Secrets de Serpentard : La noble famille Black
Après avoir administré un remontant à Druella Black, Vera Goyle les amena immédiatement à l'hôpital sorcier Sainte-Mangouste. Sans bien comprendre ce qui leur arrivait, Narcissa et Andromeda se retrouvèrent au milieu d'une rue bondée, bien loin de la tranquillité de la Colline d'Émeraude. Des Moldus grouillaient dans tous les sens, allant frénétiquement de boutique en boutique à la recherche des derniers articles soldés.
Narcissa tenait fermement la main d'Andromeda, bien décidée à ne pas la lâcher d'une semelle. C'était la première fois qu'elle voyait des Moldus d'aussi près. Son père les lui avait toujours présentés comme des êtres beaucoup moins intelligents que les sorciers, qui dépensaient toute leur énergie en activités futiles, gaspillaient à tout-va et répandaient la guerre et la famine sur la Terre. Toute cette cohue gloutonne lui donnait la nausée.
Vera s'arrêta devant un bâtiment de briques rouges qui abritait un grand magasin miteux, apparemment "Fermé pour rénovation". Des mannequins écaillés étaient disposés au hasard dans la vitrine, affublés de vêtements usés.
Vera Goyle frappa un coup sec sur la vitrine, et s'adressa à un mannequin un peu moins laid que les autres, avec une perruque posée de travers et un justaucorps au couleurs fanées.
– Ouvrez, et plus vite que ça, dit-elle à toute vitesse. Nous avons une urgence !
Une voix s'éleva derrière elles :
– Passez vot' chemin, c'est jamais ouvert, ici, grogna un homme avant de se fondre à nouveau dans la foule, les bras chargés de sacs.
Narcissa était tétanisée. Un Moldu venait de lui adresser la parole ! Leur père leur avait raconté qu'il n'y avait pas si longtemps, les Moldus mettaient les sorciers – et surtout les sorcières – sur des gros tas de bois et les faisaient brûler devant tout le monde. Et si ces Moldus-là découvraient leur véritable identité, que feraient-ils ? Certes, elles avaient des pouvoirs magiques que les Moldus ne soupçonnaient pas, mais ils étaient si nombreux...
Heureusement, le mannequin dans la vitrine hocha légèrement la tête et fit un petit signe de la main. Vera, qui soutenait Druella, fit signe à Narcissa et Andromeda. Toutes les quatre avancèrent à travers la vitrine, qui avait la consistance d'une brume glacée, et disparurent aux yeux des Moldus. Ceux-ci ne remarquèrent absolument pas que quatre personnes venaient de disparaître sous leur nez.
Elles étaient à présent dans un hall d'accueil tout aussi bondé que la rue, mais cette fois-ci, il s'agissait de sorciers et de sorcières, assis en rang d'oignon sur des chaises en bois branlantes. Narcissa fut saisie par le vacarme ambiant, qui mêlait des raclements de chaises, des discussions animées, mais aussi quelques bruits tout à fait insolites émis par certains sorciers. Au deuxième rang, par exemple, une sorcière émettait un vrombissement de voiture dès qu'elle ouvrait la bouche, et de la fumée noire s'échappait de son derrière. D'autres étaient silencieux, mais présentaient d'effroyables malformations. Une femme parlait à son voisin en désignant les trois nez qu'elle avait au milieu de la figure ; et, plus loin, une dizaine de sorciers et de sorcières en robe verte transportaient tant bien que mal un homme allongé dont la tête était éloignée du corps par un long cou de girafe.
De nombreuses affiches étaient placardées sur les murs, et portaient des slogans adressés aux sorciers : UN CHAUDRON BIEN ENTRETENU, POUR UNE VIE SANS IMPRÉVU ou bien ANTIDOTES NON CERTIFIÉS = CAMELOTE ASSURÉE.
Narcissa n’était jamais venue dans cet établissement. Elle avait été malade une seule fois, après avoir mangé un saladier entier de Croustifix pendant le dixième anniversaire de sa sœur Bellatrix, et une Magicomage s’était expressément déplacé pour elle jusqu'à la Colline d'Émeraude. Il avait suffi d'une petite fiole de Ventriglisse pour que tout rentre dans l'ordre. Elle était donc persuadée qu'il en serait de même pour sa mère : l'hôpital saurait la soigner très facilement, et ensuite, la vie pourrait reprendre son cours paisible. Cette expédition des plus pénibles n'était qu'une formalité, et bientôt, tout ça ne serait qu'un mauvais souvenir.
Narcissa reconnut les Magicomage à leurs robes vertes caractéristiques, avec un emblème brodé sur leur poitrine : une baguette magique et un os croisés. Les sorciers glissaient vers elles des regards intrigués : leur équipage attirait l'attention, avec leur allure huppée, leurs robes colorées et le ravluk vert ailé perché sur l'épaule de Vera.
Une Magicomage vint immédiatement à leur rencontre, visiblement alarmée par la mine grisâtre de Druella Black, qui était toujours au bord de l'inconscience.
– Nous allons l'emmener immédiatement, dit-elle en appelant plusieurs de ses collègues en renfort.
Druella Black fut allongée sur un brancard et emportée avec beaucoup de précautions, et les autres furent priées de patienter dans le hall. Vera, Andromeda et Narcissa prirent donc place sur des chaises. Leur voisine ne cessait de gonfler comme un ballon en écrasant Andromeda, puis, lorsqu'elle atteignait la taille limite, dégonflait en émettant un bruit vulgaire. Leur voisin de gauche, quant à lui, portait des antennes d'escargot et enrageait devant son incapacité à lire un journal avec ses mains dégoulinantes de bave.
L'attente fut interminable. Le père de Narcissa, Cygnus Black, que Vera avait fait chercher, était retenu au Ministère pour des affaires urgentes, et Bellatrix était à Poudlard, pour y terminer sa deuxième année.
Narcissa, Vera et Andromeda virent défiler de nombreux sorciers. Certains restaient calmes malgré d'affreuses déformations, tandis que d'autres cédaient beaucoup plus rapidement à la panique.
Vera fut même obligée d'intervenir lorsqu'un homme fit irruption en hurlant dans la salle d'attente de l'hôpital, montrant une sorte de limace phosphorescente accrochée à sa jambe, laquelle devenait progressivement phosphorescente à son tour, autour de l'endroit où la limace le mordait.
– RETIREZ-MOI ÇA ! ordonna immédiatement l'homme.
Mais malgré les instructions des Magicomage, l'homme refusait de patienter.
– Regardez ! Mais REGARDEZ ! Je suis sur le point de perdre ma jambe ! Faites quelque chose !
Alors qu'un Magicomage renfrogné s'arc-boutait sur la limace phosphorescente pour l'arracher de la jambe du sorcier, Vera échangea un regard entendu avec Albert, son ravluk vert ailé, et elle se leva pour s'approcher de l'attroupement qui s'était formé autour du nouveau venu, qui était bien moins mal en point que la plupart des sorciers présents dans la salle d'attente.
– Pas comme ça, pas comme ça ! dit-elle en se frayant un chemin parmi les Magicomages complètement dépassés.
En désespoir de cause, les Magicomage la laissèrent passer.
– VOUS ! Débarrassez-moi de cette horreur ! hurla le sorcier en pointant son index sur Vera.
Sur sa jambe, la tâche verte et phosphorescente s'étendait à toute vitesse.
– Ça n'est pas une horreur, c'est un Lumimord, dit doucement Vera en se penchant sur la jolie créature. Un superbe spécimen... Où l'avez-vous attrapé ?
– Re-ti-rez-moi-ça !
– Les Lumimords ne supportent pas le bruit, mentit Vera. Essayez de vous détendre...
Enfin, le sorcier consentit à se taire. Vera entortilla délicatement le Lumimord autour de son doigt, et lorsque celui-ci se détacha docilement, tout le monde poussa un soupir de soulagement et la remercia chaleureusement.
– Où est passée la créature ? s'enquit tout de même un Magicomage en considérant les mains vides de Vera.
– Il leur arrive de disparaître spontanément, assura-t-elle.
Personne n'osa contredire celle qui avait sauvé la situation, et Vera retourna auprès de Narcissa et Andromeda en posant une main sur la poche de sa robe, où brillait discrètement une jolie lumière verte et phosphorescente.
– Quelle chance incroyable, se réjouit Vera. Cela fait des années que je cherche à élever des Lumimords, sans réussir à mettre la main sur un seul d'entre eux !
Pour distraire Narcissa et Andromeda de leur attente anxieuse, et pour se détendre elle-même, Vera leur montra discrètement le Lumimord de plus près, et le fit jouer entre ses doigts, ce que Narcissa trouva très amusant. Albert se mit également en quatre pour les divertir, à grand renfort d'acrobaties et de grimaces.
Mais malheureusement, après une bonne heure d'attente, Vera Goyle reçut un hibou de son mari :
– Cet étourdi a ouvert un colis qui m'était destiné, pesta-t-elle en lisant la lettre. Je l'avais pourtant prévenu, mais il est tellement tête-en-l'air... Résultat, une vingtaine de lutins de Cornouailles sont entrain de saccager notre maison ! Je suis désolée, les filles, mais je dois vous laisser... Je ferai tout mon possible pour revenir au plus vite, je vous le promets.
Elle reposa son ravluk Albert sur son épaule, mit le Lumimord fluorescent dans sa poche et s'en fut. Et malheureusement, les lutins de Cornouailles durent lui donner du fil à retordre à Vera, car elle ne revint pas. Narcissa et Andromeda attendirent donc seules, blotties l'une contre l'autre. Beaucoup de monde s'affairaient autour d'elles, le plus souvent sans leur accorder le moindre regard, ce qui était pour elles très inhabituel. Et au fur et à mesure que la lumière déclinait, l'angoisse grandissait avec les ombres, et l'hôpital leur semblait de plus en plus hostile. Alors que la nuit tombait, Narcissa décida de sortir sa poupée de son petit sac à dos, et la serra contre elle.
– Oh, tu as amené Nymphadora, dit Andromeda en souriant.
C'était une jolie poupée de chiffon qu'Andromeda avait offerte à Narcissa pour ses six ans. Elle avait des joues roses, deux nattes toutes aussi roses et une robe bleue. Malgré les railleries de Bellatrix, Narcissa l'avait appelée Nymphadora – un prénom qu'elle avait inventé – et Andromeda avait aussitôt déclaré que c'était le plus joli prénom qu'elle ait jamais entendu.
– Comment va-t-elle ? demanda Andromeda en lissant les deux nattes de laine rose.
Narcissa regarda attentivement sa poupée, essayant de déceler ses propres angoisses sur le visage immobile.
– Je crois qu'elle a un peu peur, mais elle sait que papa va tout arranger, dit Narcissa.
Puis elle serra Nymphadora contre elle, appuya sa joue contre l'épaule d'Andromeda, et ferma les yeux pour ne plus voir les autres sorciers et leurs hideuses maladies.
À la tombée de la nuit, alors que leur père n'avait toujours pas donné signe de vie, un Magicomage vint enfin à leur rencontre. Il les invita à le suivre, et les deux sœurs lui emboitèrent le pas, trottinant derrière lui pour rattraper ses grandes enjambées. Elles le suivirent dans des couloirs faiblement éclairés, puis montèrent plusieurs volées de marches à sa suite. Elles passèrent devant plusieurs services – Morsures, Objets magiques, Maladies contagieuses, Explosions de chaudron, Court-circuits de baguettes – et s'arrêtèrent finalement au quatrième étage. Le Magicomage leur fit franchir une porte à double battants, flanquée de l'inscription PATHOLOGIES DES SORTILÈGES - Maléfices chroniques, ensorcellements, détournements de charmes, etc.
– Les meilleurs Magicomage d'Angleterre travaillent dans ce service, leur dit machinalement leur guide, l'air un peu absent.
Narcissa souriait naïvement, impatiente de revoir sa mère en pleine santé, pleine de confiance envers cette institution magique – son père répétait souvent que la magie avait toujours été, et serait toujours, une réponse efficace à tous les maux.
Devant la chambre de Druella, un petit attroupement était formé, où un vieux guérisseur s'adressait à trois de ses élèves :
– Ce cas est fascinant, fascinant... répétait le vieux guérisseur. Vous avez vu ce teint grisâtre ? Tout à fait caractéristique d'une Saviriose diffuse... Vous n'en verrez jamais une à un stade aussi avancé...
Le Magicomage qui les accompagnait toussota pour signaler leur présence. Le vieux guérisseur s'interrompit et les laissa passer, et une des élèves adressa un regard désolé à Narcissa.
Ils entrèrent dans une chambre petite et sinistre, où Druella Black paraissait plus abattue que jamais. Les deux sœurs se précipitèrent au chevet de leur mère, désemparées, et celle-ci leur sourit faiblement.
Le Magicomage ne leur laissa pas une seconde de répit. Il se présenta à peine, et leur parla trop vite, avec des mots terriblement alambiqués, à tel point que Narcissa se demandait si lui-même saisissait le sens du torrent de phrases qu’il produisait.
Elle comprit tant bien que mal que sa mère était atteinte de la Saviriose, une maladie grave, rare et mystérieuse, même pour les Magicomages les plus prestigieux. Elle comprit aussi, sans imaginer une seule seconde tout ce que cela impliquerait, que cette maladie bizarre ne la quitterait jamais. Sa mère n'écoutait pas vraiment, la tête tournée vers l'étroite fenêtre, sans poser aucune question, se laissant bombarder par les explications savantes et inutiles du Magicomage. Andromeda lui tenait la main, de plus en plus crispée, et Narcissa s'agrippait au bras de sa grande sœur comme à une bouée de sauvetage. Depuis toute petite, Narcissa avait pris l'habitude d'épier sa sœur pour savoir comment réagir, et la voir aussi désespérée ne présageait rien de bon.
Pour conclure, le guérisseur fit cette annonce, en apparence anodine :
– Le seul moyen d'atténuer la fatigue, ce sont les infusions de Croculus Sativus, une plante très rare venant de loin, très loin d'ici... Heureusement, ajouta-t-il aussitôt, en tant que premier hôpital sorcier, nous en avons ici.
Mais l'expression faussement désolée du guérisseur discordait étrangement avec cette bonne nouvelle.
– C'est très bien, dit aussitôt Andromeda. Pouvez-vous en donner à notre mère... s'il vous plaît ?
– Oh ! Doucement, jeune fille... C'est que... Vous savez, c'est extrêmement coûteux.
Andromeda se tourna vers sa mère, dont les yeux s'étaient refermés.
– Nous pourrons payer, je vous promets, dit-elle d'une voix suppliante. Vous voyez bien que notre maman va très mal !
Le guérisseur se mit à osciller d'un pied sur l'autre.
– C'est vraiment très coûteux. Je ne doute pas de votre bonne foi, mademoiselle, mais... Nous ne pouvons pas nous permettre de vous délivrer ce traitement sans la preuve que vous aurez la capacité de le financer.
– C'est absurde, gémit Andromeda. Je suis sûre que vous connaissez notre famille, monsieur... Vous savez que nous pouvons payer...
Le guérisseur sembla très fier de les rebuter :
– Oui, je connais bien votre noble famille, mademoiselle. Mais Black ou pas, il vous faudra attendre comme tout le monde. Ici, la pureté du sang ne compte pas !
Il se montra intraitable, et les deux sœurs durent attendre l'arrivée bien tardive de Cygnus Black pour que celui-ci délie sa bourse et que leur mère soit soulagée par une fiole de liquide rouge vif.
En comptant avidement les pièces d'or, le guérisseur signala, faussement empathique, que le traitement ne serait efficace que s'il était pris toutes les semaines.
– Sans cela, la situation ne fera qu'empirer, appuya-t-il en mettant les pièces dans sa poche.
En voyant le regard ennuyé de son père, Narcissa comprit que cette somme hebdomadaire était largement au-dessus de leurs moyens.
Quand l'homme prit congé, Narcissa lui raconta, offusquée, la résistance inhabituelle qu'on leur avait opposée, mais son père ne s'en émut pas.
– Ces braves gens ne font que leur travail, murmura-t-il, soucieux. Allez, les filles, on s'en va.
Dans la voiture, qui roulait sans que son père n'ait besoin de toucher le volant, Narcissa ne prononça pas un mot. Elle avait appuyé son front contre la fenêtre, serrait Nymphadora dans ses bras, et regardait pensivement au dehors. Elle était complètement chamboulée par ces refus et ces inquiétudes, malgré les propos rassurants que sa famille improvisait pour la tranquilliser. C'était bien la première fois qu'elle voyait quelqu'un résister à la famille Black. Elle avait l'impression de se retrouver face à une facette inhospitalière de la réalité, dont elle avait été soigneusement abritée, sans même avoir conscience de l'être.
En arrivant sur la Colline d'Émeraude, plongée dans l'obscurité, Narcissa constata que la banderole d'anniversaire qui flottait dans les airs quelques heures plus tôt avait été retirée. Et soudain, elle réalisa que son bandeau pailleté lui grattait la nuque, que sa belle robe verte la gênait horriblement, que ses souliers vernis lui faisaient mal, et qu'elle avait très envie de pleurer.
Sa mère, un peu ragaillardie, envoya ses filles se coucher en les embrassant de nombreuses fois, avec des gestes qu'elle voulait pleins d'assurance. Mais Narcissa n'était pas dupe : elle voyait bien l'air préoccupé de son père quand il se détournait, et la façon dont il regardait les bibelots hors de prix qui remplissaient les étagères de leur maison.
Ses parents eurent une longue conversation, ce soir-là. Narcissa voulut aller écouter à leur porte, mais Andromeda l'en empêcha. Elles s'allongèrent ensemble sur le grand lit de Narcissa, et Andromeda alla puiser dans les replis de son imagination pour raconter des histoires formidables à sa petite sœur. Mais pour la première fois, Narcissa n'arrivait pas à les apprécier, et regardait fixement le plafond, perdue dans ses pensées.