Le Temps de la Nuit
Annie n'avait plus conscience de son propre être, ou de ce qui l'entourait. Elle était simplement en vie. Mais le docteur Strange en avait décidé autrement, et déclara qu'Annie avait succombé aux coups de son agresseur. Elle s'était elle-même livrée à lui, sans le savoir.
- Vous savez, tout le monde pense que cette jeune femme est folle, Madame Peabody, dit Strange en regardant les infirmiers brancher Annie aux machines.
- Ne l'est-elle pas ? S'étonna son assistante.
- Bien sur que si, et nous avons le parfait couple destructeur que nous recherchions.
- Si Jérôme Valeska se souvient de ce qu'il était...
- Oh, il s'en souviendra, répondit Strange avec certitude.
- Ces deux cas seront extrêmement dangereux lorsqu'ils seront regroupés, vous en êtes conscient.
- Parfaitement conscient. Mon clown et mon arlequin, enfin ensembles.
- Vos expériences m'inquiètent de plus en plus, docteur...
- Oh ne vous inquiétez pas, lorsque rien n'est sous contrôle, il suffit de faire comme si tout l'est effectivement. Et rien n'est plus facile de faire semblant dans un monde où tout est faux...
Annie Henderson n'est pas morte, mais elle ne tardera pas à l'être.
- Vous allez la tuer ? s’étonna-t-elle.
- Plus ou moins, oui. Mademoiselle Henderson n'est pas morte physiquement, mais je veux lui faire oublier qui elle était, je veux lui retirer toute émotion, sauf celle qu'elle éprouve pour son binôme.
- Et que comptez vous faire pour Jérôme Valeska ?
- Le plus important pour lui est de se réveiller de sa longue absence. Ensuite, nous les ferons se rencontrer une nouvelle fois, afin d'éveiller les passions premières, celles qui ont fait d'eux ce qu'ils sont.
- Comment être sûr qu'ils s'aimaient déjà ? Ils sont fous, l'un comme l'autre...
- « La folie des amants est la plus douce des folies », récita Strange.
- Espérons qu'elle ne soit pas la plus meurtrière.
- Ne vous en faites pas Madame Peabody, Gotham a besoin d'amour.
L'ADN dilué s’immisça lentement dans les veines d'Annie. Le docteur Strange avait spécialement composé pour elle un mélange chimique avec du sang de murène, discrète et vorace. La nature violente d'Annie serait alors probablement décuplée par la mutation génétique.
- Le mélange va bientôt entrer dans l'organisme du sujet, dit une voix à l'intérieur du bloc opératoire.
Le docteur et son assistante s'arrêtèrent alors de parler, pour observer la suite des évènements. Ils voyaient le liquide jaunâtre se déplacer avec lenteur dans le minuscule tube transparent. L'ADN modifié allait atteindre la perfusion posée à l'intérieur de son poignet.
- J'adore ce moment, jubila Strange avec un frisson.
En effet, le liquide intégra le corps même d'Annie dans la seconde qui suivit.
- Le pouls s'accélère, dit la voix.
De petits tremblements faisaient frémir les membres d'Annie. Strange étudiait attentivement la progression du liquide. Les tremblements se firent plus nombreux et plus marqués.
- Ce n'est pas normal, fit remarquer Madame Peabody avec inquiétude.
- Continuez, ordonna Strange.
La moitié du fluide avait déjà été avalé par les veines d'Annie lorsque celle-ci ouvrit brusquement les yeux.
- Le sujet s'est réveillé ! S'exclama la voix.
- Rendormez-là ! Cria presque Strange.
Le buste d'Annie se convulsa, se soulevant, retenu par ses poignets attachés à la table d'opération. Instinctivement, elle tenta de se lever, mais fut retenue par ses liens. Elle baissa les yeux sur la douleur qu'elle ressentait au poignet gauche, et découvrit la perfusion et le liquide jaune qui lui colorait les veines tout autour. Elle tenta de hurler, mais sa bouche était coincée par une sangle qui lui maintenait la tête dans un même temps. Elle fut prise de panique, ses yeux dansant dans tous les sens, pour découvrir un environnement encore pire. Elle distingua l'infirmier se précipiter vers elle pour l'endormir en lui posant un masque sur le nez. Elle lutta plusieurs secondes, en remuant la tête dans tous les sens, sentant que son esprit divaguait à nouveau. L'infirmier devint flou, et Annie sombra à nouveau dans les ténèbres qu'étaient les siennes. Le docteur Strange s'apaisa en voyant la jeune femme se rendormir. L'expérience pouvait continuer sans qu'il ne soit inquiété.
L'ADN s'écoula tout à fait dans le corps d'Annie, et les transformations commençaient, invisibles, jusqu'au plus profond d'elle-même.
* * *
Elle ne se réveilla que de longues heures après. Toujours attachée, mais plus calmée, elle ouvrit lentement les yeux. Elle découvrit un plafond blanc et uniforme, qui laissait croire que lui seul existait, et que rien autour ne le tenait. Elle avait presque l'impression de flotter dans l'air. Elle fit à nouveau chuter ses paupières sur ses pupilles, en essayant de se souvenir. Elle sentait de lointaines douleurs la lancer dans tout le corps.
Mais ce n'était pas le plus perturbant. Annie sentait autre chose. Peut-être qu'elle sentait autrement. Elle entendait, un sifflement perdu, une voix vague, un tambourinement sourd, des pas feutrés et d'autres plus lourds, un froissement léger dans l'air. Elle respirait l'air infecté d'Arkham, l'odeur légère de la caféine, celle volatile d'un parfum féminin. Et enfin, ce picotement inconnu au bout des doigts, au creux de son ventre, sur ses lèvres asséchées. Elle humidifia ces dernières, en une explosion de goûts étranges lui emplit sa bouche soudainement.
La jeune femme entendit des pas certains se poster auprès d'elle, et elle entendit la personne déballer quelque chose. Lorsqu'elle lui frôla la main, Annie attrapa le poignet de l'infirmier qui se penchait vers elle. Elle ouvrit grand les yeux pour voir le visage surpris de ce dernier. Elle le serrait avec une force qu'elle ne connaissait pas.
- Le sujet s'est réveillé ! Appelez le docteur !
Quelqu'un se précipita dans le couloir. Annie gardait les yeux braqués sur l'infirmier qui tentait de retirer son poignet, en vain.
- À boire, réclama-t-elle. À boire. De l'eau.
Elle lâcha l'infirmier qui se dégagea. Annie sentait de petits tremblements agiter son corps jusqu'à son visage, incontrôlables, comme s'ils étaient causés indépendamment d'elle-même. Son lit se souleva au niveau de son buste, lui faisant découvrir le mur en face d'elle, les yeux imperturbables et fixes. Elle avait la désagréable impression que du sable envahissait sa gorge, l'empêchant d'avaler sa salive correctement. L'infirmier la fit boire, tenant lui-même le vers en plastique.
- Encore.
Il réitéra le geste.
- Encore.
Elle bu plusieurs vers d'eau, six, sept peut-être. Elle sentait l'eau se déplacer dans ses intestins, rafraîchir tout son être abondamment. Pendant un instant, elle ne sentit rien d'autre. Mais les nombreuses sensations revirent presque immédiatement, agressives. Elle prit une profonde inspiration, comme si ces sensations la lacéraient en la faisant souffrir.
Surréel. C'était le seul mot qui lui venait. Surréel. Rien n'était vraiment réel, tout l'était trop.
Son rythme cardiaque s'accéléra. Elle serra ses poings retenus et laissa échapper un râle douloureux. Le liquide jaune lui revint en mémoire. Elle ouvrit soudainement les yeux et observa son poignet gauche. Plus rien, mise à part ses veines bleutées qui semblaient plus ressorties et plus larges. Il n'y avait même pas de pansement.
Combien de temps avait-elle passé allongée sur ce lit dur ? Peut-être longtemps, au vu de la perfusion énergétique qui diffusait son liquide dans son corps, depuis son avant bras droit.
- Bonjour, Arlequin, dit une voix familière au pied de son lit.
Elle ne répondit pas, silencieuse, les yeux tournés vers le plafond blanc, bruni par le temps.
- Vous avez bien dormi ?
Elle ferma les yeux, ne supportant plus la voix du docteur Strange. Elle serra ses molaires, et sa tête tourna dans le vide. Ou dans le plein. Trop d'informations lui paraissaient arriver d'un seul coup, les sons, les odeurs, même le toucher, car l'air lui-même devenait presque palpable. Elle gémit de son impuissance.
- Nous vous en faites pas, vous vous y habituerez bien vite.
Elle ne comprit pas vraiment, et ne se posa pas plus de questions, trop occupée à regrouper tous les éléments qui lui parvenaient et à essayer de les classer.
- On va vous détacher, au moindre mouvement brutal, vous retournerez dormir. Je ne veux pas vous tuer, j'évite de gâcher mes expériences. Mais votre docilité prendra le temps qu'il faudra pour être acquise.
Elle hocha très légèrement la tête, faible d'une certaine manière. Et pourtant, elle sentait une force lui envahir le corps, de façon incompréhensible et paradoxale. Ils lui libérèrent les poignets, et la levèrent. Elle mit du temps à tenir debout, sous le regard superviseur de Strange et des autres infirmiers. Ils la firent marcher quelques pas, afin qu'elle s'habitue à la sensation du sol sous elle, pour ensuite la faire marcher à travers les couloirs des sous-sols d'Arkham.
* * *
Annie n'avait pas encore tout à fait retrouvé ses esprits. Les transformations imposées par le docteur Strange l'avaient laissé dans un état second, qui lui faisait confondre le rêve et la réalité. Elle se sentait pourtant en vie, et bien plus. La puissance qui parcourait son corps ne la laissait pas indifférente. Elle ne laissait personne la voir, cependant, et préférait retenir la pression qui agissait sur ses muscles. Elle avait envie de courir, de se dépenser, de faire disparaître cette force qui lui brûlait l'intérieur même de son corps. Elle avait l'impression d'être sous l'effet d'une drogue qui la rendait presque euphorique, mais à laquelle elle se refusait de céder.
Personne ne lui avait dit où ils la menaient. Et elle ne demanderait pas, n'ayant d'abord aucune envie de parler, redoutant d'hurler à la place, et ensuite parce que ce serait un signe de faiblesse. Elle reconnut comme la devanture d'un bloc laboratoire du docteur Strange. Elle n'avait aucunement envie qu'on recommence à utiliser son corps comme expérience. Elle observa autour d'elle, mais avant qu'elle ne réfléchisse à la meilleure façon de se débarrasser des infirmiers et de ses menottes, Strange intervint.
- N'ayez aucune crainte, Arlequin, nos expériences sont terminées. Je veux simplement, que vous rencontriez quelqu'un.
Elle ne répondit pas, et ses menottes lui furent retirées. Ils ouvrirent la porte et la firent entrer. L'endroit était sombre, seule une infime lumière éclairait la pièce. Il y avait une table au milieu, et son inquiétude s'agrandit quand elle comprit que ce qui devait y être installé était invisible. Elle tourna lentement sur elle même, guettant n'importe quel indice qui puisse lui dire où se trouvait le disparu. Elle distingua Strange apparaître à une fenêtre au dessus d'elle.
Annie se redressa pour qu'il la voie mieux. Au même instant, un affreux bruit résonna dans la pièce. Une sorte de ricanement animal, ressemblant un peu à celui d'une hyène. Son cœur trembla dans sa poitrine, frissonnant dans un mélange de surprise, d'appréhension, et de familiarité. Une ombre se déplaça derrière elle. Sans réfléchir, Annie bondit immédiatement, son corps entier se balança dans l'air, pour se retrouver accroupie sur la table de consultation. Elle avait réagit instinctivement, sans que cela ne lui paraisse inconnu. Pendant quelques secondes, Annie ne pu bouger, trop perturbée par ses nouvelles capacités.
- Qu'est-ce que vous m'avez fait ? Murmura-t-elle à l'intention de Strange.
Elle se mit debout pour se tourner vers lui, oubliant l'ombre qui rodait. Elle le toisa plusieurs secondes, avant qu'une main ne lui attrape la cheville, et que son corps se fracasse entièrement sur le sol. Elle jeta son pied sur l'agresseur qui recula de quelques pas, en riant maladivement. Elle connaissait ce rire, mais le visage de son propriétaire se refusait d'apparaître. Son réveil ne lui avait pas ravivé tous ses souvenirs, et toutes les nouvelles informations qu’elle obtenait la dérangeaient dans sa réflexion. Elle se leva une nouvelle fois pour se poster sur ses jambes.
Les mains s'abattirent subitement sur sa gorge pour la serrer. Elle tombait sur le sol, et enfin il apparut dans la lumière.
Jérôme tentait de la tuer. Elle essayait de le repousser, mais l'asphyxie l'étourdissait. Elle plia ses jambes vers sa poitrine et éloigna Jérôme avec ses pieds. Elle inspira un grand coup, et évita les frappes qu'il lui envoyait. Elle se mit à sa hauteur et lui écrasa son poing sur le visage. Étourdit, elle en profita pour lui en offrir un autre. Elle l'empêcha de tomber, ignorant ses phalanges souffrantes, et s'aida du mur pour le maintenir debout.
- Jérôme ! Appela-t-elle, comme si elle essayait de le réveiller.
Le garçon en face d'elle éclata de rire. Et son cœur explosa à ce rire qu’elle avait tant détesté.
Elle n’avait même pas eu le temps de s’étonner de savoir qu’il était encore vivant, après l’avoir vu mourir dans tout ce sang. Elle n’était pas heureuse de le voir, mais elle louait le fait d’avoir retrouvé le seul repère qui lui avait été permis de posséder. Ce garçon aux cheveux roux et au regard perturbant. Ce garçon qui évoquait la mort, sans qu’aucun son ne sorte de sa bouche, mise à part ce rire excessif. Elle aurait voulu le prendre dans ses bras, stupidement, pour le sentir tout près d’elle. Elle tremblait presque d’excitation, après avoir tant souhaité qu’il revienne vers elle, qu’il traverse la mort pour elle. Et le voilà enfin. Jérôme Valeska était revenu.
- Jérôme est mort, chantonna-t-il, alors que sa bouche crachait du sang.
- Non il est en face de moi, et je voudrais qu'il se rappelle de moi !
Il lui répondit d'un rire mécanique. Si elle ne le tenait pas, il se serait laissé glisser sur le sol.
- Jérôme, appela doucement Annie une nouvelle fois en le maintenant par le col. Jérôme, réveille-toi. Il faut que tu te rappelle. Tu es Jérôme, tu étais le chef des Maniax. On a tué des gens.
Tu as tué tes parents, on a tué mon père. On était ensemble. Souviens-toi du massacre du gcpd. Tu dois encore montrer ton véritable talent à Gotham, rappelle toi, ton grand soir t'as été volé.
- Galavan, dit-il enfin. Tuer Galavan.
- Oui, Galavan...
Soudain, le corps entier du jeune homme se redressa, et il poussa Annie jusqu'au mur en face d'eux. Elle sentit la force du garçon refaire surface rapidement, pour qu'il la maintienne à son tour.
- Où est Galavan ? Siffla-t-il entre ses dents.
- Mort.
- Qui ?
- James Gordon.
Elle donnait les informations sans réfléchir, voulant simplement l’aider à se souvenir de ce qu’il avait été, et de qu’elle voulait qu’il redevienne.
- Encore ! Hurla-t-il, alors que la rage colorait son visage.
- Oui, oui, dit-elle en lui caressant rapidement le visage de ses mains, James Gordon, encore, il t'a mis à Arkham.
- Je sais, je sais !
- Il m'a mis à Arkham moi aussi, James Gordon est un homme mort, hein Jérôme ? On va sortir d'ici, et le tuer.
- Qui es-tu ? Demanda-t-il en lui écrasant les épaules contre le mur.
- C'est moi ! S'empressa-t-elle. C'est Ann ! Tu t'en souviens ? J'ai tué Arnold, et j'ai rejoins les Maniax. Souviens-toi du jour ou on a tué mon père, Jérôme. Y avait que nous deux. Que toi et moi. Jérôme, on a couché ensemble ce jour-là. Rappelles-toi. Nous étions dans le lit de mes parents.
- Ann, répéta-t-il en se souvenant.
- Oui c'est moi, dit-elle avec une pointe de victoire dans la voix.
- On avait fait l'amour longtemps, se rappela-t-il en souriant légèrement.
- Oui.
- C'est le seul souvenir ?
- Le plus important, Jérôme, c'est celui qui prouve ce qu'on était.
- Qu'est-ce qu'on était ? Menaça-t-il en pressant une nouvelle fois ses épaules.
- J'en sais rien, on était juste amants, on a juste baisé, Jérôme !
- T'as baisé, toi ?
- Je sais pas dit-elle, j'en sais rien. J'en savais rien et j'en sais toujours rien, soupira-t-elle en répondant à une question qui la tourmentait. Quand Galavan t'as tué sur scène, j'ai cru que j'allais exploser. Je... je crois que je t’appréciais quand même un peu, hésita-t-elle.
- Tellement sentimentale, ironisa Jérôme avec cruauté. Tu joues la guerrière, mais tu changeras pas, petite Annie de la chambre.
Les yeux d'Annie s'assombrirent. Elle lui envoya son genou dans le ventre pour l'éloigner d'elle. Il rit sous la violence du coup. Elle lui asséna un nouveau coup de poing dans la mâchoire. Rapidement, elle le fit tomber au sol, et s'assit à cheval sur lui pour l'empêcher de bouger. Elle prit son col entre ses mains souffrantes et ramena son visage vers elle.
- Cette Annie là n'existe plus, articula-t-elle, tu as compris ? Et elle ne compte pas revenir.
Elle laissa la tête du jeune homme tomber sur le sol, et se pencha sur lui. Lentement, elle passa ses mains sur son torse.
- T'es vraiment un connard, sale fils de pute.
Elle caressa sa gorge lentement. Bizarrement, il ne riait plus, se contentant de sourire. Elle posa le haut de son corps sur le sien, oubliant les yeux du docteur Strange. Jérôme posa ses mains sur le devant de ses cuisses pliées.
- On est obligés, dit-elle. On peut pas faire autrement que de se haïr. De s'en vouloir. De s'oublier.
Elle ne parlait pas pour lui, mais pour elle même. Jérôme devait l'avoir comprit, car il ne répondit pas. Il laissa les paroles d'Annie s'évanouir dans l'air sombre, sans que cela ne gêne ni l'un ni l'autre. Les paroles étaient si inutiles. Le jeune homme attrapa la bouche d'Annie pour l'embrasser, sans qu'il n'y ait rien de rassurant dans ce geste spontané. Il n'y avait rien qui puisse tranquilliser Annie. C'était seulement un baiser qui signifiait que l'un avait manqué à l'autre, sans qu'ils ne puissent se l'avouer verbalement.
Jérôme s'assit tout en gardant Annie sur ses genoux. Il n'avait aucune envie de que leurs deux corps soient séparés. Leurs lèvres se détachèrent, et Annie glissa sa tête vers son oreille. Le garçon continuait à lui chatouiller le cou, sans grande sensualité. Ses gestes étaient ceux d'un novice indélicat, mais pressé.
Elle serra ses bras autour de son cou, et ferma ses yeux pour le sentir. Se souvenir de son odeur piquante, exotique, toucher sa peau douce et tiède, et à partir de cela se rappeler de chacune des parcelles de son corps qu'elle avait pris contre elle avec une passion malsaine. Il embrassait la jeune femme autant qu'il le pouvait, tant il aimait la sensation de sa peau sur ses lèvres. Il lui agrippait les cheveux, les tirants très légèrement en arrière, humant leur parfum.
Jérôme l'avait oublié. Mais il se souvenait enfin, elle et lui ne formant plus qu'un, leur peau l'une contre l'autre, indistinctes. Les images lui remplirent soudain l'esprit, comme si une vague s'était abattue sur son âme. Il se serra plus contre elle et ses baisers devinrent plus précipités, plus forts contre sa peau. Elle se sentait remplie d'une envie de retrouver encore ce jeune homme, de le sentir contre elle. Son cœur s'accéléra, tout son être voulu s'élancer contre lui. Mais à cet instant, la porte s'ouvrit sur plusieurs infirmiers et des hommes armés. Annie tourna son regard vers eux, furieuse de leur interruption. Elle s'accrocha un peu plus à Jérôme sans les lâcher des yeux.
En les voyant avancer, elle se leva, suivie nonchalamment par Jérôme. Elle se dirigea d'un pas décidé vers le groupe, et les hommes pointèrent leurs armes sur elle. Elle tourna son visage vers Strange qui l'observait depuis l'autre côté de la vitre, et elle sourit.
Elle savait bien qu'il ne la ferait pas tuer, elle était l'une de ses expériences. Sans réfléchir, elle s'élança sur le mur pour se propulser sur le premier homme en face d'elle, lui assénant un coup de pied et lui arrachant son arme dans la foulée. Elle le frappa au visage avec la poignée de l’arme, avant d'envoyer cette dernière dans l'autre homme. Ses gestes étaient fluides, rapides et parfaits, mais ils ne lui appartenaient pas réellement. Ils étaient le fruit de la mutation qu'avait provoqué Strange.
Jérôme la regardait se mouvoir aussi rapidement, comme si elle avait été un serpent agile, les yeux émerveillés. Son corps répondait à un élan véhément qui la guidait dans chacun de ses gestes. Elle se baissait pour éviter les frappes, se redressait sans difficulté, rendait les coups, tournoyait sur elle-même, partait, revenait. Annie était une furie incontrôlable, et Jérôme en était plus que réjouit.
Mais le jeu s'arrêta lorsqu'une infirmière réussit à lui planter une seringue dans le cou, l'endormant presque immédiatement. Elle sentit la pique entrer dans sa peau sans précaution pour se vider de son contenu. Elle sentait le fluide s'immiscer dans son corps et lui embrumer le cerveau. Ses sens avaient été développés, et elle pouvait presque sentir chaque molécule réagir à l'anesthésiant. Elle tituba quelques secondes, se retenant à n'importe quoi. La dernière chose qu'elle vit fut le visage hilare de Jérôme qui s'avançait lentement. Rien d'autre n'eut le temps d'intervenir dans son esprit, ce dernier fabriqua lui-même la suite des événements : Jérôme, plus terrifiant que jamais, rieur et intimidant, s'avançait toujours vers elle, sans s'arrêter, et sans s'approcher. Il paraissait à la fois extrêmement lointain et terriblement proche. Elle se sentait pourtant souffrir, alors qu'il ne l'atteignait pas. Rien ne pouvait la perturber plus que cette réalité qui n'appartenait qu'à elle.
Et voilà un chapitre arrivé rapidement, comme promis ! Chapitre que j'ai vraiment eu du mal à écrire d'ailleurs :') Je voulais changer Jérôme physiquement, y avait vraiment pleins de possibilités, mais j'ai décidé de ne pas les utiliser. J'ai voulu garder le Jérôme de départ, je sais pas vraiment pourquoi. J'ai dû m'attacher au personnage tel qu'il était x)
N'hésitez pas à me dire ce que vous en avez pensé !