Between the Sheets
J10 Picnic 🥪
Aziraphale avait horreur de manger sur la plage. Les grains de sable qui venaient s'immiscer dans la nourriture sacrée et croustiller sous ses dents avaient le don de le mettre de mauvaise humeur pour le reste de la journée. Crowley avait donc pris les devants et les avait éloignés pour leur pique-nique hebdomadaire (ou pluri hebdomadaire, selon l’humeur). Installés sur les falaises des Seven Sisters, sur l’herbe brûlée par le soleil, ils profitaient d’un temps un peu couvert, après plusieurs jours de chaleur intense. Un petit vent agréable, chargé d’odeurs salines et minérales chatouillait le nez sensible de l’ange, tandis qu’il observait avec attention Crowley déboucher une bouteille de blanc. A genoux sur le plaid, la bouteille coincée entre ses jambes, le démon jouait du tire-bouchon, offrant un spectacle érotico-champêtre fort bienvenu à Aziraphale.
Depuis l’épisode du coup de soleil, le démon gardait les cheveux longs et portait un Marcel noir, aussi ses longues mèches rousses dissimulaient l’expression de son visage tandis que ses muscles se tendaient le long de ses bras découverts et qu’il poussait des petits grognements… Dieu bénisse les bouchons de liège récalcitrants, pensait l’ancien archange, lorsqu’un “pop” sonore vint troubler le bruit du ressac.
— Ngk… Saloperie de bouteille, elle était scellée pire que l’Arche d’alliance celle-là !
Aziraphale ne répondit rien, trop occupé à l’admirer, qui replaçait négligemment une mèche derrière son oreille alors qu’il se redressait, ses tétons pointant sous le vêtement minimaliste pendant qu’il versait le vin dans les verres.
— Tu sors pas les sandwichs ? s’étonna-t-il.
— Les ? Euh… Les sandwichs, oui, bien sûr… se ressaisit le libraire, en fouillant dans le panier.
Une mouche était posée là , sur l'anse, qu’il chassa mollement en saisissant les sandwichs et les crudités à tremper dans la petite sauce concoctée par Crowley, d’après une recette de madame Mutt. Après leur habituel toast “au Monde”, ils burent et mangèrent dans le calme, ou du moins, l’ange mangeait pendant que le démon buvait…
Assis l’un en face de l’autre, Crowley finit par poser ses lunettes de soleil, de même que son verre de vin :
— Elle est bonne cette sauce ?
— Succulente ! J’adore la sauce blanche pour tremper mon concombre… répondit l’ange la bouche pleine.
Une nouvelle mouche se posa sur la joue de Crowley et, dans un réflexe mal dosé, le libraire le gifla pour chasser l’insecte.
— Aïe ! Mais enfin qu’est-ce qui te prend ? Je croyais que tu l’aimais bien ma sauce ? s’indigna le démon, en se frottant la joue.
— Merde… Pardon, Crowley ! Je voulais juste enlever cette mouche, je suis désolé, je n’ai pas senti ma force… s’excusa l’ange, en superposant sa main à celle du démon pour caresser sa joue, injustement malmenée.
Des rires moqueurs retentirent soudainement juste derrière eux :
— Rooo, c’te baffe ! Magistrale…
Beelzebub, entourée d’une nuée de mouches bleues assorties à sa robe de plage, pointait Crowley en souriant de toutes ses dents. A ses côtés, Gabriel, habillé en chemise hawaïenne et short en lin gris, se tenait les côtes, hilare :
— Aziraphale, mon p’tit dodu, je ne te pensais pas aussi costaud !
— Seigneur Beelzebub… Bee, qu’est-ce que tu fous là ? demanda Crowley, éberlué.
— Alpha du Centaure, c’est un peu chiant à la longue, on a décidé de prendre des vacances, répondit-elle, en s’approchant pour saisir la bouteille de vin, qu’elle descendit d’un trait.
— Mais vous, euh… N'êtes-vous pas personae non gratae sur Terre ? s’étonna Aziraphale, toujours assis en tailleur.
— Je crois qu’Elle s’est un peu ramollie… Ou attendrie, va savoir ? Ça fait une semaine qu’on traîne sur Terre et rien ! Du coup, on s’est dit qu’on allait passer vous voir, les rossignols… répondit Gabriel, en venant s’asseoir sur le plaid pour tremper un bâtonnet de carotte dans le bol de sauce.
— Fallait pas… grogna Crowley, en s’écartant de Beelzebub, qui venait de s’asseoir, elle aussi, juste contre lui.
— Déconne-pas, on a appris vos exploits à tous les deux… Enfin trois, avec Jésus 2.0 ! Où il est celui-là , d’ailleurs ? demanda Bee en cherchant partout autour d’eux, comme si le Messie allait sortir du panier à pique-nique à tout moment.
— En colonie de vacances, fous-lui la paix ! cracha Crowley, en s'installant entre les jambes du libraire.
— Au fait, super boulot en tant que Suprême, Aziraphale ! Qui l’eut crû ? poursuivit Gabriel, en posant une main sur l’épaule de l’intéressé.
— Manifestement, pas toi… souffla l’ange.
— Bien sûr, on ne fera pas de statue à ton effigie, mais qu’importe la gloire ! N’est-ce pas ? Tu n’as jamais été friand de reconnaissance, ça tombe bien… Je suis étonné que Mère vous a laissé l’immortalité cependant !
— Si Elle nous avait rendus mortels, Elle aurait encore dû dealer avec nos âmes à notre mort. Je suppose qu’Elle ne voulait pas s’infliger ça encore une fois… expliqua Crowley, en grimaçant.
— Donc vous avez une sorte d’immunité, c’est ça ? Un peu comme Bee et moi en somme…
— Ça doit être ça, marmonna Aziraphale.
— Il est à vous le petit cottage en bord de plage ? demanda Gabriel, en pointant le contrebas de la falaise. Y a pas des chips quelque part ?
— Non… Oui… Ça dépend pour quoi ! grimaça le libraire, tandis que Crowley jetait un paquet de chips à Gabriel en grognant.
— On se disait qu’on pourrait rester quelques jours avec Bee, tu comprends ?
— Pas assez de place ! répondit aussitôt Crowley, affolé.
— Pas grave, on dormira dans la Bentley… Pour ce qu’on va dormir… rétorqua Beelzebub, en caressant le genou velu de son compagnon céleste.
— Plutôt tirer le Diable par la queue ! cracha Crowley. Le pique-nique est fini, n’est-ce pas, mon ange ? ajouta-t-il, en se levant d’un bond pour offrir sa main au libraire.
Aziraphale ne se fit pas prier pour se lever Ă son tour, sortant sa montre Ă gousset de sa poche et bredouillant :
— Oui ! On a un… On a un… Un… On a un truc de prévu… Avec Crowley.
— Sexuel ? demanda vivement Bee, en se redressant.
— Oui ! Enfin, je veux dire non… Peut-être… s’embrouilla l’ange.
— Bon ben on vous laisse le plaid et le panier à pique-nique hein, nous, on s’en va ! l’aida Crowley, en le prenant par la main.
— Ben… On vous suit pas alors ? demanda Gabriel, visiblement déçu.
— Surtout pas, non ! Y a un hôtel au village, mais sinon l’Afghanistan est très joli en cette saison ! répondit Crowley en s’écartant vivement, trainant à moitié l’ange derrière lui.
— On va essayer l'hôtel dans ce cas, hein Beebé ? Alors à bientôt ! On se recroisera sûrement ! les salua Gabriel.
— Pitié non, Seigneur… Satan… N’importe qui… implora Crowley entre ses mâchoires serrées.