Mad Love (Jerome Valeska)
Ils ne reparlèrent ni de la ceinture défaite, ni de Christopher descendant les escaliers de Jérôme. Et Jérôme ne parla pas non plus des joues rougies de sa mère, de ses vêtements étalés sur le sol, et de la douche pressante qu’elle prit lorsqu’il rentrait.
Lorsqu’elle en sortit avec un air narquois, il n’y répondit pas. Il se contenta de rester muet, et de regarder le mur vide en face de lui. Il essayait de réfléchir, de comprendre pourquoi il avait tant voulu rester prêt du cadavre de rat, alors qu’il révulsait Kaysha. Il ne comprenait rien. Il laissa ses yeux couler vers sa mère, et, les images réelles se mélangeant à ses souvenirs sanglants, il vit du liquide rouge s’écouler des yeux et de la bouche de Lila Valeska. Il baissa tout de suite le regard, en s’obligeant à avaler sa salive.
Tout son corps vibra violemment d’un seul coup. C’était comme s’il ressentait une fièvre saisissante, qui lui chauffait tout le corps. Il du retenir tous ses muscles pour ne pas se lever, et répondre à cette attente soudaine, qui lui hurlait de frapper quelque chose. Son cœur s’accéléra dangereusement, il cru un instant qu’il allait se déchirer dans sa poitrine. Il n’arrivait plus à se concentrer, trop préoccupé par tout ce qui se passait à l’intérieur de lui-même, pour la première fois. Il prit plusieurs minutes pour calmer cette effervescence qui bouillonnait dans son ventre, dans ses jambes, son crâne. Il quitta la cuisine en se levant dans un grand effort, et s’enferma dans sa chambre, où il laissa libre court à sa respiration forte. Il posa ses mains à plat sur son lit en se penchant en avant, pour canaliser ses pensées sur une chose qui pourrait le calmer.
Il chercha de partout dans son esprit, le cirque, les clowns, sa mère – pourquoi y pensait-il ? – la poussière du chapiteau, les nuits étoilées, les nuages traversant le ciel, le ruisseau qui laissait ce son si chantonnant dans ses oreilles, les feuilles des arbres qui menaient leur mélodie propre, et enfin celle avec qui il avait eu le temps de découvrir tout cela. Kaysha apparut à côté de lui, en train de contempler le ciel constellé, allongée dans l’herbe avec lui à regarder les nuages aux formes extravagantes parcourir le ciel, tous deux les pieds dans l’eau du ruisseau qui s’efforçait de continuer sa course interminable, et assise sur une branche en face de lui, au milieu des feuilles qui menaient leur complainte. Son esprit focalisé sur son timbre de voix, son allure garçonne et son sourire tranquillisant, il put reprendre le contrôle de son être.
Il s’empêcha de repenser au sentiment d’extase qu’il avait presque failli ressentir ce jour-là. Il ne savait pourtant pas s’il était bien ou mal, il n’y eut personne pour le lui dire à cet instant. Mais l’étrange sensation restait pourtant dans un coin de sa tête, un coin vide et sombre où il jetait toutes ses pensées noires afin qu’il puisse feindre de les oublier. Il n’osa pas en parler avec Kaysha, se doutant que le mouvement brusque de tout son corps n’était sûrement pas naturel, et qu’il n’était pas ressentit par bon nombre de gens. Il ne savait pas vraiment comment il avait compris cela, mais il semblait que si les gens autour de lui rêvaient de sang, il en trouverait plus souvent sur leurs mains.
Ce sentiment ne revint pas. Jamais. Le cirque avait eu le temps de continuer sa perpétuelle boucle migratoire, et l’anniversaire de Jérôme arrivait à grands pas. Il allait avoir quinze ans, mais il semblait que sa mère avait préparé quelque chose en cette occasion. Malheureusement, pas quelque chose que les adolescents attendent.
- C’est pas parce que c’est l’anniversaire de monsieur qu’il ne va pas faire la vaisselle ! se moqua-t-elle.
Jérôme essaya de s’expliquer.
- Maman je t’en prie, j’…
- Ne dis pas « maman » avec un ton si pathétique ! Tu me dégoute !
Elle le gifla.
- Ton anniversaire, hein ?
Elle lui attrapa une mèche de cheveux et le fit tomber par terre. Elle allait le frapper une nouvelle fois, quand la porte d’entrée s’ouvrit brusquement, laissant entrer une ombre pressée. Le corps dissimulé dans le contre jour s’abattit sur Jérôme, et il sentit qu’elle tenait sa tête fort contre elle.
- Ça suffit ! entendit-il crier.
Sa mère s’était immobilisée. Une main passa dans ses mèches rousses, et il sentit le souffle de Kaysha s’étaler sur son visage. Elle ne regardait rien, et attendait que quelqu’un réagisse. Jérôme ne bougeait pas, ne comprenant pas son intervention. Et d’un coup, il se sentit en sécurité, comme si la sensation lui était tombée dessus, fracassant silencieusement et agréablement tout son corps.
- Ça suffit, répéta-t-elle beaucoup plus doucement en posant sa joue sur la tête de Jérôme.
Elle était posée sur ses genoux, la respiration rapide. Le temps parut s’arrêter, tous les mouvements cessèrent, et plus aucun son ne se fit entendre. Jérôme gardait son regard sur Kaysha, se sentant protégé, oubliant même sa mère qui était debout devant eux. Il sentait son corps trembler très légèrement, retenant les secousses pour ne pas montrer sa peur. Elle fit descendre son regard sur Jérôme et les deux se regardèrent attentivement.
- Joyeux anniversaire, souffla-t-elle.
Lila Valeska se mit à rire.
- Alors c’est ça ? ton protecteur est une fille ? elle éclata d’un rire embué d’alcool. Vas-t-en, dit-elle, avant que je vomisse.
Kaysha se leva et prit Jérôme par le bras pour l’entrainer à l’extérieur. Ils s’enfuirent en courant, se tenant par la main, pour se réfugier n’importe où, loin des caravanes et du regard de sa mère. Ils couraient, le dos droit, chacun calquant son rythme sur celui de l’autre. Hors du cirque, Kaysha lâcha la main de Jérôme et ils s’arrêtèrent. Essoufflés, ils se plièrent sur leurs genoux pour retrouver une respiration normale. Sans qu’elle ne s’y attende, Jérôme la prit dans ses bras, après qu’ils se soient tous les deux redressés. Elle le maintint contre elle assez longtemps, ses doigts s’enfonçaient dans sa peau, mais elle ne disait rien. Il enfouit son visage dans son cou, en se retenant de pleurer. Ce qu’il n’arriva finalement pas à faire bien longtemps.
- Non, pleure pas… Ça va aller, Rouquin… dit-elle en jouant avec ses mèches sauvages.
Il la tenait comme s’il allait tomber, alors qu’il s’écrasait moralement. C’étaient à ces moments-là qu’il ressentait encore plus leur fraternité. Qu’il aurait aimé avoir une famille, un père, une mère, une sœur, un frère. Kaysha prit son visage entre ses mains, et effaça ses larmes.
- Pourquoi tu es entré ? demanda-t-il une fois qu’il se fut calmé.
- Je venais juste te voir, expliqua-t-elle tranquillement en caressant sa nuque, pour ton anniversaire. Puis, j’ai entendu quelque chose tomber, j’ai regardé par la fenêtre, et tu étais par terre. Je pouvais pas laisser faire ça.
Ils ne dirent rien durant un long moment.
- Tu as fait gonfler tes yeux, fit remarquer Kaysha.
Elle s’allongea, et il posa sa tête sur son ventre. C’était la première fois qu’il agissait ainsi, et elle en fut surprise, mais ne dit rien. Elle plia un genou, et croisa ses bras sous sa tête. Elle sentit que le souffle de Jérôme devenait plus profond, et régulier. Elle ne voyait que le haut de sa tête, et ne pouvait pas discerner son visage, mais elle comprit qu’il s’était endormi. Ils restèrent là, sans qu’elle ne le réveille ou ne bouge. Elle restait éveillée, en attendant que Jérôme se lève. Il devait être épuisé. Elle ne l’obligerait pas à parler du comportement qu’avait sa mère envers lui.
Mais il savait que s’il avait besoin d’elle, pour quoi que ce soit, elle serait là. Et c’était pour ça, qu’en cet instant, Jérôme dormait sur le ventre de Kaysha.
Salut tout le monde ! Haha, et oui ça commence à bien bouger dans ce chapitre :3 J'ai aimé l'écrire de mon côté, j'espère qu'il vous a plu ! :)