Lettockar, tome 1 : la honte des écoles

Chapitre 22 : La victoire de Kelly

5199 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 21/05/2022 01:07

22. La victoire de Kelly


Le professeur Dumbledore soupira profondément, se massant le front du bout de son long index, et dit d'une voix douce et fatiguée :


- Croyez-moi, les enfants… je n’ai aucune certitude, mais un jour peut-être, quelque chose de bien arrivera au château de Lettockar. En attendant, ce que je vais faire, c’est que je vais chercher mon infirmière pour qu’elle vienne ici avec du matériel médical. Il faut soigner ces vilaines plaies. Ne vous inquiétez pas, elle m’est très loyale, elle ne me posera aucune question sur...


Mais il fut interrompu par un des portraits des anciens directeurs. Un individu décharné, le crâne criblé par une calvitie disparate, leur annonça d’une voix grelottante :


- Professeur Dumbledore, le… le professeur Doubledose demande à vous voir au plus vite.


Un silence abasourdi envahit la pièce. La peur glaça les entrailles de Kelly. Elle regarda John et Naomi, et eux aussi affichaient une mine à la fois stupéfaite et effrayée. L’arrivée inattendue de leur directeur alors qu’ils avaient mis toutes leurs forces à échapper à leur école était un rebondissement cauchemardesque.


« Non… non, c’est une coïncidence… » pensa-t-elle, faisant tout son possible pour se rassurer.


Dumbledore lui-même avait les yeux écarquillés, mais il conserva son sang-froid et dit avec calme :


- J’imagine qu’il veut en savoir plus à propos de… enfin… dites-lui que je suis à lui dans quelques instants, Krillinius.


Dumbledore se leva de son bureau et brandit sa baguette au-dessus d’eux. Il s’apprêtait sans doute à leur lancer un nouveau sortilège de Désillusion.


- Vous allez sortir discrètement et vous cacher dans le couloir, le temps que votre directeur s’en aille. Ne bougez sous aucun prét…


Mais le dénommé Krillinius l’interrompit :


- Il… a ajouté que c’était inutile d’essayer de cacher ses élèves qui se trouvent actuellement dans votre bureau.


Tandis que les trois élèves de Lettockar se levaient d’un bond, le bras de Dumbledore chuta mollement à cette annonce. Kelly, estomaquée, eut un hoquet étranglé. A côté d’elle, John se tenait la tête entre les mains, et Naomi s’enfonçait les ongles dans les joues. Le peu d’aplomb qu’il leur restait s’évapora instantanément. Leur terrible directeur était au courant non seulement de leur escapade, mais aussi de l’endroit où ils s’étaient réfugiés.


- Mais… comment sait-il ? articula Dumbledore.


- Albus, je vous jure que je ne lui ai rien dit ! s’écria Poissard, au bord des larmes.


- Professeur Dumbledore… dit Naomi d’un ton suppliant.


Mais Dumbledore ne lui répondit pas. Vraisemblablement, il n’y avait rien à faire. Refuser de recevoir le directeur de Lettockar serait une véritable déclaration de guerre. Il se rassit sur son somptueux fauteuil, enfouit son visage dans ses mains et dit d’une voix éteinte :


- Je n’ai pas le choix… Krillinius, dites-lui qu’il peut venir...


Tremblant de tout son corps, l’infortuné fit une pirouette sur lui-même, et son portrait ne fut alors plus qu’une toile brune totalement lisse. Quelques instants plus tard, la cheminée du professeur Dumbledore s’embrasa d’une gerbe de flammes vertes, arrachant un cri à Kelly, John et Naomi. Mais leur effarement ne fut rien comparé à celui qu’ils éprouvèrent en voyant Niger Doubledose en surgir, un cigare cubain aux lèvres. La lumière des flammes faisait luire ses cicatrices, et ses yeux pourtant sombres étincelaient sur son visage à moitié obscurci par l’ombre de sa capuche. En arrivant, il fit tomber une pluie de cendres sur le superbe tapis. Il ôta son cigare de sa bouche et balaya la pièce du regard.


- Bonsoir, Albus, dit-il laconiquement à son homologue.


- Niger… le salua Dumbledore à mi-voix, les traits toujours aussi affaissés.


Doubledose se tourna alors vers ses trois élèves. Son visage se marbra de colère. Le moindre de ses muscles faciaux était tendu, étirant ses deux cicatrices au point que Kelly avait l’impression qu’elles allaient se rouvrir et se mettre à saigner. La fumée de son cigare complétait ce tableau qui lui donnait l’air d’une créature surgie des flammes de l’enfer. Il s’avança lentement vers Kelly, John et Naomi, qui reculèrent contre une étagère et se resserrèrent les uns contre les autres, terrorisés.


- Vous en tirez une tronche, tous les trois, leur dit Doubledose. On est pas heureux de voir apparaître son directeur bien-aimé ?


Il parlait d’une voix parfaitement tranquille. Mais Kelly aurait préféré qu’il se mette à hurler. Cette douceur feinte était encore plus terrifiante que n’importe quel éclat de voix. C’était le fameux calme avant la tempête, et l’angoisse qu’il procurait aux trois compères risquait de les faire s’évanouir à chaque instant.


- Alors, les merdeux, c’est la fête ? On s’ennuyait un peu, donc on s’est dit que ce serait cool de fuguer ?


- Pas du tout ! s’écria Naomi, paniquée. Enfin… on… on voulait voir l… l’extérieur… Ça fait si longtemps qu’on n’est pas s… sortis de l’école.


- En sachant pourtant que c’est formellement interdit par le règlement ? poursuivit Doubledose, toujours aussi doucereux. En sachant que vous preniez des risques extrêmes et qu’à cause de vous, quelqu’un aurait pu apprendre l’existence de notre école ?


- Non ! glapit John. On a fait en sorte d’être vus de personne, on ne voulait pas d… dévoiler l’existence de Lettockar !


- Alors qu’est-ce que vous êtes venus faire ici, au juste ? asséna le directeur, en haussant la voix. Vous imaginiez quoi, qu’Albus allait vous adopter ? Ou alors vous vouliez revenir avec des copains ?


- On… on voulait juste… revoir le seul sorcier qu’on connaissait en dehors de Lettockar, chevrota Naomi. Et contempler le château de Poudlard de nos propres yeux...


- VOUS MÉRITERIEZ QUE JE VOUS RÉDUISE EN MIETTES !


Le déversement de colère que Doubledose éclatait enfin. Ils sursautèrent tous les trois, et perdirent toute contenance. John tremblait si fort qu’il en aurait sans doute des courbatures le lendemain, et Naomi avait immédiatement fondu en larmes. Bien qu’elle fût elle-même secouée, Kelly saisit discrètement la main de son amie et la serra très fort, pour essayer de la calmer. Doubledose fondit sur eux et leur mugit au visage :


- VOUS AVEZ ENFREINT UNE DE NOS RÈGLES LES PLUS FONDAMENTALES ! VOUS VOUS ÊTES MIS EN DANGER ET VOUS AVEZ MIS EN DANGER NOTRE ÉCOLE !


- On… on a jamais voulu mettre en danger qui que ce soit… risqua Kelly.


- ET LÀ, VOUS ÊTES VENUS CHOUINER DANS LES ROBES DU DIRECTEUR D’UNE AUTRE ÉCOLE ! ET À COUP SÛR, POUR LUI DEMANDER DE VOUS PRENDRE DANS SON ÉTABLISSEMENT !


Il hurlait si fort et si près d’eux que Kelly avait l’impression de ressentir des ondes de choc sur sa face. Dans le vain espoir de trouver de l’aide, elle chercha des yeux le professeur Dumbledore. Le vénérable sorcier fixait le tapis devant son bureau. Il tortillait sa baguette magique entre ses doigts, comme s’il mourait d’envie de jeter un sortilège très douloureux à Doubledose. Mais hélas, il laissa ce dernier se défouler sur eux.


- VOUS ÊTES DES CHAROGNES, DES RACLURES, ET DES TRAÎTRES PAR-DESSUS LE MARCHÉ ! DES PETITES BOUSES QUI NE SE SONT PLUS SENTIES PISSER ! MAIS JE VAIS VOUS LA FAIRE BOUFFER, MOI, VOTRE INDISCIPLINE !


- M… monsieur le directeur ! P-p-pitié ! bredouilla pitoyablement John.


Doubledose poussa un rugissement bestial et donna un énorme coup de pied sur une des chaises, qui alla se fracasser contre une étagère et en fit tomber plusieurs livres à terre. La rage de son directeur eut raison de la fierté de Kelly, et elle aussi se mit à pleurer. Doubledose lui jeta un regard méprisant puis se mit à faire les cent pas dans la pièce. La mâchoire crispée, il souffla des narines comme un taureau. Les adolescents furent carrément étonnés de ne pas voir des flammèches en sortir. Le ton lourd de menaces, il leur dévoila enfin ce qui les attendait.


- Vous êtes immédiatement recalés à votre première année. Un an de plus à Lettockar, ça vous apprendra la vie. Et quand nous serons de retour, vous recevrez le plus gros châtiment qu’on ait jamais vu dans cette école. Croyez-moi, je vais faire fonctionner mon imagination.


Les sanglots de Naomi s’étaient ravivés quand elle avait entendu Doubledose déclarer qu’ils allaient redoubler leur première année. Elle, si brillante et intelligente, recalée comme une vulgaire cancre… Qu’allait donc penser ses parents si exigeants, en apprenant que leur fille s’était attiré un tel déshonneur dès son arrivée à Lettockar ? Kelly, de son côté, s’autorisa une squelettique consolation en se disant qu’au moins, ils n’auraient pas de soucis à se faire concernant les examens des prochains jours. Mais elle était elle-même déprimée par cette perspective, sans parler de la sanction encore inconnue qui les attendait.


- Maintenant, reprit Doubledose, racontez-moi ce qui s’est passé, en vitesse. Et je vous préviens, si vous me mentez, je le saurais…


Ce fut John qui commença le récit. Kelly lui en fut reconnaissante, car elle avait honte de l’état dans lequel elle se trouvait. Elle n’aurait pas supporté d’avoir à parler la voix noyée de pleurs. La respiration saccadée, elle attendit de s’être ressaisie pour l’accompagner. De son côté, Naomi n’y parvint pas et continua à renifler bruyamment, le visage rougi. John et Kelly endossèrent donc toute la responsabilité : ils racontèrent comment ils avaient découvert le minuscule vortex dans les entrailles du château, comment ils avaient passé les dernières semaines à élaborer leur plan, à parfaire leur moyen de transport. Comment ils avaient réussi à s’y rendre discrètement ce soir même, l’avaient emprunté et atterri dans le labyrinthe...


- Le labyrinthe ? s’étonna alors Doubledose. L’endroit où avait lieu la troisième tâche du Tournoi des Trois Sorciers ?


- C’est bien cela, confirma faiblement Naomi, qui participait au récit pour la première fois.


- Mais… je croyais que ce truc était prévu pour des élèves de septième année ? interrogea Doubledose, déconcerté, en se tournant vers Dumbledore. Que c’était rempli de pièges, d’Acromentules et d’autres saloperies du même genre ?


- Si, si, tout à fait, répondit Dumbledore sur un ton de défi.


- Et... vous avez réussi à vous en tirer ? articula Doubledose à ses élèves.


En un éclair, la fureur qui déformait son visage s’effaça pour laisser place à un ahurissement admiratif.


- Disons qu’on s’est débrouillé pour rester en vie, répondit Kelly en haussant les épaules, étrangement encouragée par le changement de ton de Doubledose. On a filé entre les pattes des créatures et on a répondu correctement à l’énigme du sphinx.


Doubledose resta coi durant une dizaine de secondes, manifestement ébahi.


- Et bien, si je m’attendais à ça… Et ensuite... ?


- Ensuite, nous nous sommes glissés vers son entrée, et sur le côté nous avons aperçu le public qui… qui s’était rassemblé… autour de… hésita Kelly.


- Je suis au courant pour Harry Potter et son copain, précisa Doubledose. Continuez.


- Nous sommes restés cachés et nous avons attendus que tout le monde s’en aille, dit Naomi. Puis, nous nous sommes infiltrés dans le château. Nous avons aperçu le professeur Dumbledore qui se rendait à l’infirmerie, accompagné par Harry Potter et un gros chien. Nous nous sommes cachés, et nous avons attendu qu’il revienne seul… nous nous sommes enfin montrés, et… il nous a fait entrer dans son bureau.


Elle tourna les yeux vers le directeur de Poudlard. Celui-ci lui répondit par un sourire plein de tendresse. Doubledose les regarda tous un bref instant, puis renifla.


- Bien, l’interrogatoire est terminé, clama-t-il. À présent...


- J’ai à mon tour une question à vous poser, Niger, intervint Dumbledore.


A ces mots, le directeur de Poudlard se leva de son siège. Il sembla alors devenir un autre homme. Ses yeux bleus foudroyaient son homologue. Il n’avait plus ce regard bienveillant et compatissant, mais bien une expression terrifiante de froideur maîtrisée. Le gentil grand-père avait disparu pour laisser place à un sorcier implacable, dont le corps entier irradiait de puissance. Les élèves de Lettockar firent un pas en arrière. Doubledose lui-même blêmit et détourna le regard, comme pour s’abriter de celui de son semblable. Dumbledore en vint enfin à sa question.


- Comment avez-vous su que trois de vos élèves se trouvaient en ce moment même dans mon bureau ?


- Vous n’avez pas à savoir, rétorqua Doubledose d’un ton glacial, en lui tournant le dos.


- Je suis parfaitement en droit de savoir par quel moyen vous savez ce qui se passe dans mon bureau ! Vous espionnez littéralement mon école, vous dépassez les bornes !


- Et que dire de vous, Dumbledore ?? fulmina Doubledose. Vous qui hébergez des hors-la-loi sous votre toit ? Le pacte qui unit nos écoles stipule que si vous découvrez un élève de Lettockar au-dehors, vous devez immédiatement l’y renvoyer, quel qu’en soit le moyen ! Qu’est-ce qui se passerait si quelqu’un d’autre découvrait ces trois-là ? C’est vous qui êtes en tort, pas moi ! Vous mettez en danger un secret qui était là bien avant vous !


- Peut-être n’aurais-je pas à mettre ce secret en danger si seulement vous ne donniez pas tant à vos élèves l’envie de le briser...


Doubledose émit un grommellement hargneux, mais ne répliqua pas. Il se contenta de tirer sur son cigare avec une force disproportionnée. Sa brutalité trouvait ses limites face à Dumbledore. Ce dernier reprit calmement :


- Niger, je suis disposé à passer l’éponge sur votre ingérence dans mes affaires à une condition.


- Laquelle ?


- Qu’à votre retour vous retiriez toutes vos sanctions envers Kelly, Naomi et John.


John laissa échapper un bruit de gorge hébété. Kelly, bien que tout aussi surprise, redoubla d’affection pour Dumbledore, qui prenait leur défense jusqu’au bout. Quant à Doubledose, il ricana :


- Ça vous arrive de vous mêler de votre cul, Dumbledore ? Vous êtes vraiment incroyable. A chaque fois qu’on se voit, vous trouvez le moyen de me dicter ma conduite. Vous devenez si arrogant que vous en oubliez que votre domaine se limite à Poudlard. Si ça vous convient de laisser vos élèves faire n’importe quoi, grand bien vous fasse. Dans ce domaine-là, vous êtes un champion, soit dit en passant. Mais concernant ce que je fais à Lettockar, vous ne pouvez strictement rien faire.


- Non, mais nous si.


C’était Kelly qui avait parlé. Toutes les personnes braquèrent leur regard vers elle. Dumbledore haussa les sourcils, interloqué mais impressionné. John et Naomi pâlirent : ils avaient vu tout au long de l’année à quel point l’esprit rebelle de Kelly lui avait attiré des ennuis.


- Je te demande pardon ? lâcha Doubledose d’un ton faussement aimable.


Il arborait un sourire mielleux, mais son regard montrait qu’il avait envie de se jeter sur Kelly. Celle-ci déglutit de peur, mais s’arma de courage. Elle n’avait rien à perdre après tout.


- Le passage qui nous a permis d’arriver à Poudlard n’obéit qu’à nous trois, répondit-elle. Le cercle que nous avons fabriqué, qui nous a permis de sécuriser et stabiliser le vortex … nous lui avons apposé nos signatures magiques. Il n’y a que nous qui pouvons ouvrir le passage, l’emprunter, le fermer… et le détruire.


Son directeur se raidit. Se bouche s’entrouvrit, mais aucun son n’en sortit. Tout autour, les traits de Naomi, John et Dumbledore s’illuminaient : ils voyaient où elle voulait en venir. Leur espoir retrouvé donna de la vigueur à Kelly qui poursuivit son chantage :


- Sans nous, vous ne pouvez pas détruire cette porte de sortie de Lettockar. Il y aura à jamais ce trou béant dans votre école. Et même si vous nous faites taire, cela finira par se savoir… Vous avez besoin de nous si vous ne voulez pas que d’autres élèves s’enfuient à leur tour vers Poudlard. Et, vous l’avez compris, si vous voulez que nous détruisions notre création, il va falloir retirer vos sanctions.


Doubledose semblait ne pas en croire ses oreilles. Une gringalette de douze ans le tenait dans le creux de sa main. Son expression se fit à nouveau féroce : il projetait de toute évidence d’utiliser la manière forte pour régler cette histoire. Il restait donc une dernière chose à ajouter. Kelly passa sa langue sur ses lèvres, et acheva d’une voix légèrement tremblante :


- Et il est inutile d’employer la force : le portail a besoin de notre consentement. Il sent nos émotions. Si nous lui donnons un ordre contre notre gré, il n’obéira pas. Alors certes, vous avez la possibilité d’user du sortilège de l’Imperium… A vous de choisir.


Cette dernière sentence était un pari risqué. John et Naomi comprirent aussitôt l’enjeu : ils se souvenaient autant qu’elle de cette longue conversation avec Astrid et Peter il y a des mois, où ils avaient appris que Doubledose se targuait de refuser contre vents et marées d’utiliser le sortilège de l’Imperium pour contrôler les gens. Kelly touchait sa corde sensible, lui imposait un dilemme : obtenir ce qu’il voulait et trahir sa parole, ou rester fidèle à ses convictions et se coucher devant Kelly.


Doubledose, totalement mutique, la dévisageait d’un regard intense. S’il n’avait pas eu les yeux à ce point rivés sur Kelly, il aurait vu que dans son dos, Dumbledore levait petit à petit sa baguette vers lui, prêt à intervenir si le directeur de Lettockar envisageait ne serait-ce qu’une seconde d’utiliser ce sortilège Impardonnable...


Kelly respirait bruyamment. Elle s’efforçait de rester sereine, mais c’était bien l’appréhension qui la gagnait. Un nouvel ouragan de fureur pouvait parfaitement éclater, et son cœur allait certainement la lâcher si cela arrivait. Doubledose prit une inspiration sonore, et Kelly ferma compulsivement les yeux en attendant le verdict.


- C’est très habile de ta part, Powder, je le reconnais, marmonna son directeur. Très bien, je retire mes sanctions.


Kelly se sentit renaître. Elle avait réussi. La joie réchauffa son corps comme un rayon de soleil. John et Naomi poussèrent un soupir fait à la fois de soulagement et de ravissement. Dumbledore, qui reposait avec sérénité sa baguette magique sur son bureau, avait les yeux pétillants devant l’audace de la jeune fille. Doubledose tiqua, agacé, comme s’ils en faisaient trop.


- Je pense que vous avez eu votre lot d’émotions pour ce soir. On rentre au bercail.


Il leur désigna du pouce la cheminée du bureau. Il fouilla dans sa poche, et en sortit un petit sac qui contenait une poudre scintillante. Il leur fit signe de s’approcher.


- J’imagine que vous n’avez jamais voyagé par la Poudre de Cheminette ? Alors c’est très simple. Vous en prenez une poignée, vous jetez la poudre dans les flammes, vous vous placez au milieu de la cheminée et vous énoncez « Bureau directorial de Lettockar ». Vous atterrirez directement dans mon bureau. C’est compris ? Allez-y, je vous suis...


- Niger, pourriez-vous rester un instant, je vous prie ? Nous devons parler.


Dumbledore s’était adressé à lui avec une voix plus sereine que ce qu’elle avait été il y a quelques instants. Le directeur de Poudlard avait retrouvé la courtoisie grave qui lui seyait tant. Doubledose sembla déstabilisé pendant quelques secondes, puis il accepta.


- Bien sûr. Vous trois, vous m’attendez dans mon bureau. Gare à vous s’il vous vient l’idée de vous enfuir.


Naomi fut la première à partir. Elle s’avança vers la cheminée mais Dumbledore la retint :


- Attends, Naomi ! Tu oublies ceci.


Il lui tendit le livre traitant de la métamorphose en Égypte antique. Naomi rosit et bredouilla :


- Oh, professeur Dumbledore, je… non, je peux pas l’emmener avec moi...


- Mais si, mais si. Je t’ai dit que je t’en faisais cadeau.


Après un dernier instant d’hésitation, Naomi prit fébrilement cette sorte de lot de consolation aux mains d’un Dumbledore qui lui souriait avec bienveillance. Dans son coin, Doubledose fusillait son homologue du regard. Naomi suivit les instructions de son chef d’établissement et jeta la Poudre de Cheminette dans l’âtre : les flammes de la cheminée devinrent vertes. A la grande stupeur de ses amis, le feu ne la brûla aucunement quand elle s’y plaça et n’embrasa même pas ses vêtements. Kelly la vit envoyer un dernier regard éploré au professeur Dumbledore, puis elle dit d’une voix blanche :


- Bureau directorial de Lettockar.


Naomi fut cernée par les mêmes flammes qui avaient amené Doubledose dans le bureau. Une fraction de seconde après, elle avait disparu.


Kelly saisit à son tour une poignée de Poudre et la jeta dans les flammes, qui verdirent à nouveau. Bien qu’elle eût vu Naomi s’avancer dans les flammes sans aucun dommage, Kelly n’était pas très rassurée à l’idée de se jeter dedans. Elle fit un pas maladroit en avant et découvrit que les flammes vertes ne faisaient que la chatouiller. Soulagée, elle rentra entièrement dans la cheminée et, une fois bien droite, elle prononça fermement :


- Bureau directorial de Lettockar !


Kelly eut alors l’impression d’être aspirée par un siphon d’évier. Elle tournoyait sur elle-même à toute vitesse. Elle se mit à crier de terreur. À travers les flammes, elle distinguait un décor de cheminée qui dansait autour d’elle pendant qu’elle était secouée de tout son corps. Elle tournoyait toujours, au point d’en avoir mal au cœur et à l’estomac. Se mettant à délirer à cause de cette sensation épouvantable, quelque chose lui fit peur. Et si le sortilège dysfonctionnait, et qu’elle restait à jamais coincée dans cette espèce d’inter-monde entre les deux cheminées ?

Puis soudain, elle atterrit brutalement dans un endroit sombre confiné, masqué par un nuage de poussière. Elle comprit qu’elle était bien arrivée dans la cheminée du bureau de Doubledose. Toussant bruyamment, aveuglée et couverte de cendres, elle se dégagea précipitamment de l’âtre en titubant.


Kelly observa alors le bureau dans lequel elle se rendait pour la première fois. Le contraste avec celui qu’elle venait de quitter était déboussolant. À la place des académiques portraits de directeurs et des énigmatiques instruments d’argent de Dumbledore qui dégageaient une aura savante, il y avait une esthétique grunge et une atmosphère chaotique qu’on n’imaginait guère chez un chef d’établissement. Kelly eut un pâle sourire en se disant qu’ils devaient être les premiers élèves de Lettockar à avoir vu le bureau du dirigeant d’une autre école avant celui de leur propre directeur.


Elle vit alors que Naomi avait pris place sur une des chaises en face du bureau. Elle avait les yeux rougis et gonflés et serrait contre elle le livre offert par Dumbledore. Kelly s’assit à côté d’elle et tenta d’engager la conversation, mais Naomi resta complètement statique et inexpressive. John les rejoignit quelques instants plus tard, s’asseyant sur le siège restant. Lui aussi semblait embarrassé et aurait bien voulu qu’il y ait un peu de discussion, mais il n’osa pas parler.


Les trois amis restèrent ainsi totalement silencieux, pendant une demi-heure. Tous ces événements, toutes ces émotions de la soirée les avaient tellement épuisés qu’ils n’eurent même pas la force de sursauter quand une nouvelle explosion de flammes vertes fracassa le silence et que leur directeur sortit de sa cheminée avec un air profondément préoccupé. Doubledose épousseta ses vêtements, s’assit en face d’eux sur son fauteuil directorial et joignit les mains. Ses élèves lui accordèrent une attention fébrile. Il ne leur dit rien pendant une bonne minute, perdu dans ses pensées. Finalement, il proclama :


- Bien, faisons le bilan de cette soirée. Vous avez fabriqué un moyen pour vous téléporter hors de Lettockar sans subir aucun dommage ; vous avez atterri au beau milieu d’une épreuve faite pour les meilleurs élèves de trois écoles de sorcellerie de renommée mondiale et en êtes sortis vivants ; vous avez infiltré le château de Poudlard sans être vus par personne et avez obtenu une audience avec le directeur en exercice sans qu’il inflige quoi que ce soit.


Pour la première fois depuis qu’ils étaient revenus, John, Naomi et Kelly se regardèrent, mal à l’aise. Que leur directeur récapitule les événements qui l’avaient auparavant plongé dans une colère noire ne présageait rien de bon. Quelques instants plus tard, Doubledose poursuivit, le regard braqué sur la table :


- J’ai dit, dans le bureau de Dumbledore, que vous n’aurez rien pour votre conduite de ce soir. Et bien devinez quoi, j’ai changé d’avis.


Naomi émit un jappement et John regarda Doubledose avec un air scandalisé. La rage submergea Kelly devant la traîtrise du maître des lieux.


« L’enflure ! Il nous a menti ! » s’exclama-t-elle intérieurement.


Elle ouvrit alors la bouche pour protester, mais Doubledose la devança :


- Vous allez en effet recevoir 100 points chacun pour un tour de force exceptionnel jamais vu à Lettockar.


Les mâchoires des trois adolescents se décrochèrent simultanément. 100 points chacun, en une seule fois, pour leur conduite de ce soir ? Doubledose reconnaissait donc leur bravoure et récompensait leurs exploits pourtant insurrectionnels ? C’était tellement irréaliste que Kelly lâcha un semblant de rire étouffé. John se donna une petite gifle sur la joue pour vérifier s’il ne rêvait pas.


- Oh, professeur… dit Naomi, au comble du bonheur.


- Ebay, Jane, allez à l’infirmerie. Dites à Mme Patatchaude que vous venez de ma part. Quand elle aura soigné vos blessures, retournez à la tour de Dragondebronze et allez dormir. Powder, reste un moment.


Interloqués, John et Naomi regardèrent alternativement Kelly et Doubledose. Ils demeurèrent immobiles un instant, n’étant visiblement pas décidés à laisser Kelly toute seule. Mais un raclement de gorge énervé de leur directeur les fit vite décamper. Kelly se retrouve donc en tête à tête avec ce dernier, qui la fixait du même regard intense que dans le bureau du professeur Dumbledore. Elle soutint ce regard du mieux qu’elle put, guère rassurée. Sentant venir un coup tordu de sa part, elle dissimula ses mains sous le bureau pour ne pas montrer qu’elles tremblaient. Doubledose déclara alors :


- Toi, une morveuse de première année à Lettockar, qui vient de chier copieusement sur le règlement de l’école, a réussi à échapper à une sanction largement méritée et à obtenir ce qu’elle voulait de son directeur.


A ces mots, il se leva, enfonça ses mains dans les poches de son grand manteau, contourna son bureau et se plaça juste à côté de Kelly. Celle-ci leva nerveusement la tête vers son enseignant. Ses paroles manifestaient un net ressentiment et confirmaient les craintes de la jeune fille : s’il l’avait retenue ici, c’est qu’il allait lui infliger un traitement spécial. Il allait se venger. Une sueur glacée lui parcourut l’échine et elle se crispa.


Mais contre toute attente, Doubledose eut un sourire sincère et lui dit d’un ton appréciateur :


- Tu as beaucoup d’avenir à Lettockar, Kelly Powder.


Ne laissant pas le temps à Kelly d’assimiler sa dernière réplique, il lui pinça la joue et ajouta :


- Et ça mérite bien 50 points de plus.


Les yeux de Kelly s’arrondirent en réaction à cette nouvelle. Jamais elle n’aurait attendu ça de Doubledose. Ne sachant pas quoi dire, elle éructa bêtement :


- Euh… merci, monsieur le directeur...


- Allez, dehors. Passe à l’infirmerie et ensuite, file te coucher. S’agirait pas d’être en retard, demain matin… ou plutôt ce matin, dit-il en constatant qu’il était 3 heures.


- Mais… de quoi parlez-vous, professeur ? demanda Kelly, déconcertée. Demain, nous avons encore une journée de révision...


Doubledose haussa les sourcils, eut un horrible sourire et lui répondit d’une voix sucrée :


- Ah mais oui, comme vous n’étiez pas là, vous n’êtes pas au courant ! Les examens des première année ont été avancés d’une journée. Ouais, je sais que c’est pas banal de faire ça un dimanche, mais on peut pas faire autrement. Ta première épreuve a lieu à 9 heures. Potions, je crois.


Son sourire s’élargit encore devant le mutisme scandalisé de Kelly.


- Bonne nuit, chantonna-t-il.


Kelly le maudit intérieurement, mais elle ne protesta pas davantage. Elle s’en était suffisamment bien sortie ce soir. Elle lui renvoya son amabilité, puis sortit du bureau. De l’extérieur, elle entendit Doubledose marmonner :


- Oui, beaucoup d’avenir...


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