toutes les pimbêches qui étaient présentes.

– Alors, tu passes une bonne journée ? lui demanda Carla.

Narcissa la connaissait assez bien pour savoir que derrière chacune de ses questions se cachait une mauvaise intention, et qu'il ne fallait jamais rien lui montrer de ses faiblesses.

– Elle ne pourrait pas être meilleure, répondit-elle donc avec tout le naturel dont elle était capable.

Mais Carla et Juliet échangèrent un regard amusé, et Narcissa sentit son assurance fondre comme neige au soleil.

– Je suis heureuse que tu en profites malgré tout, susurra Juliet.

Narcissa ignorait ce qu'elle sous-entendait par malgré tout, mais refusa de lui donner la satisfaction de poser la question.

– Moi aussi, Juliet, je suis vraiment très heureuse que tu profites de la journée. Je sais que tu aimais beaucoup Lucius, et que tu as toujours espéré l'épouser. Mais je suis soulagée de voir que tu as fini par entendre raison, et que tu acceptes la situation avec autant de sagesse.

Juliet rosit légèrement, et s'éventa un peu plus rapidement. Carla roula des yeux furieux, et repartit à l'attaque :

– En tout cas, je tenais à te complimenter, car je trouve que tu fais preuve d'un sang-froid exceptionnel. Moi, si j'étais à ta place, je pense que je n'oserais plus me montrer en public.

Narcissa remarqua que plusieurs personnes, autour d'elle, continuaient à la regarder avec une insistance désagréable, et sentit le feu lui monter aux joues.

– Elle n'est pas au courant ! gloussa Juliet Selwyn avec un étonnement ravi. Je n'arrive pas à y croire ! Pourtant, depuis hier, tout le monde ne parle que de ça !

Alors que Narcissa s'apprêtait à leur faire manger leurs éventails, il se passa deux choses tout à fait inattendues. Premièrement, Cygnus Black, qui était resté silencieux jusqu'ici, mais qui avait tout entendu, se leva de toute sa hauteur et pointa un index menaçant sur Carla Avery et Juliet Selwyn :

– Je trouve votre comportement extrêmement désagréable, jeunes filles ! s'écria-t-il de sa voix de tonnerre que Narcissa n'avait plus entendue depuis de longues années. Et je vous prie de présenter vos excuses à ma fille, ou bien de FICHER LE CAMP !

Il y eut alors un long silence, pendant lequel Cygnus Black sembla lui-même surpris par ses propres paroles. Tous les regards se tournèrent vers eux, et Narcissa vit Lucius fendre la foule pour se rapprocher, l'air inquiet. Mais avait qu'il ne les rejoigne, un autre cri déchira le silence – un cri de terreur, rapidement rejoint par des dizaines d'autres.

Narcissa vit une grande ombre noire parcourir le jardin, puis des index se pointer vers le ciel. Elle leva les yeux, et vit deux formes ailées, obscures et énormes, se détacher dans le ciel. Elles tournoyaient autour du manoir, tout en descendant progressivement ; et plus leur altitude diminuait, plus leur taille semblait considérable. Narcissa prit immédiatement son père par le bras, et voulut l'entraîner vers le manoir.

– Papa, rentrons, dit-elle.

Les invités eurent la même idée qu'elle, et se ruèrent vers le manoir pour s'y abriter, sauf Lucius, qui avançait vers Narcissa à contre-courant de la foule, et Daisy, qui essayait de calmer la panique ambiante. Également, Bellatrix, Rodolphus Lestrange, Regulus et Severus Rogue n'étaient pas effrayés le moins du monde, et s'étaient mis à l'écart pour observer le spectacle fascinant des deux énormes créatures qui volaient majestueusement dans le ciel.

– Des dragons ! Ce sont des dragons ! cria quelqu'un, déclenchant un nouveau vent de panique.

L'une des créatures descendit en piqué vers le manoir, se redressa juste avant de s'écraser sur le toit de tuiles, passa au ras de la foule d'invités qui se baissa d'un même mouvement, et se posa au bout de l'allée de graviers blancs, entre l'imposant portail en fer forgé et le socle de la grande statue d'Armand Malefoy – qui s'était mystérieusement volatilisé dès que les premiers cris de terreur avaient retenti. Le sol trembla lorsque les pattes puissantes de la créature rencontrèrent le sol, soulevant des gerbes de terre et de graviers blancs. La deuxième créature atterrit derrière la première en battant de ses énormes ailes, poussant un rugissement qui résonna pendant plusieurs secondes dans le silence de la campagne environnante, et qui força la plupart des invités à plaquer leurs deux mains sur leurs oreilles.

Narcissa et son père s'arrêtèrent malgré eux pour admirer le spectacle. Il s'agissait en effet de dragons, il n'y avait aucun doute possible. Leur peau sombre et brillante semblait faite de roche, tout comme les crêtes écaillées et acérées qui recouvrait leur dos, l'arrière de leurs pattes, et leur couronnait la tête. Leurs griffes puissantes frappaient le sol avec un bruit de tonnerre, et leurs ailes immenses, semblables, dans leur structure, à celles des chauve-souris, peinaient à trouver leur place dans un endroit aussi restreint. Les écailles du premier portaient des reflets verts, il portait une pierre sur le front de la même couleur, et son poitrail et ses deux grands yeux étaient tout aussi verts ; en revanche, le deuxième arborait des reflets, un poitrail, une pierre sur le front et des yeux d'une belle couleur violette. Ils n'avaient rien en commun avec les reptiles séquestrés et mutilés qui se trouvaient à l'arrière du manoir des Malefoy : ils étaient en pleine santé, gonflés de vigueur et de puissance.

Aussi effrayants fussent-ils, Narcissa ne parvenait pas à détacher son regard de ces deux dragons et de leurs mouvements étonnamment souples et majestueux. Le spectacle de cette peau rocheuse qui se mouvait avec fluidité et glissait sur leurs muscles puissants avait quelque chose de fascinant.

Narcissa vit plusieurs baguettes se pointer sur eux, et s'interposa aussitôt :

– Arrêtez ! Arrêtez ! ordonna-t-elle.

– Poussez-vous, Narcissa ! lui lança la voix autoritaire d'Abraxas Malefoy. Il faut neutraliser ces monstres !

– Non ! Regardez un peu qui est assis dessus !

Un rire joyeux et inimitable vint appuyer la remarque de Narcissa. Et au milieu de cet enchevêtrement de muscles et d'écailles, sur le dos du dragon vert, qui avait atterri le premier, elle distingua enfin la silhouette élancée de Vera Goyle, et, sur le deuxième, celle de son mari, Fergus.

Vera administra une petite tape sur le dos de sa monture. Narcissa se demanda comment une créature aussi énorme pouvait ressentir un signal aussi négligeable qu'une petite tape dans le dos, mais elle vit avec stupéfaction le dragon courber l'échine et s'incliner docilement sur le côté. Vera glissa avec agilité le long de son flanc, atterrit sur la racine de son aile et sauta sur le sol, suivie par un petit ravluk vert ailé qui vint se poser sur son épaule.

Vera prit un instant pour caresser la tête de sa gigantesque monture, qui se frotta contre elle avec affection en manquant de la faire tomber. Puis Vera releva sur son front ses grosses lunettes d'aviateur, balaya du regard la foule d'invités tétanisée, et leur adressa un charmant sourire assorti d'une profonde révérence.

– Veuillez nous excuser pour notre léger retard, déclara-t-elle en se redressant, avant de s'avancer dans l'allée de graviers blancs.

Évidemment, il n'était venu à l'esprit de personne de reprocher quoique ce soit aux deux époux Goyle. Narcissa ne put résister à l'envie de courir à la rencontre de Vera ; elle se détacha donc de la foule d'invités, et alla lui sauter au cou, au milieu des chaises et des tables renversées.

– Ma filleule adorée, dit Vera en la serrant dans ses bras. Comment vas-tu ?

– Parfaitement bien, surtout maintenant que tu es là, soupira Narcissa.

Daisy accourut à son tour, l'air aussi éberlué que tous les autres.

– Maman ! s'exclama-t-elle. Ils sont magnifiques !

– N'est-ce pas ? Ce sont des Rocheux Irlandais. C'est une espèce inoffensive, mais tellement... Attachante ! Ils ont tout juste deux ans, ils viennent d'atteindre leur taille adulte !

– Alors, tous ces allers-retours en Irlande, ça n'était pas seulement pour étudier des dragons, sourit Daisy.

– En effet, en effet, admit Vera. Lors de notre première expédition, en nous promenant près de la falaise, nous avons trouvé deux dragonneaux, gros comme des petits chiens, et surtout très mal en point ! Leur mère a dû égarer leurs œufs dans une grotte, ou bien faire une mauvaise chute dans les falaises... Enfin, quoiqu'il en soit, nous les avons soignés et nourris, et au bout de quelques jours, ces petits chérubins étaient remis sur pied et ne voulaient plus nous quitter !

Narcissa trouva amusant de qualifier de petits chérubins des créatures qui étaient capables de réduire en cendres des villes entières, mais les Goyle avaient l'habitude de donner des surnoms affectueux à n'importe quel animal, même si celui-ci était repoussant ou dangereux.

– Mais pourquoi avoir fait autant de mystères, au lieu de m'expliquer ? demanda Daisy.

– Nous voulions te faire la surprise, ma chérie ! Je voulais te raconter tout ça cet été, mais lorsque nous avons appris que Narcissa allait se marier... Nous avons décidé de garder le secret quelques mois de plus !

Vera se retourna vers les deux dragons. Fergus Goyle avait visiblement du mal à les maîtriser : les deux dragons remuaient dans tous les sens, le dragon vert était en train de grignoter affectueusement sa cape, et le mauve venait de carboniser le bout de son chapeau pointu.

– Comme ils sont beaux, dit Vera avec affection.

– Oh oui, vraiment superbes, dit une voix glaciale derrière leur dos.

Abraxas Malefoy s'approchait d'elles en s'appuyant sur sa canne, enveloppé dans un long manteau noir destiné à camoufler sa maigreur. Comme d'habitude, son manteau était fermé jusqu'au col par deux rangées de boutons argentés, et le blason de la famille Malefoy étincelait sur sa poitrine, brodé de fils d'argent.

– Abraxas ! le salua joyeusement Vera. Tu as daigné sortir de ton donjon ?

– J'y suis bien obligé, puisque mon fils se marie.

Narcissa n'avait jamais entendu quelqu'un parler de mariage avec un ton aussi dépourvu de joie. En le voyant s'approcher de Vera, elle fut frappée par le contraste saisissant qu'il y avait entre elle et Abraxas. Ce dernier semblait sortir d'une photographie en noir et blanc, alors que Vera portait une longue cape de cuir violet et un pantalon de plumes orange ; l'éclat cuivré des longs cheveux de Vera et les innombrables taches de rousseur qui constellaient ses joues rosies par le vent semblaient narguer la pâleur désolante d'Abraxas Malefoy et les cheveux blancs comme neige qui parsemaient son crâne. Les voir dialoguer côte à côte rendait la froideur d'Abraxas encore plus glaçante qu'à l'accoutumée, et l'exubérance de Vera involontairement provocante.

De sa canne, Abraxas désigna les deux dragons :

– J'imagine que tu es fière de toi, Vera, tu as brillamment accaparé toute l'attention sur ta petite personne. Ce jour appartient aux deux mariés, et ça n'est pas aux invités de se donner en spectacle !

– Moi, me donner en spectacle ? protesta Vera sur un ton enjoué. Allons, Abraxas, ça n'est pas du tout mon genre...

– Sais-tu qu'il est absolument interdit d'apprivoiser des dragons, et a fortiori de les chevaucher ? As-tu conscience du nombre considérable de lois que tu as enfreintes, en venant jusqu'ici sur le dos de ces... De ces deux monstres ?

– Abraxas, mon bon ami... Tout le monde sait que les règles sont faites pour être transgressées, comme les portes sont faites pour être franchies !

– Sans compter tous les territoires moldus que tu as sûrement survolé pour venir jusqu'ici ! As-tu une idée des ennuis que tu vas nous attirer, avec tes idioties ?

– Ne t'en fais pas pour ça, je leur ai jeté un Sortilège de Désillusion ! Les Moldus n'ont vu aucun dragon survoler leurs villages, seulement deux avions de chasse ! Si quelqu'un doit avoir des ennuis après ça, ce ne sera certainement pas nous, mais la base militaire voisine !

Et elle sourit encore plus largement, très fière de sa petite combine. Derrière elle, les dragons se désintéressèrent de son mari pour trouver d'autres distractions. Le dragon vert se mit à renifler l'if le plus proche, et celui-ci dut lui chatouiller les narines, car il cracha une énorme gerbe de feu qui enflamma l'arbre et le transforma en une gigantesque torche. Quant au dragon violet, que ses acrobaties semblaient avoir mis en appétit, il se glissa vers la lisière de la forêt. Narcissa eut tout juste le temps d'apercevoir l'antilope aux cornes d'or qui broutait tranquillement, ravie d'être débarrassée de la ribambelle d'enfants qui lui avait couru après tout l'après-midi.

– Oh non ! La bibiche ! cria une petite voix aiguë parmi les invités.

Avec une agilité et une rapidité stupéfiante, le dragon fondit sur l'antilope, ouvrit sa gueule et la referma d'un coup sec sur le pauvre animal. Il mastiqua pendant quelques secondes, puis recracha fièrement quelques ossements parfaitement nettoyés, et plusieurs enfants se mirent à pleurer.

– Oh, vraiment désolée, dit Vera en se retenant de rire. Je te prêterai Albert, il fera repousser ton arbre en un rien de temps. En revanche, pour l'antilope, j'ai bien peur qu'il ne soit trop tard...

– Assez, la coupa Abraxas. Tu vas repartir immédiatement, en emmenant ces deux monstruosités avec toi ! J'en ai assez de tes fanfaronnades, Vera !

– Mais ça n'est pas une fanfaronnade, protesta Vera d'une voix forte. C'est un cadeau de mariage !

Abraxas tressaillit de surprise, et un murmure d'excitation parcourut l'assistance.

– Un cadeau ? répéta Narcissa, incrédule.

– Un pour ma fille, un pour ma filleule, affirma Vera. Balaur est pour Narcissa, dit Vera en désignant le dragon vert qui avait brûlé l'if, et Ramia est pour Daisy, ajouta-t-elle en désignant la dragonne violette qui avait mangé l'antilope aux cornes d'or. Venez, mes chéries, je vais vous présenter vos nouveaux compagnons !

Elle prit Daisy et Narcissa par les épaules et les entraîna vers les deux dragons, sous les regards éberlués de l'assistance, tandis qu'Albert tirait la langue à Abraxas Malefoy.

– Maman, c'est vrai ? murmura Daisy, au comble de l'excitation. Ils sont pour nous ?

– Absolument.

Narcissa tendit sa main à Lucius, de peur que celui-ci ne se sente mis de côté. Mais il n'avait pas l'air d'être jaloux du tout, même s'il jetait des regards inquiets à son père qui continuait de les fixer.

– Je ne pensais pas que tu les amènerais aujourd'hui, Vera, dit-il, légèrement embarrassé. Je m'attendais à un cadeau, disons, plus... confidentiel.

– Tu étais au courant ? s'étonna Narcissa, stupéfaite.

– Bien sûr qu'il était au courant ! rit Vera. Je voulais m'assurer que ça te plaise.

– Ce sera le tien aussi, assura Narcissa à Lucius. Nous pourrons nous en occuper ensemble.

– Avec plaisir, sourit ce dernier. Mais pas un mot à mon père, ou bien il se l'appropriera en moins de temps qu'il n'en faut pour le dire. S'il pense que le dragon n'obéit qu'à toi, il osera peut-être moins s'en approcher.

– Je lui expliquerai que les Rocheux Irlandais n'obéissent qu'à une seule personne, promit Vera. Et puis, il serait rapidement déçu de leur utilité, ce sont des bêtes totalement inoffensives !

Daisy, à son tour, s'inquiéta de blesser un autre orgueil masculin :

– Edgar ne risque pas d'être jaloux ?

– Oh, tu sais bien, ton frère a une peur bleue de tout ce qui est plus gros que lui, répondit Vera. J'en ai déjà discuté avec lui, et il a admis qu'il serait incapable de s'en occuper.

– C'est plutôt Carla qui va en crever de jalousie, remarqua Narcissa, en souriant malgré elle.

– C'est ce qui m'a convaincue d'agir ainsi, rit Vera avec un clin d'œil appuyé.

Sur l'épaule de Vera, Albert mima un haut-le-cœur et fit une horrible grimace. Narcissa savait depuis longtemps que Vera ne portait pas sa future belle-fille dans son cœur, et son petit ravluk l'avait très bien compris.

Au fur et à mesure qu'ils s'approchaient des dragons, ils sortaient progressivement du champ d'action du Sortilège de Réchauffement que Lidelys avait installé autour du manoir, et Narcissa commença à frissonner sous sa robe de dentelle.

En apercevant Vera, les deux dragons cessèrent d'embêter Fergus Goyle et de mâchouiller les branches de l'if calciné, et se rassemblèrent autour d'elle.

– Venez là, mes petits anges... Narcissa, tu commences.

– Euh... Comment ça ?

– Balaur, viens ici, ordonna Vera d'une voix douce au dragon vert.

Le dragon aux reflets violets s'écarta, et le vert s'approcha majestueusement. Il replia ses pattes et inclina sa tête vers eux, jusqu'à ce que sa mâchoire inférieure effleure le sol et que ses grands yeux verts se trouvent à la même hauteur que ceux de Narcissa, qui fut surprise de constater que le regard du dragon ne portait aucune trace de malveillance, et qu'il était étonnamment espiègle et curieux. Lorsque le dragon respirait, Narcissa pouvait sentir son souffle brûlant chasser l'air glacé qui l'entourait et lui ébouriffer les cheveux.

– Tu vois la bosse qu'il a, entre les deux yeux ? Vas-y, caresse-le à cet endroit... N'aie pas peur...

– Je n'ai pas peur, répondit aussitôt Narcissa.

Et c'était vrai : le dragon ne manifestait aucun signe d'agressivité, et Narcissa ne ressentait aucune appréhension. Avec un geste lent mais assuré, elle tendit la main vers la bosse verte qui se trouvait entre les deux yeux du dragon. Au vu de l'aspect rocheux de la peau de la créature, Narcissa s'attendait à toucher quelque chose de râpeux et d'acéré ; mais à sa grande surprise, la peau du dragon était douce comme du velours, et chaude comme le perron de marbre noir à la fin d'une journée ensoleillée. Dès que sa paume entra en contact avec la bosse, Narcissa ressentit quelque chose d'étrange : il lui sembla que tous les sons autour d'elle s'étaient évanouis, que Lucius, Daisy et Vera se trouvaient derrière un mur d'eau, et qu'elle était absolument seule avec le dragon. Des battements de cœur résonnaient à ses oreilles, mais ça n'était pas les siens, Narcissa en était certaine, ils étaient plus lents, plus profonds. Elle décrivit des petits cercles sur la bosse, et se plongea dans les yeux du dragon, de grands yeux verts et mouvants, avec des pupilles verticales. Immédiatement, elle eut l'impression que Balaur ressentait tout ce qu'elle ressentait, de la texture pierreuse des graviers sous ses pieds à la main de Lucius sur son épaule, en passant par toutes les joies et toutes les peines qui livraient bataille dans son cœur. Et aussitôt, l'angoisse qui l'étouffait depuis le début de la journée desserra son étreinte, comme par magie.

– Il est magnifique, murmura-t-elle, émue.

Le dragon émit un bruit qui ressemblait à une exclamation joyeuse, et il agita sa queue puissante avec enthousiasme, écrasant au passage une des colonnes de pierre qui encadrait le portail et arrachant l'un des battants.

– Oups ! s'exclama Narcissa en retirant aussitôt sa main.

Le dragon s'ébroua, manifestement ravi d'avoir trouvé une nouvelle maîtresse. Il releva légèrement la tête, et donna un coup de langue vigoureux à Narcissa – une langue rugueuse et puissante, qui déchira sa robe de dentelle et lui érafla le bras.

– Balaur ! gronda Vera. J'avais dit, pas de léchouilles !

Le dragon émit un gémissement désolé, et, sur l'épaule de Vera, Albert fit les gros yeux et bomba son torse pour l'impressionner. Lucius se précipita pour examiner le bras de Narcissa, mais elle le rassura aussitôt : elle n'éprouvait aucune douleur, simplement une sensation de chaleur intense là où Balaur l'avait éraflée.

– Bon, c'est très bien ! s'exclama Vera en lui tapant sur l'épaule. Et maintenant, monte sur son dos !

– Pardon ?

– Si si si, j'insiste ! C'est essentiel pour que tu l'apprivoises complètement !

Comme si Balaur avait compris ces paroles, il se tourna sur le côté, et inclina son cou vers Narcissa.

– Euh... Est-ce bien prudent ? demanda Lucius, qui ne semblait pas enchanté par l'idée de voir Narcissa grimper sur le dos d'une créature qui était capable de la tuer d'un simple faux mouvement.

Narcissa regarda le flanc du dragon, indécise. Monter sur le dragon ne lui paraissait pas une idée très raisonnable. Elle pourrait déchirer sa robe, ou bien se tordre la cheville. Mais avait-elle vraiment envie d'être raisonnable ?

– Pense à la tête de Carla et de Juliet quand elles te verront là-haut, lui souffla Daisy.

Cette perspective fit pencher la balance du côté de l'intrépidité. Narcissa se débarrassa de sa longue traîne et de son voile, et s'approcha de Balaur, qui poussa une exclamation excitée. Elle empoigna deux piquants qui hérissaient son flanc, retira ses escarpins, cala son pied dans l'étrier que formait Vera avec ses mains, et se hissa sur l'aile du dragon, qui semblait mobiliser toute sa concentration pour rester sagement immobile. Elle adressa un sourire rassurant à Lucius, qui n'en menait pas large. Puis elle se tourna vers le dos du dragon, au-dessus d'elle, et aperçut un endroit où sa crête acérée s'interrompait – un endroit idéal pour s'asseoir confortablement. Elle effectua le reste de l'ascension sans difficulté, et s'installa à califourchon sur le dos de Balaur.

La morphologie du dragon offrait des prises très confortables. Les pieds de Narcissa étaient parfaitement calés sur deux larges plateformes écaillées ; sous elle, la peau du dragon semblait s'être naturellement aplatie pour l'accueillir confortablement, et devant elle se dressaient deux pics écaillés tout indiqués pour s'y agripper fermement. La seule chose qui la gênait était sa robe étroite, qui commençait à se fendre sur le côté. Après un instant d'hésitation, elle tira fermement dessus ; la robe se fendit jusqu'en haut de sa cuisse, et elle put s'installer plus commodément, un grand sourire aux lèvres. Ses mains étaient écorchées, ses bas étaient filés, mais elle se sentait parfaitement bien.

– Tu peux redescendre maintenant, si tu le souhaites, cria Vera cinq mètres plus bas. Ou bien, tu peux lui demander de s'envoler !

Pardon ? s'étrangla Lucius.

Balaur perçut immédiatement l'excitation que Narcissa ressentit à cette idée. Il se redressa pour éprouver la stabilité de sa cavalière, et regarda derrière son épaule pour chercher son assentiment. Narcissa lui adressa un petit signe de tête, et Balaur hocha la sienne, visiblement ravi.

– Reculez ! ordonna Vera en tirant Fergus, Lucius et Daisy en arrière.

Balaur regarda autour de lui. Tout en hérissant tous les pics écaillés qui recouvraient son corps puissant, il poussa un rugissement de défi en direction des invités, qui reculèrent tous d'un pas, et Narcissa éclata de rire. Balaur se retourna à nouveau vers elle, et il lui sembla qu'il lui faisait un clin d'œil ; puis il déploya ses ailes immenses, frappa le sol avec force en soulevant une nouvelle gerbe de terre et de graviers blancs. Narcissa se cramponna de toutes ses forces aux pics écaillés qu'elle tenait dans ses mains, et le dragon s'envola en achevant de détruire le portail en fer forgé.

Balaur s'éloigna du sol à une vitesse stupéfiante. Au début, Narcissa n'osait pas regarder vers le bas. Le vent glacé de l'hiver sifflait dans ses oreilles et lui brûlait les joues. Elle était arc-boutée sur l'encolure de son dragon, ses jambes crispées autour de son dos puissant. Puis, progressivement, en constatant qu'elle était parfaitement stable, elle se détendit progressivement. Et alors qu'elle relâchait lentement sa prise, elle se mit à ressentir ce qu'elle avait ressenti en touchant la pierre verte qui se trouvait sur le front de son dragon : à nouveau, Balaur semblait lire dans ses pensées, et Narcissa dans les siennes. Ainsi, en regardant l'horizon, les champs alentours qui ressemblaient à des pièces de tissu cousues entre elles, les rubans lumineux que formaient les routes dans la lumière du soleil couchant, elle ne ressentit aucune peur, comme si elle aussi savait parfaitement voler. Narcissa avait l'impression de diluer ses inquiétudes dans l'insouciance que son dragon lui transmettait, et tous les questionnements qui tournoyaient dans sa tête semblaient avoir été balayés par le vent qui soufflait dans ses cheveux.

Au bout de quelques minutes, elle entendit un bruit énorme s'approcher d'elle :

– Cissy !

Daisy avait à son tour enfourché Ramia, sa dragonne violette, et effectuait déjà des boucles et des piqués avec une aisance stupéfiante. Elle passa au-dessus de Narcissa, puis en-dessous, et les deux dragons tournoyèrent l'un autour de l'autre en poussant des rugissements joyeux.

Les deux amies passèrent au-dessus d'un village, et virent des Moldus agiter des drapeaux anglais pour saluer ce qu'ils pensaient être une patrouille militaire. Narcissa ne put s'empêcher de sourire en pensant à la réaction des Moldus s'ils s'apercevaient qu'ils saluaient deux dragons chevauchés par des jeunes femmes en robe de gala.

Lorsqu'elle atterrit, ivre de bonheur, la nuit était déjà tombée. Prunnas et Lidelys avaient suspendu un peu partout de superbes guirlandes lumineuses et des lampions qui éclairaient le manoir et le jardin d'une douce lueur réconfortante. Daisy était déjà redescendue, et quelques invités avaient surmonté leur peur pour s'approcher de Ramia. Vera faisait de grands gestes avec sa baguette pour remettre sur pied le portail en fer forgé, et Albert était perché sur l'if carbonisé, dont les feuilles commençaient déjà à repousser. Narcissa aperçut Carla et Juliet qui se tenaient piteusement à l'écart. Leurs éventails étaient cassés, leurs coiffures défaites, et Narcissa en fut ravie.

Lucius s'approcha avec une grosse couverture, et la posa sur ses épaules. Il paraissait immensément soulagé que Narcissa soit de retour sur la terre ferme.

– On dirait que tu as chevauché des dragons toute ta vie, dit-il avec une pointe d'envie dans la voix.

Radieuse et emportée par l'euphorie, Narcissa lui sauta au cou et l'embrassa tendrement. Autour d'eux, les invités applaudirent, toujours légèrement tendus mais enthousiastes.

– Je t'apprendrai, c'est promis, lui souffla-t-elle à l'oreille.

Vera s'approcha d'eux, retira son chapeau orange vif, en sortit une petite boîte carrée couverte d'écailles et la lança à Narcissa, qui faillit manquer de la rattraper.

Narcissa ouvrit la boîte et en sortit un sifflet brillant qui lui renvoyait de beaux reflets verts.

– Daisy en a un autre, tout à fait semblable, dit Vera. J'ai dressé vos dragons pour suivre le son de ces sifflets. Dès que tu voudras voir Balaur, tu n'auras qu'à souffler dedans, et quelle que soit la distance à laquelle il sera, je te promets qu'il te trouvera... Je te conseille donc d'éviter de siffler quand tu es à l'intérieur du manoir, Abraxas n'apprécierait pas !

Elle rit et vint embrasser Narcissa.

– Profite bien de ton mariage, lui dit-elle.

– Tu pars déjà ?

– Je vais ramener les dragons sur la côte. Abraxas est totalement hystérique.

Elle rit à nouveau, et serra Narcissa contre elle.

– Profite bien de ta soirée, ma chérie, lui murmura Vera à l'oreille.

Elle marqua une pause, luttant manifestement contre ses émotions. Lorsqu'elle s'écarta de sa filleule, ses yeux étaient brillants de larmes.

– Tu sais déjà à quel point ta mère était une amie chère à mes yeux, comme tu l'es pour Daisy, lui dit-elle soudain, si bas que Narcissa était la seule à l'entendre. Je n'aurai jamais la prétention de la remplacer, mais je tenais à te rappeler que tu pourras toujours compter sur moi, quoiqu'il arrive.

Sans laisser à Narcissa le temps de répondre, elle se tourna vers Lucius et lui dit en élevant la voix :

– Quant à toi, Lucius, ne t'avise pas de contrarier ma filleule préférée, ou bien tu auras affaire à moi !

Puis elle renifla discrètement, se tamponna le coin des yeux, remit son chapeau et tourna les talons.

Vera et Fergus s'écartèrent de la foule, et les deux dragons les suivirent docilement. Ils montèrent sur leur dos avec aisance, et s'envolèrent ; dès que les dragons eurent disparu derrière l'horizon, les invités reprirent leurs esprits, un peu déboussolés. Puis, après quelques secondes, les exclamations commencèrent à fuser :

– Ça alors !

– Mazette !

– Des dragons !

– Cette Vera Goyle, quelle classe !

– Et comme Narcissa a du courage...

– Quelle journée excitante !

– À qui le dites-vous !

– Si j'avais su que ce mariage serait aussi remarquable, j'aurais acheté une nouvelle tenue chez Tissard et Brodette...

– Vous avez vu la taille de ces créatures ?

– Et leurs yeux ?

– Et leurs griffes !

– Pour ma part, je regardais surtout leurs crocs...

Daisy s'approcha de Narcissa. Elle aussi avait déchiré sa robe, mais souriait de toutes ses dents.

– Je pense qu'on a toutes les deux besoin de rafraîchir notre tenue, rit Daisy en prenant Narcissa par la main.

La foule s'écarta respectueusement devant elles pour les laisser passer, comme si leurs deux dragons leur avaient communiqué une partie de leur aura spectaculaire.

En repassant devant la table où elle s'était assise à côté de son père, Narcissa se souvint du dialogue que l'arrivée des dragons avait interrompu.

– Tu n'as pas vu mon père ? demanda-t-elle à Daisy en se retournant vers les invités qui les suivaient du regard. Il voulait me dire quelque chose, tout à l'heure...

– Papa est parti, dit une voix cassante à côté de la porte d'entrée.

Bellatrix attendait Narcissa sur le perron, un verre de vin à la main ; et au vu de la manière dont elle titubait, ça n'était pas le premier qu'elle buvait. Elle semblait d'une humeur massacrante, encore davantage qu'au début de la cérémonie. Narcissa décida de l'ignorer, mais Bellatrix leur emboîta le pas.

– Tu n'es pas obligée de venir, je redescends dans une minute, lui dit sèchement Narcissa en montant les escaliers qui menaient vers l'aile Ouest.

– Hors de question que je reste toute seule une seconde de plus, répliqua Bellatrix.

Elle but son verre de vin d'un trait, et le lança par-dessus la rampe. Le verre s'éclata en mille morceaux sur le tapis précieux du hall d'entrée.

– Bella ! gronda Narcissa.

– C'est bon, c'est bon, je ramasserai...

Elle les suivit jusqu'à la chambre de Narcissa, où elle se posta près de la fenêtre.

– Tu dois être contente, dit Bellatrix sans cacher sa jalousie. Moi, si j'avais un dragon, je sais très bien ce que j'en ferais : j'irais brûler tous les villages moldus d'Angleterre ! Couic !

Et elle joignit le geste à la parole en passant un pouce sous sa gorge.

– Mais tu n'en as pas, et c'est tant mieux, répliqua Narcissa. Rodolphus n'est plus là ?

– Non. Abraxas l'a surpris en train de piquer des gallions dans les capes qui étaient au vestiaire, alors il l'a chassé !

– Et il a bien fait, approuva Narcissa sur un ton de défi.

Bellatrix émit un grognement désapprobateur, puis se tourna vers la fenêtre, tout en continuant de fulminer.

Narcissa s'assit devant son miroir, et Daisy pansa le bras de son amie là où le dragon l'avait éraflée. Puis elle prit sa baguette, et la pointa vers la robe de Narcissa, à l'endroit où elle était déchirée.

Texere reparo, dit-elle.

Elle passa sa baguette le long de la déchirure, et au fur et à mesure, les extrémités des fils de soie blanche se rejoignirent et se resserrèrent, jusqu'à ce que le tissu retrouve son intégrité initiale. Puis Daisy fit de même pour les autres endroits abîmés de la robe et pour ses collants, et Narcissa lui adressa un sourire reconnaissant.

Près de la fenêtre, Bellatrix continuait d'enrager :

– Regardez-moi toutes ces autruches endimanchées qui prétendent être des Sang-Pur ! Nous avons essayé de les recruter, un par un ! Mais tant qu'on fait de beaux mariages et qu'on leur met des petits fours dans la bouche, ils ne bougeront pas le petit doigt pour nous aider ! Avec l'âge, ils deviennent de plus en plus bêtes... Mais à ce stade, c'est inquiétant !

Narcissa saisit le pinceau ovale qui était disposé près de ses accessoires de maquillage, et remit sur ses joues un peu de poudre rosée discrètement pailletée.

– Tu n'avais qu'à partir avec Rodolphus, si tu ne voulais pas rester, dit-elle à sa sœur aînée.

Bellatrix eut un petit rire satisfait, comme si elle avait souhaité que Narcissa la rejette, afin d'avoir une raison de plus pour s'indigner.

– C'est ça ! triompha-t-elle. De toute manière, depuis le début, tu n'as qu'une envie, c'est de te débarrasser de moi !

– Bella, arrête...

– Tu es comme Papa, finalement, tu veux que tout soit bien poli, bien lisse et bien brillant ! Et tout ce qui déborde, tout ce qui dérange vos petites habitudes bien réglées, vous vous en débarrassez, c'est ça ? Je vais te dire ce que j'en pense : toi, Lucius, et tous ces imbéciles qui se pavanent là, dehors, eh bien vous êtes encore pires que ces horribles Moldus ! C'est vous qui empêchez notre Maître d'accéder au pouvoir, par votre réticence ridicule !

– Arrête un peu de dire des idioties, s'il te plaît, dit Narcissa.

– Tu crois que Lucius est la clé du bonheur parfait, n'est-ce pas, Cissy ? Mais tu verras, un jour ou l'autre, c'est inévitable, il te décevra, comme tout le monde, et quand tu seras seule et triste, il ne faudra pas compter sur moi pour venir te réconforter...

– Narcissa, ne l'écoute pas, dit Daisy. Tout ira bien, j'en suis sûre.

– C'est ça, tout ira bien, répéta Bellatrix avec mauvaise humeur. Quand on a besoin de dire ça, c'est que justement, tout ne va pas bien ! Je suis donc la seule à redouter ce qui va se passer ? Tout le monde applaudit, tout le monde trouve ça formidable, mais c'est une catastrophe ! Tu vas devenir comme Maman, une bonne petite épouse, bien soumise, bien silencieuse...

– Va-t’en, Bella, la coupa Narcissa, qui sentait l'angoisse retomber de tout son poids sur sa poitrine. Va-t'en. S'il te plaît.

Bellatrix regarda tour à tour Narcissa, puis Daisy avec un air menaçant. Et subitement, Daisy sembla étonnamment anxieuse, et soutint le regard de Bellatrix avec intensité, comme si elle la suppliait de taire quelque chose.

Bellatrix prit une grande inspiration, ravala difficilement les mots durs qui semblaient vouloir franchir ses lèvres, et marcha à grands pas vers la porte de la chambre. Mais alors qu'elle s'apprêtait à sortir de la pièce, elle se retourna et dit avec une colère mal contenue :

– Tu sais, Cissy, c'est à cause d'Andromeda, si Papa est parti.

Narcissa tressaillit en entendant le prénom de leur sœur disparue, et le manche en ivoire de son pinceau de maquillage lui échappa des mains.

– Que veux-tu dire ? demanda-t-elle en ramassant son pinceau, tout en essayant de feindre l'indifférence.

En se redressant, Narcissa vit Daisy regarder furtivement au dehors, comme si elle craignait que la pièce n'explose, et cherchait à calculer ses chances de survie si elle sautait immédiatement par la fenêtre.

Bellatrix enchaîna, implacable :

– C'est aussi à cause d'Andromeda, s'il n'y avait que Rodolphus Lestrange qui voulait m'accompagner ! Et c'est encore de sa faute si les gens nous regardaient de travers, et si Carla et Juliet se sont moquées de toi !

Cette fois-ci, Narcissa se tourna vers Bellatrix pour la chasser définitivement, mais elle n'en eut pas le temps.

– Je ne sais pas comment tu peux ne pas être au courant ! s'indigna Bellatrix. Et pourtant, tout le monde en parle, mes amis se moquent de moi à longueur de journée !

– Mais de quoi parles-tu, à la fin ? demanda Narcissa, qui sentait ses entrailles se contracter.

– Bellatrix...

– La ferme, Daisy ! cracha Bellatrix. Eh bien, Cissy, figure-toi qu'il y a quatre mois de ça, Andromeda nous a pondu un gosse, avec son Sang-de-Bourbe de mari ! Une immonde petite Sang-Mêlé ! Il paraît qu'elle est affreuse, et que ses cheveux changent de couleur toutes les deux minutes ! C'est bien la preuve que leur union est contre-nature ! Voilà pourquoi tout le monde se moque de nous : notre famille est souillée par cette mutante, par ce MONSTRE !

Narcissa eut l'impression de recevoir un seau d'eau glacée sur la tête. Elle voulut croire que c'était une mauvaise plaisanterie, mais l'expression catastrophée de Daisy ne pouvait pas être feinte.

– Daisy, tu... tu le savais ? lui demanda Narcissa d'une voix étranglée.

Daisy hocha faiblement la tête. Son visage était devenu rouge écarlate.

– Ils ne l'avaient dit à personne, mais Crabbe a forcé le Département de l'Administration Magique pour voir si Ted et elle étaient bel et bien mariés... Il a trouvé l'acte de naissance, et... La nouvelle s'est répandue hier, dans la matinée... Je ne savais pas quoi faire, je ne voulais pas te gâcher cette journée, implora Daisy.

Bellatrix continuait, impitoyable :

– Tu sais quel prénom elle lui a donné, cette greluche ?

Avant que Narcissa n'ait pu ouvrir la bouche, Bellatrix asséna :

– Nymphadora ! Comme ta poupée, quand tu étais petite ! Tu vois, si elle voulait nous narguer, elle ne s'y prendrait pas autrement !

– Bellatrix, arrête, supplia Daisy. Parlons d'autre chose...

Mais Narcissa avait l'impression que la température de la pièce avait subitement chuté de plusieurs degrés.

– Sortez, ordonna-t-elle, glaciale.

– Cissy...

– Sortez toutes les deux. Immédiatement.

– Qu'est-ce que tu peux être susceptible, râla Bellatrix en sortant, traînant ses froufrous noirs derrière elle.

Daisy sortit à petits pas, les larmes aux yeux ; elle voulut dire quelque chose en fermant la porte, mais elle se ravisa et sortit.

Narcissa resta immobile quelques instants. Puis, d’un geste rageur, elle retira la fleur de Lune qui se trouvait dans ses cheveux et la jeta sur la coiffeuse qui se trouvait devant elle. Elle regarda autour d'elle à la recherche d'un objet à fracasser sur le sol, puis serra les poings, incapable d'apaiser les pensées qui s'entrechoquaient furieusement dans sa tête.

Narcissa pensait avoir pleinement réalisé qu'elle ne reverrait jamais Andromeda, mais elle dut admettre qu'elle n'avait fait que chasser tant bien que mal cette idée de son esprit, sans l'accepter le moins du monde. En réalité, depuis qu'Andromeda était partie, Narcissa nourrissait l'espoir infime que sa sœur n'était pas satisfaite de sa nouvelle vie, que, tout comme elle, leur séparation l'empêchait d'être heureuse. Elle était même allée jusqu'à espérer que Ted l'avait déçue, qu'ils ne s'entendaient pas, et qu'un jour, Andromeda reviendrait, la tête basse, en demandant pardon. Et au fond d'elle, malgré toute la colère qui l'habitait, Narcissa savait que si cela se produisait, elle l'accueillerait à bras ouverts et la pardonnerait aveuglément. Mais un nouvel évènement venait de bouleverser la situation : Andromeda était désormais liée à Ted par un enfant. Un enfant, une petite fille que Narcissa imaginait déjà comme adorable, parfaite, faisant le bonheur de ses deux parents, et que Narcissa interpréta immédiatement comme la preuve évidente qu'Andromeda était heureuse et comptait bien rester loin d'elle à jamais. Non, décidément, il n'y avait pas de lien plus sacré, plus indestructible que celui-ci. Tout retour en arrière était donc devenu impossible : Andromeda ne reviendrait plus. Plus jamais.

Face à ce constat, Narcissa fut prise de vertige, et eut l'impression que le grand manoir dans lequel elle habitait, son mariage, sa robe, tout n'était qu'une immense mascarade destinée à tromper le chagrin qui la dévorait.

Elle s'interrogea sur ses propres motivations : que cherchait-elle, au juste ? À signifier à Andromeda qu'elle était heureuse sans elle, dans l'espoir que celle-ci éprouve des remords ? À satisfaire son père, afin de rattraper les erreurs de ses deux sœurs aînées, et qu'il revienne enfin sur les regrets qu'il avait jadis exprimés à propos de sa naissance ? À lui prouver que contrairement à ses sœurs, elle avait assimilé tout ce qu'il avait voulu leur apprendre ? À briser les chaînes de l'insupportable soumission financière qui l'avaient accablée pendant toute son enfance ? Sans doute était-ce un peu de tout cela à la fois... Narcissa se demanda si c'étaient de bonnes raisons de se marier, mais ne réussit pas à obtenir de réponse claire. Elle en vint à se poser la question cruciale, qu'elle avait toujours refusé d'affronter : aimait-elle réellement Lucius ? Lorsqu'elle était heureuse auprès de lui, était-ce réellement de l'amour, ou bien un mélange d'envie, d'admiration et de reconnaissance ? Elle fut incapable de trancher.

Lorsque la porte de la pièce s'ouvrit et l'interrompit dans sa réflexion, Narcissa faillit envoyer promener le visiteur inopportun, mais en voyant apparaître le sourire timide de son cousin Regulus, elle se ravisa et lui fit signe d'entrer.

– Daisy vient de me prévenir, pour Andromeda, dit Regulus d'emblée, aussitôt après avoir refermé la porte. Il ne faut pas être triste, tu auras bientôt une famille, toi aussi ! Et n'en veux pas à Daisy, elle voulait bien faire, j'en suis sûr.

Narcissa acquiesça, la gorge serrée, et sentit de grosses larmes rouler sur ses joues, sans pouvoir les en empêcher.

– J’ai un peu discuté de Potions avec Lucius, continua Regulus. Il a l’air très intelligent. Et je crois qu’il t’aime beaucoup.

Narcissa esquissa un pâle sourire.

– Et j'ai parlé avec Bellatrix, aussi... Elle a accepté de se calmer.

Fatigué de voir Sirius et ses parents s’entredéchirer, Regulus avait développé une aversion pour le moindre conflit, et en conséquence, il avait acquis un talent particulier pour apaiser toutes sortes de tensions. Du haut de ses douze ans, c'était un garçon sensible, redoutablement intelligent, et plus le temps passait, plus Narcissa ressentait de l'affection pour lui. Rien ni personne ne pourrait remplacer Andromeda, songea-t-elle, mais heureusement, il lui restait d'autres personnes qui lui étaient chères, et dorénavant, c'était à elles que Narcissa devait se consacrer.

– Tu as besoin d’aide avec ta coiffure ? demanda Regulus. Tu veux que j’essaye ?

Narcissa hocha la tête. Regulus lui tendit un mouchoir brodé des armoiries Black, avec lequel Narcissa se tamponna les joues. Il se plaça derrière elle, et de ses doigts minces et délicats, il saisit quelques mèches de cheveux, les tressa avec soin, puis prit la fleur de Lune et la piqua à nouveau dans sa chevelure blonde.

– Tu es ravissante, assura Regulus. Je suis sûr que tout ira bien.

Un peu rassérénée, Narcissa finit de se préparer pendant que Regulus lui racontait le début de sa deuxième année à Poudlard, qui se passait bien mieux que la première. James Potter avait dû considérer qu'il faisait une moins bonne cible que Severus Rogue, car il le tourmentait beaucoup moins souvent, et à force de côtoyer Severus, Regulus s'était mis à exceller en Potions et en Défense contre les Forces du Mal, et brillait tout autant que Sirius dans les autres matières. Il avait donc tout naturellement succédé à Lucius au rang d'élève favori de Slughorn, ce qui faisait la joie de ses parents.

– Nous avons eu quelques leçons de Quidditch, et l'entraîneur dit que je suis assez agile pour être attrapeur, dit Regulus. Ce serait bien, tu ne penses pas ?

– Ce serait formidable, Reggie.

Quand Regulus eut terminé, Narcissa décida de retourner auprès des invités. Elle crut un instant que le reste de la cérémonie se passerait bien, mais dès qu’elle fut sortie de sa chambre, malgré la main de Regulus serrée autour de la sienne, elle eut de nouveau l’impression d’étouffer.

Lucius vint déposer un baiser sur ses lèvres, lui demanda rapidement si tout allait bien, mais il fut aussitôt emporté par la foule de convives qui ne voulait pas le laisser s'échapper. Daisy n’osait plus ouvrir la bouche, et Bellatrix, totalement ivre, embarrassait les invités en leur parlant de Lord Voldemort avec emphase. Dans la foule, Narcissa se surprit à chercher les yeux de sa mère, puis ceux d'Andromeda, ceux qui la consolaient depuis toujours, et s'en voulut d'être faible à ce point.

Il lui parut soudain évident que tout le monde agissait comme si ce mariage n’était rien qu’une bonne affaire, à tel point que Narcissa commençait à penser que c'était bel et bien le cas. On venait la féliciter d’avoir réussi à « mettre le grappin » sur un Malefoy, ou bien on se contentait de la regarder comme une formidable acquisition. Lucius, lui, évoluait comme un poisson dans l’eau, discutant avec son élégance habituelle, gonflé d’orgueil par tous les hommes qui venaient lui taper sur l’épaule comme on féliciterait le nouveau propriétaire d’une belle maison.

Narcissa n'avait jamais eu autant envie de s'enfuir, et ni les mets luxueux, ni la convoitise qu'elle lisait dans les regards de tous les notables qui étaient présents ne suffisaient à l'apaiser. Elle essayait désespérément de repenser à Vera et aux deux dragons, afin de retrouver un peu de la joie qu'ils lui avaient procurée, mais elle n'y parvenait pas, comme si la révélation de Bellatrix avait voilé d'amertume tous les évènements qui la précédaient.

Au fur et à mesure que la soirée avançait, Narcissa eut l'impression de se séparer d'elle-même, et de laisser un automate danser, rire et remercier à sa place, pendant qu'elle se contentait de regarder le spectacle à travers une vitre teintée. Le champagne dans les coupes en vermeil, le ballet d'oiseaux rares organisé par Abraxas Malefoy, les valses et les feux d'artifice se succédèrent sous ses yeux sans qu'elle puisse les apprécier une seule seconde.

Lorsque les derniers invités partirent, la nuit était déjà bien avancée. Narcissa monta dans la chambre avec Lucius, en s'efforçant de sourire. Abraxas Malefoy leur avait attribué une grande chambre de l'aile Ouest, moins isolée que celle dans laquelle Narcissa avait dormi pendant quelques mois, juste au-dessus du salon au lustre de cristal qui servait de salle de danse. Sur le sol de la chambre se trouvait le plus beau tapis sur lequel Narcissa ait jamais marché, et les murs étaient peints en trompe-l’œil, avec des rameaux de vigne qui se balançaient paresseusement dans une brise imaginaire, et montaient jusqu'à la voûte du plafond, où une verrière peinte se mit à diffuser une lumière douce au moment où ils entrèrent dans la pièce. Le lit à baldaquin était immense, drapé de rideaux aux franges dorées, couvert d'édredons brodés et de coussins piqués de perles. Sur le lit, Narcissa aperçut deux tenues de nuit, de la même couleur ambrée.

– Regarde, dit Lucius en lui tendant l'une d'elle, je l'ai faite faire pour toi.

À la vue de la superbe nuisette en satin qui lui était destiné, Narcissa sentit son angoisse augmenter d'un cran. Elle pensait que cette sensation oppressante s'éloignerait avec les invités, mais au contraire, elle s'était encore amplifiée. Elle se mit à penser à sa mère, et aux derniers mots qu'elle lui avait adressés.

Sois forte, avait-elle dit, moi, ils m'ont tous brisée.

Narcissa aurait alors tout donné pour pouvoir se réfugier dans ses bras, et lui poser toutes les questions qui tournoyaient dans sa tête. Qu'avait ressenti sa mère, le jour de son mariage ? Avait-elle aimé son mari, au début ? Avait-elle été seulement heureuse, à un seul instant, dans leur grande maison de la Colline d’émeraude ? Et quand avait-elle réalisé qu’elle était prise au piège ? L’avait-on couverte de satin, elle aussi, pour mieux prendre possession d’elle ?

– Narcissa ? Tout va bien ?

Narcissa était à bout de forces. Dans son esprit, les visages de ceux qui l'avaient tour à tour inquiétée, rassurée, déçue, gâtée, embrassée ou abandonnée se succédaient et se brouillaient entre eux, à tel point qu'elle était incapable de différencier ceux à qui elle en voulait de ceux envers qui elle était reconnaissante. Submergée et épuisée par le chassé-croisé des émotions contradictoires qui l'avaient successivement traversée pendant cette interminable journée, Narcissa sentit ses yeux se remplir de larmes. Ses traits se crispèrent, elle enfouit son visage dans ses mains et se mit à pleurer.

Aussitôt, Lucius ouvrit de grands yeux surpris, et sans rien dire, il la prit maladroitement dans ses bras, et l'aida à s'installer sur le bord du lit, avant de s'asseoir à côté d'elle. Narcissa sanglota contre lui pendant de longues minutes, sans pouvoir s'arrêter, pendant que Lucius passait un bras réconfortant autour de ses épaules.

Au fur et à mesure que ses larmes coulaient sur ses joues et gouttaient sur sa robe, Narcissa se sentit légèrement apaisée. Lucius ne prononça pas un mot, et lui laissa tout le temps dont elle avait besoin pour s'éclaircir les idées.

– Je suis désolée, bafouilla-t-elle lorsque ses sanglots furent assez espacés pour lui permettre de parler.

– Ne sois pas désolée, et dis-moi plutôt ce qui ne va pas, proposa doucement Lucius.

Et enfin, elle lui raconta, la voix entrecoupée de hoquets, qu'on l'avait regardée comme un trophée de chasse pendant toute la journée, qu'Andromeda avait eu un enfant et qu'elle ne la reverrait jamais, que Daisy le lui avait caché, que Bellatrix avait abandonné le rôle de grande sœur protectrice qu'elle avait toujours endossé, que la présence discrète et bienveillante de sa mère lui manquait terriblement, que son père semblait évoluer dans un autre monde que le leur depuis l'affaire du Collier d'opale et qu'en conséquence, elle se sentait horriblement abandonnée.

Une fois qu'elle eut exprimé toutes ses désillusions sans être interrompue, Narcissa se sentit un peu mieux.

– Je me sens idiote, conclut Narcissa en pleurant de plus belle.

– Honnêtement, c'est le dernier adjectif que j'emploierais pour te décrire, sourit Lucius.

– Je suis en train de gâcher notre nuit de noces...

– Tu ne gâches rien du tout. Ça n'a absolument aucune importance.

Narcissa vit qu'il était sincère, et lui en fut reconnaissante. En posant à nouveau sa tête sur l'épaule de Lucius, il lui vint à l'esprit que, si quelqu'un savait mieux qu'elle ce que le mot solitude signifiait, c'était bien lui.

– Je suis désolée, dit-elle encore.

– C'est moi qui suis désolé. Tout est allé trop vite, je n'aurais pas dû te presser autant. J'avais peur que tu retournes à Londres, une fois que tu irais mieux, et je ne voulais pas que tu partes... Mais je m'en rends compte maintenant, je ne t'ai pas laissé assez de temps pour digérer tout ce qui t'était arrivé.

Narcissa acquiesça. Elle n'était pas encore totalement réconfortée, mais elle se sentait assez en sécurité pour exprimer toutes les pensées qui lui traversaient l'esprit, même les plus enfantines.

– J'aurais aimé que Maman soit là aujourd'hui, chuchota-t-elle.

– Moi aussi. J'aurais aimé que nos deux mères soient là. Je suis sûr qu'elles auraient toutes les deux été très heureuses pour nous.

Lucius attendit un peu, mais comme Narcissa ne disait plus rien, il poursuivit :

– En tout cas, sache que je suis désolé de la manière dont tout le monde t'a regardée aujourd'hui. Mais après tout, ce mariage n'était qu'une formalité. Je me devais de faire bonne figure, mais tu sais bien que moi, je ne vois pas les choses de cette manière.

Narcissa s'essuya les joues d'un revers de main, et reprit un peu sa respiration.

– Tu ne seras jamais vraiment à moi, comme l'entendaient la plupart de nos invités d'aujourd'hui quand ils venaient mes féliciter. Je le sais depuis longtemps, et c'est précisément ce qui me plaît chez toi. Tu le sais bien, je ne veux pas d'une épouse docile et soumise – ce serait tellement ennuyeux ! Je te veux toi, et précisément parce que tu ne te laisses pas faire. Parce que, quand tu me regardes dans les yeux, sans une once de peur ou d'hypocrisie, j'ai l'impression que tu es la seule qui me regarde vraiment. Narcissa, crois-moi, je n'ai jamais voulu de ton obéissance. Je veux que tu sois présente à mes côtés, pas à mes pieds. Et même si je sais que tu as des doutes, parce que ta vie est terriblement compliquée...

Lucius s'agenouilla devant elle.

– Je te le demande à nouveau, dit-il solennellement. Veux-tu vivre ici, avec moi ? Veux-tu que tous les jours ressemblent aux derniers mois que nous venons de vivre ?

Narcissa lui caressa la joue en reniflant. Qu'il était beau, dans son costume !

– Veux-tu de ma compagnie, pour les belles choses et les épreuves à venir ? Ou, si tu préfères, dit-il avec un sourire, veux-tu de mon aide pour écraser Carla Avery, Juliet Selwyn et tous les imbéciles qui se mettront sur ton chemin ?

– Je préfère ça, dit Narcissa en souriant.

Progressivement, elle retrouva ses esprits. Décidément, elle l'avait à nouveau sous-estimé : les invités avaient raison de dire qu'elle avait de la chance, même s'ils se trompaient sur le motif véritable de leur union. Lucius ne lui causerait aucun tort, et ne la délaisserait pas, Narcissa en était désormais convaincue. Après tout, il ne l'avait jamais déçue, et c'était une raison largement suffisante pour l'épouser.

– Alors ? dit Lucius en lui embrassant les mains. Tu sais, il est encore temps de partir en courant...

– Alors, je dis oui à nouveau, répondit Narcissa, soulagée.

Lucius se releva pour lui faire face, et la regarda longuement. À ce moment-là, il n'avait plus rien du jeune homme ambitieux et calculateur que Narcissa avait vu évoluer pendant la cérémonie. Il passa lentement ses pouces sur les joues de Narcissa pour en essuyer les larmes et les traînées grises qu'elles avaient laissées derrière elles, puis il remit délicatement une mèche de ses cheveux blonds derrière son oreille. Lorsqu'il passa sa main dans sa nuque, Narcissa sentit des frissons agréables lui chatouiller la peau. Il l'embrassa sur les lèvres, sur ses joues humides, puis près de l'oreille, puis dans le cou, et Narcissa frissonna de nouveau, avec plus d'intensité. Elle eut envie de l'imiter, de le goûter, et c'est ce qu'elle fit. À son tour, elle l'embrassa, caressa ses joues lisses, ses cheveux encore plus blonds que les siens, enfouit son visage dans son cou et l'embrassa encore. Très vite, en sentant la chaleur de Lucius descendre le long de son cou, et ses mains glisser sur ses hanches, elle sentit palpiter au bas de son ventre l'envie irrépressible de se presser contre lui, le plus étroitement possible, de se fondre dans son inaltérable sérénité, de respirer et de sentir contre elle chaque parcelle de sa peau lisse et délicatement parfumée. Son beau costume gris, qu'elle avait admiré un instant plus tôt, lui sembla soudain parfaitement inutile, et même encombrant ; et sans trop réfléchir à ce qu'elle faisait, les yeux encore rougis, elle dénoua la cravate de Lucius et commença à déboutonner sa chemise.

– Dis donc, tu récupères vite, murmura Lucius avec un grand sourire.

Narcissa répondit en se pressant encore davantage contre lui. Lucius l'embrassa à nouveau dans le cou, puis dans le décolleté. Ses doigts effleurèrent le bout de ses seins, et Narcissa se laissa fondre dans ses bras. Toute sa tristesse s'était envolée : elle ne pensait plus qu'à Lucius, à ses mains sur elle, à ses lèvres, à leurs corps qui se mêlaient plus étroitement que jamais, à cette envie irrésistible, impérieuse, de se délester de tous ces textiles embarrassants qui s'interposaient entre eux.

En face d'elle, Lucius connaissait visiblement le même égarement. Fébriles, les jambes cotonneuses, le cœur en fusion, ils se retirèrent leurs vêtements un peu maladroitement, frissonnant de plaisir à chaque centimètre de peau nue exposé aux baisers de l'autre et à la fraîcheur de cette nuit de décembre. Narcissa ne ressentit aucune gêne en se dévoilant, amusée par l'émerveillement avec lequel Lucius découvrait ses seins raffermis par le froid et le désir, puis son ventre, et enfin la toison qui estompait son entrejambe. Son corps à lui était semblable à ce que Narcissa avait imaginé, mince, pâle, tendre, recouvert d'un fin duvet blond.

À dix-huit et dix-neuf ans, Lucius et Narcissa n'avaient absolument aucune idée de la manière dont il fallait s'y prendre. Ils procédèrent donc laborieusement, se découvrant mutuellement, soupirant de plaisir pour guider les tâtonnements hésitants de l'autre.

Et pendant qu'ils s'enlaçaient sur les édredons moelleux, aux quatre coins du Royaume-Uni, les invités rentraient chez eux, repus et fourbus, la rétine encore imprimée de blanc et d'or, les paroles du serment solennel résonnant encore une fois à leurs oreilles : « Pour le beau et le laid, le meilleur et le pire... Dans la gloire et dans la déchéance, dans la fortune et la ruine... Et jusqu'à ce que la mort nous sépare... »




***



À suivre...



Chers lecteurs et lectrices,

 

Vous voici à la fin de cette fanfiction, vous qui vous apprêtez à refermer (virtuellement) ce premier tome des Secrets de Serpentard. Pendant ces trente-quatre chapitres, Narcissa, Andromeda, Bellatrix, Sirius et Regulus ont tous les cinq bien grandi, ont rencontré de nombreux personnages plus ou moins sympathiques, ont fait de nombreux choix plus ou moins douloureux, et ont déjà parcouru un bout du chemin qui les mènera aux adultes que nous connaissons bien...


Pour ce petit mot de fin, je vais commencer par le plus important : vous remercier infiniment d’avoir lu cette fanfiction, de vous y être abonné.e, de m’avoir laissé déjà des reviews et plusieurs milliers de vues, moi qui ne suis qu’une petite nouvelle de cette année 2022 avec cette seule fanfiction au compteur.


Ce fut vraiment un plaisir de publier régulièrement ces chapitres, de voir les vues augmenter jour après jour, de recevoir d’adorables reviews dès les premières publications, je me souviens encore de l’excitation folle que j’ai ressentie à ce moment-là !


Merci pour ça, donc, même si vous lisez ceci longtemps après la publication de ce petit mot ❤️❤️❤️


Maintenant, si vous êtes arrivés jusqu’ici, j’ose espérer que c’est parce que cette fanfiction vous a plu jusqu’au dernier chapitre. Et si c’est le cas, si vous avez été attendri.e par mon mini Sirius ou par le trio des sœurs Black, si vous avez frissonné dans la cave du Serpent qui Fume, si vous vous dites que vous auriez aimé tenir un Livre Voyageur entre vos mains...


Hé bien, ça me ferait immensément plaisir que vous me laissiez une petite review (ou même un petit message en privé sur le forum) pour me dire tout ça. Hé oui, je sais que les auteurs en demandent souvent et ce doit être lassant à la longue, mais vous ne pouvez pas savoir comme ça a de l’importance et comme un tout petit mot gentil peut illuminer nos journées. Et puis, pour ma première fic, j’ai grandement besoin de vos avis !


Alors si vous avez le temps, venez me (re)dire ce que vous avez aimé, quels personnages vous avez préféré, ou tout simplement me signaler que vous avez terminé et que vous attendez le tome 2 avec impatience ;)


Parce que (transitiooon) : le tome 2 est en cours d’écriture !

En voici le résumé provisoire...



Secrets de Serpentard, tome 2 : Le Pensionnat Wimbley


Aux prémices de la Première Guerre, le monde sorcier est en ébullition : un nouveau membre du Magenmagot met les privilèges des Sang-Pur en péril, les poussant à reconsidérer la main tendue par Lord Voldemort.


Au milieu de ce chaos, la famille Black est dispersée. Si Bellatrix a choisi son camp depuis longtemps, Lucius et Narcissa sont toujours tiraillés entre la peur de Voldemort et la tentation de le rejoindre, tandis qu’Andromeda cherche un moyen de parler secrètement à sa petite soeur. Sirius poursuit ses études à Poudlard, entouré de James, Remus et Peter ; quant à Regulus, il commence tout juste à comprendre ce qu’on attend réellement de lui.


Et c’est au pensionnat Wimbley, un mystérieux établissement pour jeunes sorciers, que leurs routes vont se croiser à nouveau...



L'écriture est déjà bien entamée et la couverture est en cours, donc ça ne devrait pas (trop) tarder... Et si vous voulez m’encourager pour que l’écriture aille plus vite... N’hésitez pas à reviewer et/ou à partager cette fic avec d’autres potentiels lecteurs ;)


À très bientôt, ce fut un grand plaisir de faire ce bout de chemin avec vous, et j’espère que c’était partagé car ça n’est pas prêt de s’arrêter ❤️❤️❤️


Joyeux Noël avec un peu de retard, et à très bientôt,


Mathilde ❤️


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