Mad Love (Jerome Valeska)

Chapitre 21 : Souvenirs d'un autre temps

2316 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 12/01/2017 19:55

-         Regarde ce que j’ai retrouvé ! dit soudainement Kaysha en se tournant vers Jérôme, se rappelant de ce qu’elle avait dans la poche.

Ils étaient assis par terre. Il leva un sourcil, surpris. Elle fouilla dans sa poche, et en sorti deux petits bâtonnets rouge qu’elle lui tendit. Il les observa quelques instants, curieux, se disant que ces pétards lui étaient familiers.

-         T’es pas sérieuse ! s’exclama-t-il alors qu’un sourire s’étendait sur ses lèvres.

-         On avait, quoi ? douze ans !

-         Ça fait tellement longtemps ! dit-il en riant.

Il attrapa un pétard pour le tourner entre ses doigts.

-         Un sur Cole, un sur Christopher, et un sur ma mère, se rappela-t-il.

-         Et ces deux là, je les avais gardés pour une occasion spéciale.

-         Elle est jamais arrivée, répondit Jérôme.

-         Elle devrait pas tarder, sourit Kaysha en le regardant. Bientôt neuf ans d’amitié, tu sais ?

-         Dans deux mois, compta Jérôme. Le jour de mon anniversaire.

-         Exact, Rouquin. Alors, qu’est-ce que tu veux faire ? Dix-huit ans, c’est pas rien, tu te fais vieux !

Il se tourna vers Kaysha pour la regarder très sérieusement.

-         On part, lâcha-t-il.

Kaysha resta immobile, son regard plongé dans les iris claires du garçon, qui était plus sérieux que jamais. Elle ne put parler pendant un instant, réfléchissant à toutes les possibilités qui s’offraient à eux. Mais elle n’en voyait pas beaucoup.

-         Pour aller où ? souffla-t-elle. On a nulle part où aller. Toi et moi on est condamnés à rester dans ce putain de cirque.

-         Tu n’y crois plus ? demanda-t-il. Tu te souviens ? dit-il en s’étalant sur le sol, nostalgique, on voulait partir. On s’était dit : « quand on sera des adultes, on s’en ira, loin de ce cirque, et on pourra vivre tranquilles ».

-         On était vraiment jeunes, continua Kaysha.

-         Ça change pas vraiment, répondit Jérôme. On a rien à perdre.

Il se releva, pour la regarder.

-         On pourrait prendre nos affaires, et partir.

Elle lui sourit gentiment, sans savoir comment réagir vraiment.

-         On est des adultes, Kaysha. Du moins, on le sera bientôt. Je te le jure, Kaysha, je pourrai pas survivre ici. Pas avec elle. Pas comme ça. Ils nous haïssent. Ils nous ont fait du mal, à tous les deux, et toi tu voudrais rester ici ?

-         Mais on partirait avec quoi ? comment ? quel argent ? on survivrait pas, se résigna-t-elle.

-         On se l’était promis, essaya Jérôme une nouvelle fois. Je vais mourir ici, ajouta-t-il après une courte pause, voyant que Kaysha ne répondait pas.

-         Je… je sais pas quoi te dire, Valeska, c’est… c’est impossible, tu le sais bien.

Il détourna le regard.

-         C’était tout ce que je voulais pour mon anniversaire, dit-il en se redressant, désemparé.

-         Non, t’en va pas, dit-elle en regardant Jérôme.

Il se leva tout à fait, et elle l’imita. Ils se regardèrent un instant.

-         J’étais sur qu’on le ferait, lâcha-t-il d’une voix imperturbable, lointaine, qui ne lui ressemblait pas. C’était la seule chose, la seule chose à laquelle j’ai cru, continua-t-il en s’énervant.

Sa voix exprimait une frustration extrême, que Kaysha ne comprit pas. Il croyait en des rêves enfantins, des lubies gamines, qui n’étaient pas réalisables.

-         Jérôme… commença-t-elle.

-         Alors, toi aussi ! s’emporta-t-il. Toi aussi, tu me laisse ici, tu m’abandonne ! Je croyais que c’était nous contre les loups !

C’était bien ce qu’elle lui avait dit, deux ans plus tôt, alors qu’ils avaient seize ans. Le lendemain du jour où Jérôme avait fracassé la mâchoire de Cole.

-         Et ça le restera ! répondit-elle en levant la voix, face à ce Jérôme qu’elle n’avait jamais vu. Mais il faut que tu comprennes, que c’est pas possible. Est-ce que tu te rends compte de pourquoi on… on s’engueule ?

Il laissa ses pupilles se balader sur le visage sérieux de Kaysha. Ses traits s’étiraient dans un mélange de surprise et de colère.

-         Mais je n’ai pas ma place dans ce cirque, dit-il enfin, la voix plus calme. Je suis un étranger, tu le vois bien. Ils me haïssent, ma propre mère me haït. C’est comme si… comme si j’existais pas, avoua-t-il enfin. Je suis qu’une ombre, et personne me voit. « Tiens, et si on appelait Jérôme, on pourrait lui frapper dessus ! » « Et si on lui demandait de ramasser les cochonneries qui trainent, de toute façon, il a que ça à faire ! ». C’est ça ma vie, Kaysha. J’ai tout raté.

Il avait laissé ses yeux glisser sur le sol, perdu dans ses pensées qu’il évoquait à voix haute. Il les releva vers Kaysha et haussa négligemment les épaules.

-         Laisse tomber, finit-il en tout adolescent qu’il était.

Même s’il n’avait aucune envie de laisser tomber, et qu’il aurait, s’il s’était laissé faire, continué en hurlant. Jérôme sentait la frustration accumulée toutes ces années remonter jusqu’à sa gorge. Et à cet instant, il se sentait effroyablement seul, Kaysha lui paraissant si lointaine. Il avait jusque là cultivé cet unique espoir, qui venait de s’effondrer lentement, dans une conjecture étrange. Car finalement, contrairement à ce qu’on à l’impression d’entendre, tout ce qui tombe est silencieux. Le bruit n’apparait que lorsqu’on atterrit lourdement sur le sol. Ceux qui sont là peuvent entendre ce claquement sourd, du corps rencontrant le sol, des rêves se brisant dans l’air.

A ce moment-là, Jérôme entendit le son de son cœur qui se rompait contre le chaos de sa misérable vie, son espoir vain se fracturer à l’intérieur de son âme, et s’il n’était pas resté debout, il aurait aussi entendu le son si familier de son corps rencontrant le sol.

Il avait tant cru en les paroles de Kaysha. Il aurait tellement voulu continuer à y croire, pour toujours, sans détour, sans question, simplement comme un enfant, celui qu’il n’avait pas pu être.

-         Je vais y aller, dit-il lentement, sans vraiment entendre ses propres paroles. On va sûrement avoir… besoin de moi quelque part, hésita-t-il.

-         Et si moi j’ai besoin de toi ? Jérôme, partir à été la meilleure idée qu’on ait eu. Mais pas maintenant, on a rien.

-         C’est faux, je t’ai toi, et tu m’as moi, répondit-il sur le ton du reproche.

-         Et c’est déjà énorme, mais pas suffisant.

Il serra les poings, avec cette envie de frapper tout ce qui pouvait se trouver autour de lui. Jérôme était en colère, contre elle, contre eux, contre lui-même peut-être, il ne savait pas vraiment. Il savait juste que cette haine le dévorait, et qu’elle finirait par le détruire aussi. Et arriverait sûrement ce jour où elle ne le détruirait plus lui seulement, mais tout ce qui l’approcherait.

Sur cette pensée, il se recula d’un pas, comprenant bien que s’il ne le faisait pas, il risquait de blesser Kaysha. Et c’était la dernière chose qu’il eut voulu faire, bien que l’envie lui ait traversé les muscles et l’esprit.

-         Qu’est-ce qui t’arrive, sérieux ? demanda Kaysha, mi excédée, mi inquiétée.

Il ramassa un peu plus son corps, pour se contrôler, ne pas laisser ses poings couler sur le visage de la jeune femme, comme il les avait laissé s’abattre sur Cole. Il se sentait tremblant de partout, à l’intérieur – bien que ce fut difficile à expliquer – comme à l’extérieur, presque fiévreux.

-         Laisse tomber, répéta-t-il sans la regarder. On se voit plus tard, dit-il en s’éloignant, pour reparler un peu de tout ça, c’est mieux.

Il se précipitait, maintenant, voulant s’éloigner de Kaysha le plus rapidement possible, pour la préserver de lui-même. En le voyant, la jeune femme fronça les sourcils dans l’incompréhension la plus totale.

Hors de sa vue, Jérôme se mit à courir, avec vélocité, comme s’il était poursuivit par un monstre. Il courait, pour échapper à ses propres démons, sachant pertinemment qu’il ne pourrait pas leur faire perdre sa trace. Sa respiration était irrégulière, trop saccadée, rythmée par ses pensées sanglantes. Loin des regards, et surtout loin des rumeurs naissantes, il se laissa tomber sur ses genoux, n’arrivant plus à se porter. Il se retint de crier, pour ne faire venir personne. Il cogna une première fois sur le sol, avec toute la puissance dont il était capable. Il observa le vide un court instant, et comprenant la libération que lui avait conféré le coup, il recommença, encore et encore, faisant légèrement vibrer la terre sous lui, élevant la poussière dans l’air.

Il ne s’arrêta seulement lorsque ses mains le firent souffrir. Il se mit à pleurer, pour la énième fois dans sa courte et dramatique vie. Il se laissa glisser sur le sol rugueux, prit d’une folie singulière. Il laissa aller son corps à tous les tremblements qui le faisaient sangloter. Mais il ne pleurait plus. Non, Jérôme sanglotait de rire. Il ne savait même plus pourquoi il riait. C’était la première fois que cela lui arrivait. Il lui semblait pourtant que rire était la plus simple des évidences, celle qu’il avait longuement cherché mais qu’il ne trouvait pas.

Et dire qu’il lui avait fallut attendre tout ce temps, et même frapper bêtement sur la terre, comme un idiot, pour arriver à cette conclusion des plus simplistes. Il se laissa trainer sur le sol, le temps de se calmer, de reprendre le contrôle de ces rires incessants. Il avait l’impression de s’être perdu tout à coup, d’être devenu quelque chose qu’il ne connaissait pas. Comme s’il avait reçu un sortilège soudain, qui lui avait prit tous ces maux, pour en faire quelque chose de nouveau. Pour en faire un nouveau lui.

Il se posa sur son dos, en fermant les yeux, pour rester là, les mains posées sur son torse. Il respirait profondément alors, calmé. Il lui fallut plusieurs minutes pour se rendre compte que le poids qui lui écrasait sans cesse la poitrine avait disparu. Il ne l’avait jamais vraiment remarqué à vrai dire, puisqu’il avait toujours été là, et qu’il ne lui avait jamais laissé de répit. Mais maintenant, voilà qu’il était parti. Il eut un rictus satisfait, qu’il garda un long moment sans s’en rendre compte. Car ces rires étaient le spectre de ses pleurs passés, et ceux qui pourraient encore arriver.


Wow ! Grosse ambiance à la fin de ce chapitre x) J'espère que ce dernier vous a plu ! On commence à bien entrer dans la folie de Jérôme, il faut bien, puisqu'il va bientôt avoir dix-huit ans, âge auquel il tue sa chère maman :') (Ehwi, vous l'aurez compris, on s'approche de la fin, même s'il devrait rester encore pas mal de chapitre).

Sur ce, on se auprochain ! :3

 


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