Secrets de Serpentard : La noble famille Black
Lorsque la voiture s'arrêta, il faisait nuit noire. Narcissa avait un peu dormi, et mit quelques instants à se rappeler qu'elle venait de quitter sa maison pour toujours. En sortant, elle posa le pied sur un carré de pelouse à l'abandon, et regarda autour d'elle : ils étaient au milieu d'une petite place, que Narcissa trouva presque aussi inhospitalière que la rue bondée de l'Hôpital Sainte-Mangouste. Mais, au moins, il n'y avait pas de moldu en vue.
Elle regarda tour à tour les maisons qui se dressaient autour d'elle, se demandant laquelle était celle de leur tante, mais aucune ne lui parut souhaitable. Les façades étaient toutes abîmées et crasseuses, ponctuées de fenêtres aux carreaux ternes. La peinture des portes s'écaillait et des tas d'ordures couvraient par endroit les marches des perrons. Aucun oiseau ne chantait, et l'air était saturé d'odeurs écœurantes.
– C'est ici que j'ai grandi, déclara Cygnus Black. L'état du quartier s'est un peu dégradé, malheureusement... Mais vous verrez, vous vous y habituerez.
– Ça, ça m'étonnerait, marmonna Bellatrix dans son dos.
Narcissa pensa à son joli jardin, sur la Colline d'Émeraude, et sa vue se brouilla légèrement. Elle fit un tour sur elle-même, espérant trouver une maison moins hostile que les autres, et se retrouva de nouveau face au carré d'herbe jaunie.
Son cœur fit un bond : devant elle se dressait une maison qu'elle n'avait pas vue en arrivant. Elle était semblable à toutes les autres, mais la façade était bien entretenue, et le perron était parfaitement propre. Cependant, la maison n'en était pas moins effrayante : Narcissa avait l'impression que ses innombrables étages l'écrasaient de tout leur poids.
La porte d'entrée s'ouvrit, et Narcissa recula d'un pas. La femme qui venait d'ouvrir était l'incarnation humaine de sa propre maison : hautaine, étroite, obscure.
– Walburga, ma chère sœur, s'exclama Cygnus Black avec un peu trop d'enthousiasme.
L'intéressée ne fit pas un geste, se contentant de les toiser du haut des marches. Cygnus grimpa les escaliers jusqu'à elle, et ils s'embrassèrent sans chaleur, avec le même port de tête altier, les mêmes gestes excessivement maîtrisés et le même regard gris et acéré.
– Vous êtes en retard, dit Walburga Black en guise de bienvenue. Dépêchez-vous un peu : il ne faut pas que les voisins nous voient, ce sont de véritables fouines.
Les filles Black sortirent leurs affaires du coffre, et montèrent les escaliers avec difficulté, encombrées par leurs valises et par leur mère qu'il fallait aider à marcher. Narcissa poussa la porte, dont la poignée d'argent avait une forme de serpent, et une forte odeur de renfermé lui saisit les narines.
Ils se retrouvèrent tous les cinq alignés dans un long hall sinistre, éclairé par des lampes à gaz et par un petit lustre en cristal suspendu au plafond. Sur les murs, des portraits se succédaient, tous aussi austères les uns que les autres. Les protagonistes qui les occupaient les regardaient de la tête aux pieds, en murmurant entre eux :
– Qui est-ce ?
– Des cousines, paraît-il... Oui, des Sang-Pur, bien sûr, sinon jamais Walburga ne les aurait laissé entrer ici...
– Cet homme, là... N'est-ce pas ce cher Cygnus ?
– Mais si ! Ce petit chérubin, comme il a grandi !
– Oui, il a fière allure ! Quel beau costume !
– En revanche, son épouse a très mauvaise mine...
– Son épouse ? Ne me dites pas que cette femme...
– Mais si, mais si, je la reconnais ! C'est elle, c'est Druella !
– Elle semble être bien mal en point...
– C'est vrai ! Quel gâchis, Cygnus était pourtant le plus bel homme de la famille...
D'un geste sec, Walburga les fit taire. En se retrouvant face à sa tante, Narcissa fut de nouveau frappée par l'impression similaire que lui procuraient la maison et sa propriétaire, toutes deux à la fois très dignes et totalement inhospitalières. Walburga ne cessait de les observer, le regard sévère. Avec sa taille de guêpe, ses longs bras vêtus de dentelle noire et son chignon serré posé sur sa tête, Narcissa songea qu'elle ressemblait aux tarentules géantes que les Goyle collectionnaient dans leur salon.
Finalement, le regard perfide de Walburga Black s'arrêta sur Bellatrix, et plus précisément sur sa poitrine et ses hanches que l'adolescence commençait à galber généreusement, et déclara d'une voix abrupte :
– Cygnus, tu me disais que vous manquiez de ressources, mais en ce qui concerne la nourriture, j'ai l'impression que ça n'est pas un problème, grimaça-t-elle. Je m'inquiétais pour votre santé, mais j'ai manifestement eu tort... Je n'ai jamais vu une Black aussi dodue !
Bellatrix devint aussi rouge qu'un Rapeltout, et en perdit son indéfectible répartie. Andromeda et Narcissa échangèrent un regard désespéré, et Cygnus eut un petit rire gêné.
Heureusement à ce moment-là, une bonne surprise vint à leur rencontre en sautillant, un grand sourire aux lèvres.
– Sirius, veux-tu te tenir correctement, le réprimanda Walburga. Tu devrais être couché, à cette heure !
– Bonjour, les cousines, dit Sirius sans l'écouter, manifestement enchanté de voir un peu d'animation s'introduire dans sa maison.
Narcissa lui sourit aimablement et lui fit un petit signe de la main, ravie de voir quelqu'un qui leur manifeste de la sympathie. Leur tante, sans leur laisser le temps de faire plus ample connaissance, leur fit signe de la suivre et passa derrière une porte noire, ornée d'une autre poignée en forme de serpent.
Dès que les adultes eurent le dos tourné, Sirius tira sur la robe de Narcissa :
– Psst ! T'as quel âge ?
– Neuf ans. Et toi ?
Il lui fit un grand sourire, déjà partiellement édenté, et brandit fièrement les cinq doigts de sa main droite.
– Presque cinq ! C'est toi la plus petite ?
– Oui.
– Moi, je suis le plus grand !
Son sourire s'élargit encore.
– Viens, je te montre ma maison, dit-il en la tirant par la main.
Narcissa se laissa guider avec joie, et se sentit un peu plus légère. Sirius avait également les cheveux noirs et bouclés, et des yeux gris, comme ses sœurs : grâce à lui, au moins, elle ne serait pas dépaysée.
Ils suivirent le reste de la troupe en passant derrière la porte noire. Narcissa découvrit un long corridor, où se trouvait un porte-parapluie en forme de jambe de troll.
– Attention, dit Sirius en contournant le porte-parapluie, ça, il ne faut pas toucher, sinon un vrai troll débarque dans la maison !
Soucieuse de ne pas s'attirer d'ennuis, et sans se demander une seule seconde si une telle mise en garde était plausible, Narcissa suivit son conseil avec soin en passant le plus loin possible du porte-parapluie. Voyant cela, Sirius éclata de rire.
– Tu m'as cru !
Et il sauta à pieds joints sur le porte-parapluie, qui se renversa et dispersa son contenu sur le sol avec un tintamarre retentissant.
– Sirius ! fit la voix stridente de Walburga dans la cage d'escalier. Qu'est-ce que c'est que ce vacarme ? Tu vas réveiller ton frère !
– Oui oui, M'man, tout va bien, je t'assure ! C'est Kreattur qui fait tout tomber !
– Je suis en haut, espèce de chenapan, répliqua une voix grinçante qui venait des étages supérieurs.
Sirius remit précipitamment les objets en place dans le porte-parapluie, et s'élança dans les escaliers obscurs. Au-dessus des premières marches, une statue de pierre dont le buste était fixé au mur regardait Narcissa avec insistance, et la suivit du regard pendant qu'elle s'engageait dans l'escalier.
Narcissa s'empressa de suivre Sirius, en se cramponnant à la rampe pour ne pas s'approcher du mur : celui-ci était orné de têtes d'elfes réduites, clouées à des plaques. Toutes avaient le même nez, semblable à un groin.
– C'est une tradition dans la famille, lui chuchota Sirius. Quand un elfe de maison devient trop vieux pour nous servir, on le met là... Dégueu, non ? Enfin, en tout cas, j'ai hâte que Kreattur connaisse le même sort...
– Qui est Kreattur ?
– Notre elfe de maison... Tu le reconnaîtras facilement, c'est un vieux truc tout fripé, avec le même nez que ses ancêtres, cette espèce de groin moche comme tout...
Au premier étage, ils passèrent devant un salon aux murs vert olive, des armoires vitrées remplies d'objets inquiétants et une grande tapisserie brodée de fils d'or qui portait le nom de leur famille :
La noble et très ancienne maison des Black
Toujours purs
D'innombrables portraits finement dessinés, affublés du nom des Black, recouvraient l'ensemble de la tapisserie. On voyait que la pièce était entretenue avec soin, et agencée de manière à ce que tous les sièges soient tournés vers la tapisserie. Cette vision réconforta quelque peu Narcissa : malgré la situation délicate dans laquelle elle se trouvait, son nom de famille serait toujours une inépuisable source de fierté.
Sur le palier, Walburga s'entretenait à voix basse avec Cygnus. Andromeda, Bellatrix et leur mère étaient arrêtées devant une chambre sinistre, aussi petite qu'elle était haute de plafond. En réalité, elle ressemblait davantage à un placard poussiéreux. Contrairement aux autres pièces de la maison, on voyait que le ménage n'avait pas été fait depuis longtemps. Un matelas aux draps jaunis avait négligemment été disposé entre deux petits lits jumeaux, ne laissant aucune place pour les jeux ou la fantaisie.
– Là, c'est votre chambre, les cousines, dit Sirius en se faufilant entre elles. Pas terrible terrible, hein ? Bon, sinon, il y a une place avec moi dans mon lit, là-haut...
Ses yeux gris brillaient de malice. Alors que Druella lui adressait un sourire affectueux, Walburga s'approcha d'eux comme une ombre menaçante, et Narcissa se sentit soudain aussi minuscule qu'une petite souris.
– Mes chères petites nièces, énonça Walburga d'une voix glaciale, puisque vous allez vivre sous mon toit pendant une période indéterminée, je voudrais que les choses soient claires à propos de votre cousin.
Elle posa ses longs doigts osseux sur l'épaule de Sirius, qui fit une petite grimace.
– Sirius me cause déjà assez d'ennuis comme cela, je n'ai pas besoin que vous le distrayiez davantage. Au contraire, je compte sur vous pour lui montrer l'exemple, en vous montrant sages et disciplinées. Me suis-je bien faite comprendre ?
Et sans attendre la réponse, elle prit sèchement Sirius par le bras, et monta à l'étage avec Cygnus et Druella. Sirius se retourna, fit un clin d'œil à ses cousines, et articula en silence : à demain !
– Sages et disciplinées, répéta Bellatrix en ricanant. Elle n'a pas tiré le bon numéro...
Les trois sœurs rentrèrent dans la chambre-placard, et Narcissa s'allongea tout habillée sur le matelas posé par terre. La fatigue venait de lui tomber dessus comme une massue. Cela faisait plusieurs nuits qu'elle peinait à s'endormir, car elle se demandait anxieusement quels objets de la maison auraient disparu à son réveil. Leur nouveau foyer avait beau être épouvantable, au moins, celui-ci resterait en place pendant la nuit.
La porte se ferma doucement, et plongea la chambre dans l'obscurité. Ses deux sœurs déposèrent un baiser sur sa joue, chacune leur tour, et Narcissa sourit. Elle entendit à peine les grincements des ressorts lorsque ses sœurs s'allongèrent sur les deux lits voisins, avant de sombrer dans un profond sommeil.