Le Masque des Métamorphoses

Chapitre 12 : Henri repart au combat

Chapitre final

4707 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 13/02/2021 17:48

Henri terminait sa convalescence, confortablement installé chez son frère. Il avait passé plusieurs semaines à vadrouiller, se promener, donner des coups de mains ici et là, et à redécouvrir une autre manière de vivre. Il était entièrement rétabli. Pour fêter l’occasion, la famille décida d’aller lever un verre à la brasserie Du Véreux, tenue par Joakim, gérant et vieux copain d’enfance de Ludmila. Le rez-de-chaussée était réservé aux quelques Moldus du village, trois cent âmes à peine, qui osaient s’aventurer sous la devanture verte et délavée du troquet. La salle, en triangle, paraissait très étroite. Accolées au bar, deux misérables tables malpropres et quatre chaises dépaillées dissuadaient les clients d’y rentrer. Tout au plus on y tenait à dix bien tassés. Un abat-jour était relié au plafond par un fil électrique. Quelques mouches virevoltaient autour, certaines s’étaient faites piéger dans l’ampoule et reposaient grillées au fond du verre. L’une d’entre elles se démenait pour en sortir, se cognant sur la paroi sans s’apercevoir que le chemin de la liberté était juste au-dessus de sa tête. Une petite porte qui ne payait pas de mine s’ouvrait derrière le comptoir. On pouvait y lire, indiqué sur un écriteau rouge : « réservé au personnel ». Le tenancier fit passer tout ce petit monde par là pendant qu’un seul et courageux client, accoudé au comptoir et rouge comme le vin, les salua d’un « m’sieurs dames ». Eclairés par un rat-de-cave, ils descendirent un escalier abrupt et crépi, et longèrent à la queue leu leu, tête baissée pour ne pas se cogner, les murs froids et humides qui conduisaient à la cave. Ils débouchèrent dans une petite pièce obscure, basse de plafond, des bouteilles en verre et des fûts de chêne empilés les uns à côté des autres. Philipus leva le couvercle du second tonneau en partant de la droite, puis s’y engouffra comme un gymnaste, tête en avant. Henri voulu suivre, sautant par-dessus les deux pieds joints, comme un jeune qui franchit un obstacle, avec style et souplesse. Il percuta le fond et se retrouva debout, étonné, tout penaud, les chaussures trempées de nectar.

—   Comment je fais pour passer ? demanda-t-il à Ludmila qui retenait ses deux marmots d’une main ferme.

—   La tête la première, Henri, il faut rentrer la tête la première, comme si tu tombais dedans. 

« C’est évident » avait-il envie de répondre. Henri ressortit du tonneau, regarda le liquide au fond, retint son souffle, et se laissa basculer en priant pour que Ludmila ne se soit pas moquée de lui. Mais au lieu du choc attendu, il se retrouva debout dans une salle crasseuse et enfumée d’un voile maussade mais enjolivée de notes de musique. L’odeur de tabac incrustait les pierres. Philipus les attendait déjà, assis à ses aises sur une banquette. Il fit signe à son frère de le rejoindre, suivi de Ludmila et des deux garçons. Ils saluèrent deux petits vieux plongés dans une intense partie d’échecs magiques. Un gobelin fumait silencieusement sa pipe et observait de loin le déroulement du jeu. Un cavalier venait de fracasser une tour. Dans l’autre coin de la pièce, gaiment, quatre sorciers jouaient des accords de jig autour de chopes de bière à moitié vides et pleines de mousse. Quand le morceau se termina, un des musiciens, le ventre bien garni, vida cul-sec son demi-litre sans se forcer dans la joie et l’allégresse. Il rigola à pleins poumons et se retourna vers le bar, tenu par un elfe, pour faire signe qu’il en voulait encore. Une nouvelle pinte lévita jusqu’à lui, pendant que le verre vide prenait le chemin du retour. En même temps, sur l’ardoise noire posée sur le comptoir, on pouvait lire écrit à la craie blanche : addition, table trois, seize Gallions.

Le prix des boissons était affiché à côté.

Bière traditionnelle : 4 Mornilles

Bière-au-Beurre : 3 Mornilles

Bière-Caramel : 5 Mornilles et 10 Noises

Mousseuse : 4 Mornilles

Cidre Moldu du Comté : 59 Noises

Hydromel ½ : 8 Mornilles

Jus de Batavia… etc.

Suivaient les plats du jour dont les morceaux de chef et une partie de la garniture provenaient directement de chez Ludmila et Philipus. 300 g de rumsteck valait 1 Gallion, et une corne de Cornedouce montait à 10 Gallions pièce.

—   Le violoniste est irlandais, précisa Philipus en désignant les musiciens du menton, l’autre à côté, avec le uilleann pipe, c’est son frère. Le flûtiste est belge, il habite dans le coin, et le dernier, c’est le fils Loustic, un neveu lointain du côté de Ludmila, un bon joueur de bodhràn et de Tin whistle.

—   C’est le fils du cousin de la belle-sœur de ma mère, précisa cette dernière.

—   Les deux frères ont joué avec D’r Hilledge, un groupe super connu, ils ont un vrai Moldu à la guitare. On les avait vus dans le Cnocantsolais il y a trois ans, tu se souviens ?

Ludmila hocha la tête sans prêter d’attention, elle surveillait Jack et Simon qui s’étaient précipités vers un jeu de fléchettes. Il fallait atteindre une cible mouvante tout en évitant les obstacles. Un gnome valait un point, un troll des bois cinq, et un troll des montagnes dix. Mais celui qui touchait les chouettes et les hiboux perdait quatre points. La partie n’avait pas commencé qu’une première fléchette vint se planter dans le coussin à côté d’Henry. Ludmila se leva une première fois.

Cinq minutes après, elle dût se relever pour séparer les garçons qui se battaient en se roulant par terre au rythme de la musique. Une sombre histoire de triche. Apparemment, Simon avait joué alors que ce n’était pas son tour.

—   Je n’interviens pas, expliqua Philipus, parce qu’ils ne m’écouteraient même pas. 

Jack et Simon se retrouvèrent à boire leur jus avec une paille, boudeurs, maudissant silencieusement leur mère, la marque d’une main sur la joue gauche pour l’un, droite pour l’autre.

—   Si ça continue, je vous envoie en pension avec les trolls, avait menacé Ludmila.

—   Je n’ai pas peur des trolls, répliqua Simon.

—   Moi je veux faire comme tonton, annonça Jack, me battre contre les voleurs et les loups-garous.

—   Ce n’est pas une raison pour t’entrainer contre ton frère, coupa son père.

—   Pour te retrouver les deux pieds en avant sur un corbillard, pas question, répliqua Ludmila, je préfèrerais vous voir élever des dragons, c’est moins dangereux.

L’histoire est ainsi faite que la mère venait de semer une vocation dans l’esprit de l’un de ses garçons.

—   M’man, dit Jack en s’ennuyant, sa paille à la bouche, tu refais la formule pour faire rigoler.

—   Demande à ton père.

—   Ah non, laissez-moi tranquille avec ça, avertit Philipus.

—   De quoi parlez-vous ? demanda Henri piqué par la curiosité. D’un sortilège ?

—   Ouais, ça fait marrer les gosses.

—   Tu es toi-même un grand gosse, rappela Ludmila.

—   Allez maman…montre à tonton.

—   Oui montre-moi, ça m’intrigue votre histoire.

—   Désolé mon chéri, annonça-t-elle en s’adressant à Philipus, mais j’ai besoin d’un cobaye.

Philipus remua la tête, désespéré.

—   J’ai toujours l’impression que je vais me faire agresser à chaque fois que tu pointes ta baguette sur mon nez, répliqua-t-il en lui saisissant le poignet.

—   C’est pour la bonne cause, se justifia-t-elle en se libérant et brandissant sa baguette vers son mari. Elle formula : Effacetabouille !

Un large sourire de clown déforma le visage de Philipus, comme s’il avait coincé une banane derrière ses lèvres qui s’étiraient d’une oreille à l’autre. Ses yeux avaient rétréci, il louchait dans deux directions opposées, et il avait désormais les oreilles battantes d’un pachyderme.

—   Attention, tu risques de t’envoler mon amour…

—   Cy’é fpa mahant, essaya de dire Philipus alors que ses garçons éclataient de rire.

—   Répète la formule, lui demanda Henri tout joyeux de cette belle découverte.

—   Ehacehahouille, répéta Philipus.

—   Effacetabouille, articula Ludmila en se moquant gentiment.

Elle embrassa son homme en lui murmurant un secret.

—   Laisse-moi essayer, demanda Henri qui brandit sa propre baguette en direction de son frère.

—   Ne hou héranyez pfas su hou, c’é caheau, répliqua Philipus en faisant le pitre.

—   Effacetabouille, lança Henri vers son frère. Les deux yeux, le nez et la bouche de Philipus disparurent pour ne laisser place qu’à un visage de peau, comme si on lui avait greffé de la chair sur tous ses orifices.

—   Mmmmmmmm…

Tout le monde éclata de rire sous cette vision d’horreur, à part Philipus qui ne pouvait plus exprimer grand-chose.

—   Beurk, c’est dégoûtant, dit Jack.

—   Effacetagribouille, lança alors sa mère afin que son mari retrouve un visage normal.

—   Je reviens, dit Henri content d’avoir bien ri, faut que j’aille au p’tit coin, tu sais où c’est ?

—   Tu sors par-là, et c’est au fond de la cour. Fais juste attention en traversant.

Henri passa par deux portes battantes qui ouvraient sur une arrière-salle complètement vide prévue pour les soirs de foule, puis il sortit dehors, dans l’obscurité de la cour intérieure, longeant des dalles japonaises jusqu’à une porte où, il put lire éclairé par un unique candélabre : « petit trou propre quand tu rentres, petit trou propre quand tu sors ». Au retour, il s’écarta une minute du chemin des dalles, intrigué par une masse sombre accolée contre le mur et qu’il avait cru voir bouger. Il entendit comme la respiration d’un grand animal. A son approche, la masse s’éleva dans le noir et recouvrit la nuit de son ombre ; le déclic d’une chaine qu’on agite résonna, suivi d’un mugissement sourd, guttural, un peu ballot.

—   BEUUUUUHHH !

—   Lumos !

Un énorme troll, attaché au cou par des fers, se dressait devant lui, un bras brandi en avant car aveuglé par la lumière de la baguette. Tout autour de lui, gisaient en putréfaction des carcasses d’animaux ainsi qu’un hochet taillé dans le tronc d’un peuplier.

« Je vais rentrer » se dit Henri en se précipitant à l’intérieur peu rassuré. « Ils sont tous fous dans cette région ».

—   Pratique pour dissuader les intrus ! lança-t-il de retour à la table.

—   C’est Bourboule, précisa Philipus. Un pauvre petit troll que j’ai retrouvé abandonné sur l’Oural. Si je le laissais il risquait de mourir. Sa mère se faisait dévorer par des Graphorns. J’ai eu pitié de lui.

—   Petit il était trop mignon, ajouta Ludmila. Tu l’aurais vu avec sa petite tête et ses grosses oreilles, on avait envie de lui faire des papouilles.

—   Hélas, en grandissant il s’est mis à prendre de la place, l’animal, et il était incapable de se débrouiller tout seul. Je ne savais pas quoi en faire, ni comment l’éduquer, ça n’écoute rien ce genre de bête. Ça a des grandes oreilles mais on se demande à quoi elles servent. J’ai bien pensé qu’il pourrait aider à la ferme, mais un troll, ça ne se domestique pas vraiment, puis ce n’est pas très habile. Je ne te raconte pas l’état du poulailler ! Il a fallu racheter des poules et de quoi les abriter.

—   Je n’étais pas rassurée… précisa Ludmila.

—   Joakim venait de se faire cambrioler deux fois en six mois. Ça tombait bien, il avait besoin d’un animal de compagnie pour monter la garde, et on doit dire que c’est plutôt efficace. Il dissuade les voleurs, sorciers comme Farfadets. Du coup, on lui a donné, et il s’est plutôt bien acclimaté. Mais ne t’inquiète pas ! Je ne sais pas si tu as fait attention, derrière on lui a construit une grande niche où il peut vagabonder tranquillement sans ses chaines. Ce n’est pas aussi spacieux que sa montagne d’origine, mais c’est suffisant pour qu’il puisse se défouler.

—   Et je n’en suis pas peu fier, dit le barman venu faire un tour dans son salon pour discuter avec la famille. Il est très attachant.

Il posa ses mains sur les épaules de Jack.

—   Parfois, le soir, je m’assois pas très loin de lui avec un verre, et il me jette des morceaux de viande pour que je les mange.

—   Touchant, dit Henri, et pour les cambriolages ?

—   Je me sens beaucoup plus tranquille. Rien à signaler depuis qu’il est là. J’en avais marre de voir mes tonneaux de vin disparaitre. J’ai même retrouvé des restes de lutin écrasés dans sa gamelle.

—   Vous n’avez pas eu de problèmes avec le Département de Contrôle des Créatures Magiques ?

—   Grâce à Philipus et à ses relations j’ai obtenu une autorisation.

—   Tant mieux, répondit Henri, comme ça vous avez la conscience tranquille.

Joakim acquiesça.

—   Sinon, vous avez entendu, reprit le barman, quelle histoire !

—   Des soucis, demanda Philipus ?

—   Tu n’as pas lu les journaux ? Faut que tu sortes de ton trou à gnomes mon vieux. Tiens, lis donc ça, c’est la gazette du jour.

Il passa un journal à Philipus.

—   Comment va la famille ? demanda Ludmila pendant que son mari écornait les pages de la gazette.

—   Oh, bah tu sais, répondit le barman un pli nerveux au coin des lèvres, en ce moment ce n’est pas trop ça avec Emie. On danse avec les Veaudelunes, comme on dit. Ça se chamaille souvent. Elle n’est pas du tout d’accord pour trouver une femelle à Bourboule. Puis le travail… Elle dort quand je me couche, on se voit peu, et son chef l’enquiquine pour des vétilles, ce qui la stresse encore plus. La dernière fois, elle a vendu une potion tue-loup à la place d’un remède contre la grippe-garou ; dix Gallions de retenus sur salaire ! Tu ne vas pas me faire croire qu’il y avait matière à pinailler ! Elle est partie chez sa mère deux-trois jours pour se reposer…

Il s’interrompit.

—   Ah ! Excusez-moi, le Moldu m’attend. Une bouteille de rouge par soir à lui seul, c’est un bon client. Je coupe avec de l’eau pour rallonger un peu. Il n’y voit que du feu.

Joakim jeta son torchon sur son épaule et retourna au comptoir. Philipus replia silencieusement le journal et le donna à son frère.

—   Tu es en photo, dit-il sans ironie. Avoir causé l’explosion d’une maison de Moldu ne pouvait pas rester inaperçu bien longtemps, les parents seraient fiers de toi frangin. Et moi qui croyais que Jack et Simon tenaient de leur mère…

—   Votre père était déjà un casse-cou, fit remarquer Ludmila pour se défendre.

—   De quoi parles-tu ? s’inquiéta Henri qui se hâta de lire le papier.

—   La une titrait : BAVE DE CRAPAUD ET NID D’ANGUILLES, QUAND LES AURORS PARTENT EN FUMEE. Un Mangemort renait de ses cendres ! Notre journal enquête. REVELATION ! Un meurtrier en fuite suite à une bavure

—   Comment ça une bavure, s’alarma Henri ?

Nous avons été informés de sources sûres du retour d’Ovide, vestige de la Guerre des Sorciers. Cet adepte de la magie noire et ancien partisan de Celui-Dont-On-A-Trop-Dit-Le-Nom a réussi à échapper à la justice magique pendant plus de vingt ans en se faisant passer pour mort. Découvert par l’inspecteur Lazare, le mage noir a, d’après les mots mêmes du ministre de la Défense Magique, monsieur Alicius Suspis, attaqué trois Moldus dans la journée d’hier. Un témoin anonyme nous a révélé que deux maisons se sont effondrées lors de la traque. On peut déjà imputer une quatrième victime au tueur… (Suite page deux) 

Les équipes des Affaires Moldues dépassées. (Suite page quatre)

Le Ministre de la Défense Magique, Alicius Suspis, confirme l’information et regrette de ne pas avoir averti la communauté des sorciers. « Nous ne voulions pas affoler nos concitoyens. Nos équipes sont sur le coup, il ne pourra pas nous échapper ». Est-ce bien responsable, ce mea-culpa est-il un aveu d’échec ? (Suite page quatre)

L’inspecteur chargé de l’enquête démissionne. Interrogé par nos reporters : « Je n’ai aucun commentaire… ». Était-il réellement à la hauteur ? (Suite page six).

—   C’est quoi ces bêtises ? s’écria Henri stupéfait.

Philipus résumait les titres à sa femme qui jetait un coup d’œil par-dessus les épaules d’Henri.

—   Pourquoi l’inspecteur aurait-il démissionné ? marmonna l’Auror, c’est absurde !

« Nous ignorons toujours où se cache le sorcier, a précisé le Ministre de le Défense Magique, mais la totalité des services du pays s’active, c’est une affaire de jours. Rappelons qu’Ovide est un ancien partisan de Vous-Saviez-Qui. Sa vie, son œuvre… (suite page huit).

 « Vil ordure, si ce n’était pas un lâche, il viendrait m’affronter en tête à tête au lieu de se cacher. Je lui ferais digérer ses dents », a lancé le ministre en aparté, des propos qui ont pu être recueillis par notre reporter. En effet, Alicius Suspis a déjà été confronté

Henri, désemparé, posa le journal et se leva d’un bond.

—   Il faut que j’aille voir l’inspecteur Lazare.

—   Ne te fais pas de bile Henri, répliqua son frère, je crois que si l’inspecteur avait voulu te déranger, il l’aurait déjà fait.

—   C’est notre enquête…

—   Henri, rien ne sert de se précipiter, avertit Ludmila compatissante pour apaiser le sorcier, Philipus a raison, l’inspecteur sait où tu es, je suis sûre qu’il te contactera.

—   Je dois être opérationnel au plus vite, c’est urgent...

—   Opérationnel ! depuis un lit d’hôpital ? se moqua Philipus, on n’arrête pas le progrès !

—   Il faut que j’aille voir l’inspecteur, insista Henri.

Par une curieuse circonstance, la fenêtre du bar s’ouvrit et un hibou s’affala en trombe sur la table, renversant les verres. C’était Charlie. La lettre était destinée à Henri.

 

Restez où vous êtes, je viens vous voir dès que possible.

Signé Martin

 

Le rapace, exténué, s’était cassé une serre.

—   Ça nous fait un pensionnaire en plus, remarqua Simon qui s’empressa de récupérer le hibou pour dorloter sa patte.

—   Tu vois, ajouta Philipus, la cavalerie arrive toujours au bon moment.

Ils finirent la soirée ensemble et allèrent se coucher, mais Henri, trop préoccupé, ne trouva pas sommeil. Il se leva à l’aube le lendemain, ayant très mal dormi, des douleurs imaginaires le relançaient dans le bas des reins. Il se tourna et retourna dans ses draps, le linge mouillé de transpiration, avant de passer sa matinée à tourner en rond dans la maison, sortant son Raisonneur toutes les cinq minutes, pour voir finalement que son aiguille s’affolait comme une boussole mal aimantée.

—   Mais va donc prendre l’air, lui conseilla son frère exaspéré qui avait lancé une partie de Dame avec Simon.

—   C’est décidé, j’y vais ! dit-il piaffant d’impatience, alors qu’on entendait au loin, par-delà les collines, un clocher sonner quatorze heures.  

Au même instant, son Raisonneur vibra, et l’on frappa à la porte. Philipus ouvrit. C’était l’inspecteur. Fatigué, il entra. Henri ne lui donna pas le temps de souffler.

—   Inspecteur, je ne comprends pas ! Expliquez-moi ?

—   Du calme, dit Martin qui prit le temps de saluer la famille et d’offrir une boite de Chocogrenouilles aux garçons. Je suis ravi de voir que vous êtes en forme, Henri.

Ludmila proposa du thé.

—   Volontiers madame, répondit l’inspecteur alors qu’une bouilloire versait de l’eau chaude sur une infusion de rhubarbe.

Un sachet de biscuits au beurre se vida dans une coupelle et Ludmila proposa quelques macarons maison pour accompagner le thé. On entendit Hercule meugler à plus de cent mètres, d’une plainte à vous fendre le cœur, réclamant désespérément la présence de ses demoiselles. N’était-il pas malheureux dans ce pré étriqué à trimbaler ses grosses cornes parmi des poules, des moutons et des canards ? Les politesses échangées, tout ce petit monde s’installa dans le salon. On demanda aux enfants d’aller jouer dehors, on ferma la porte et Martin lança un sortilège d’insonorisation par précaution.

—   Plus personne ne pourra nous entendre, précisa-t-il alors qu’une bulle invisible englobait la pièce.

—   Fort pratique, commenta Philipus, il faudrait que vous m’expliquiez comment faire inspecteur, quand les enfants sont couchés...

Sa femme le fustigea du regard.

—   Allons droit au but, Henri, dit l’inspecteur en ouvrant une Chocogrenouille.

Il jeta un œil à l’image et murmura :

—   Helga Poufsouffle, pas de chance.

Puis il reprit :

—   Comme vous avez dû le lire, j’ai démissionné. Le ministre voulait me retirer l’affaire pour la confier à Bredole. C’est plus sérieux qu’on ne le pensait. J’ai décidé de partir pour des raisons qui me sont propres, mais retenez que je ne renonce pas à découvrir le fin mot de l’histoire. Au moins, je n’ai plus de compte à rendre au ministre. Voyez-vous, aussi efficace que soit Bredole, je doute qu’il parvienne à son but, et je suis persuadé qu’ils reviendront me chercher en me suppliant de les aider.

—   Bredole, reprit Henri, ce satané scroutt à pétard, aussi fidèle qu’un elfe de maison. Je crois deviner que l’inspecteur Horkidor…

—   … ne l’aime pas beaucoup, en effet, compléta Martin.

—   Je ne comprends pas, pourquoi vous retirer l’enquête ?

—   La réponse est évidente, dit Philipus qui s’incrusta dans une conversation dont il ne connaissait ni les tenants, ni les aboutissants, votre travail dérange. Il a peur que vous découvriez quelque chose, de se retrouver mouillé jusqu’au cou.

Il reçut, sans broncher, une violente calotte à l’arrière du crâne.

—   Mais de quoi tu te mêles ? s’énerva Ludmila, cinglante. Depuis quand es-tu Auror ?

Il but son thé, sifflant par-dessus sa tasse. Martin ne retint pas son sourire.

—   Votre mari a sans doute raison, Ludmila. Alicius Suspis nous cache quelque chose depuis le début. Nous l’avons compris il y a un petit bout de temps. Il voulait que je retrouve Ovide, pas que je mette son passé en lumière. Il me croyait à sa botte. Il m’a manipulé. Maintenant, c’est lui qui se sent en danger. Pourquoi ? J’ignore la vraie cause, sans doute craint-il pour son poste, mais pas seulement. Cependant, il a fait plusieurs erreurs, à commencer par surestimer sa propre autorité. Bredole n’est pas une tête de troll. Il dira ce qu’il a à dire.

—   Vous lui avez parlé ?

—   Niet, pas pour l’essentiel, car en le faisant je vous aurais mis dans l’embarras vous et Sarah, alors que vous avez encore un rôle à jouer. Si je me tais, je suis le seul qu’ils peuvent blâmer.

—   Sarah ? Que fait-elle en ce moment ? Je n’ai pas eu de nouvelles.

—   Elle est encore au Département. Elle fera tout pour nous aider de l’intérieur. Mais je lui ai demandé de laisser passer l’orage. Elle m’a laissé comprendre que Bredole était venu l’interroger une fois. Elle est maline, je n’en doute plus, on peut lui faire confiance. Toutefois, se confia Martin, j’ai peur d’être surveillé, Henri, le ministre a ses espions, et je crois qu’il se doute de nos soupçons. C’est pourquoi je viens vous demander votre aide, avant que Félix ne décide de vous reprendre avec lui, maintenant que je ne suis plus là… Il est d’accord pour prolonger un petit peu votre convalescence.

—   Je ferai mon possible inspecteur, comptez sur moi.

—   Je n’en attendais pas moins de vous, Henri.

—   Qu’espérez-vous de moi ?

—   Vous avez le droit à encore huit jours de repos.

Il sortit une autorisation signée par l’inspecteur Horkidor.

—   J’ai besoin que vous en profitiez pour vous rendre en Angleterre, j’ai cru comprendre que votre frère vous a aidé à retrouver la forme.

—   Vous… m’espionnez ?

—   Hôla, pas du tout, se défendit Philipus, j’avais juste dit à monsieur Lazare que tu me serais fort utile à la ferme, que le grand air te requinquerait ; tu étais encore en lambeaux dans ton lit d’hôpital. On en a juste plaisanté, on ne savait toujours pas si tu pourrais remarcher à ce moment-là. On se demandait alors comment tu pourrais faire…

—   Mon chéri, tu t’enfonces, fermes-là ! l’interrompit sa femme. Excuse ton frère, Henri, je pense qu’il faut mieux ne pas en reparler pour l’instant et passer à autre chose. Tu es en forme à présent, et c’est ce qui compte le plus.

—   Mmh, fit Henri le visage déconfit.

Il croqua dans un macaron au beurre de caramel. Puis se tournant vers l’inspecteur :

—   L’Angleterre vous dites ?

Laisser un commentaire ?