Histoires d'Avant la Fournaise
Je m’appelle Anna Indoril. J’ai vingt-quatre ans.
Toute ma famille a été massacrée par des Grawls alors que je n’étais qu’un bébé. J’aurais dû mourir aussi, mais des gens sont venus à notre secours et ont chassé les Grawls.
Je ne leur en veux pas. Ces Grawls sont plus bêtes que méchants. Mais je ne les aime pas de toute façon.
Mes parents adoptifs étaient très gentils, et très doux. Ils faisaient partie d’un groupe de chasseurs itinérants, vivant et se déplaçant au rythme des saisons.
Très jeune, mon père m’a appris à me fabriquer un arc, et à l’utiliser pour chasser. Il m’a aussi appris à vivre des ressources naturelles, à savoir reconnaître les empreintes d’animaux et à déduire si l’animal est jeune, âgé, malade, et s’il est bon de le chasser ou pas.
Il m’a appris que la vie est belle et qu’il faut la protéger, même si pour cela, il faut tuer.
Il m’a appris à aimer et aider mon prochain, aimer les fleurs et les oiseaux.
Dans le petit groupe où nous vivions, il y avait une jeune femme avec qui mon père était très lié. Elle était un peu sorcière sur les bords, et elle a rapidement détecté en moi des dons dont j’ignorais l’existence.
Ainsi, à la puberté, j’ai découvert mon affinité avec le feu. J’ai appris à écouter les flammes et à les faire obéir à mes besoins.
Ce n’est pas facile. Le feu est très gourmand et il n’aime pas mourir.
Petit à petit, j’ai un peu considéré la sorcière comme ma propre mère, et le reste du groupe comme ma famille.
Un de nos voyages nous a conduit jusqu’à Ascalon. Le chef voulait absolument faire ce voyage et voir les Grandes cités des Ascaloniens, malgré les rumeurs persistantes concernant des hommes fauves venus du Nord, qui ravageaient tout sur leur passage.
À Ascalon, la vie était belle. Les Ascaloniens sont bizarres, mais gentils. Ils passent leur temps à courir dans tous les sens dans leurs grandes cités, comme si le temps leur manquait.
À Ascalon, nous avons troqué le produit de nos chasses contre des objets fabriqués. Pour la première fois de ma vie, j’ai pu voir mon reflet autrement que dans l’eau ! Je crois que je suis jolie ! En tout cas, les garçons Ascaloniens avaient l’air de me trouver intéressante…
Pour mes vingt-trois ans, mon père m’a offert un véritable Arc d’Ascalon, avec de vraies flèches à pointes de fer !
C’est une arme redoutable ! J’arrive parfois à transpercer du petit gibier avec !
Jamais je ne l’utiliserais contre des hommes !
Une Année est passée ainsi, tranquillement, malgré des rumeurs de plus en plus alarmantes venant du Nord, les Ascaloniens avaient l’air confiants dans leurs grands murs de pierre et dans leurs épées brillantes…
J’ai passé cette année à visiter la région de long en large, toujours en compagnie de mon compagnon, un grand chat que les Ascaloniens appellent « Chats de Mélandru », mais pour moi, c’est toujours Satan.
Il me protège, m’avertit des dangers et me rapporte les proies que je chasse. La nuit je dors contre lui, il me tient chaud.
Au cours de cette année, j’ai vu des tas de gens différents et des lieux aussi tous différents. Je revenais souvent au campement établi aux abords de la grande cité, pour voir ma tribu et raconter mes voyages à mes parents.
Au printemps, mon père et la sorcière se sont finalement mariés ! J’étais contente !
Puis je suis repartie en voyage, toujours avec Satan à mes basques…
C’est au cours de ce dernier voyage que ma vie a basculé…
J’étais dans les montagnes quand le ciel s’est enflammé, et que des morceaux de ciel en fusion nous sont tombés dessus, détruisant tout sur leur passage, arrachant la terre et brûlant le ciel !
Les vivants qui se trouvaient sur le passage du Feu étaient réduits en cendres et leurs habitations détruites.
J’ai tenté de parler aux flammes, de leur dire de ne pas faire ça, de ne pas brûler !
Mais ces flammes-là ne m’écoutaient pas. Elles écoutaient d’autres créatures. Les hommes bêtes venus du Nord, qui les adoraient comme des Dieux, et qui leur donnaient tout le temps à manger !
Je suis retourné à la Grande cité aussi vite que j’ai pu, mais il était trop tard : mes parents et toute la tribu avaient été anéantis par les flammes !
Bien que j’étais folle de chagrin, j’ai voulu voir ces hommes bêtes, j’ai voulu voir quel genre de créatures pouvait bien être capable d’une telle méchanceté.
Je suis donc partie vers le Nord, en compagnie de soldats et d’autres archers, bien décidés à chasser les Charrs, et à leur faire payer leur cruauté.
Ce fut une boucherie sans nom !
Mes compagnons de route furent tous massacrés par ces monstres, bien plus nombreux et plus féroces que je ne l’aurais jamais imaginée !
J’ai bien essayé de défendre mes compagnons, mais mes flèches restaient plantées dans le cuir des ces monstres sans qu’ils en soient le moins du monde affecté ! Les flammes elles, ne m’écoutaient plus ! Elles qui avaient toujours été mes amies, elles cherchaient à me mordre et à me brûler, dès qu’elles étaient dans les griffes de ces monstres !
Nous avons fui. Tous mes compagnons sont morts les uns après les autres. Frappés par les flèches adverses, ou rattrapés par les Charrs, qui les taillaient en pièces sauvagement.
Je ne dois mon salut qu’à mes talents de chasseur, et à Satan, qui flairait la présence de ces monstres, et me prévenait quand je risquais de tomber sur un de leurs groupes.
J’ai fini par rejoindre les positions tenues par les hommes, sans trop savoir comment.
Je n’ai pas osé raconter ce que j’avais vu, de peur d’effrayer les défenseurs et les habitants.
De toute façon, la plupart d’entre eux étaient déjà au courant de la situation désespérée dans laquelle nous nous trouvions.
Le Roi d’Ascalon voulait monter un groupe de combattant dont la mission serait de lancer de courtes attaques dans les lignes arrières des Charrs.
Avec ma connaissance du terrain, et mes petits talents, j’aurais pu être utile à ces gens, mais j’avais trop peur. Et avant qu’on me demande de faire partie de ce groupe, je me suis enfuie et je me suis cachée ou j’ai pu.
Malheureusement, les Charrs occupaient déjà une grosse partie de la région, et il était très périlleux de sortir dans les territoires dévastés.
Puis j’ai appris que le Prince d’Ascalon, le Fils du Roi, avait pris le parti de fuir la région devenue hostile, et de se réfugier loin, ailleurs, au-delà des montagnes, en Kryte.
À ce qu’on dit, un groupe de réfugiés et de soldats sont déjà partis avec le prince, pour ouvrir la voie…
Si je reste ici, je vais finir par mourir. Si je fuis, j’ai une chance de m’en sortir.
La traversée des montagnes en plein hiver ne sera pas de tout repos. Mais c’est peut-être moins pire que de finir entre les griffes des Charrs.
J’ai beaucoup pleuré la perte de mes parents adoptifs et de ma tribu. Me voici complètement abandonnée pour la seconde fois de ma vie…
Je ne sais pas ce que je vais trouver dans ces montagnes et au-delà, mais si je reste, c’est la mort…