Peur
Cette fanfiction participe au Défi d’écriture du forum Fanfictions.fr : Mots et maux estivaux (juillet-août 2022)
Peur
Les coups. Un de plus… Deux, trois, dix, qui me paraissent milliers. Les secondes passent comme des heures, j’ai perdu la notion du temps… J’ai perdu la raison. Je reste digne, malgré mes pleurs… Je reste digne, ressentant sa peur… Pour elle. Pour elle, je laisse les coups pleuvoir. Pour elle, je vis l’invivable… Je sens mes os se briser, au rythme de leurs pieds, je sombre malgré moi, face à tant de violence… La souffrance me fait perdre conscience, loin, loin de ces monstres, loin de ces "humains", qui ne méritent même pas d’être considérés comme tels, face à l’horreur de leurs gestes, la douleur qu’ils transmettent sans même ciller.
Un geste. Un geste, si innocent, si pur… A cause duquel je suis actuellement dans le coma. A cause d’un geste, ma vie a complètement basculé… Et, aurait pu me tuer. A choisir… J’aurais préféré.
Un geste. Sa main, dans la mienne. Un geste. Qui a déchaîné ces hommes… Un geste. Qui leur ont donné le droit, de se comporter comme ça…
Un geste. Être une femme, et tenir la main d’une autre femme. Un geste, si plein d’amour… Provoque tant de haine… Pourquoi ?
Qu’ai-je réellement fait pour mériter ça ? Pourquoi tant de violence, d’injustices ? La différence devrait être une force, pas une faiblesse… Aimer, c’est beau… Cela ne devrait jamais provoquer tous ces maux… Si le bonheur provoque le malheur… A quoi bon…
Parce que, pour 12 pays, les gens comme moi méritent la peine de mort, parce qu’ils aiment, et dans plus de 70 autres, sont en toute illégalité… Alors que les violeurs volent une vie, mais n’écopent que de quatre ans… Parce que tant de gens voudraient nous voir disparaître, plutôt que de comprendre que le problème, ce n’est pas nous, mais eux. Si c’était une "maladie", si j’étais réellement malade, pourquoi tant de haine…?
Trois cotes fracturées, ainsi qu’une cheville, et un poignet… Un poumon perforé, le nez cassé, mais aussi et surtout un hématome sous dural ( une poche de sang qui se forme dans le cerveau )… Tout ça, récolté alors que je partais en vacances pour la première fois depuis des années…
Je suis chirurgien pédiatre, et mon devoir passe la plupart du temps avant le reste du monde… J’en suis très heureuse, mais parfois, changer d’air fait vraiment du bien, surtout en bonne compagnie…
Avec ma compagne, nous avons donc pris la direction de la mer, loin de toutes responsabilités et de tous tracas… Avec paillote, pique-nique, bikinis, et pâtés de sable à l’horizon…
Nous avons un paysage de conte de fée… Du sable fin, presque transparent, presque trop chaud…Dans lequel se noient des centaines de coquillages... L’eau, bleue claire, et si calme… et des dizaines de palmiers, qui nous accordent un peu d’ombre dans ce décor estival paradisiaque… Ne manque plus qu’un joli transat, et qu’une glace pour se rafraîchir, et le mode vacance sera activé… Nos sandales aux pieds, le sable s’élevant à une température trop élevée, nous vagabondons sur cette étendue jaunâtre, sans un mot, juste… Ensemble.
Pour la première fois depuis des années, je me sens apaisée, loin de tout stress, loin du bruit de la ville et de la pollution. Calliopée, ma femme, est elle aussi chirurgien, orthopédique. Malheureusement, dans ce métier, les tempéraments sont compliqués, les égos surhumains, les chirurgiens, et, souvent, les garces, ne font qu’un. Alors, le fait que l’on soit toutes les deux chirurgiennes n’arrange rien aux regards des autres…
Mais, ici, loin de tout, rien ne devrait pouvoir venir briser ce moment, rien qu’à nous. Rien ne le devrait…
Le soir venu, après l’une des plus merveilleuses balades de ma vie, nous nous sommes installées sur le sable pour dîner, bercées par le bruit d’un festival au loin. Au menu, une salade de coquillettes, des papillotes au chocolat, ainsi que de la pâte sablée faite par mes soins, cuite en forme d’étoiles… Comme dans un rêve… Qui va vite se transformer en cauchemar…
Repues, et pleines de sérénité, nous décidons d’un commun accord de laisser la plage pour la nuit, et de retourner nous reposer à l’hôtel… Mais nous fûmes forcées par les évènements, de prendre la route de l’hôpital…
A quelques mètres de l’hôtel, alors que nous allions enfin terminer cette merveilleuse journée, un groupe d’hommes nous rattrapa rapidement, et nous barra la route… Sentant que Calliopée commençait à angoisser, je serrai sa main un peu plus fort, et fis barrage de mon corps pour la protéger. C’est à ce moment qu’ils commencèrent à me bousculer violemment, tout en nous insultant de mots fleuris, plein d’homophobie. Je commençai à prendre peur, moi aussi, sans rien laisser paraître… Nous étions les mieux placées pour savoir que des centaines de victimes de ce genre arrivaient à l’hôpital, mais n’en ressortaient plus jamais…
Sentant qu’ils n’allaient pas en rester là, je leur demandais d’arrêter, de ne pas faire cette erreur… Mais fus tout aussi vite stoppée dans mon élan, par un violent coup venant percuter mon visage, ce qui me laissa sans voix, et provoqua des cris de panique à ma femme…
Sonnée, je suppliai Calliopée de s’enfuir… Mais n’eus même pas le temps d’entendre sa réponse, assommée par les coups de poings et la douleur fulgurante… Tellement, tellement forte, que j’eus l’impression de chuter de dix paliers…
Après ça, je ne me souviens pas de grand-chose… Hormis la douleur, encore et encore… Toujours plus fort, toujours plus… Je me souviens aussi vaguement de la forme de leurs mains, et du son de leurs voix… Je me souviens de la rue, du calme… Mais je me souviens surtout des mots qu’ils ont prononcé, avec tellement de haine, qui m’a atteinte en plein cœur, comme jamais auparavant… Ce que je ne me souviens pas, c’est si Calliopée a eu le temps de partir… Mais je l’espère, de tout ce qu’il me reste de force…
Quand je travaillais à l’hôpital, aux urgences, les cas graves étaient finalement plus ou moins rares… Les petits loups venant pour suspicion de caries, en ayant finalement que des dents sales, ou mêmes des personnes âgées avec un mauvais transit… Mais peu de personnes gravement malade, blessée, ou… Dans le coma, comme moi. Lorsque des cas comme moi arrivaient aux urgences, je sentais une montée d’adrénaline dans mon corps, et plus rien n’existait autour, plus rien n’existait avant que j’aie tout donné pour eux, tout donné pour les sauver… Malheureusement, le coma est quelque chose d’instable… D’un moment à l’autre, tout peut basculer, en bien, ou… En mal. Je suis rassurée, à l’idée qu’un médecin comme moi essaye de me sauver… De savoir qu’il se donnera à fond, comme moi je l’ai fait si souvent… Je me dis que j’ai peut être une chance, de m’en sortir vivante… Peut être…
Je ne sais pas depuis combien de temps je suis là, comme ça… Mais ce que je sais, c’est qu’elle n’est pas loin. J’entends sa voix, résonner dans ma tête…
Je me suis toujours demandée si une personne dans le coma pouvait m’entendre… C’est rassurant de savoir qu’à tous ces enfants, qui étaient dans le coma, que j’ai rassurés… Qu’ils m’entendaient… Qu’ils entendaient leurs parents… Leurs frères, sœurs… Je suis contente, de pouvoir continuer encore un peu à l’écouter… Au cas où…
J’entends ses pleurs, dans sa voix… Je l’entend me supplier de revenir, de me battre, pour elle… Ce qui veut dire, que… Elle a réussi ?? A s’enfuir…
J’entends ses suppliques, encore et encore, mais… Je ne sais pas… Je n’ai pas assez de force… Je ne crois pas… Être capable de m’en sortir… Ni le vouloir… Pourquoi me battre, pour rester dans un monde où je ne peux pas être moi… Pourquoi me battre pour rester dans un monde plein de peurs, d’angoisses… Pourquoi me battre, pour, un jour, finir par me faire tuer… Pourquoi me battre, pour la voir elle, se faire tuer… Si je ne peux pas vivre avec elle, à cause de ce monde, alors pourquoi rester… Dans le prochain, peut être que l’on se retrouvera… Et, que cette fois, on pourra… On pourra vivre ensemble et heureuses, sans peur ni angoisses…
J’aimerai un monde où les humains sont bons, ne s’entretuent pas, ne tuent pas… J’aimerai un monde, où tout le monde pourra être soi même, où à la fois rien ne sera normal, mais aussi tout le sera…
L’hôpital a toujours été mon havre de paix, j’ai toujours pris énormément de plaisir à y passer le plus clair de mon temps, des journées, des semaines, des mois entiers… Et, vraiment, si je devais choisir un endroit où finir ma vie… Ce serait là bas. Ici. Après une des plus belles journées de ma vie, quoi de mieux, car… Je n’ai pas la force.