Dans le nid des Serpents

Chapitre 0 : Prologue : Rye

1033 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 30/03/2022 22:58

Rye, petit village dans le Sussex, tout au Sud de l’Angleterre, était une bourgade dans laquelle il faisait bon vivre. Les quelques centaines d’habitants qui séjournaient à trois kilomètres de la mer n’avaient pas connu de problèmes depuis bien longtemps. Les plus anciens avaient même oublié la signification de ce mot, à ce qu’il se disait. Ici, rien ne semblait pouvoir troubler la quiétude des rues encore pavées du centre-ville, ni le calme de la légère brise qui soufflait doucement en remontant les flancs de l’unique colline des alentours.

Le village se composait uniquement de maisons, et chacune portait sur elle le poids des siècles passés, créant un ensemble historique harmonieux. Au centre de tout cela, on retrouvait une petite église sur une place bordée de fleurs, entretenues avec soin par les habitants. Un air d’autrefois flottait constamment dans l’air, comme si le village sortait tout droit d’une carte postale de l’ancien temps. Pour rien au monde les villageois n’auraient toléré qu’un immeuble hideux, comme ceux qui se construisaient dans les grandes villes, ne vienne dénaturer leur patrimoine.

Les Britanniques qui vivaient là se connaissaient presque tous ; les enfants grandissaient ensemble dès leur plus jeune âge et se mariaient avec leurs amis de longue date, sans penser un seul instant à quitter ce petit coin de paradis. Bien sûr, le village n’était pas coupé du monde : un réseau de chemin de fer et d’autobus le reliait à Londres, Douvres ou encore Ashford. Mais pourquoi ceux qui vivaient à Rye auraient-ils choisi de partir pour la grande ville, où l’argent régnait en maître, alors qu’il était tellement plus simple de sortir sur le pas de sa porte et de demander à son voisin les trois carottes et les deux courgettes bien mûres de son potager pour la soupe du soir ? Et si les habitants n’étaient pas au courant des derniers potins concernant les célébrités de la grande ville, Rye avait son propre lot de rumeurs, comme c’était le cas dans tous les petits villages du monde. Les commères qui s’asseyaient tous les après-midi sur les bancs de la place de l’église se faisaient une joie de les colporter jusque dans les moindres ruelles. Ainsi, chacun était au courant que la vache de Monsieur Perkins s’était échappée parce qu’il était trop saoul pour penser à fermer la barrière de son champs, alors qu’il revenait d’une partie de poker ayant eu lieu au pub de la rue principale, où il avait perdu 150 livres sterling.

Mais la plus grosse rumeur qui courait dans cette petite bourgade si tranquille concernait la dernière maison à la sortie ouest du village, sur la route de pierre menant à l’orée de la forêt. C’était une des bicoques les plus misérables de la ville, et certaines mauvaises langues persiflaient qu’elle s’écroulerait un jour sur la tête de ses habitants. Le jardin était difficilement entretenu et les bricoleurs du village se demandaient comment la charpente tenait encore debout. Il y avait maintenant un peu plus de dix ans, elle avait été achetée par une jeune veuve venue de la ville avec ses deux fils. Madame Bowsmith ne s’était jamais véritablement intégrée au village. Les femmes de Rye n’avaient pas vu d’un bon œil l’arrivée d’une rivale encore jeune, belle et sans mari. Les rumeurs sur son déménagement s’étaient propagées à une vitesse phénoménale. Si certaines disaient que le père des garçons était décédé d’une attaque cardiaque, d’autres laissaient courir que sa femme n’était pas totalement innocente à cette disparition. Tous les habitants avaient accueilli avec bonté et bienveillance les deux jeunes enfants qui l’accompagnaient, louant leur gentillesse et leurs bonnes manières, mais nul ne faisait totalement confiance à cette citadine venue s’exiler au plus profond du Sussex pour une obscure raison.

Du reste, Madame Bowsmith n’avait jamais véritablement cherché à s’intégrer. Elle sortait peu de chez elle, vivant de la rente qu’elle percevait depuis la mort de son mari, et des quelques travaux de couture qu’elle faisait pour les plus âgées du village. Mais quand elle y était contrainte, notamment pour faire ses courses, elle ne se mêlait jamais aux autres habitants, ne s’arrêtait pas pour discuter tricots et potins, et semblait regarder de haut tous ceux qui avaient le malheur de croiser son regard. Personne n’était jamais rentré dans sa demeure et, lorsque ses fils voulaient passer du temps avec leurs camarades de classe, ils restaient toujours à l’extérieur.

Mais plus que ce caractère taciturne, c’était un élément quelque peu étrange de sa maison qui avait alimenté les rumeurs. Les fenêtres du premier étage, au sud de la bicoque, étaient toujours fermées. Si les autres semblaient donner sur des pièces qui paraissaient un minimum entretenues, les volets marron qui faisaient face au bois ne laissaient filtrer aucune lumière. Au départ, les habitants avaient simplement pensé qu’il s’agissait d’une chambre inoccupée. Mais depuis le jour où la femme du curé avait juré avoir aperçu l’ombre d’un être humain de petite taille dans le jardin, à l’heure où les enfants de Madame Bowsmith étaient à l’école, l’idée que cette citadine cachait un terrible secret s’était incrustée dans l’esprit des gens. Y avait-il un troisième enfant dans cette famille ? Etait-il si différent pour que personne ne l’ait jamais vu au village ? Nul n’avait osé lui poser la question, et le doute planait toujours. Et, si Madame Bowsmith avait entendu les ragots, elle n’y avait jamais accordé la moindre attention. Cela serait revenu à donner à ces commères encore plus d’informations croustillantes. Car, si enfant il y avait, qui était-il ?

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