Secrets de Serpentard : La noble famille Black
Pendant les semaines qui suivirent, Bellatrix baigna dans l'allégresse la plus absolue. Peu lui importaient les réprimandes acerbes de son père, l'inquiétude de sa mère, ou les regards inquisiteurs de sa tante : elle passait la journée à dormir et à rêver de son nouveau professeur, puis se réveillait le soir pour se rendre en secret au Serpent qui fume.
En quelques semaines, Bellatrix avait appris bien plus de choses qu'en quatre années de scolarité à Poudlard. Elle s'était jetée à corps perdu dans l'univers défendu de la magie noire, et avait déjà absorbé un nombre de connaissances absolument faramineux.
Un soir, après avoir descendu les marches en pierre brute qui menait au sous-sol du Serpent qui Fume et traversé le rideau de dents qui la séparaient de Lord Voldemort, Bellatrix eut la surprise de voir le corps d'un homme étendu sur la grande console en marbre. À en croire sa peau verdâtre et son immobilité parfaite, il était mort depuis quelque temps.
Voldemort se tenait juste à côté de la console, et regardait le cadavre avec attention. Quand Bellatrix entra, il leva les yeux, et la fixa pendant un long moment, comme pour évaluer à quel point elle était digne de sa confiance. Bellatrix se concentra pour que son attitude se rapproche le plus de celle que Voldemort souhaitait voir – celle d'une élève ingénieuse, intrépide, et surtout obéissante.
Finalement, Voldemort prit la parole, avec l'air lui faire une immense faveur :
– Bellatrix... Te souviens-tu de ce que je t'ai expliqué ces dernières semaines, sur la création d'Inferi ?
Bellatrix acquiesça avec ferveur.
– Eh bien, nous allons avoir l'occasion de le vérifier, dit Voldemort. Je reviens dans quelques heures. D'ici là, c'est à toi de faire le nécessaire.
D'un signe de tête, il désigna le cadavre, et lorsque Bellatrix comprit ce qu'il attendait d'elle, elle fit de son mieux pour empêcher l'excitation de lui monter à la tête. Créer un Inferius était un exploit que peu de mages noirs pouvaient se vanter d'avoir accompli, et voilà que Voldemort lui proposait d'essayer. Elle ne s'était jamais sentie aussi valorisée.
Dès que Voldemort eut disparu, Bellatrix s'attela à sa tâche. Elle se souvenait parfaitement de la procédure, d'autant plus précisément qu'elle avait demandé à son cousin Regulus de lui faire réciter les différentes incantations le matin même.
En examinant le matériel dont elle disposait, Bellatrix fut confrontée au premier obstacle : elle disposait d'un chaudron rempli de sang, mais malheureusement, celui-ci était déjà un peu coagulé. Or, le procédé de création d'un Inferius exigeait que les pentacles et les runes soient dessinées avec du sang frais...
Elle savait pertinemment que la magie noire ne tolérait aucune approximation, et que ceux qui osaient s'aventurer sur ce terrain glissant sans en connaître les règles ne survivaient jamais bien longtemps, car la moindre erreur, si petite soit-elle, mettait les sorciers à la merci des forces obscures qu'ils avaient invoquées.
En pensant aux dessins effrayants qui illustraient cette explication dans les innombrables livres de magie noire qu'elle avait lu, Bellatrix prit un des petits poignards rouillés qui se trouvaient dans un des coffres rangés contre le mur, fit une profonde entaille dans la paume de sa main gauche, y plongea deux doigts de la main droite, et commença à dessiner le premier pentacle sur la console, autour du cadavre.
Elle ne connaissait pas l'homme dont il s'agissait, mais à en juger par les haillons qu'il portait, sa vie avait peu d'importance. Son visage était déformé par son dernier cri, mais Bellatrix ne ressentit aucune pitié pour lui. Si le Seigneur des Ténèbres lui avait ôté la vie, il devait y avoir une bonne raison, Bellatrix lui faisait confiance pour cela.
Elle s'appliqua donc à dessiner avec son propre sang les courbes et les runes anciennes qui constituaient le pentacle et les sceaux nécessaire à la création d'un Inferius.
Puis, elle fit sept pas vers un des murs de la pièce, et commença à dessiner un deuxième pentacle, plus petit que le premier. « Je réalise le souhait du Seigneur des Ténèbres », se répétait-elle avec excitation, tout en complétant ses inscriptions.
Ensuite, elle disposa des bougies aux endroits adéquats – quatre dans chaque coin de la pièce, et sept autour de chaque pentacle. Elle vérifia une dernière fois toutes les runes qu'elle avait inscrites, la géométrie irréprochable des courbes qu'elle avait dessinées sur la pierre, puis alla se placer au milieu du deuxième pentacle, en prenant bien soin de ne pas dépasser d'un millimètre.
Elle regarda avec convoitise le cadavre qui était étendu au milieu du grand pentacle. Bientôt, celui-ci serait son esclave, et lui obéirait sans réfléchir. Elle se demanda furtivement ce qu'elle pourrait lui demander de faire, mais elle choisit de se concentrer sur les prochaines étapes, afin d'être certaine de ne commettre aucune erreur. Elle balaya la pièce du regard, afin de s'assurer qu'aucun détail n'avait échappé à sa vigilance, puis se concentra intensément sur le cadavre qui se trouvait devant elle. Elle répéta intérieurement la première incantation, et la prononça d'une traite, en articulant soigneusement.
Aussitôt, la température ambiante chuta d'un coup. Une pellicule de givre tapissa le sol, le sang frais étendu sur la pierre, les cheveux bouclés de Bellatrix et ceux du macchabée. Toutes les bougies s'éteignirent simultanément. Une violente bourrasque fit cliqueter le rideau de dents, et la trappe en bois qui se trouvait en haut de l'escalier s'arqua vers l'intérieur de la cave dans un sinistre grincement métallique. Dans la pénombre de la pièce, une vapeur obscure se détacha du sol ; des bruits de pas émis par des pieds invisibles montèrent du sol de pierre, et des murmures inintelligibles mais incontestablement malveillants sifflèrent aux oreilles de Bellatrix, semblant provenir de tous les endroits à la fois.
Bellatrix sourit : les forces du Mal étaient présentes, prêtes à obéir à ses ordres, ou bien à la terrasser si elle avait la malchance de faire le moindre vice de formule dans la suite du procédé. Elle prononça la deuxième incantation, indifférente à la buée qui s'échappait de ses lèvres. La vapeur obscure ondula lentement, avec réticence, s'achemina le long des lignes de sang tracées par Bellatrix, tout en sécrétant de fins tentacules sifflants qui traquaient avidement la moindre faille dans les sceaux que Bellatrix avait dessinés. Puis la vapeur obscure s'agrégea autour du corps, et pénétra en lui par tous les orifices disponibles ; et progressivement, les bruits de pas et les murmures malveillants s'évanouirent. Et, après un court silence, le corps s'arqua brutalement, sa poitrine inerte aimantée vers le plafond, la tête basculée en arrière, et plusieurs voix aiguës poussèrent un long cri glaçant et assourdissant. Bellatrix sursauta, mais resta bien en place : elle s'attendait à des tentatives de déstabilisation, et savait qu'on l'inciterait à mettre un pied hors de son pentacle – ce qui signerait très certainement son arrêt de mort.
Sans se soucier d'être entendue par-dessus les hurlements atroces qui lui vrillaient les oreilles, Bellatrix prononça distinctement la troisième et dernière incantation, et le corps de l'inconnu retomba comme une masse sur la pierre de la console. Des flammes vertes vinrent lécher la bordure intérieure du grand pentacle, puis du plus petit, où se trouvait Bellatrix. Et, enfin, tout se tut.
Bellatrix reprit sa respiration. Elle avait le tournis, mais elle le mit sur le compte de l'excitation, plutôt que sur la quantité de sang qu'elle avait utilisée pour dessiner les pentacles et les sceaux.
– Lève-toi, dit-elle d'une voix sourde.
Elle dut réprimer un cri de joie quand elle vit le cadavre s'animer, et se redresser pour lui faire face. Ses yeux étaient entièrement blancs, enfoncés dans ses orbites, dépourvus de vie : elle avait réussi.
– C'est très bien, Bellatrix, dit une voix douce derrière elle.
Bellatrix fit volte-face, rayonnante. Voldemort l'observait avec un intérêt beaucoup plus authentique que celui qu'il lui avait montrée dans le Poudlard Express. Jamais Bellatrix ne s'était sentie aussi fière.
– Je te félicite. Maintenant, dis-lui de m'obéir définitivement, énonça Voldemort.
Bellatrix obéit, et Voldemort regarda les yeux vides de l'Inferius avec satisfaction.
– Assieds-toi dans un coin, et ne bouge plus, dit Voldemort.
Bellatrix esquissa un geste avant de réaliser que Voldemort parlait à l'Inferius et non à elle. Elle se figea, terrorisée à l'idée que Voldemort ne remarque son erreur.
Mais celui-ci observa sans ciller l'Inferius marcher avec empressement vers un coin de la pièce, avant de s'y recroqueviller docilement, son visage mort dénué de toute expression.
– Je crois qu'il est temps, murmura Voldemort pour lui-même. Oui, c'est le bon moment... Dis-moi, Bellatrix, poursuivit-il en haussant la voix. Aurais-tu, par hasard, emmené ton ancienne baguette avec toi ?
Bellatrix écarquilla les yeux, au comble du bonheur.
Voldemort lui avait prêté, pour ses premiers essais pratiques, une baguette en noyer, qui ne lui convenait pas vraiment, mais qu'elle avait tout de même réussi à utiliser. Chaque nuit, Bellatrix emportait avec elle les deux morceaux de sa baguette en acacia, espérant secrètement qu'un jour, si elle réussissait une prouesse particulièrement difficile, Voldemort lui accorderait comme récompense de réparer cette baguette, si chère à ses yeux.
Et ce soir, lorsque Voldemort lui posa cette question, elle crut naïvement que le moment était venu, et s'empressa de sortir de sa poche les deux morceaux de sa précieuse baguette.
– Absolument ! Regardez, la voilà ! s'exclama-t-elle, radieuse. Vous m'aviez promis de la réparer, mais je n'osais pas vous demander... Vous... Vous pensez que vous pourrez le faire en une nuit ?
Voldemort considéra avec amusement les deux morceaux de baguette, et éluda la question.
– Tu y tiens beaucoup, je présume ?
– Oh oui, énormément !
À nouveau, Bellatrix crut voir une lueur rougeoyer dans les yeux de Lord Voldemort ; mais, tout comme la première fois qu'elle l'avait aperçue, elle se dit que c'était un effet de son imagination.
– Très bien. Dans ce cas, jette-la dans le feu.
Bellatrix s'arrêta aussitôt de sourire. Était-ce une plaisanterie ?
– Mais... elle ne sera plus utilisable, remarqua-t-elle d'une voix faible.
– Je le sais bien.
Bellatrix resta interdite. Cette baguette était l'objet auquel elle tenait le plus – le seul auquel elle tenait vraiment, en réalité. Voyant cela, Voldemort se leva, et s'approcha d'elle à pas feutrés.
– Je pensais que tu n'avais peur de rien, Bellatrix, dit Voldemort d'une voix douce.
Il la prit délicatement par les épaules, et Bellatrix sentit le trouble se répandre dans tout son corps.
– Dis-moi un peu... À ton avis, qu'est-ce qui te différencie de moi ?
– De... De vous ?
– Nous sommes tous les deux talentueux, brillants... Mais à ton avis, de quoi me suis-je débarrassé, pour devenir aussi puissant ?
Bellatrix pensa à de nombreuses choses : la lâcheté, la paresse... Mais elle se doutait bien que ça n'était pas la réponse que Tom Jedusor attendait.
– Du doute, dit-il finalement. Cette petite chose infernale, qui retiendra ta baguette au moment fatidique, et qui t'empêchera d'atteindre le sommet de ta puissance. À partir de maintenant, Bellatrix, je vais te demander une chose difficile : celle de me faire confiance, aveuglément. Est-ce que tu en es capable ?
– Oui, oui, assura précipitamment Bellatrix, qui ne voyait pas bien le rapport avec sa baguette.
– Qu'est-ce qui pourrait te faire douter, à ton avis ? Eh bien, tous ces liens qui t'entravent, toutes ces choses auxquelles tu accordes de l'importance... Ce ne sont que des obstacles. Une seule chose doit compter, désormais : notre quête vers le pouvoir. Il faut te débarrasser du reste. Si je te demande de faire cela, c'est pour être certain que tu seras prête à tout me sacrifier.
– Mais... Maître, cette baguette...
– Quoi, Bellatrix ? Tu y tiens ? Elle a une valeur sentimentale, elle te comprend mieux que personne ? Oui, je le sais. Mais je suis certain que l'autre te conviendra mieux, tu dois me faire confiance. Cette décision ne te rendra que plus forte.
La mort dans l'âme, Bellatrix regarda les deux morceaux de bois qu'elle avait dans la main. Voldemort descendit ses doigts le long du bras de Bellatrix, et prit sa main couverte de sang séché qui tenait la baguette brisée.
– Faisons-le, murmura-t-il. Ensemble.
Guidée par Voldemort, Bellatrix avança lentement sa main vers les flammes qui dansaient à hauteur de ses yeux, et, la gorge serrée, y jeta les deux morceaux de sa baguette. Voldemort dut la tirer vers l'arrière pour esquiver la déflagration que produisit le cœur de la baguette en se désintégrant.
– Tiens, dit Voldemort en posant un objet allongé au creux de sa main.
Bellatrix eut beaucoup de mal à détacher son regard du feu qui crépitait au milieu de la pièce, mais finit par regarder ce que Voldemort lui donnait.
– Baguette de noyer et ventricule de dragon, 31,8 centimètres, dit-il en imitant le ton de Mr Ollivander. Elle te conviendra parfaitement, désormais. Elle doit te convenir.
En refermant ses doigts autour de la baguette en noyer, Bellatrix sentit quelque chose bouger, sans savoir si le mouvement avait lieu dans la baguette ou bien en son for intérieur. Puis, elle eut la surprise de ressentir une chaleur intense dans ses doigts, et de voir des étincelles vertes jaillir à son extrémité. La baguette avait fini par s'incliner, et par s'aligner sur les désirs de son maître – ou bien, peut-être était-ce Bellatrix qui avait plié ?
– Je te laisse, dit Voldemort en partant. Tu as bien mérité le droit de t'entraîner avec ta nouvelle arme.
Cette nuit-là, Bellatrix resta longuement devant le brasier, sa nouvelle baguette en main, à contempler les deux morceaux de bois gémir et se consumer.