Lettockar, tome 1 : la honte des écoles

Chapitre 18 : Greenhouse burning down

4875 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 22/04/2022 12:50

18. Greenhouse burning down


Le rez-de-chaussée fut laborieusement siphonné durant la nuit. On parla de l’événement durant des jours, surtout que les murs suintaient et que l’humidité emboucanait l’entrée. Fistwick s’était vu confisquer sa baguette magique par Doubledose, qui lui avait interdit de faire la moindre forme de magie jusqu’à nouvel ordre. Le professeur de sortilèges avait beau répéter que c’était la pire punition qu’on puisse lui infliger, Kelly estimait qu’un personnage aussi dangereux devrait être tout bonnement neutralisé et enfermé dans un endroit horrible que personne ne songerait à approcher. La France, par exemple.


Le mois de juin était le mois de tous les examens. Kelly sentait assez bien les épreuves à venir : récemment, ses résultats en classe étaient bons. En métamorphose, elle avait réussi sans problème à changer un hamster en cendrier ; en sortilèges, elle faisait faire la roue à un bec bunsen ; en potions, ils terminaient l’année en étudiant les mixtures agissant sur l’odorat, et sa solution Pifdechien lui avait permis de se rendre compte à un kilomètre à quel point Milosz Wavarum sentait la sueur. Les professeurs leur fournissaient conseils, consignes et « encouragements », chacun à leur manière.


- Les examens de première année sont des épreuves que seuls les cons pourraient rater : autrement dit, je m’attends à ce que vous redoubliez tous, leur déclara Fistwick.


Il était renfrogné et encore plus désagréable que d’habitude. Pour passer ses nerfs, il en faisait voir de toutes les couleurs au malheureux Joe le Troué.


- Hé Joe, j’ai un trou de mémoire, vous pourriez me rappeler comment on remonte sa braguette ? Oh, vous êtes amnésique ? Vous devriez boire pour oublier, persiflait-il. Ah et au fait, j’attends avec impatience la sortie de vos mémoires.


Il y avait aussi la fois où il lui avait fait croire que des Moldus armés d’aspirateurs allaient attaquer Lettockar au petit matin, et qu’ils étaient sans défense car, comme il en était le parfait exemple, quelqu’un avait volé toutes les baguettes magiques de l’école. Joe s’était terré dans un placard à balai pendant trois jours, car dès le deuxième, il avait oublié pourquoi il était là, se souvenant simplement qu’il fallait impérativement qu’il se cache.


Les journées suivantes se déroulèrent normalement, le seul événement notable étant Doubledose annonçant lors d’un dîner qu’il s’absentait pour une dizaine de jours. Pour plus de sécurité, il emportait la baguette de Fistwick avec lui. Le lendemain, durant ce qui était un des derniers cours de balai volant, Naomi annonça à John et Kelly une très bonne nouvelle : elle avait achevé le pentacle de transport vers Poudlard. Elle se livra à une longue explication en attendant que Madame Binouze donne l’ordre de faire lever les balai volants.


- … et c’est là que je me suis aperçue de mon erreur dans mon plan d’origine, chuchotait-t-elle à Kelly, qui était sa voisine de gauche. Comme je le disais, les losanges à l’intérieur des branches incurvées maintiennent la continuité du passage entre le point de départ et la destination : donc ceux que j’avais tracés entre les branches et les cercles concentriques étaient inutiles. Si ça se trouve, ils auraient même pu compromettre l’enchantement en rajoutant des symboles superflus !


- Évidemment, répondit Kelly, qui n’avait strictement rien compris. Donc, tu certifies que le pentacle de téléportation est prêt ?


- Oui… et ça fait du bien parce que… j’ai tellement douté que j’y arrive un jour… marmonna Naomi en prenant malgré elle sa voix timide et mal assurée.


- Mais bien sûr que tu allais y arriver, Mimi, dit aussitôt Kelly d’un ton apaisant. Et la potion de Rétrécissement ? demanda-t-elle en baissant la voix.


- Euh… pas encore...


John se tenait un mètre plus loin. Il avait l’air impassible, mais Kelly n’était pas sûre qu’il ne les avait pas entendues. Un peu gênée, elle dit précipitamment :


- C’est pas grave, on a encore du temps ! C’est déjà une super nouvelle, Naomi.


- Il faudrait quand même qu’on ait fini dans pas trop longtemps… admit-elle, soucieuse. Si on termine l’année sans que le pentacle soit prêt… il peut se passer n’importe quoi pendant l’été…


- Ça suffit les bavardages, là-bas ! aboya Madame Binouze. Allez les Dragondebronze, on décolle, vous allez me faire deux tours de terrains pour commencer.


- Debout ! firent les élèves.


Le balai de Kelly fila tout droit dans sa main tendue. Enthousiaste, elle l’enfourcha aussitôt, donna un coup de pied sur le sol et entama son tour de piste. Elle resta en tête du peloton durant tout le cours. C’était le seul où elle surpassait Naomi. D’ailleurs, aujourd’hui elle surpassait tout le monde, car Gudrun, la meilleure dans cette matière, était absente pour maladie. Quant à Martoni, elle en était encore à ramer à faire simplement lever son balai. Kelly ne se priva pas de lui adresser des sourires goguenards en la toisant depuis les airs dès qu’elle en avait l’occasion.


- T’es fière de ton petit talent au balai, hein Powder ? lui lança Martoni avec hargne vers la moitié du cours, lorsqu’elle termina un exercice bien longtemps après Kelly.


- Tu peux parler toi, avec ton crin-crin qu’on doit supporter dans la salle commune… argua Kelly.


- Bah au moins, c’est mon truc à moi. Savoir bien jouer du violon, c’est vraiment un art. Alors que savoir faire voler un balai, plein de gens le font, c’est surfait.


- Tiens tiens, mademoiselle la chouchoute assume pas qu’elle est juste pas foutue de faire se lever un balai après un an de cours ?


Piquée au vif, Martoni voulut se jeter sur elle. Malheureusement, elle tira son balai vers le haut de façon très maladroite et perdit totalement l’équilibre. Elle fit un misérable tonneau autour du manche pour ne pas chuter lamentablement. Kelly éclata de rire. Martoni se releva péniblement sur son balai et gronda de rage.


- Ouais ben, en attendant c’est pas en faisant joujou avec un balai qu’on devient une vraie sorcière, déclara-t-elle d’un ton acide. Je préfère être plus douée avec ma baguette, comme c’est le cas.


Énervée, Kelly tira sur le manche de son balai pour s’élever dans les airs et s’éloigner de Martoni. Les propos de cette idiote se répétaient dans sa tête. Kelly en avait assez de ses airs supérieurs. Plus douée avec sa baguette… qu’est-ce qu’elle en savait, d’abord ? Aux dernières nouvelles, Martoni n’avait pas spécialement de meilleurs résultats qu’elle en cours. Elle l’avait eue une fois avec son sortilège de jus de citron, d’accord, mais elle l’avait eue par surprise. Et des sorts, Kelly en connaissait quelques-uns, maintenant… alors, pourquoi laisserait-elle Martoni l’insulter comme ça ?


A la fin du cours, Kelly laissa John et Naomi partir devant, en précisant qu’elle avait quelque chose à faire, qu’elle ne pouvait pas encore révéler. Quand elle eut franchit l’entrée du château, au lieu de continuer tout droit, elle fit un pas de côté, s’adossa contre le mur, et attendit, les bras croisés. Peu de temps après, elle vit Martoni franchir le seuil à son tour, sans la voir. Kelly la laissa parcourir quelques mètres, puis l’apostropha :


- Eh, Martoni.


Martoni se retourna. En voyant Kelly s’avancer vers elle, le pas décidé et les yeux flamboyants, elle se raidit. Elle regarda tout autour d’elle d’un air légèrement inquiet, comme si elle cherchait du soutien quelque part, mais il n’y avait personne. Stephen était déjà parti, apparemment. Kelly ne s’arrêta que tout près d’elle. La fixant droit dans les yeux, elle lui dit à voix basse :


- J’ai pensé à ce que tu m’as dit… sur tes soi-disant supers dons en sortilèges...


- C’est bon, là, lâche-m…


- Tais-toi, coupa Kelly. Qu’est-ce que tu dirais vérifier ça, à la loyale ? Un duel de sorcières, voilà ce que je te propose. En bonne et due forme. Demain soir, à minuit, après l’astronomie. Qu’on voit qui sait le mieux se servir de sa baguette.


Martoni fut désarçonnée un court instant. Puis, son visage s’illumina lentement d’une joie perverse, et son sourire dévoila toutes ses dents. Kelly eut un haut-le-cœur tellement c’était malsain.


- J’aurais pas eu une meilleure idée, murmura Martoni. Ça m’étonne carrément de toi. J’accepte… qui sera ton second ?


- Mon quoi ?


- Ton second. Le sorcier qui prend ta place si tu es vaincue. Tu ne sais même pas ça ? Et tu parles de duel de sorcellerie… grinça-t-elle avec suffisance.


- J’ai pas besoin d’un second, puisque que je vais te battre, répliqua nonchalamment Kelly.


Le teint de Martoni devint cramoisi. Son visage fut soudainement agité de tics qui indiquaient clairement qu’elle cherchait une réplique cinglante à envoyer, mais rien ne lui vint. Finalement, après un silence, elle dit simplement entre ses dents, le souffle court :


- Très bien. Moi non plus, je n’ai pas besoin d’un second. Où est-ce qu’on se retrouve ?


- Qu’est-ce que tu dis de la serre n°1 ? Elle n’est jamais fermée.


- Ça me va. A demain s...


Martoni eut une hésitation, puis rectifia avec un sourire mielleux :


- Non, je vais pas te souhaiter à demain soir : je suis sûre que je te verrai pas, parce que tu vas te dégonfler.


Kelly afficha un rictus et lui fit un salut pompeux et ironique. Martoni lui sourit aussi d’un air sarcastique, puis elles se tournèrent le dos dans un mouvement théâtral et repartirent chacune de leur côté. Kelly alla ensuite retrouver Naomi et John, qui étaient d’ores et déjà en train de déjeuner dans la Cantina Grande.


- Ah, te voilà ! dit John. Qu’est-ce qui t’a retenue ?


- Je parlais à Martoni.


John et Naomi la regardèrent avec appréhension. Lorsque Kelly s’entretenait avec Martoni, ça n’annonçait rien de bon. Kelly eut un grand sourire rusé. Elle frémissait d’excitation. Elle baissa la voix et ajouta :


- Je l’ai défiée en duel de sorcellerie. On va s’affronter demain soir dans la serre n°1.


Elle s’était imaginée que ses amis auraient l’air impressionnés, qu’ils lui souhaiteraient tout de suite bonne chance, voire lui donneraient des conseils. A la place, ils furent frappés de stupeur.


- Quoi ? Kelly t’es pas sérieuse ?


- Mais… évidemment que si ! dit-elle, étonnée.


- C’est totalement interdit ! s’exclama Naomi d’une voix sifflante. Tu te rends compte que tu vas violer je ne sais combien d’articles du règlement ? Les élèves n’ont pas le droit de circuler dans les couloirs la nuit en semaine, tu dois savoir cela ! On n’a pas le droit de se livrer un duel de sorcellerie, en tout cas pas sans autorisation – et je pense pas qu’on te la donnera ! Et même si Pourrave ne ferme jamais ses serres, c’est aussi interdit de se rendre dans les salles de classe en dehors des cours…


- Pfff, et alors ? s’amusa Kelly avec décontraction. Le règlement, on s’essuie avec depuis des mois, au cas où tu l’aurais pas remarqué…


- Kelly, je sais bien que tu détestes Martoni, mais là c’est quand même méga risqué, fit remarquer John. Si vous vous faites surprendre, les profs vont vous pulvériser…


- Sans parler des dommages que tu vas subir ! ajouta Naomi d’une voix anxieuse. J’ai pas envie de te retrouver à l’infirmerie…


- Ah, parce que c’est forcément moi qui vais finir à l’infirmerie ? interrogea impérieusement Kelly, profondément blessée. Tu penses que je suis incapable de la battre ?


- Pas du tout ! dit Naomi en rougissant. Mais ça vaut pas le coup de prendre le risque… tu en prends déjà tellement rien, qu’en te rendant en douce dans la serre !


- Kelly, laisse tomber ça, conseilla John. Va voir Martoni et annule votre rendez-vous.


- Quoi ? Mais je vais passer pour une mauviette !


- Ça dépend comment tu tournes ça… récusa John avec patience. Si tu trouves une bonne excuse… on peut en inventer une ensemble, si tu v…


- Hors de question que je me dégonfle devant Martoni ! trancha Kelly avec fougue.


- Mais qu’est-ce qu’on s’en fout, puisque dans quelques temps, tu la reverras plus jamais ? gémit Naomi.


Kelly se tut. Elle avait momentanément oublié cette donnée. Déstabilisée, elle regarda John, qui hocha la tête en signe d’approbation. Ceci lui causa une expression fort mécontente. Naomi l’attrapa par la manche et l’implora :


- Kelly, promets-moi que tu n’en feras rien !


Kelly retroussa les lèvres. Lorsqu’elle voulut répondre, elle fut interrompue, ou plutôt sauvée par le gong : un élève de septième année très stressé s’entraînant pour ses épreuves d’ASPIC se transforma lui-même par erreur en hippopotame et, pris de panique, sema la pagaille dans toute la Cantina Grande. John et Naomi en oublièrent ce dont ils parlaient avec Kelly.


Durant toute le reste de la journée et celle du lendemain, elle ne cessa de penser à ce duel de sorcellerie. Lorsqu’elle l’avait provoqué, elle était débordante de certitude et de confiance, maintenant elle était rongée par l’hésitation. Il était vrai qu’elle risquait gros. Toutefois, l’idée de se défiler la répugnait toujours autant, de même que l’avalanche de moqueries que Martoni déclencherait. Elle avait déjà affirmé que Kelly se dégonflerait, alors si en plus elle lui donnait raison ! Mais sa réputation et son image lui importaient-elles réellement ? Ce que Naomi lui disait, comme quoi de toute manière elle n’entendrait bientôt plus parler de Martoni… elle y songeait, il y avait une grande part de vérité là-dedans… mais en réalité, cela avait exactement l’effet inverse : elle avait envie plus que jamais de régler ses comptes avec elle avant de lui dire adieu. Pour partir de Lettockar en beauté, sur un coup d’éclat. Elle se voyait mal passer à côté d’une unique et magnifique occasion de lui faire ravaler son arrogance qui lui tapait sur le système depuis la rentrée…


Si Kelly avait choisi de fixer son duel avec Martoni après l’astronomie, c’est parce qu’il n’y aurait rien de suspect à la croiser dans les couloirs en pleine nuit. Durant tout le cours de Morgana (qui, du fait de la chaleur estivale, portait une tenue très légère qui n’était pas sans déplaire aux garçons), elle tâcha de rester neutre, décontractée, et surtout de ne pas regarder Martoni ou de faire un quelconque geste qui aurait pu trahir auprès de John et Naomi son intention d’aller se battre avec elle. Quand le cours prit fin et que tout le monde quitta la tour d’astronomie pour aller dans les salles communes, elle se laissa submerger par le flot des quatre maisons d’élève de première année, pour finir en toute fin de cortège, jusqu’à ce que tout le monde lui ait tourné le dos et ne puisse plus la voir. Martoni avait déjà disparu… s’était-elle ruée vers la serre, ou était-elle partie se cacher ? Elle-même devait trouver un coin tranquille en attendant qu’il soit minuit : elle trouva l’endroit idéal dans un passage secret caché derrière une tapisserie de l’aile gauche du château. Elle représentait Philippe Gilluc, fondateur de la maison PatrickSébastos, appuyé sur un long bâton dont la tête était en forme de croissant de lune. Combien de temps John et Naomi mettraient à s’apercevoir que Kelly ne les avait pas suivis, elle n’en savait rien. Mais elle savait qu’ils ne se lanceraient pas à sa poursuite… Naomi avait trop peur de se faire pincer, et John, bien que désapprobateur, n’irait pas jusqu’à l’empêcher de faire ce qu’elle avait envie de faire.


Quand il fut minuit moins dix, elle sortit du passage secret et se rendit dans le hall, où elle découvrit, contrariée, que la grande porte d’entrée avait déjà été scellée. Elle vit que la porte de la Cantina Grande, en revanche, était entrouverte, et qu’un vacarme retentissait à l’intérieur. Kelly y jeta un œil : la Kagoule était occupée à échapper aux armures de samouraï qui tentaient de la couper en tranches après qu’elle se soit amusée à renverser les tables et les chaises et à faire tomber les lampes à huile flottantes. Cela lui donna une idée : profitant du désordre, elle se glissa discrètement vers les fenêtres qui donnaient sur le parc, en ouvrit une et se laissa tomber en douceur dehors. Quand quelqu’un viendrait fermer la Cantina Grande, personne ne s’étonnerait qu’une fenêtre soit restée ouverte au vu du capharnaüm général. Elle se rendit sans traîner vers la serre n°1. Par chance, il n’y avait personne dans le parc. Elle poussa doucement la porte, et l’entrouvrit légèrement, juste assez pour que son corps de fille de douze ans puisse passer.


Une fois entrée, un toussotement au loin lui indiqua que Martoni était déjà là. Alors, elle se stoppa. Elle avait encore une ou deux minutes devant elle. Le doute l’ébranlait sérieusement, tout d’un coup. L’hypothèse que ce duel pourrait mal tourner pour elle parut ne lui venir à l’esprit que maintenant. Jusque-là, obnubilée par sa volonté de livrer absolument ce duel, elle l’avait balayée d’un revers de manche. Ce n’était pas des pouvoirs de Martoni dont elle avait peur… enfin si, quand même un peu. Elle savait qu’elle avait ses chances de gagner, mais aussi de perdre… et si en plus elles se faisaient prendre… Kelly ferma les yeux. Il n’était pas encore trop tard pour renoncer… c’était même maintenant ou jamais qu’il fallait se décider…


Alors, elle expira avec force, rouvrit les yeux, et fit un pas en avant. Puis un deuxième. Puis elle se lança franchement. Elle parcourut les rangées de plantes d’une démarche feutrée. La température était encore élevée, l’atmosphère était lourde et en dehors des quelques bruissements de feuilles, tout n’était que silence. « Mon silence n’est qu’un autre mot pour la souffrance », comme l’avait écrit Daniel Glover sur un des murs. Elle pouffa rien qu’en y repensant. Rire lui redonnait un peu de courage, car quand elle aurait franchit l’allée, elle ne pourrait plus reculer. Elle serait livrée à elle-même, face à son choix.


Martoni se trouvait un peu après les étagères, au milieu de l’endroit dégagé où Pourrave faisait cours. Elle regardait les alentours, d’un air nerveux.


- Derrière toi, lança Kelly.


Martoni sursauta et se retourna. Kelly la fixa sans broncher, le regard plein de feu. Elle s’arrêta à quelques mètres d’elle, dans une posture bien droite et déterminée. Martoni se lissa maladroitement les cheveux, et ricana avec morgue :


- J’y crois pas, t’es venue quand même !


- Ouais, mais on a pas encore commencé à se battre, tu peux encore t’enfuir. Promis, je le répéterai pas.


Elle fut ravie de voir que ses piques parvenaient sans peine à énerver Martoni. Les deux filles sortirent alors lentement leurs baguettes magiques, tout en décrivant un cercle en marchant. Kelly faisait en sorte que ses mouvements restent souples et fluides, pour ne pas trahir sa tension.


- Il faut se saluer, Kelly, chuchota Martoni d’une voix onctueuse.


A ces mots, elle cessa de marcher, leva sa baguette devant elle et fit une brève révérence. Kelly resta sur ses gardes. Lorsqu’elle courba légèrement la tête, elle ne quitta à aucun moment son adversaire des yeux. Elles se redressèrent et pointèrent soigneusement leurs baguettes l’une vers l’autre. Kelly se sentait prête à tout donner, ses tripes, son cerveau, quoi que ce soit qui puisse lui offrir la victoire.


« Tu vas la battre, pensait-elle avec force. Tu vas lui mettre sa pâtée, tu vas l’exploser… »


Le moment était venu. Un… deux… trois…


- Petrificus Totalus ! cria Martoni.


- Everte Statum ! cria Kelly.


Les baguettes des apprenties sorcières projetèrent deux vagues d’énergies qui s’entrechoquèrent avec fracas. Les deux sortilèges se brisèrent l’un contre l’autre, sans causer d’autre résultat. Sans plus attendre, Kelly projeta rapidement une gerbe d’étincelles bleues, mais Martoni bloqua le sort en faisant un geste compliqué avec sa baguette.


- Inflatus ! incanta-t-elle en guise de riposte.


Kelly esquiva le sortilège, qui se reporta sur un plant de dictame qui se mit alors à gonfler comme un ballon. Ses yeux s’attardèrent un instant sur l’étrange spectacle d’une plante se mettant à flotter dans l’air comme un zeppelin, et qui avait pris une apparence évoquant un citron…


- Sucus Auream ! s’écria-t-elle en pointant sa baguette sur Martoni.


Un jet de liquide jaunâtre jaillit de son arme. Martoni, déstabilisée, le reçut en plein dans les yeux. Privée de la vue, elle recula en titubant. Kelly bondit sur l’occasion et lui lança un sortilège Repoustout.


- Flipendo !


Martoni fut projetée contre une étagère de la serre et s’y cogna violemment. La structure vacilla dangereusement, et des Gesses Bondisseuses lui tombèrent dessus. Mais puisqu’il n’y avait pas de suc de Coquelicoke pour les exciter, elles restèrent inoffensives.


- Tu oses… s’offusqua Martoni, encore ruisselante de jus de citron.


- T’aurais pas dû m’apprendre ce sort, rétorqua Kelly d’un air chafouin.


En colère, Martoni se releva et saisit un pot qui traînait à côté d’elle et le jeta de toute ses forces à la tête de Kelly. La plante qu’il contenait gémit un feulement de protestation. Kelly, surprise, dévia sa course de justesse grâce à un autre sortilège Repoustout : le pot alla se briser en mille morceaux contre le bureau de Pourrave. Kelly se sentit stupide de ne pas avoir lancé un maléfice du Saucisson à son adversaire lorsqu’elle était aveuglée, cela l’aurait neutralisée. Déconcentrée, elle ne vit pas que Martoni lui avait lancé des fleurs de Coquelicoke, dont le suc non épuré vint lui agresser les narines. Elle ressentit une vive douleur et un flot de sang coula de son nez.


Kelly sentit la colère l’envahir. Martoni ne jetait même plus de sortilèges. Elle ne faisait que lui balancer à la chaîne les plantes qui lui tombaient sous la main en pleine figure, sans même faire attention à ce qu’elle prenait. Ce fut quand elle lui lança une bouture de Filet du Diable qui faillit l’étrangler avec ses lianes que Kelly laissa sa haine exploser.


« Je vais lui cramer la gueule, à cette salope ! » s’écria-t-elle intérieurement.


Elle serra sa baguette au point de manquer de la briser, fit un grand mouvement d’estoc vers Martoni et rugit à pleins poumons :


- Incendio !


Elle sentit sa baguette vibrer entre ses doigts. Sa rage avait amplifié son sortilège incendiaire, et ainsi ce ne fut pas une fine flammèche qui jaillit de sa baguette, mais un long et épais trait rougeoyant, tout droit sorti d’un lance-flammes de Moldu. Martoni poussa un cri et se jeta à terre. Avant même que Kelly ne réalise son effroyable erreur, son jet de flamme atteignit une longue rangée de plantes au fond de la serre. Des espèces de cactus rabougris couverts de verrues, qui, apparemment terrorisées, enclenchèrent une sorte de système défensif : leurs pustules expulsèrent loin tout autour d’elles un liquide verdâtre, nauséabond… et extrêmement inflammable. Chaque flaque, chaque éclaboussure, chaque gouttelette répandue prit feu instantanément. S’en suivit une réaction en chaîne aussi vaste que rapide. Les flammes gagnèrent une à une toutes les plantes sur les étagères de bois. Tout comme les cactus bizarres, elles projetaient toutes quelque chose, un suc, des spores, qui ne faisaient que renforcer l’incendie. En peu de temps, les jeunes filles furent totalement cernées par les flammes. Kelly, complètement figée, observa la catastrophe avec effarement. Martoni hurla en bégayant :


- Qu-qu-qu’est ce que tu as f-f-fait ? T’es t... tarée !


Kelly était aussi terrorisée qu’elle. Les deux filles agitèrent leurs baguettes de façon hasardeuse, en espérant produire n’importe quel effet qui aurait pu agir sur l’incendie… mais aucune d’elle n’avait suffisamment de connaissance en magie pour venir à bout d’un tel brasier. Le feu avait percé le toit de la serre et commençait à s’élever dans le ciel. Tout à coup, la fumée des flammes, mêlée aux gaz dégagées par certaines plantes en pleine crémation, produisit une inquiétante vapeur violacée. Elle se répandit dans toute la serre et les jeunes sorcières l’inhalèrent malgré elles. Elle dégageait une odeur épouvantable, mélange de brûlé et de parfum capiteux… elle piquait les yeux, saccadait la respiration, montait à la tête…


Kelly suffoquait et perdait toute notion des choses. Elle avait l’impression que son cerveau faisait des tours sur lui-même à l’intérieur de son crâne. Près d’elle, Martoni poussa un cri étranglé et chancela comme un homme ivre… puis ses jambes se dérobèrent. Elle s’effondra par terre, sans connaissance. Kelly avait la vision brouillée par ses propres larmes arrachées par cette vapeur qui, en plus, était lacrymogène. Les flammes étaient partout. Il n’y avait pas d’issue. Et sa tête tournait de plus en plus...


Ces vapeurs… ces odeurs… c’était insoutenable…


Kelly tomba, elle aussi. Ses forces l’abandonnaient, tout comme ses sens : la seule chose qu’elle ne voyait pas sous la forme d’ombre indistincte, c’était le feu. Dégoulinante de sueur, elle mourait de chaud, et son souffle devenait infime et irrégulier. Même l’air paraissait trop épais pour entrer dans ses poumons qui la brûlaient. Sa conscience s’éteignait petit à petit… l’oubli lui tendait les bras…


C’est alors que Kelly entendit un bruit sourd de verre défoncé. Elle se retourna laborieusement sur elle-même. Une silhouette immense, haute de plusieurs mètres, venait de bondir dans la serre, et passait à travers le mur de flammes. La chose gigantesque s’avança vers elle en émettant des grommellements inaudibles. Kelly crut un instant que c’était un monstre venu les dévorer… elle voulut se relever, mais peinait rien qu’à garder les yeux ouverts. Soudain, elle sentit son corps quitter le sol. Et avant de sombrer dans l’inconscience, la dernière chose qu’elle vit fut Viagrid qui les hissait, Martoni et elle, sur ses épaules…


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