Nothing lasts forever

Chapitre 2 : Deuxième partie

Chapitre final

4527 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 14/02/2025 07:50



14 février 1862 ~ Soho, London 


Aziraphale n’avait pas fermé l'œil durant cette courte nuit. 


Crowley avait hurlé, pleuré et s’était tellement débattu que l’ange avait passé ces quelques heures à le recouvrir patiemment et à tenter de le rassurer. Il était lui-même dans un état d’agitation que, ni les trois chocolats chauds qu’il s’était miraculés, ni le roman qu’il avait tenté de finir n’avaient réussi à apaiser. La seule chose qui l’avait un tant soit peu réconforté avait été la voix râpeuse de Crowley, marmonnant son nom dans son sommeil, encore et encore… 


Aziraphale


Le démon avait senti sa présence à côté de lui toute la nuit, il ne l’avait pas rêvée ! Dans la confusion de ses cauchemars, il avait entendu sa voix lui murmurer des paroles de réconfort. Il avait senti la couverture se replacer sur son corps agité de tremblements, et l'extrémité de ses doigts effleurer sa joue au passage. Et il s’était passé autre chose dans l’intimité de sa chambre… La douleur. La douleur qui le ravageait depuis trente-cinq ans s’était étouffée, chassée par une lumière, à nulle autre pareille. Celle d’un miracle, dont il avait perçu les effets malgré son inconscience. Aucun de ses os n’était plus brisé, il en était certain ! Il respirait normalement, signe que sa cloison nasale n’était plus déviée, le laissant profiter des effluves de chocolat chaud qu’il avait reconnus immédiatement. 

Il était réveillé désormais. Il pouvait entendre les oiseaux gazouiller paisiblement dehors, saluant le lever d’un soleil froid, mais lumineux, s’il en jugeait par la clarté qui perçait ses paupières. 

Aziraphale était toujours à côté de lui. Il entendait sa respiration calme, tandis qu’il semblait feuilleter les pages d’un livre à un rythme que le démon jugea nettement anarchique. Peut-être ne lisait-il pas tant que ça après tout… Crowley n’osait pas ouvrir un œil, par crainte de rompre le charme. Et si cette douce proximité devait s'arrêter, dès lors que l’ange le saurait éveillé ? Quitterait-il précipitamment le lit, se confondant en excuses pour s’être allongé à ses côtés ? 


Rien ne dure éternellement, pourtant le démon gardait espoir. 


Il sursauta en même temps que l’ange, tandis qu’on frappait à la porte de la librairie, à l’étage inférieur. Et voilà… 


Après un soupir, il tourna son visage vers Aziraphale et ouvrit les yeux. 


Crowley… Comment te sens-tu ? s’empressa de demander Aziraphale, inquiet, en posant son livre sur ses cuisses. 

— Mieux… Quelque chose me dit que tu n’y es pas pour rien, l’angelot, je me trompe ? 

— Hum…


A l’étage inférieur, on frappa de plus belle à la porte. 


— Je ferais mieux d’aller voir ce que c’est, poursuivit l’ange, en se levant. Tu, hum… Reste ici et repose-toi, je reviens ! Je ne te laisserai pas tout seul… ajouta-t-il, en s’immobilisant devant la porte. 

— Croix de bois, croix de fer ? demanda Crowley, avec un rictus moqueur. 

— Si je mens, je vais en Enfer ! conclut l’ange, le plus sérieusement du monde, avant de quitter la chambre. 

Wahoo… bredouilla Crowley, interdit, une fois seul dans la pièce. 


Il tendit l’oreille, mais n’eut pas besoin de faire beaucoup d’effort pour tout entendre. Les murs de la librairie n’étaient pas épais et l’ange avait laissé la porte de la chambre ouverte. Il l’entendit descendre rapidement les escaliers et pousser un gémissement inquiétant en ouvrant la porte, faisant tintinnabuler la clochette. 


— Aziraphale ! 


Salua une voix d’homme que Crowley ne reconnut pas, mais dont il perçut l’arrogance. 


— Sandalphon, qu’est-ce que… Que faites-vous ici ? Je n’ai pas été averti de… 

— Cinq Lazarii ! l’interrompit l’archange. 

— Cinq… Lazarii ? bredouilla Aziraphale. 

— Ton miracle ! Tu as bien procédé à un miracle hier soir, Aziraphale ? 

— Un… Un miracle, s’étrangla le libraire. Ou… Oui… Je… J’ai… 

— Tu as ? insista l’autre.

— J’ai sauvé un chat ! répondit Aziraphale, à brûle-pourpoint. 

— Pardon ? 

— Un chat… Un chat de gouttière… Tout noir ! Il traîne souvent dans le quartier, voyez-vous et hier soir, il a… Hum, il s’est fait percuter par une calèche ! expliqua précipitamment l’ange. 

— Un chat ? Mais enfin, Aziraphale, même toi tu dois savoir que Dieu leur a donné neuf vies ! Tu as procédé à un miracle parfaitement frivole… Ca sent bizarre ici… ajouta l’archange.  

— B… Bizarre ? Bizarre comment ? 

— Ça sent… Ça sent le démon ! répondit Sandalphon, suspicieux.

— Le démon ? Mais enfin… N… Non… Oh, je crois que vous êtes trompé par certains ouvrages que l’on m’a déposé hier… Des… Des livres pernicieux… 

— Ces humains… grogna l’archange. Un mois sans le moindre miracle, Aziraphale ! Je vais t’avoir à l'œil… 


Je vais t’avoir à l'œil… 


Ainsi Aziraphale n’était pas plus libre que lui finalement. La porte claqua brusquement, mais l’ange ne remonta pas immédiatement, Crowley l’entendait fourrager dans la cuisine de l’arrière-boutique. Il ne remonta que dix bonnes minutes plus tard, un plateau à la main. 

Il s'immobilisa sur le seuil de la chambre, les joues rosies et le regard fuyant : 


— Je me suis dit que… Tu aurais peut-être faim ce matin ? 


Le plateau, généreusement garni, contenait du thé, du café, du jus de fruits, du pain, du beurre et de la confiture.  


— C’est gentil de nourrir ton chat de gouttière ! l'accueillit Crowley, avec un sourire sarcastique. 


L’ange prit un air indigné : 


— Mais enfin… Je ne parlais pas de toi ! D’autre part, il y a vraiment un chat noir qui rôde et… 

— Je sais, je l’ai vu hier ! Mais il allait bien aux dernières nouvelles… l’interrompit Crowley, en s’asseyant dans le lit. 


Aziraphale le dévisagea un instant. Ses longs cheveux roux, encadrant son visage fatigué, tranchaient avec son pyjama noir, au milieu de ses draps tartan. Il avait bien meilleure mine que la veille ! L’ange s’empourpra, en reportant son attention sur le plateau dans ses mains. 


— Il fallait bien que je trouve une excuse… 

— Le plus étonnant, c’est qu’il y ait crû ! Sans parler de tes prétendus livres pernicieux… C’est à se demander comment vous avez pu rester aux commandes si longtemps !   

— Alors, tu… Tu as faim ? lui demanda l’ange, de plus en plus rouge, en se rapprochant du lit. 


Crowley l’observa avec un haussement de sourcil curieux. S’il devait rester un peu, il se promit de fouiller les étagères de la librairie… 


— Je ne dirais pas non à un café, répondit-il. 


Avec un sourire ravi, Aziraphale contourna le lit pour s’y asseoir, en déposant le plateau entre eux. 


— Ça m'a pris un peu de temps, mais… Plus de miracle pendant un mois… grimaça-t-il.

— C’est pas grave ça, moi j’ai le droit d’en faire ! 

— Dans ce cas, mon cher, je vais te garder avec moi pour les quatre prochaines semaines, plaisanta Aziraphale.  

— Entendu ! répondit aussitôt Crowley, en le regardant droit dans les yeux. 


L’ange l’observa à nouveau, comme pour jauger le sérieux de sa réponse.


— Ahem, le café est chaud… finit-il par dire, en le servant dans une tasse. 


Aziraphale l’obligea à manger un morceau de pain, qu’il lui avait tartiné, et malgré ses protestations, le démon s’exécuta de bonne grâce. Ils déjeunèrent dans un calme relatif, jusqu’à ce qu’un nouvel intrus frappe à la porte.


— C’est pas une librairie, c’est un hall de gare, ici ! grommela Crowley. 

— D’habitude c’est plus calme, je t’assure, rétorqua l’ange, en se léchant les doigts. Je reviens ! ajouta-t-il, en se levant à nouveau.

— Je te fais une tartine, l’angelot ! 


Aziraphale


Il laissa encore la porte ouverte, tandis qu’il descendait les escaliers et ouvrait la porte de la librairie. Cette fois-ci, ce fut une voix d’enfant et non celle d’un archange imbu de lui-même et méprisant qui se fit entendre. Sa voix fluette était cependant trop légère pour que Crowley distingue nettement son échange avec l’ange, qui ne dura qu’une poignée de minutes. La clochette retentit à nouveau, avant que les pas d’Aziraphale ne résonnent lentement dans les escaliers, se stoppant même, l’espace de quelques instants, dans le couloir. 


— Laisse-moi deviner, le gamin t’a refilé des bouquins pernicieux pour ta collection ? se moqua Crowley, en posant la tartine qu’il avait préparé à Aziraphale sur le plateau. 


L’ange pénétra enfin dans la chambre, une rose rouge à la main. L’assurance du démon s’évapora. Aziraphale approcha d’un pas mécanique, une expression indéchiffrable sur le visage.


— Le petit vendait des roses pour la Saint-Valentin, c’est… C’est aujourd’hui… expliqua-t-il, le teint cramoisi. 


Il revint s’asseoir dans le lit et posa délicatement la rose sur le plateau devant Crowley, après l’avoir porté à son nez pour en humer le délicat parfum. 


— Tu aimes le rouge, n’est-ce pas ? demanda-t-il, avec espoir.


Aziraphale 


Cet être si imprévisible, qui ne cessait de l’émerveiller ! Il avait vu la déchéance de sa corporation, victime des pires tortures des mains du pire des tortionnaires et pourtant… Il venait de mentir à un archange pour lui et maintenant… Il lui offrait une rose, pour la Saint-Valentin. 

Parce que c'était ce qu’il venait de dire, il ne l’avait pas inventé ? 


— Tu… Tu m’offres une rose pour la Saint-Valentin ? préféra-t-il s’en assurer. 

— Je, hum… C’est-à-dire que… Elles étaient magnifiques et le petit garçon… s’embrouilla l’ange, d’une voix fluette. 

— Merci ! l’interrompit Crowley, en portant à son tour la fleur à son nez. Elle sent divinement bon… 


Si rien ne devait durer éternellement, en tout cas il n’oublierait jamais ce moment ! C’était ridiculement gênant et romantique à la fois. Ridiculement eux… Aziraphale l’observait du coin de l'œil, manifestement… Manifestement quoi ? Satisfait ? Heureux ? Perplexe ? Soulagé ? Sûrement un mélange de tout, à en juger par son sourire timide, qui creusait ses fossettes. 


— Je me disais aussi que… Que tu aimerais peut-être prendre un bain ? lui demanda-t-il. Maintenant que tes plaies sont refermées… poursuivit-il, à nouveau embarrassé.  

— Ça c'est sûr que je sens pas la rose, moi… Merci de me le rappeler ! répondit Crowley, dans une tentative d’humour qui fit grimacer l’ange. 

— Ce n’est pas ce que j’ai dit…

— Non ! Mais l'autre con, il l’a dit lui… Ceci-dit, il n’a pas tort… 


Crowley sentait encore Son odeur sur lui, surpassant celle des draps de l’ange. Surpassant l’odeur de l’ange. C’était inacceptable ! 


— D’accord pour un bain ! poursuivit-il en s’agitant, repoussant la couverture devant lui. 


L’ange parut surpris, mais il se leva d’un bond : 


— Ne bouge pas, je m’en occupe ! s’empressa-t-il de dire, avant de disparaître dans la salle de bain. 


Il se stoppa toutefois dans l’encadrement de la porte : 


— Hum, je… J’aurai peut-être besoin d’un coup de main pour chauffer l’eau… 

— Je m’en charge, l’angelot, t’en fais pas ! 


Avec un nouveau sourire, Aziraphale disparut dans la pièce attenante et le démon l’entendit remplir la baignoire et ouvrir des placards. Il en profita pour se lever et s’étirer. La douleur n’avait pas complètement disparu et même si ses blessures étaient effectivement refermées, il en gardait les cicatrices. Il se pencha pour saisir sa rose et la colla à son visage, tandis qu’il s’approchait de la penderie.


— N’espère pas me faire porter tes costumes ! Ils sont ridicules… se moqua-t-il, un sourire toutefois attendri aux lèvres. 

— Tu pourras peut-être t’en miraculer ? Tu peux aussi garder le pyjama… proposa l’ange, depuis la salle de bain. 

Ngk… grogna le démon, devant la penderie.   

 

Il devait bien admettre qu’il aimait porter les affaires de l’ange. Non… Il adorait ça pour être exact.  


— Le bain est prêt ! déclara Aziraphale, sur le seuil. 


Crowley se retourna et vint le rejoindre d’un pas hésitant, en claudiquant. Ses plantes de pieds étaient encore très sensibles. À contrecœur, il posa sa rose sur la table de chevet au passage. L’ange passa un bras autour de sa taille pour le stabiliser, comme cette fameuse nuit, trente-cinq ans plus tôt. 


— Ça va aller ? s’inquiéta-t-il, en l’accompagnant jusqu’à la baignoire.

— C’est pas pire que de marcher sur un sol consacré… 


En réalité, c’était bien pire que ça, mais il était inutile d'accroître la pitié de l’ange. 


— Je serai, hum… Je serai à côté si tu as besoin de quoi que ce soit ! 


L’ange le lâcha avec précaution et Crowley claqua des doigts. Une vapeur chaude se répandit rapidement dans la minuscule salle de bain de la librairie, éclairée par un unique chandelier, allumé par Aziraphale.  


— C’est à peine plus grand qu’un bénitier ce truc là ! Ils sont loin les thermes de Rome, plaisanta le démon, en observant la baignoire. 


Aziraphale lui sourit, puis s’éclipsa dans la chambre, en laissant la porte ouverte. 


Aziraphale    


Il vint s’asseoir sur le lit, du côté de Crowley, et prit la rose dans sa main. Son grand lit lui paraissait étrangement vide, sans démon à l’intérieur. Ses draps, étrangement ternes, sans une touche de roux pour les égayer. C’était étonnant, si ce n’était remarquable, comme une simple nuit venait de remettre en cause toutes ses certitudes. Perturber sa solitude… 

Le démon avait toute sa place ici, dans la librairie. A ses côtés. Aziraphale se sentait complet en sa présence. Ils formaient un nous. C’était aussi simple que ça, même s’il lui avait fallu 6000 ans pour s’en apercevoir… 


— Faut que je te parle, l’angelot ! 


La voix grave de Crowley le fit sursauter. D’une main tremblante, il reposa la fleur sur la table de chevet. En avait-il trop dit ? Trop fait ? Ou au contraire pas assez ? 


— Je t'écoute… 

— Viens ! l’incita le démon.


L’ange déglutit avec peine en se levant. 


— Je peux ? demanda-t-il, au seuil de la porte.

— Ca pourra pas être pire que ce que t’as vu hier, je me demande bien de quoi tu as peur… 


Aziraphale fit un pas dans la salle de bains. Le démon avait opacifié l’eau de la baignoire, qui cachait l’intégralité de son corps, en dehors de son cou et sa tête, autour de laquelle flottaient mollement ses longs cheveux.  


— J’ai un truc à te demander ! poursuivit Crowley. 

— Je t’écoute… répéta l’ange, de plus en plus nerveux. 

— J’ai, hum… J’ai besoin d’une… Assurance… Au cas… Au cas où ça tournerait en eau de boudin… 

— J’adore le boudin, rétorqua spontanément l’ange.

— Je veux avoir une assurance ! poursuivit le démon, imperturbable.

— De quelle nature ? demanda l'ange, suspicieux.

— Je veux de l’eau bénite ! 

— Il n’en est pas question ! s’insurgea Aziraphale. 

— Pourquoi ?

— Parce que ça te détruirait, je… Je ne vais pas t’apporter un moyen de te suicider, Crowley ! 

— Aziraphale… Tu n’as pas idée de ce que j’ai enduré ces trente-cinq dernières années… tenta d’expliquer patiemment le démon. 

— J’en ai eu une petite idée en nettoyant tes blessures, je ne suis pas idiot ! se défendit le libraire. 

— Alors essaye de comprendre ! s’emporta Crowley. Je ne veux pas revivre ça… Jamais… Je préfère encore disparaître ! 

Crowley… soupira Aziraphale. Il y a sûrement un autre moyen, il suffirait… Je ne sais pas… 

— Ben moi non plus, je sais pas ! 

— Inutile… Inutile de décider de ça aujourd’hui… Tu as besoin de récupérer ! soupira Aziraphale, d’une voix fatiguée. 

— Et s’Il me rappelait encore ? 


L’angoisse était palpable dans la voix de Crowley. Dans le cœur d’Aziraphale aussi. 


— Il ne le fera pas à moins que tu ne commettes une bonne action ! tenta de le rassurer l’ange. Pourquoi… Pourquoi ne pas profiter de cette journée pour le moment ? Nous aurons tout le temps de réfléchir à une solution…

— Tout le temps, répéta Crowley, en comprenant qu’il n’aurait pas gain de cause aussi facilement. Qu’est-ce que t’avais prévu de faire aujourd’hui ? lui demanda-t-il, momentanément découragé. Laisse-moi deviner… Faire une bonne action, prier… Lire

— Rien de tout ça ! A vrai dire, j’avais prévu de me promener à St James park et… hésita Aziraphale. Et lire… ajouta-t-il, en détournant le regard. 

— Oi ! J’aime beaucoup ce programme ! Si, hum… Si tu as une canne par là, je pourrais t’accompagner ! Et pendant que tu liras, je dormirai, j’ai du sommeil à rattraper… 

Oh, je… C’est tickety-boo ! 

— Si tu le dis… Tu me frotterais pas le dos, tant que t’es là, l’angelot ? demanda Crowley, avec un sourire en coin.  

— Ahem… Tu me connais, je ne recule devant aucune bonne action, mon cher ! 


Le démon se pencha lentement vers l’avant et Aziraphale releva ses manches, puis se saisit de la savonnette, tandis qu’il s’accroupissait devant la baignoire. Il fit ensuite mousser consciencieusement le savon entre ses mains pendant que Crowley écartait ses cheveux pour les rabattre devant son épaule gauche.


Aziraphale  


Il fit glisser ses mains sur ses épaules et sa nuque, avant de descendre le long de son dos, jusqu’à ses hanches. Il les remonta rapidement, en sentant le démon se crisper, pour revenir savonner ses épaules, qu’il entreprit de masser avec prévenance. 


Ngk… marmonna Crowley, qui avait fermé les yeux. 

— Je, hum… Je pourrais te masser plus tard quand… Si… Hum, avant ta sieste par exemple… Si… Si ça te fait du bien ? 

Ngk…    


                                                                         ♡♡♡



Aziraphale attendait son invité dans la librairie depuis un bon moment déjà. Il avait revêtu sa redingote beige et tenait son haut-de-forme assorti, dans une main. Dans l’autre, il portait une élégante canne en bois d’acajou. 


— Le cocher est là, Crowley ! appela-t-il, depuis le bas des escaliers. As-tu besoin d’aide pour descendre ? 

Nah, j’arrive ! 


L’ange l’entendit descendre les marches en poussant quelques gémissements, mais Crowley se retrouva en face de lui assez rapidement, contre toute attente. Aziraphale le dévisagea un instant, interdit. Le démon avait coupé ses cheveux et portait désormais une généreuse paire de bacchantes, semblable à celles qui ornaient son propre visage. Il s'était, par ailleurs, miraculé un costume noir, dont la veste était boutonnée sur une chemise grise, surmontée d’une cravate, noire également. Son look était complété par des gants en cuir, une paire de lunettes de soleil absurde et un haut-de-forme accordé à son costume. 


— Tu… Tu as coupé tes cheveux ? s’étonna Aziraphale. 

— Ça te plaît pas ? s’inquiéta aussitôt le démon.

— Si ! le rassura aussitôt le libraire. Si, il faut juste que je m’habitue ! 

— Je me suis dit que… Ça collerait plus à la mode londonienne actuelle…   


Un miaulement les interpella, depuis la porte d’entrée. Ils échangèrent un regard étonné, puis Aziraphale tendit la canne au démon : 


— Tiens, c’est pour toi ! Je vais ouvrir… 


A peine eut-il entrouvert la porte, que le chat noir de la veille se faufila dans la librairie, pour venir se frotter aux jambes de Crowley. 


— Il est à toi ce chat ? s’étonna le démon.

— Non ! Mais il cherche toujours à entrer… 

— Tu veux pas le garder ? Il est mignon… ajouta Crowley, en se penchant pour caresser l’animal. 


L’ange haussa un sourcil. 


— Eh bien… Je n’y avais jamais songé avant, mais… Les temps changent, répondit-il, pensif. 


Crowley s’adressa alors au chat : 


— Tu ne seras plus un chat errant alors ? Tu vois… Rien ne dure éternellement… Ta chance est venue, mon pote ! 

— Mhm… J'espère qu’il saura se tenir ! 

— Que veux-tu qu’il fasse comme bêtise ? demanda le démon, en claquant des doigts pour matérialiser une gamelle de nourriture et une d’eau. Ce n’est pas un chat de l’Enfer ! D’ailleurs, il n’y a pas de chats en Enfer… 

— Il faut y aller, Crowley, le cocher attend ! le pressa Aziraphale, en coiffant son chapeau. 


Crowley caressa une dernière fois l’animal et passa devant l’ange, qui lui tenait la porte. 


Une fois la librairie refermée, Aziraphale suivit le démon à l’intérieur de la calèche à deux places, tirée par un cheval noir, stationnée devant le bâtiment. Une fois qu’ils furent installés, l’ange héla le cocher, assis derrière la cabine : 


— St James park, cher monsieur ! 


Après un hochement de tête, l’homme leva son fouet, dont le cuir se mua par miracle en velours, juste avant de toucher la croupe du cheval. 


— Inutile… grogna Crowley, les mâchoires serrées, tandis que le cheval s’élançait au petit trot dans Whickber street.  


Les trottoirs étaient envahis d’amoureux, qui se promenaient bras dessus, bras dessous, en échangeant des regards amourachés. L’ange les regardait, fasciné, et il lui sembla que le démon en faisait de même, les mains crispées sur sa canne. Aziraphale l’observa à la dérobée, jusqu’à ce qu’il tourne son visage vers lui, ses yeux jaunes cachés derrière les verres de ses lunettes. 


— Qu’est-ce qu’il y a ? finit-il par demander. Si ça t’embête tant que ça, je peux leur rendre leur longueur… 

— Pardon ? 

— Mes cheveux ! 

Oh… Oui, merci ! répondit spontanément l’ange, avant de s'apercevoir qu’il avait pensé à voix haute. Euh, enfin non, je… Enfin, si tu veux bien oui, mais… Ce n’est pas ça… 

— Quoi alors ? 

— Je me disais que… Ahem… La libraire, elle… C’est une Ambassade tu vois… Et… Satan, Il… Il n’a aucun pouvoir là-bas… Alors je me disais que peut-être… Ce serait peut-être plus sûr… Enfin, si tu es d’accord… Tu pourrais, hum… Rester dormir à la librairie ce soir ? Et tous les autres soirs aussi… ajouta-t-il précipitamment, avant que son courage ne l’abandonne. 


Crowley le dévisageait, sans rien répondre. 


— Hum, pardon Crowley, je… Je vais trop vite pour toi, peut-être… bredouilla l’ange, contrit. 

— Tu crois… Tu crois que ça pourrait marcher ? Je veux dire… Une cohabitation entre deux ennemis héréditaires… Et puis, j’ai des plantes ! Du moins, j’en avais… 

— Je veillerai à ce que tu ne commettes aucune bonne action ! Et j’ai toujours pensé… Hum, qu’un peu de verdure pourrait égayer la librairie…

— C’est vrai ? 

— Je suis un ange, je ne peux pas mentir ! répondit Aziraphale, non sans ironie. 

— Comment être sûr que les livres supporteront les plantes ?

— Nous pourrions… Nous pourrions faire un essai ? Je pourrais commencer par… Par t’offrir un bouquet de roses, par exemple… proposa timidement l’ange. Bien sûr, il faudra faire attention au chat… 

— Quel chat ?

Notre chat…

— Notre chat, répéta le démon, avec un sourire. 


La calèche se stoppa et ils s’ébrouèrent. Ils étaient arrivés à St James Park. Aziraphale descendit le premier, et tint la porte de la calèche à Crowley. Le temps que le démon ajuste ses vêtements, Aziraphale régla la course au cocher, qui demeura stationné. 


— Nous ne serons pas très longs, lui dit l’ange.

— Je vous attends ici, monsieur Fell, lui répondit l’homme. 


Se rapprochant de Crowley, l’ange lui offrit son bras, que le démon observa, interdit.


— Je ne crois pas que ce soit très convenant aux yeux des humains, mon ange ! Peut-être un jour… ajouta-t-il, amusé. 

— Ils ne sont pas obligés de voir, répondit Aziraphale, avec malice. 

— Petit ange insolent, répondit Crowley, avec une pointe d’admiration.  


Après un rapide miracle démonique, Crowley posa son bras sur celui de l’ange et ils passèrent inaperçus au milieu des autres couples se promenant dans St James park. Ils nourrirent rapidement les quelques canards présents, puis Crowley dut s’asseoir sur un banc, fourbu. Il observa l’ange s’éloigner en direction d’un kiosque pour acheter des gaufres. Un petit garçon vendait des bouquets de roses, non loin... 


6000 ans qu’il parcourait seul la Terre, depuis le jardin d’Eden. 6000 ans qu’il voyait des humains tomber amoureux. Amoureux comme il l’était d’Aziraphale depuis… Depuis Dieu seule savait quand ! 6000 ans qu’il se répétait qu’il était condamné à la solitude et la souffrance… 


 Mais rien ne dure éternellement !      


Fin


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