Sea, Six and Sun - Ineffable summer 2024

Pour l'ange et le démon, la semaine de vacances post-apocalyptique s'était prolongée par une deuxième, puis une autre, et encore une... Bref, on allait vers un mois de vacances dans ce cottage des South Downs (Aziraphale s'était très discrètement débrouillé pour qu'il n'y ait aucune demande de location après eux. Oh ! Pas de miracle, non ! Juste un « arrangement » avec l'informatique et la plateforme de réservation en ligne).

Un soir, lors de leur promenade vespérale au bord de l'eau, le regard de Crowley fut attiré par un curieux objet que la marée descendante avait fait s'échouer sur le sable mouillé. On aurait dit du verre. Sa curiosité légendaire le poussa à s'approcher de la chose.

- Mon ange, regarde ! Une bouteille à la mer !

- Manifestement. Il y a un message à l'intérieur...

Ils ramenèrent leur trouvaille au cottage et, après l'avoir soigneusement essuyée, ôtèrent le bouchon de liège du goulot, pour extraire un bout de papier plié en quatre un peu humide. Aziraphale brancha le sèche-cheveux trouvé dans la salle de bains, et sécha minutieusement le document. L'impatience et l'appréhension se disputaient en ce moment les pensées de l'un comme de l'autre, face à cette étrange découverte. Ils déplièrent le rectangle de papier :

« Pr.phétie 5005 : Au-de.sus de tous, se.a n.nobs.ant e. .rand dénu.ment et qué.andera sec.urs. ». C'était signé A. B.

.

Ils se regardèrent, éberlués.

Quelques gouttes avaient pénétré dans la bouteille, lavant certaines des lettres de cette étrange missive. Pour l'ange, deux choses étaient sûres : il s'agissait d'une prophétie d'Agnès Barge - sorcière - et donc elle ne pouvait provenir que de sa petite-fille.

Ce qu'aucun des deux ne savait, c'est que ladite petite-fille, Anathème Bidule - occultiste – s'était empressée, dès réception des « Nouvelles Belles et Bonnes Prophéties » par l'entremise de Giles Baddicombe - clerc de notaire – de les recopier toutes sur de petites fiches, comme le voulait la tradition familiale, avant d'y mettre le feu. Et que son pendule lui avait révélé l'endroit où se prélassaient, sans souci du lendemain, l'ange et le démon. La 5005 était pour eux, elle le sentait.

Leur soirée (ils hésitaient entre une partie de scrabble et une comédie romantique à la télé), allait donc être occupée à résoudre cette énigme.

- C'est une prophétie, prophétisa doctement Crowley en arquant un sourcil.

Le libraire lui adressa un sourire fataliste teinté d'inquiétude. Il avait déjà compris le mot « secours » et saisi immédiatement que ce SOS lui était destiné. Le reste ne fut pas bien compliqué à déchiffrer :

« Prophétie 5005 : Au-dessus de tous, sera nonobstant en grand dénuement et quémandera secours. »

Les deux célestes n'avaient bien entendu aucune idée de qui serait prochainement dans le besoin et leur demanderait de l'aide. Quant à « au-dessus de tous », fallait-il l'entendre au sens propre ou figuré ? Ce qu'ils savaient, en revanche, c'est que leur douce insouciance était désormais derrière eux, et qu'il leur fallait rentrer rapidement à Tadfield, peut-être même à Londres. D'un accord tacite, ils décidèrent de laisser provisoirement leurs soucis dans cette maudite bouteille, au moins jusqu'au lendemain.

Le nuit qui suivit ressemblait à un doux mélange des recettes de cuisine qu'affectionnait tant Aziraphale :

Faites d'abord revenir les oignons, jusqu'à ce qu'ils deviennent tendres et translucides : ils doivent un peu colorer et perdre leur eau .

Mélangez l’huile d’olive, les herbes et l’ail, enduisez les hampes de bœuf et faites-les revenir sur feu vif. Réservez.

Passée la fougue des premières étreintes, ils avaient posé un couvercle sur leur appétit de l'autre pour le laisser mijoter autant que nécessaire.

Ajoutez le bouillon de bœuf et faites mijoter trois heures ou plus, à feu très doux, la viande doit fondre en bouche. Laisser reposer afin que les saveurs diffusent (dans l'idéal une nuit).

Accompagnez d'une sauce Béarnaise.

Bercés de promesses éternelles, mais étranglés par la crainte du lendemain, leurs baisers passionnés et leurs tendres caresses avaient baigné la nuit de murmures et de cris.

Au matin, rompus mais comblés, ils préparèrent leur maigre bagage dans un silence lourd de menaces.

- Il est trop tard, soupira Aziraphale après un dernier regard au cottage.

- Fais-moi confiance, mon ange. Je ne te laisserai pas tout seul.