Les Premiers Chasseurs

Chapitre 10 : IX Le monastère

3092 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 15/02/2022 02:16

CHAPITRE IX : LE MONASTERE


Quildas Hautfaucon était guidé dans les méandres des couloirs secrets de Versailles par un mousquetaire. Ce n’était pas la première fois que le roi ou un de ses ministres le faisait appeler. Parfois, c’était juste pour soigner un mal que la médecine moldue n’avait pas réussi à soulager. Le plus souvent, c’était pour acquérir certaines dispositions comme les faveurs d’une femme, la réussite lors de négociations, ou au contraire, porter ombrage à des rivaux ou des adversaires politiques.

Les dernières fois où il fut convoqué, ce fut pour des renseignements. Il comprenait pourquoi, connaissant la situation actuelle et ce qui se jouait entre les gouvernements sorciers. Les moldus craignaient de perdre leur ennemi de vue.

Quildas Hautfaucon ne se souciait pas de ce qu’on lui demandait, tant qu’il était payé pour son travail. Il voyait d’un mauvais œil la promulgation du Secret Magique, beaucoup de ses clients oublieraient son existence et ses compétences. Il devra se faire passer pour un simple rebouteux, il y perdra certainement.

Il fut introduit dans les appartements privés de Colbert. Quildas se doutait qu’il n’aurait pas affaire au roi lui-même, ils n’allaient pas risquer de le mettre en présence d’un sorcier tout de même ! Et ce malgré le fait qu’on lui avait confisqué sa baguette le temps de l’entretien.

Le ministre ne leva même pas les yeux du document qu’il étudiait, se contentant de faire un vague signe de la main pour renvoyer le mousquetaire avant de désigner la chaise à Quildas.

Plusieurs minutes s’écoulèrent sans que Colbert ne daigne ni lever les yeux ni adresser la parole au sorcier. Quildas ne pouvait qu’attendre, faisant passer distraitement son regard sur les rayonnages qui habillaient les murs de la pièce.

— Sa Majesté le roi a besoin de certaines informations, lança Colbert sans préambule.

Quildas ne répondit pas, préférant attendre que les vraies questions soient posées.

— Concernant le Secret Magique dont vos ministres parlent en ce moment, Sa Majesté souhaiterait savoir comment les vôtres comptent s’y prendre pour le mettre en place. Nous savons que vous êtes capable de nous effacer la mémoire, est-ce ce moyen qui sera usité ?

— Ce dont vous parlez, c’est du sortilège d’amnésie. Il est utile quand il s’agit de modifier la mémoire de quelques individus, mais là, on parle de populations entières ! En plus, ce sort n’efface pas vraiment la mémoire, tout au plus, il la voile. En théorie, ce sort peut être brisé. Ce serait donc impossible et improbable de l’utiliser dans ce cas-là, les gouvernements magiques ne se risqueront pas à ce que des centaines de gens voire plus retrouvent subitement leurs souvenirs du Monde Magique. Quelques cas à gérer, c’est faisable, pas plus. Surtout que, si mes renseignements sont justes, certains des vôtres seront épargnés de toute perte de mémoire.

— Qui ? interrogea Colbert, levant finalement les yeux.

— Ceux qui sont parents d’un sorcier par exemple. Beaucoup des nôtres naissent parmi les vôtres, ou se marient avec. J’ai cru comprendre que certains membres des gouvernements régaliens le seront aussi. Je pense que Sa Majesté sera de ceux-là, ça tombe sous le sens. Peut-être même son principal ministre.

— Rien n’empêchera donc Sa Majesté de divulguer ce secret ensuite.

— Les Sorciers ont des moyens de s’assurer que ce ne sera pas le cas.

Colbert laissa un blanc dans la conversation, pour lui, cela signifiait que les Sorciers contrôleraient l’homme qui règne sur la France de droit divin.

Ce n’était pas acceptable.

— Et donc, comment comptent-ils s’y prendre ? questionna de nouveau le ministre, choisissant de recentrer la discussion sur ce sujet.

— Vous devez comprendre que la magie couvre plusieurs disciplines différentes, et que celles-ci ont plusieurs niveaux de maîtrise, parfois très élevés.

— Vous êtes en train de me dire que vous ignorez comment ils vont faire.

— Dans le détail, c’est le cas. Tout ce que je peux vous dire c’est qu’il s’agit d’un enchantement massif produit par une cérémonie à laquelle vont participer les plus éminents et puissants mages et sorciers de notre monde. Un seul d’entre eux a des connaissances et peut faire des choses que je n’ose qu’à peine espérer.

— Savez-vous comment s’en protéger ?

— Comme je vous l’ai dit : je ne suis pas spécialiste de cette branche de la Magie, surtout à ce niveau. Je pense qu’on peut s’en protéger, car, certains n’y seront pas soumis, mais j’ignore comment. Il faudra attendre que la mise en place du Secret Magique soit véritablement décidée pour le savoir, quand ils divulgueront la façon de s’en protéger aux concernés.

— Serez-vous concerné ?

— Non, je n’ai aucun mol… non-sorcier dans mon entourage.

Quildas s’était rattrapé de peu, il savait que Colbert, comme beaucoup d’hommes de pouvoir, n’appréciait pas le terme « moldu ». Pour eux, il sonnait comme si c’était eux qui étaient particuliers.

— Au final, vous n’avez pas pu m’apprendre grand-chose, soupira Colbert.

— J’en suis désolé, monsieur le ministre, s’inclina Quildas, conscient qu’il était dangereux de déplaire à ce genre d’individu. Je ne peux vous renseigner sur ce que moi-même ignore. Mais peut-être puis-je vous trouver ces informations. Laissez-moi quelques jours. Je connais quelqu’un dans l’entourage du ministre de la Magie.

— Il vous ferait sciemment ce genre de confidence ?

— Non, mais je peux peut-être le manœuvrer pour qu’il me les fasse.

Colbert se tut, réfléchissant quelques secondes. Quildas attendait, anxieux. Si le ministre lui refusait ce délai, il serait probablement jeté en prison, voire exécuté discrètement dans un coin de la forêt proche. Il sentait la sueur froide lui couler le long du dos.

Il n’aimait pas être dépourvu de sa baguette.

— Bien, je vous laisse une semaine, finit-il par accorder.

— Merci, monsieur le ministre dit Quildas en s’inclinant une fois de plus.

Il quitta la pièce en faisant de multiples courbettes et fut raccompagné par le même chemin qu’à l’aller jusqu’à l’extérieur. Sa baguette lui fut enfin rendue, il s’en saisit avidement. Le mousquetaire ne comprenait pas qu’on puisse donner autant d’importance à un quelconque morceau de bois.

L’homme d’armes ne lui adressa pas un mot et retourna à ses tâches. Quildas ne transplana pas immédiatement, il avait besoin de réfléchir. Il marcha, s’éloignant du palais royal à pas lents. Il devait trouver un moyen d’obtenir les informations désirées par Colbert et le Roi. Lui aussi était intéressé par ces renseignements, pour savoir combien le Secret Magique impacterait sa vie et ses affaires.

Maintenant, la question était : comment faire parler Odon Marchas ?

 

Mathias Corvus avait atteint sa destination dans la journée. Il en avait profité pour faire du repérage. Trouver le monastère ne fut pas difficile, celui-ci se trouvait au cœur d’une forêt de conifères aux branches alourdies par la neige. À l’état des bâtiments, en particulier des toitures, il estimait qu’il avait été abandonné depuis au moins un siècle. Malgré tout, il était visiblement occupé.

Restant à couvert, il observa les occupants. Ceux-ci n’avaient rien de moine. Certes, ils étaient, pour la plupart, habillés de robes sombres, mais celles-ci ne pouvaient être confondues avec les robes de bure portées par les religieux. De plus, leurs façons de se mouvoir et de se comporter n’avaient rien à voir avec celles d’ecclésiastiques.

De son point d’observation, donnant sur l’entrée principale, il n’en voyait que quelques-uns, montant visiblement la garde devant les portes. Il devina également des mouvements derrière les fenêtres et meurtrières qui constellaient les murs.

Vu de l’extérieur, comme souvent avec les vieux monastères, il avait tout de la forteresse. Mathias en fit le tour pour tenter de trouver une brèche dans les remparts. Il découvrit un mur éventré, mais en s’approchant, il comprit pourquoi il n’était pas gardé : de la magie vibrait dans l’air, des pièges magiques avaient été mis en place pour en interdire l’accès. Bien que cela lui supprima une option, Mathias en fut rassuré : s’ils durent mettre en place ce genre de chausse-trappes, c’est qu’ils n’étaient pas assez nombreux pour garder tout le périmètre du monastère. Il continua de chercher un point d’entrée.

Malheureusement pour lui, les occupants du monastère s’étaient montrés rigoureux et n’avaient pas laissé une seule ouverture sans surveillance ou sans piège. En grimpant à un arbre dans le but d’observer la situation sous une autre perspective, il découvrit la présence de quelques sentinelles sur les toits. Ils n’étaient que deux, chacun à un coin, mais c’était largement suffisant pour donner l’alerte en cas d’attaque. Ces deux hommes faisaient en sorte de toujours se voir. Les quelques fois où l’un des deux tournait le dos à l’autre ne duraient jamais plus de quelques secondes.

Mathias redescendit de son perchoir tout en réfléchissant à comment il allait pénétrer cette forteresse. Pour le moment, l’assaut frontal, bien que condamné à un probable échec, lui semblait la meilleure option.

Pris dans ses réflexions, il ne perçut la présence d’un homme s’approchant de lui à pas feutrés qu’au dernier moment. Il se redressa d’un coup, pivotant, son épée dans une main et sa baguette dans l’autre, prêt à en découdre. Il arrêta son mouvement, mais resta en alerte, quand il reconnut celui qui se tenait devant lui, les mains levées sans arme, en signe de paix.

— Monsieur le comte d’Estremer ! s’exclama Mathias sans élever la voix. Que faites-vous ici ?

— Un ami à vous m’a contacté, répondit Philippe. Il m’a écrit qu’il cherchait à vous aider en recueillant des informations et que, justement, il en avait eu. Et devant la nature de l’obstacle qui se dresserait devant vous, et sachant que nos objectifs finaux se rejoignent, il m’a écrit, estimant que ce serait plus simple et plus rapide que de vous contacter. Dès que j’ai eu fini sa lettre, je me suis précipité ici.

— Un ami ?

— L’alchimiste Nicolas Flamel. Vous avez des amis célèbres et de qualité !

— C’est surtout quelqu’un d’érudit qui réussit à rester humble et ouvert. Mon père l’appréciait pour ça.

Mathias consentit à ranger ses armes, permettant à Philippe de se rapprocher.

— Cela fait une heure que je fais le tour de la bâtisse, indiqua le comte. Vous avez dû vous rendre compte qu’ils ont piégé tous les accès qu’ils ne pouvaient garder.

— Ça ne nous facilite pas la tâche… avoua Mathias. Le combat direct semble inévitable.

— Ce serait risquer la vie des prisonniers… J’ai remarqué qu’ils ont piégé uniquement contre les sorciers.

— Que voulez-vous dire ?

— Oh… Les pièges ne sont pas adaptés aux moldus, même s’ils seraient touchés quand même, ils sont prévus pour forcer des sorciers à utiliser la magie et être repérés. Pour les moldus, ils se sont contentés d’entourer les lieux avec un classique repousse-moldu. En toute modestie, je suis assez doué pour repérer ce genre de perturbation magique.

— Donc, ils ne s’attendent pas à une infiltration par des moyens non magiques… en conclut Mathias. Je reconnais bien là l’arrogance supérieure de certains sorciers. Alors j’ai peut-être un plan. Il va demander des efforts physiques et une bonne coordination entre nous.

— Je ne suis pas un sorcier qui se laisse aller, les efforts physiques ne me déplaisent pas, au contraire, assura Philippe. Exposez-moi votre plan.

Les deux hommes attendirent la nuit et la relève des sentinelles sur le toit. Ils se séparèrent pour chacun se placer d’un côté du monastère.

Philippe guettait le signal convenu, se demandant si celui-ci marcherait convenablement. Il s’était placé tout près du rempart, invisible de l’homme posté sur le toit, presque à sa verticale, et de la plupart des meurtrières. Il ne redoutait que le passage d’une patrouille faisant une ronde autour des bâtiments, mais n’en ayant pas vu une seule lors des repérages, il était peu probable qu’ils aient mis en place ce genre de dispositif de surveillance.

Il entendit un oiseau piaffer au-dessus de lui et la sentinelle s’en effrayer.

— Lumos, entendit-il.

Un faisceau de lumière balaya le toit jusqu’à s’arrêter sur un corbeau vagabondant sur les tuiles.

— Qu’est-ce que tu fiches là toi ? fit la sentinelle. Ouste !

Pour toute réponse, l’oiseau se mit à croasser bruyamment, insulté copieusement par la sentinelle.

Philippe en profita pour lancer le grappin qu’il avait conjuré plus tôt, accrochant le haut du mur. Il vérifia la tenue et commença à grimper en faisant des efforts de discrétion.

En haut, le corbeau faisait toujours autant de bruit, malgré la sentinelle qui n’osait pas lancer un sortilège pour le faire fuir. Il devait avoir des ordres pour n’utiliser les maléfices que dans des cas précis.

Philippe ne fit passer que ses yeux au-dessus du parapet pour observer la scène. À l’autre bout du toit, il vit la seconde sentinelle, visiblement amusée des déboires de son collègue, être neutralisée par Mathias Corvus qui s’était glissé silencieusement dans son dos. Tout à sa prise de bec avec le volatile, la première sentinelle n’avait rien remarqué. Philippe s’approcha d’elle par-derrière et enserra ses bras autour de son cou jusqu’à ce qu’elle perde connaissance.

Les deux hommes ligotèrent et bâillonnèrent magiquement les deux gardes avant de se rejoindre. Ils jetèrent un coup d’œil en contrebas dans la cour intérieure, repérant plusieurs hommes inconscients de leur présence, certains se restaurant ou dormant à même le sol.

Ils passèrent par la trappe permettant de descendre dans le bâtiment. Après s’être assurés qu’aucun ennemi ne se trouvait à proximité, les deux hommes se tournèrent l’un vers l’autre.

— Votre priorité est de trouver et de sauver les vôtres, dit Philippe. Je suis avec vous. Si on se sépare, nous devrions trouver plus rapidement les prisonniers.

— Ils ont mis en place un champ antitransplanage, on risque de ne pas pouvoir les faire sortir sans combattre, fit remarquer Mathias. N’hésitez pas à éliminer, discrètement de préférence, tous ceux que vous croiserez.

— Il nous faut aussi des renseignements, savoir jusqu’où va se trafic pour pouvoir le démanteler. Et découvrir qui en est à la tête.

— Oh oui ! Parce que croyez-moi que je vais me faire un plaisir de l’envoyer ad patres. À plus tard, monsieur le comte.

— On se retrouve à la sortie, monsieur Corvus.

Ils prirent chacun une direction, se déplaçant aussi silencieusement que possible.

Il ne fallut pas longtemps à Philippe pour croiser quelqu’un. L’homme était seul et se soulageait la vessie dans la cheminée d’une pièce vide. Il tanguait d’avant en arrière, il avait vraisemblablement bu.

Sa baguette à la main, Philippe s’approcha dans son dos. Il le saisit par le cou, appuyant l’extrémité de son artefact sur sa gorge.

— Un seul mot trop haut, et tu es mort, prévint-il à voix basse. Tu vas répondre à mes questions. Combien êtes-vous ici ?

— Une vingtaine, je crois, répondit-il.

— Où sont les prisonniers ?

— Dans les anciennes cellules des moines, c’est dans la partie ouest du monastère. Pourquoi prendre autant de risque pour des moldus ?

Il avait dit « moldu » avec un dégoût non dissimulé. Philippe resserra quelques secondes sa prise, lui arrachant un grognement étouffé.

— C’est moi qui pose les questions. Il n’y a que des prisonniers moldus ici ?

— Ouais, rien d’autre.

Si c’était vrai, où se trouvaient les sorciers de la famille de Mathias Corvus ? Peut-être que cette piste ne concernait pas la même affaire.

— D’où viennent ces prisonniers ?

— On les a razziés, il y a quelques semaines pour certains et quelques jours à peine pour d’autres.

— Il y a une semaine à peu près, avez-vous attaqué le village de Sainte-Cécile-les-Bois ?

— J’en sais foutre rien ! Je n’ai pas participé à une razzia depuis des semaines ! Je suis resté ici comme garde-chiourme. Mais, effectivement, on a eu un arrivage il y a une semaine.

— Aucun sorcier ?

— On ne s’attaque pas aux sorciers, juste à ces sales moldus. Et maintenant, tu vas faire quoi ? Tu vas me tuer ?

Philippe lui appliqua un Stupéfix et le cacha dans un coin sombre, ligoté et bâillonné. Il se doutait que Mathias Corvus n’aurait pas autant de retenue, mais ce n’était pas sa façon de faire. Tuer au combat était une chose, exécuter froidement en était une autre.

Il avait parlé de la partie ouest, c’était la direction qu’avait prise son compagnon lorsqu’ils s’étaient séparés. Philippe décida de rebrousser chemin pour rejoindre au plus vite Mathias.


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