Les Premiers Chasseurs

Chapitre 11 : X Le sauvetage

5316 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 25/03/2022 03:11

CHAPITRE X : LE SAUVETAGE


Mathias Corvus se dirigeait vers l’ancien dortoir du monastère. Il croisa plusieurs fois des gardes, souvent par deux ou trois. Il préféra sagement rester dans l’ombre et les laisser passer, happant quelques paroles au vol.

Certains des hommes parlaient entre eux en d’autres langues. Il reconnut de l’italien, idiome que malheureusement il ne maîtrisait pas, n’en ayant que quelques notions. Il crut entendre de l’espagnol un moment, à moins que ça ne soit du portugais ou de nouveau de l’italien, mais avec un accent particulier.

Et il entendit de l’allemand, et là, il tendit l’oreille, maîtrisant parfaitement cette langue.

— J’en ai marre de surveiller ces raclures de fond de chaudron ! s’exclama un garde. Et j’en ai marre de ce putain de monastère ! Y’a rien à faire ici !

— Ouais, mais au moins on est au chaud et on n’a pas la pluie et la neige sur la gueule, répondit un autre.

— Vu comme ça… Mais j’aimerais me réchauffer d’une façon un peu plus… charnelle. Dommage qu’on n’ait pas le droit de culbuter les prisonnières.

— Tu te taperais des moldues ?

— Ce ne serait pas la première fois… Tu sais, un trou c’est un trou… Je ne parle pas d’en épouser une ! Et quand on sait ce qui les attend, le chef pourrait nous laisser nous amuser avec.

— Il faut que les vierges le restent, si j’ai bien compris, expliqua le second.

— Y’a pas que des pucelles dans le lot ! Bon, ça doit être le cas de la petite rouquine, c’est vrai. Celle-là, elle me fait bander, un truc de fou !

Les rires des deux hommes s’éloignèrent de Mathias. Il venait d’avoir la confirmation qu’il y avait des prisonniers ici. Malheureusement, le garde n’avait parlé que de moldus. Certains des enfants enlevés au Bois aux Corbeaux l’étaient, mais d’autres non.

Il garda espoir, ils étaient peut-être tous là malgré tout, les ravisseurs avaient probablement juste séparé les enfants sorciers des moldus.

Il se faufila jusqu’à l’ancien dortoir des moines. Les vieilles cellules faisaient des endroits parfaits pour enfermer des gens, les murs en étaient épais et de pierre, la porte en bois solide, et il n’y avait qu’une petite lucarne de quelques centimètres de large pour toute fenêtre dans chacune d’elle.

Le couloir desservant les cellules n’était pas fermé par une porte, une simple arche de pierre taillée dans le mur le symbolisait. Mathias s’en approcha à pas feutrés, surveillant ceux lourds des deux gardes qui allaient de long en large. Il lui faudrait agir vite.

Il entendit un garde s’arrêter à un ou deux mètres de lui. Au bruit, il devina qu’il ouvrait le regard de la première cellule pour voir à l’intérieur. Mathias tenta sa chance et passa sa tête dans l’embrasure du passage. Le premier garde avait le visage collé à la porte de la cellule la plus proche, le second marchait en se dirigeant vers le fond du couloir, lui tournant le dos. C’était sa chance.

— Alors jeunette, toujours pas décidée à nous offrir un petit spectacle avant de mourir ? invectiva le garde à la porte.

Pour toute réponse, il y eut un bruit sourd, la prisonnière avait frappé sur la porte, essayant d’être impressionnante, mais cela ne fit que générer un rire dans la gorge de la sentinelle.

— C’est pas grave, on n’a pas besoin de ton bon vouloir. Alohomora, fit-il pour ouvrir la porte de la cellule. Impero ! lança-t-il immédiatement. Sors de ta cellule.

— Qu’est-ce que tu fais ? demanda le second gardien en s’approchant. On n’a pas le droit de la toucher !

— Je ne compte pas la toucher, juste regarder.

— Ah ! Ouais, c’est vrai que ça, on ne nous l’a pas interdit. Je ne savais pas que tu connaissais l’Imperium.

— Tu dis tout sur toi à nos chefs ? Je préfère garder des atouts dans ma manche. Passons au divertissement. Déshabille-toi.

Mathias risqua un coup d’œil dans l’embrasure. Les deux gardes se tenaient l’un à côté de l’autre à deux ou trois mètres de lui, ne regardant pas vers lui. Ils étaient obnubilés par la jeune fille à l’ample chevelure rousse qui, le visage inexpressif, retirait ses vêtements un à un.

Elle venait libérer le haut de son corps, dévoilant une poitrine généreuse qui fit siffler les sentinelles et commençait à offrir à leur vue des hanches harmonieuses quand le premier garde dit :

— T’as de la chance, je peux te dire qu’on aurait profité de ton corps beaucoup plus si on avait pu ! Et tu n’aurais rien pu faire pour te défendre.

— Tu crois qu’une pipe ou une branlette s’est considérée comme perdre sa virginité ? demanda le second. Personnellement, je sais où je voudrais mettre ma bite : entre ses meules !

Ils partirent dans un nouveau rire qui se finit dans un gargouillis douloureux pour le premier quand une dague vint lui lacérer la gorge, son sang venant arroser la peau nue et rosée de la jeune fille.

Il était à peine tombé quand son collègue se retourna. Il n’eut rien le temps de faire, Mathias lui planta sa dague dans l’œil.

Mathias s’assura que le premier était bien trépassé, gisant dans une mare de sang.

Il porta son attention vers la jeune fille qui, bien que libérer du maléfice de l’Imperium, demeurait debout, à moitié nue, des gouttes de sang perlant sur sa peau d’albâtre, les yeux fixant les deux cadavres. Il rangea ses armes et leva les mains pour démontrer qu’il n’avait pas de mauvaises intentions.

— Je ne vous veux aucun mal, dit-il. Je suis venu vous libérer tous. Vous devriez vous rhabiller, mademoiselle.

La respiration saccadée, elle semblait se réveiller d’un cauchemar. Elle croisa ses bras sur sa poitrine pour se cacher et se jeta sur ses vêtements gisants à terre. Il estima qu’elle devait avoir entre seize et dix-huit ans.

Alors qu’elle se rhabillait, Mathias alla rapidement contrôler que personne n’arrivait vers eux. Puis il chercha sur les gardes une éventuelle clé, mais se souvint que le garde avait utilisé un sortilège de déverrouillage pour ouvrir la porte de la fille. Il allait devoir toutes les ouvrir une par une, ne sachant pas combien de prisonniers se trouvaient ici, et espérant y trouver les membres de sa famille.

Il fut tiré de ses pensées par la main de la jeune fille qui se posa sur son épaule. Malgré la peur qui régnait encore dans son regard, elle lui adressa un léger sourire.

— Merci… fit-elle.

— De rien, mademoiselle, je ne supporte pas ce genre d’individus. Savez-vous combien il y a de prisonniers ici ?

— Non, je suis arrivée seule il y a quatre jours. Faut dire qu’à part moi, il n’y avait personne à enlever, je vivais seule isolée avec ma grand-mère. Ils ne l’ont pas emmenée, ils l’ont tuée, son corps doit avoir été grignoté par les bestioles…

— Et depuis que vous êtes là, il y a eu de nouvelles arrivées ?

— Oui, je pense, j’ai entendu des passages devant ma cellule. Comment ils ont fait pour m’obliger à… ?

— Ce sont des sorciers, tout comme moi. La magie permet certaines choses, mais même chez les Sorciers, ce qu’ils vous ont fait à l’instant est un crime.

Mathias réfléchissait à comment procéder pour emmener les prisonniers loin du monastère quand il lui sembla entendre quelqu’un s’approcher.

— Quelqu’un vient ! Cachez-vous dans votre cellule et ne bougez pas tant que je ne vous le dirai pas !

La jeune fille obéit, refermant la porte sans la clencher. Mathias se fondit dans un coin sombre près de l’embrasure du couloir, dégainant son épée et sa baguette.

Les pas étaient légers, sûrement quelqu’un de petit ou de frêle. Le nouveau venu s’arrêta juste à l’entrée du couloir des cellules, certainement arrêté d’effroi par la vision des deux cadavres sanguinolents. Étrangement pas un cri ou un hoquet de surprise, pas même le chuintement d’une lame sortie de son fourreau ou d’une main cherchant une baguette dans une poche.

Sans un son, Mathias vit la silhouette de l’homme passer l’embrasure. Il était plus massif que ce qu’il avait imaginé, de carrure normale. Il avait sa rapière et sa baguette dans ses mains. Il passa sans le déceler et Mathias décida de profiter de l’occasion pour le frapper par-derrière. La lame de sa broadsword fut bloquée par la rapière et il fut repoussé contre le mur par un sortilège de répulsion informulé.

Le choc contre la paroi lui fit perdre une seconde de vue son adversaire, mais celui-ci n’en profita pas.

— Monsieur Corvus…

Mathias leva les yeux pour découvrir que ce nouveau venu était Philippe d’Estremer. Il en soupira de soulagement.

— Désolé, j’ai cru qu’un ennemi arrivait, dit-il.

— C’est ce que j’ai cru comprendre, fit Philippe. Vous n’avez pas perdu votre temps à ce que je vois, continua-t-il en désignant les deux cadavres.

— Pas eu le choix.

— Et si vous l’aviez eu ?

— Ils seraient morts quand même, avoua Mathias.

— Au moins, vous êtes honnête.

— Vous avez trouvé quelque chose ?

— J’ai interrogé un homme qui m’a appris que les prisonniers étaient ici, j’ai donc décidé de venir vous prêter main-forte. Il m’a aussi dit qu’ils ne retenaient que des moldus, pas de sorciers.

— Ouais, je ne suis pas étonné que ces trafiquants de chair humaine ne s’en prennent pas aux sorciers, faudrait pas décimer la clientèle potentielle. Ça voudrait dire aussi que ce ne sont pas eux qui ont enlevé ma famille alors.

— Je suis désolé pour vous.

— Moi pas, nous pouvons au moins mettre un terme à leur commerce et sauvez tous ces innocents.

Philippe était impressionné par l’intégrité de Mathias qui malgré la déception de ne pas retrouver les siens ne comptait pas abandonner les prisonniers à leur sort. Cela lui rappela ce que le père Mathérius lui avait dit sur les Corvus.

— Il faut cacher ces corps, continua Philippe. Cela peut nous faire gagner de précieuses minutes.

— Cette cellule est ouverte, renseigna Mathias en désignant celle de la fille. On peut les y mettre. Vous pouvez sortir, mademoiselle.

La rouquine sortit prudemment.

— Je suis Philippe d’Estremer, vous n’avez rien à craindre, nous allons vous faire sortir d’ici et vous emmener là où ils ne pourront plus vous faire de mal. Comment vous appelez-vous ?

— Charlotte Lehel, mon seigneur, répondit-elle.

— Mademoiselle Lehel, nous allons libérer vos compagnons d’infortune.

— Ne perdons pas de temps, ajouta Mathias en déplaçant les corps à l’aide d’un sort de lévitation.

— Et vous, monsieur ? intervint-elle. Quel est votre nom ?

— Mathias Corvus. Je finis avec mes « affaires », commencez à rassembler les prisonniers, monsieur le comte.

— Avez-vous un plan ? questionna Philippe.

— Disons, une vague idée… Mais si vous avez un plan, je suis preneur.

— Je vais y réfléchir en réunissant les prisonniers.

— Il y a aussi ceux qu’ils amènent dans la chapelle, ajouta Charlotte.

— Que voulez-vous dire ?

— Ils nous laissent ici, et puis, un par un, ils nous amènent à la chapelle, je les ai entendus en parler. Aucun de ceux qui y sont allés n’en est revenu.

Philippe et Mathias échangèrent un regard, ils avaient tous les deux la même idée sur ce qu’il advenait des prisonniers menés à la chapelle. C’était certainement là-bas que les organes et autres fluides corporels étaient prélevés pour ensuite venir alimenter le marché des ingrédients de potion tel que celui que tenait le Rat Rouge.

Les prisonniers n’étaient guère plus d’une dizaine, aucun adulte, uniquement des enfants, Charlotte était la plus âgée. Elle aida à réunir et rassurer les enfants.

— Et maintenant ? demanda Philippe.

— On ne peut pas les faire passer par le toit, la seule solution c’est de sortir par la porte et de gagner les bois environnants en espérant qu’ils perdent nos traces, expliqua Mathias.

— C’est risqué…

— Certes, mais on n’a rien de mieux. Vous allez rester avec les enfants et les menez dans les bois, je vais faire diversion.

— Ils sont nombreux, celui que j’ai interrogé m’a dit qu’ils étaient une vingtaine.

— Ce qu’il fait qu’il n’en reste qu’une quinzaine avec les cinq qu’on a éliminés. Je vais surtout faire beaucoup de bruit pour en attirer le maximum. Le mieux est que vous restiez ici jusqu’à mon signal.

— Quel sera-t-il ?

— Ne vous en faites pas, vous ne pourrez pas le louper ! Dès que vous l’entendez, foncez, gagnez les bois, et emmenez les enfants.

— Je vais les emmener à Estremer, ils y seront en sécurité. Monsieur Corvus, j’espère vous y voir aussi, je pense que nous devrions nous associer pour retrouver votre famille et ceux qui sont responsables de ces attaques.

— Nous en parlerons plus tard.

Sur ces derniers mots, Mathias se glissa hors du couloir des cellules. Il se déplaça d’ombre en ombre, se dirigeant vers la chapelle, celle-ci se trouvant à l’opposé des prisonniers. Ainsi, il attirerait les gardes au plus loin.

Sur le chemin, il en profita pour égorger un homme dans son sommeil, couché dans un coin roulé dans son manteau, ça faisait toujours un de moins. Il n’était plus temps de faire de quartier, et pour ces bouchers, il n’en avait pas la moindre envie. Ils s’en prenaient à des innocents, les traitant comme du bétail pour en récupérer les pièces de viande. Ils méritaient tous de mourir.

La porte de la chapelle n’était pas gardée. Peut-être était-ce juste le cas quand ils y amenaient des prisonniers vivants ? Elle n’était même pas verrouillée.

Lorsqu’il y entra, il fut pris à la gorge par une puanteur horrible. Ça sentait le sang et la charogne. La vision qui s’imposa à lui fut la pire qu’il n’eut jamais vue. Du sang ocre maculait l’autel, comme une pierre sacrificielle. À côté, une table était recouverte d’ustensiles tranchants ou contondants, salis de tâches cuivrées. Des cagettes, pots en terre cuite et autres tonneaux se trouvaient çà et là, contenant des organes et des fluides.

Comme lui et le comte d’Estremer le redoutaient après ce que leur avait dit Charlotte Lehel : c’était bien ici que les personnes enlevées étaient découpées pour venir alimenter le marché noir des ingrédients interdits.

Mathias sortit sa baguette, il n’y avait pas de temps à perdre s’il voulait sauver les prisonniers. Il comptait bien faire d’une pierre deux coups : attirer les gardes et détruire toute cette « marchandise ». Ces pauvres âmes étaient sûrement chrétiennes, lui ne l’était pas et ne pouvait prier pour eux, mais au moins, malgré l’horreur, ils étaient dans un de leurs lieux de culte. Vu la situation, il espérait que leur dieu fasse une exception.

Il allait lancer son premier sort quand il perçut une voix :

— Que faites-vous là ? Je n’ai pas demandé à ce qu’on m’amène de matière première ?

Un sorcier chétif, engoncé dans une robe noire un peu trop grande pour lui venait de surgir d’entre deux colonnes. Il portait une paire de lunettes aux verres épais et tenait dans ses mains un feuillet de parchemins et une plume. Était-il là pour faire l’inventaire ? Il toisait Mathias comme un inférieur.

— Vous n’amenez personne ! Veuillez partir, j’ai du travail.

Il se dirigea vers une série de tonneaux sans plus se préoccuper de son visiteur. Il remarqua alors ses mains tachées de sang noirci encroûté. Ce fut comme agiter un chiffon rouge devant un taureau. Mathias leva sa baguette et le boucher fut projeté contre une colonne, lâchant ses papiers et sa plume sous le choc. Il y resta plaqué, regardant avec incompréhension cet homme aux yeux noirs de haine s’avancer vers lui.

— Mais que faites-vous ? s’écria-t-il. Lâchez-moi ou je vous fais tuer !

— Ferme ta gueule, raclure, ordonna Mathias d’une voix teintée de colère sourde. Tu vas répondre à mes questions où je peux t’assurer qu’on entendra tes cris à des lieux à la ronde.

— Mais qui êtes-vous ? Vous n’êtes pas des nôtres ?

Mathias effectua un premier mouvement de baguette au-dessus de sa tête sans que rien de visible ne se produise. Puis il la retourna vers le boucher, visant son bras droit qui se brisa en prenant un angle impossible, lui arrachant une longue plainte douloureuse.

— C’est moi qui pose les questions, dit Mathias.

— Ils vont m’entendre… soupira le boucher. Et ils vont venir.

— Que crois-tu que j’aie lancé comme sort avant de te briser le bras ? J’ai insonorisé la chapelle. Finalement, je préfère que tes cris restent entre nous. Il te reste trois membres, et je peux revenir plusieurs fois sur chacun des quatre. Sans oublier le reste du corps. Et tu n’as pas de chance : je n’ai pas beaucoup de temps à te consacrer. Donc, le moindre mensonge que je soupçonne ou la moindre réponse incomplète, et tu souffriras. C’est toi qui charcutes ces innocents ?

— Je… Je ne fais que ce qu’on me dit… soupira-t-il au supplice. Si je ne le fais pas, il me tuera. Et puis, ce ne sont que des moldus. Quelle importance ?

D’un mouvement du poignet, Mathias lui brisa l’autre bras.

— Argh ! hurla-t-il. Vous êtes malade ! Traître à votre sang ! Vous êtes sang de bourbe, je parie !

Mathias se retint de lui trancher une jambe, il ne fallait pas l’aveugler par la douleur, il avait encore des questions à lui poser.

— Qui est ton chef ? questionna-t-il.

— Tu les sauras bien assez tôt, il te trouvera et te tuera, sang de bourbe.

— Diffindo.

D’un geste sec de sa baguette, Mathias coupa au niveau du genou, laissant choir la jambe. Du sang se mit à couler à gros débit du moignon.

— Donne-moi son nom ou je te laisse te vider de ton sang comme un porc.

— Taran ! Il s’appelle Taran ! Je ne lui connais pas de nom de famille.

— Et où est-il ?

— Je ne sais pas… Personne ne le sait, il garde cette information secrète, même pour nous. Il vient parfois pour récupérer son or.

— Il n’y a que des prisonniers moldus ici, où sont les sorciers enlevés ?

Le boucher défaillit, ses yeux partant dans le vague, et sa tête vacillait. Mathias stoppa l’hémorragie d’un coup de baguette.

— Enervatum, lança-t-il pour lui donner un coup de fouet. Où sont les sorciers enlevés ? répéta-t-il.

— Je… je ne sais pas, balbutia le torturé faiblement. Taran les veut près de lui, il ne nous envoie que les moldus.

— Où sont ceux enlevés il y a une semaine ?

Mathias ne put avoir de réponse, un sortilège claqua non loin de son crâne. Immédiatement, il se retourna en lançant plusieurs sorts tout en se jetant à couvert derrière une colonne. Il était temps de faire la diversion promise pour permettre la fuite des prisonniers. Il annula la bulle de silence qu’il avait dressé.

Les ennemis continuaient de le canarder de sorts pour le fixer. Il attendait patiemment, sachant pertinemment qu’ils s’approchaient de lui. Il en avait compté trois ou quatre.

Se fiant à son intuition et son expérience, il surgit de son couvert en tendant sa baguette.

— Cofringo ! cria-t-il.

L’explosion fut très puissante, déchiquetant les corps des assaillants et ébranlant la structure de la chapelle. La déflagration devait s’être entendue à des lieues à la ronde et ne manquerait pas d’attirer le reste des gardes.

Il mit à profit les quelques secondes de répit dont il jouissait pour se tourner vers le boucher qu’il avait délaissé. Ce dernier était mort, le moignon ayant visiblement recommencé à saigner durant l’attaque.

Mathias leva sa baguette et lança une série de sorts explosifs pour détruire les stocks de produits humains. Il mit le feu au mobilier puis se tourna vers l’entrée de la chapelle, l’épée et la baguette à la main, prêt à en découdre.

La dizaine d’hommes, armés d’épées, de baguettes et parfois des deux, se répandit devant lui. La plupart gardèrent leur attention sur Mathias, certains firent passer leur regard sur la ruine que répandait le feu derrière lui, s’arrêtant en pâlissant sur le boucher crucifié.

Mathias savait maintenant lesquels ne lui poseraient pas de soucis et ceux qu’il ne fallait surtout pas sous-estimer. Aucune peur ne se tapit au fond de ses yeux. Ses mains ne tremblaient pas.

— Messieurs, quand vous voulez, dit-il avec calme et défi.

 

Philippe d’Estremer avait trouvé le temps long. Il s’était même demandé si Mathias Corvus ne s’était pas fait prendre avant de mettre son plan à exécution.

Et soudain, ils entendirent une puissante explosion de l’autre côté du monastère. Immédiatement, il se tourna vers les prisonniers et lança :

— Allons-y !

Les couloirs sombres effrayèrent les enfants, certains rechignaient. Philippe dut les encourager à plusieurs reprises pour les inciter à avancer, aidé par Charlotte dont le sourire chaleureux s’avéra très efficace.

Lorsqu’ils passèrent dans la cour centrale, ils perçurent l’effroyable chaos des combats dont le fracas était amplifié par l’écho de la chapelle. Le bruit, horriblement déformé, apeura les enfants.

— Avancez ! ordonna Philippe. Vous serez bientôt en sécurité.

Si Philippe s’écoutait, il accourrait aider Mathias. Il se retint, la priorité étant de mettre les prisonniers libérés à l’abri, il pourra revenir après. En espérant que ça ne soit pas trop tard.

Il se rendit compte que Mathias faisait face à tous les porte-baguettes restants en passant l’entrée, aucun garde n’y était en faction. Il vérifia de tous les côtés que la voie était vraiment libre et fit signe au groupe de courir en direction de la forêt proche.

Philippe les fit s’arrêter uniquement quand il ressentit qu’ils étaient hors du champ antitransplanage.

— Venez autour de moi, ordonna-t-il en rangeant sa rapière. Vous allez tous poser une main sur moi et surtout ne pas l’enlever.

Pour augmenter la surface de contact, Philippe écarta les bras. Lorsque tous eurent obéi, il reprit :

— Fermez les yeux. Vous allez ressentir une drôle de sensation, comme si on vous pressait. Ce ne sera pas douloureux et ça ne durera pas longtemps. N’ayez pas peur.

Philippe se concentra, il n’avait jamais effectué de transplanage d’escorte avec autant de monde, mais il était hors de question d’en laisser là en souhaitant faire des allers et retours pour se ménager. Il risquait la désartibulation, il en était conscient.

Il chassa ces pensées néfastes et rassembla autant d’énergie magique que possible. Il s’efforça d’être conscient du moindre individu. Et quand il se sentit prêt et en phase avec eux, il transplana.

Était-ce parce qu’ils étaient si nombreux ? Il eut l’impression que le voyage, d’habitude instantané, durait une éternité. Il entrouvrit les yeux et vit des points et des sphères lumineuses, comme des milliers d’étoiles, les entourer sans les approcher, se contentant de graviter autour d’eux.

Il ne se laissa pas distraire par ce spectacle pour autant, comprenant que se déconcentrer aurait de graves conséquences. Il referma les yeux, ne ressentant plus que le tournoiement caractéristique du transplanage.

Et soudainement, tout s’arrêta. Philippe sentit son estomac se contracter et son contenu remonter le long de son œsophage. Instinctivement, il se pencha en avant et vomit. Quand il finit par ouvrir les yeux, il remarqua qu’il était tombé à genoux. Autour de lui, ses « passagers » étaient eux aussi pris de nausées.

Philippe avalait de longues goulées d’air pour faire passer son mal-être. Il put aussi regarde s’ils avaient atteint la destination prévue. Il reconnut le cloître de son domaine et eut la confirmation d’être au bon endroit quand son palefrenier, attiré par le bruit, apparut à la porte. Le valet d’écurie ne s’attendait pas à voir autant de monde et mit quelques secondes avant de repérer son maître.

— Monsieur le comte ! appela-t-il en se portant près de lui pour l’aider à se relever.

— Je vais bien, assura Philippe.

Non loin, Charlotte, visiblement remise bien qu’encore un peu pâlotte, s’occupait des enfants.

— Mademoiselle Lehel, voici Flavius, il va vous amener à ma demeure où vous serez tous accueillis et soignés, en attendant de savoir ce qu’on peut faire.

— Il faut sauver monsieur Corvus ! Monsieur le comte ! dit-elle. Il m’a… nous a sauvés.

— Je comptais y retourner de suite, fit-il en dégainant sa rapière. Je reviendrai avec lui, soyez rassurée. Flavius, je te les confie.

Philippe n’attendit pas la réponse de son palefrenier et transplana de nouveau.

— Suivez-moi tous, lança Flavius à la cantonade. Mademoiselle, vous venez ?

Charlotte n’avait pas bougé, fixant l’endroit où se trouvait le comte quelques secondes auparavant.

— Je vais attendre ici qu’ils arrivent.

 

Philippe avait choisi de se matérialiser à quelques mètres de la porte. Il sentit la nausée lui prendre les boyaux, mais il parvint à ne pas vomir de nouveau.

La voie était libre. Rapidement, il entra dans le monastère et se dirigea vers la chapelle.

 

Mathias se sentait à bout de forces. Le début du combat avait été assez simple. Mis en confiance par leur nombre, ses adversaires avaient attaqué de manière presque nonchalante. Il en avait profité pour éliminer deux de ceux qu’il avait identifiés comme étant les plus dangereux. Il était ensuite parvenu à contrer un assaut conjoint de trois autres, en éliminant un de plus d’un maléfice de mort et repoussant les deux autres d’un sortilège répulsif.

Il avait ensuite foncé sur ceux qu’il qualifiait de « maillons faibles ». Le premier, voyant Mathias lever son bras au-dessus de sa tête, avait levé instinctivement sa baguette en protection. L’artefact n’avait présenté aucune résistance face à l’épée, et la lame avait labouré le visage et le poitrail du malheureux.

Le deuxième, visiblement paralysé par l’effroi, n’avait pas réagi quand la pointe de la broadsword lui perça le cœur. Un autre avait reculé en lançant des sorts de manière désordonnée, ne faisant que frôler Mathias. Un sortilège tranchant lui avait entaillé la joue, ne l’arrêtant pas, il avait maltraité le foie de l’ennemi d’un coup de pied direct, puis, sentant le danger dans son dos, il avait utilisé un sortilège de lévitation pour le faire passer au-dessus de sa tête et s’en servir comme bouclier pour bloquer un Avada Kedavra.

Il avait ensuite passé plusieurs minutes à esquiver les maléfices de ses cinq adversaires restants, ne parvenant à les toucher que par quelques sorts mineurs ne les gênant que quelques instants. Il s’était retrouvé vite acculé contre un mur, essoufflé, attendant un nouvel assaut, prêt à défendre chèrement sa peau.

— Avada Kedavra !

L’éclair vert toucha, le corps sans vie s’effondra.

Tous se tournèrent vers l’entrée de la chapelle, Philippe s’y tenait, la baguette toujours pointée sur le groupe d’ennemis. Mathias ne put s’empêcher de sourire légèrement, conscient que ses chances de survie venaient de monter en flèche.

Deux adversaires se détournèrent de Mathias pour s’approcher de Philippe. Ce dernier ne bougea qu’au dernier moment, quand le plus proche leva son épée en voulant l’abattre sur lui. La rapière du comte dévia l’attaque et vint dans le même mouvement transpercer la gorge de l’ennemi qui s’effondra en poussant un borborygme dégoûtant. Le second eut alors un instant d’hésitation qui lui fut fatal, Philippe lançant un nouveau maléfice mortel.

À l’autre bout de la nef, Mathias venait de tuer ses deux vis-à-vis, l’un en lui plantant sa broadsword dans l’estomac et l’autre en le repoussant avec violence d’un sortilège répulsif. Il fit un vol plané et disparu dans les flammes du brasier en poussant une horrible plainte.

Après s’être assurés qu’il n’y avait pas de survivant, les deux hommes se rejoignirent au centre de la chapelle.

— Les prisonniers ? s’enquit Mathias.

— Sains et saufs, et à l’abri, rassura Philippe. Et vous ? Vous n’êtes pas blessé ?

— À part cette estafilade, ça va, dit-il en montrant sa joue où une entaille suintait de sang. Je vais avoir besoin de repos.

— Vous êtes le bienvenu en ma demeure, vous pourrez vous y restaurer et vous y reposer.

— Je n’ai pas pour habitude d’accepter ce genre de proposition de la part de quelqu’un que je connais si peu, mais cette fois-ci, je vais faire une exception.

— Vous m’en voyez ravi. Venez, sortons de ce lieu maudit, laissons-le brûler.

Les deux hommes sortirent de la chapelle avec l’intention de quitter le monastère pour transplaner. Ils s’arrêtèrent en décelant une présence devant eux.

Debout au milieu de la cour, un homme grand et maigre les toisait d’un regard noir…


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