There are stars at the bottom of the sea
NDA : Certains sujets graves seront abordés dans ce chapitre, notamment des faits de maltraitance implicite sur enfant. Même s’il n’y aura rien de graphique, je vous prie de vous préserver, en particulier si vous êtes une ancienne victime.
Le sujet de l'esclavage, du racisme et du commerce triangulaire sera également abordé.
* * *
Dans le chapitre précédent.
Après avoir été intronisés nouveaux membres d’équipage suite à leurs exploits, Aziraphale et Muriel ont pu profiter d’une petite fête donnée en leur honneur, à la suite de laquelle le Revenge a jeté l’ancre près d’une petite île le temps d’une escale forcée. Lors de cette petite expédition, Aziraphale et Crowley ont fait plus ample connaissance, mais malgré de bons moments, les malentendus se succèdent alors qu’ils peinent à communiquer. Après une nuit d’insomnie au cours de laquelle ils se sont une nouvelle fois disputés, Aziraphale a retrouvé la solitude de sa cabine, mais y trouvera-t-il la paix ? Rien n’est moins sûr…
* * *
Après avoir tristement regagné sa chambre, la tête pleine de questions, Aziraphale s’écroula dans son lit en prenant soin de laisser sa lanterne allumée. Il laissa ensuite son regard se perdre sur la danse rassurante de la petite flamme et se sentit à nouveau envahir par le chagrin, les larmes coulant doucement sur ses joues jusqu’à l’épuisement. Avant qu’il ne sombre enfin dans un sommeil agité, ses yeux rougis et gonflés se posèrent sur le calendrier qu’il avait dessiné et accroché au-dessus de son bureau de fortune…
~ Mardi 14 mai 1709 ~
Dix ans plus tôt.
L'œil d’Ezra se posa sur la date fatidique qu’il avait choisie et entourée sur le calendrier de sa chambre, au luxe ostentatoire. Son père, Gabriel Fell, fils d’armateur, avait vu sa fortune décupler grâce au commerce triangulaire. Propriétaire du Liverpool Merchant, le tout premier navire à avoir quitté le port de Liverpool en direction de l’Afrique pour transporter des esclaves, il avait peu à peu rénové, avec un luxe tapageur, la grande demeure de sa famille.
Mais si l’enfance d’Ezra avait été nimbée de richesses, elle n’en avait pas été heureuse pour autant…
Son cœur battait la chamade.
C'était maintenant. Maintenant ou jamais !
Il avait réfléchi à toutes les options possibles, envisagé tous les scénarios de ce que sa vie allait devenir s’il restait ici… Il n’était heureux dans aucun d’entre eux, aussi avait-il imaginé la solution la plus lâche.
La fuite.
C’est donc tout naturellement dans l’anonymat d’une nuit des plus sombres qu’il mit son Plan à exécution.
Trois heures du matin. D’après ses observations, entre trois et cinq heures du matin, c’était le moment idéal. Sa famille dormait en principe à poings fermés, son père étant le dernier à se coucher, aux alentours d’une heure.
Les domestiques ne commençaient à s’affairer dans le manoir familial que vers cinq heures et demie, ce qui lui laissait largement le temps de prendre sa besace de cuir, son petit baluchon et de se diriger jusqu’aux écuries.
Il avait préparé ses affaires depuis des jours, ressassé le trajet de sa chambre jusqu’aux écuries et celui du manoir jusqu’aux docks de Liverpool des milliers de fois…
Juste avant de partir, il ouvrit une dernière fois le petit tiroir de son secrétaire. Avec des gestes pleins de tendresse, il en sortit un écrin de velours, qu’il ouvrit avec émotion.
A l’intérieur, posé sur un petit coussin, brillait, à la lumière des chandelles, le crucifix que sa mère lui avait donné, quelques années plus tôt.
Lundi 16 juin 1692
Âgé de huit ans, Ezra avait accompagné sa mère lors de sa promenade quotidienne dans la roseraie de la demeure familiale. Michaela Fell, née Warrior, était une belle femme. Grande et mince, de longs cheveux châtains descendant jusqu’à la moitié de son dos, un visage aux traits fins, marqué par quelques rides naissantes, elle affichait néanmoins constamment un air revêche. Elle était encore très belle malgré sa quarantaine avancée, belle, et de riche extraction, elle aussi, ce pourquoi son mari avait jeté son dévolu sur elle depuis leur adolescence.
Madame Fell était belle, mais triste. Elle déambulait au milieu des fleurs silencieusement chaque jour, et cette sortie demeurait le seul moment où elle acceptait de quitter le manoir… Ezra affectionnait ce moment de la journée plus que tout, car il s’empressait alors de rejoindre sa mère pour profiter de sa compagnie. Le petit garçon aux jolies boucles blondes la reconduisait ensuite jusqu’à ses appartements où Michaela lui lisait une histoire. C’était leur petit rituel. Ce jour-là, Ezra avait confectionné une petite guirlande avec les pétales de roses qu’il avait ramassés au sol et en avait coiffé sa mère, pendant que celle-ci lui racontait l’histoire de Jonas et la baleine, assise sur le riche tapis qui trônait au milieu de la pièce.
— Avez-vous compris la moralité de cette histoire, Ezra ? demanda Michaela, en refermant sa Bible.
— Oui, Mère, avait répondu le petit garçon, qui enroulait une dernière mèche de cheveux autour de la couronne. Le Seigneur est miséricordieux envers ses créatures !
— Seulement si nous nous repentons de nos transgressions, ne l’oubliez pas ! La miséricorde doit être implorée, mon cher petit ange…
— Implorée… répéta Ezra, d’une voix dubitative. Il fronça les sourcils. Puis-je vous poser une question, Mère ?
— Je vous écoute…
— Quel est votre ange préféré ?
— Pourquoi cette question ? s’étonna madame Fell, en haussant un sourcil.
— Vous m’appelez souvent “mon petit ange” et les domestiques me disent que je ressemble à un ange… A cause de mes cheveux !
Il tapota le dessus de sa tête d'un air absent et sa mère eut un de ses trop rares sourires.
— Oh ! Eh bien, c’est vrai que vous ressemblez à un chérubin avec vos jolies boucles et vos petits bras potelés, répondit Michaela avec affection.
Elle fit mine de lui pincer la joue, mais l'enfant se déroba doucement.
— Père dit que je suis trop gros et que la gourmandise est un péché… répondit Ezra, en baissant les yeux.
— Aziraphale ! le coupa sa mère, ignorant cette remarque avec une grimace qui échappa au petit garçon.
— Pardon, Mère ? répondit Ezra, en fixant sa mère de ses grands yeux bleus.
— Mon ange préféré, c’est Aziraphale… répéta madame Fell, d’une voix plus douce.
— Le Gardien de la Porte d’Orient du jardin d’Eden ! récita fièrement Ezra, le visage radieux.
— En effet. Un fidèle serviteur de Dieu, armé de son épée flamboyante, lui répondit Michaela, avec un sourire. Maintenant, filez, petit curieux, il est l’heure de vos leçons de français. Ne faites pas attendre monsieur Rossignol, vous savez comme il peut se montrer ombrageux…
Le jeune garçon eut une moue boudeuse. Il n'avait aucune affinité avec le français et aurait préféré rester en compagnie de sa mère, qu'il ne voyait déjà que trop peu à son goût… Il se leva néanmoins, alors que sa mère allait ranger sa Bible.
Ezra fronça de nouveau les sourcils en se dirigeant vers la porte. Avant de la refermer derrière lui, il hésita, puis se retourna :
— Puis-je vous poser une autre question, Mère ?
Michaela lui jeta un petit regard réprobateur, mais arborait toutefois un petit sourire en coin.
— Trop de curiosité peut amener bien des problèmes, Ezra, le savez-vous ?
— Quels problèmes pourrais-je bien avoir juste en posant quelques questions, Mère ? s’étonna le petit garçon, le visage soucieux.
— Vous êtes trop curieux pour votre propre bien, soupira Michaela. Une dernière question, jeune homme !
— Etes-vous… Etes-vous heureuse, Mère ?
Interdite, Michaela le fixa un moment, avant de répondre :
— Venez par ici…
Ezra s’exécuta et retourna auprès de sa mère en sautillant joyeusement. Michaela sortit alors un petit écrin de velours de son coffre à bijoux en loupe de thuya. Elle s’assit ensuite à nouveau en tailleur sur le tapis et invita son fils à venir s’installer sur elle. Une fois le petit garçon calé contre sa poitrine, elle ouvrit l’écrin, qui abritait une petite croix en or.
— Vous plaît-elle ? demanda simplement sa mère, sur le ton du secret.
— Oui, Mère, murmura à son tour le petit garçon, les yeux pétillants. Il est fort joli !
— Ma mère me l’avait offert lorsque j’avais votre âge, j’aimerais vous le donner à mon tour !
Elle ouvrit la chaînette en or et passa doucement le pendentif au cou de son fils. Aziraphale toucha la croix du bout des doigts, d’un geste révérencieux, puis leva les yeux vers sa mère.
— Mais… Mais pourquoi, Mère ?
— Pour que vous vous souveniez que vous ne trouverez le bonheur que dans l’amour de Dieu, Ezra…
Ce fut sa manière de répondre à la question du petit garçon.
~ Mardi 14 mai 1709 ~
Ezra enfila le crucifix sur la chaînette en or qu’il portait autour du cou et le glissa sous sa chemise. Il prendrait le nom d’Aziraphale durant son exil. Il rangea l’écrin vide dans son tiroir, mit sa besace en bandoulière et passa son baluchon par-dessus son épaule.
Il plaça ensuite sa lettre d’adieu sur son bureau, souffla les chandelles de sa chambre et, après un dernier regard à celle-ci, referma délicatement la porte derrière lui.
Le couloir était éclairé par les lanternes que les domestiques avaient allumées, comme chaque soir au crépuscule, aussi le jeune homme progressa sans peine dans les corridors du vaste manoir. Il s’arrêta avec émotion un peu plus loin, devant la chambre de sa sœur, de deux ans son aînée, Saraqael, et posa une main tremblante sur la porte.
Sentant les larmes troubler sa vision, il ferma un instant les yeux.
Samedi 18 avril 1693
Le printemps avait enfin chassé l’hiver et le soleil, bien qu’encore tiède, éclairait les jardins du manoir Fell, baignant de ses rayons la nature qui s’éveillait après son long sommeil. Saraqael avait demandé à Coraline, sa domestique noire, de pousser son fauteuil roulant dehors après le déjeuner, et Ezra, maintenant âgé de neuf ans, s’était empressé de les suivre pour fuir son précepteur.
La servante avait pour consigne de ne laisser la fille aînée des Fell que très peu de temps dans le jardin, à cause de son état de santé fragile.
Saraqael était née avec un handicap inconnu des docteurs et aucun des remèdes qui lui avaient été administrés n’avaient fonctionné, condamnant la jeune fille de onze ans à une vie triste et solitaire. Ses parents, craignant que son état de santé ne continue de se dégrader, voulaient la préserver de tous les maux. L’enfant avait donc interdiction de passer plus de trente minutes par jour à l’extérieur et passait ses journées à étudier, à lire ou à servir de cobaye à ses docteurs…
Les seuls vrais moments où elle oubliait un peu son état était quand le rayon de soleil qu’était son petit frère venait à sa rencontre et qu’elle se souvenait qu’après tout, ils n’étaient que des enfants.
Ce jour-là, profitant de ce que la servante se soit éloignée pour aller chercher une couverture afin de protéger les jambes de la jeune fille de la brise printanière, Ezra poussa le fauteuil de Saraqael en courant, tout en riant à gorge déployée.
— Plus vite, Ezra, plus vite ! gloussait aussi Saraqael, en se cramponnant aux accoudoirs.
Une fois hors de vue du manoir, le petit garçon s’arrêta pour poser ses mains sur ses cuisses et reprendre son souffle. Son visage poupin était rouge et ses boucles blondes, imbibées de sueur, mais un sourire malicieux était plaqué sur ses lèvres.
— Monte sur mes genoux, si tu veux, proposa la jeune fille.
Ezra se hissa sur le fauteuil et posa un baiser sur la joue de sa soeur :
— On l’a bien eue ! Qu’est-ce que tu veux faire, Sara ?
Saraquel fit mine de réfléchir un moment et se pencha vers lui, un petit air espiègle flottant sur son visage :
— On pourrait… Fabriquer des épées avec des bouts de bois et jouer aux pirates !
Ezra se tortilla légèrement de joie sur ses genoux. Elle savait qu’il adorait les histoires de pirates.
— D’accord ! Qui fera le méchant pirate ?
— Pas toi ! Tu es beaucoup trop pur pour ça, rigola Saraqael. Tu n’auras qu’à faire le gentil pirate ! Celui qui, euh… Essaye de me battre avec sa gentillesse !
— D’accord, mais d’abord, on fait la bagarre ! Je serai gentil après…
— Si tu veux ! Après la bagarre, tu n’auras qu’à me préparer du thé, mais attention ! Du thé de pirate !
— C’est quoi du thé de pirate ? demanda Ezra, en faisant la moue.
— Ben… J’en sais rien… Du thé avec des tentacules de kraken, j’imagine ? Tu as repris ton souffle ?
Ezra acquiesça vivement.
— Oui, ça va !
— Très bien ! Alors, grimpe dans cet arbre et fait tomber deux belles branches… l’incita la jeune fille en pointant un gros bouleau multitroncs, non loin d’eux.
Le petit garçon descendit tout guilleret du fauteuil et remonta ses culottes d’un geste déterminé, avant de procéder à l'ascension des troncs. Ezra se débrouillait plutôt bien pour grimper aux arbres, dans la mesure où il aimait s’y percher pour observer les papillons et les oiseaux. Il avait déjà fait tomber une belle branche et en avait repéré une seconde qui ferait parfaitement l’affaire lorsqu’un bruit de cavalcade venant du bout du jardin retentit. Le sang du petit garçon se glaça dans ses veines et il se figea d’un coup, une sueur froide commençant à couler dans son dos, tandis que Saraqael lui criait d’une voix paniquée :
— Reste caché dans l’arbre, Ezra !
Ezra s’accrocha à sa branche de toutes ses forces, tremblant légèrement. Ses yeux ne quittant pas le sentier.
Au moment où Saraqael tournait son fauteuil vers le chemin tout proche, la jeune et fougueuse jument de leur père à la robe blanche immaculée, nommée Halo, s’approchait au petit galop.
Stoppant l’animal à quelques mètres du fauteuil de sa fille, Gabriel Fell, la mine sévère, observait Saraqael avec attention. Grand, brun, plutôt athlétique, aux cheveux courts, du moins lorsqu’il ne portait pas l’une de ses perruques, Fell était toujours vêtu de somptueux vêtements gris perle avec une lavallière en soie de couleur lilas. Un air austère et un regard sévère plaqué continuellement sur son visage lui conféraient un aspect hostile que tout Liverpool redoutait, y compris ses propres enfants.
Sa fille soutint tant bien que mal son regard. Ezra était conscient qu’elle savait qu’il ne lui ferait rien. Physiquement, du moins…
— Saraqael ! Que faites-vous ici ? La servante m’a dit que vous vous étiez enfuie ! aboya-t-il, en se redressant sur ses étriers.
— Enfuie est un bien grand mot, Père, je n’ai fait que m’éloigner pour profiter des jardins et des efforts que nos domestiques produisent pour qu’ils soient aussi agréables à l'œil ! répondit la gamine avec un aplomb servant à tromper la peur qu’elle essayait vaillamment de dissimuler.
Gabriel Fell aimait les compliments, que ce soit sur sa personne ou ses possessions, néanmoins il n’était pas dupe de la tentative de sa fille.
Il jeta un regard sombre autour de lui. Ezra s’arrêta net de respirer.
— Et vous êtes venue jusqu’ici… Toute seule ? s’étonna Gabriel, reposant les yeux sur sa fille, connaissant les forces limitées de la pauvre enfant.
— Le, hum… Le chemin est en pente depuis le, euh… Le tilleul là-bas, jusqu’ici… hésita Saraqael, le visage livide.
— Est-ce que, par hasard, vous me prendriez pour un sot, ma chère enfant ? poursuivit son père, d’une voix glaciale.
Saraquel blêmit encore et secoua vigoureusement la tête. Aziraphale pouvait voir ses épaules trembler légèrement. Essayer de ne pas jeter un regard effaré à l’arbre dans son dos semblait être un vrai supplice.
— N… Non, Père…
— Bien… Vous représentez déjà une déception suffisante pour votre mère et moi… Ezra ? ajouta Gabriel Fell, en se redressant sur sa selle. Venez ici tout de suite ! Je sais que vous vous cachez…
Ezra eut beaucoup de mal à dénouer ses bras de la branche. Il jeta un regard implorant à sa sœur, qui avait levé des yeux rougis vers lui. Il tenta de la rassurer par un faible sourire.
En vain.
Le garçonnet descendit du bouleau en s’écorchant les bras et les genoux tant il tremblait, puis il s’approcha d’un pas lent de l’ombre énorme que Halo et son père projetaient sur l’herbe. Son imagination de petit enfant y voyait la forme d’un monstre, prêt à l’engloutir. S’impatientant, Gabriel se racla la gorge :
— Ahem… Comptez-vous me faire attendre encore longtemps ? Ne pensez-vous pas que j’ai mieux à faire que de perdre mon temps avec vous deux ? Votre mère devait déjà souffrir d’hystérie lorsqu’elle vous a porté, à voir toutes les tares qu’elle vous a transmises… soupira l’homme, en haussant un sourcil dédaigneux en observant tour à tour Saraquel et Ezra, qui venait de se planter devant sa jument, en frottant ses mains potelées sur ses pantalons crasseux.
C’est alors que Saraqael se mit à pleurer silencieusement, en détournant le regard. Malgré sa tentative de rester la plus discrète possible, Ezra l’entendit et sentit une colère grandir en lui, le rongeant de l’intérieur, telle une étincelle qui s’embrase. Après un regard rageux vers son père, il courut jusqu’au fauteuil de sa sœur et grimpa sur ses genoux pour la consoler, glissant des mots rassurants à son oreille. La jeune fille s’accrocha à lui.
Derrière eux, leur père sur sa monture semblait piaffer d’impatience.
— Descendez de là tout de suite, Ezra ! tempêta Gabriel, en talonnant sa jument pour la faire avancer vers eux.
Ezra tourna son visage, arborant un air de défi vers lui. Il était mort de peur, mais les mains crispées de sa sœur sur son veston semblaient lui donner un peu de courage.
— Non, vous êtes méchant ! s’écria le petit garçon avec bravade.
La colère brilla dans les yeux de son père, alors qu’il restait interdit devant l’audace de son propre fils.
— Comment osez-vous ? fulmina Fell. Coraline ! ajouta-t-il en voyant la pauvre domestique arriver en courant.
La jeune servante, essoufflée, faillit trébucher sur les gravillons dans sa hâte.
— Je suis là, Monsieur ! haleta la jeune femme, en tenant ses jupons.
— Ramène Saraqael à la maison…
— Venez, les enfants ! s’empressa de répondre la servante, en se dirigeant vers eux.
Ezra fit mine de commencer à descendre, mais les paroles de son père l’arrêtèrent net.
— Juste Saraqael ! précisa Fell, d’une voix blanche.
Après un regard en coin, Coraline s’inclina brièvement et se mit derrière le fauteuil roulant :
— Allons-y, mademoiselle Fell… chuchota-t-elle, alors qu’Ezra restait cramponnée à sa sœur.
De plus en plus impatient, Gabriel tirait sur les rênes de sa monture, alors que celle-ci, influencée par l’humeur de son cavalier, semblait ne pas pouvoir tenir en place.
— Cessez de faire l’enfant capricieux, Ezra, et commencez à vous comporter comme un homme ! lui intima son père. Descendez !
— Laissez-le ! supplia Saraqael, en serrant son petit frère contre elle.
Elle n’essayait plus de cacher ses larmes. Dans un sursaut de bravoure, Coraline essaya d’éloigner le fauteuil avec les deux enfants, mais c’était sans compter sur la détermination de Gabriel Fell, qui mit sa jument en travers du chemin. L’animal, de plus en plus sous l’emprise de la colère de son propriétaire, renâclait et tirait sur son mors en frappant le sol de son sabot. Ezra sentait le regard de son père lui brûler les épaules.
— Je ne me répéterai pas, menaça-t-il, sans hausser le ton. Souhaitez-vous que votre sœur soit punie à votre place, petit couard ?
— Moi, je le souhaite ! répondit Saraqael, en se redressant de son frêle corps sur son fauteuil, les yeux pleins de larmes et de rage.
— Vous apprendrez que nul ne conteste mon autorité sous mon toit, mes chers enfants.
Sa voix commençait à trembler de fureur, tandis qu’il ajoutait :
— Et je ne le supporterais encore moins d’une femme ! Coraline ! Je vous ai donné un ordre, il me semble…
Ezra, effrayé, se dégagea néanmoins de l’étreinte de sa sœur, qu’il ne voulait pas voir punie à sa place et regarda la servante s’éloigner d’un pas pressé, non sans lui avoir adressé auparavant un regard plein de compassion et de pitié. Les protestations de Saraqael finirent par s’estomper pour ne laisser que le bruit de la jument, de plus en plus énervée.
— Approchez ! ordonna simplement Fell.
L’enfant souffla un grand coup, essuya en vain ses yeux du revers de sa manche et se tourna vers son père. S’avançant doucement, il se trouva à nouveau dans l’ombre de l’animal et redressa son visage apeuré et gonflé de larmes vers celui, impassible, de Gabriel. Halo se mit alors à hennir bruyamment, faisant sursauter Ezra, qui s’oublia dans ses culottes.
Honteux, l’enfant tenta vainement de se cacher derrière ses petites mains.
— Que vois-je ? Auriez-vous mouillé vos culottes comme un bébé ? gronda Fell, écarquillant les yeux.
— J… je suis désolé, Père, je n’ai pas f… Fait exprès… bégaya Ezra, alors que ses larmes redoublaient de plus belle.
L’homme soupira.
— Je suis las de votre conduite, Ezra, j’aspire à faire de vous un homme puisque votre mère n’a pas encore été capable de m’offrir un autre fils, je n’ai guère le choix que de me contenter de vous comme héritier…
Gabriel Fell avait toujours intimidé tout le monde, mais plus particulièrement son jeune fils. Ezra avait déjà reçu plusieurs gifles de sa part et sa peur ne faisait que croître en cet instant.
Aussi, mû par un soudain instinct de survie, il prit ses jambes à son cou et s’enfuit.
Fell éperonna alors rageusement sa jument et contourna le garçonnet, pour faire stopper sa monture juste devant lui. Halo se cabra et Ezra tomba lourdement sur ses fesses, ses larmes inondant ses joues rondes. Son père mit ensuite gracieusement pied à terre et le domina de toute sa hauteur, les mains posées sur ses hanches :
— La fuite ? Seriez-vous un lâche, doublé d’un peureux ? Vous êtes un Fell, pour l’amour de Dieu !
Tandis que le petit garçon, hoquetant, essuyait tant bien que mal ses larmes, il vit son père regarder partout autour d’eux en claquant sa langue. Ne semblant pas trouver ce qu’il cherchait, il fit quelques pas vers Halo, qui s’était écartée pour paître à loisir. Après avoir caressé l’encolure du fier animal, Fell détacha une des étrivières de la selle, et laissa l’étrier glisser au sol. Il se retourna ensuite pour se diriger avec une lenteur calculée vers son fils, en pliant l’étrivière en deux entre ses mains.
Ce fut la première fois qu’Ezra fut aussi sévèrement battu. Hélas pas la dernière…
~ Mardi 14 mai 1709 ~
Laisser Saraqael derrière lui serait une épreuve, il le savait. Il sortit une autre lettre de sa besace et la glissa sous la porte. Cette lettre-ci était beaucoup plus personnelle et affectueuse que celle qu’il avait laissée à l’intention de ses parents, dans sa propre chambre. Il savait qu’elle ne risquait rien ! Saraqael avait vingt-sept ans désormais, c’était une femme d’une rare intelligence, à l’esprit aiguisé et à l’humour tranchant comme une lame, que sa santé fragile n’avait pas entamé. Elle était devenue préceptrice pour les enfants des bonnes gens de Liverpool et ne manquait pas de transmettre ses propres convictions, en même temps que ses leçons de littérature anglaise…
Ezra était fier d’elle, elle était tout ce qu’il ne serait jamais. Une battante.
Dans sa lettre, il lui avait promis de correspondre avec elle, quel que soit l’endroit du Monde où il se trouverait, et l'implorait de lui pardonner sa fuite. Il espérait sincèrement-et priait Dieu-que sa sœur accepte cette correspondance secrète ; si ce n’était pas le cas, Ezra n’était pas certain de pouvoir conserver longtemps le courage qu’il avait mis tant de temps à rassembler. Le cœur lourd, il poursuivit son chemin d’un pas traînant et s’arrêta à nouveau devant une autre porte.
Autre porte, autre soeur.
Jeudi 22 octobre 1694
Ezra s’était bouché les oreilles toute l’après-midi.
Il avait eu beaucoup de mal à supporter les hurlements de sa mère pendant toute la durée du travail. Il était effrayé. Il n’avait pas tout saisi des bribes de discours qu’il avait entendu depuis le matin. Les accoucheuses avaient parlé de “mauvaise présentation” du bébé et le prêtre était venu.
La mine grave, il avait réuni toute la famille et les domestiques pour prier, à genoux, devant l’énorme Christ en croix suspendu sur le mur, à côté de la cheminée du petit salon. Coraline avait ensuite raccompagné Saraqael et Ezra dans leurs chambres respectives et les y avait laissés, car elle était demandée par les accoucheuses.
Tard dans la soirée, alors que son ventre gargouillait, la porte de la chambre d’Ezra s’ouvrit enfin :
— Venez, Ezra ! Votre mère a mis au monde une magnifique petite fille ! s’enthousiasma Coraline, un tablier plein de sang accroché par-dessus son humble robe.
— Comment va Mère ? demanda l’enfant, dont les yeux clairs ne pouvaient se détacher des taches rouges du tablier de la servante.
— Elle a beaucoup souffert. Elle est très affaiblie, mais elle s’en remettra grâce à Dieu ! Venez…
Le petit garçon sauta de son lit et courut vers la domestique, pour placer sa main dans la sienne.
Depuis le début de sa grossesse, Michaela était devenue distante avec tout le monde. Elle avait dû garder le lit et leur promenade quotidienne avait été annulée du jour au lendemain. Au début, Ezra allait la voir, grimpait sur le lit parental, et sa mère continuait de lui lire des histoires, en le serrant contre elle, mais ça n’avait pas duré. Ça n'avait pas duré parce que Gabriel les avait trouvés ainsi un après-midi, alors qu’il cherchait son fils, en retard pour sa leçon de français. Le chef de famille avait décrété que ces fadaises devaient cesser. Le jeune garçon ne devait plus être bercé par de quelconques histoires, mais se confronter à la réalité de la vie, aux affaires, et aux bonnes mœurs, qu’il se devait de maîtriser.
Coraline et les autres domestiques avaient pris le relais de sa mère et tentaient de lui apporter affection et tendresse, mais la surveillance constante de Gabriel les en dissuadait souvent.
Madame Fell, plus seule que jamais, avait fini par sombrer dans la mélancolie.
Lorsque la servante ouvrit la porte de la chambre parentale, Saraqael avait son fauteuil disposé près de leur mère et tenait leur petite sœur au creux de ses bras, dans un silence pesant. Coraline se retira en poussant le petit garçon dans le dos pour l’encourager à s’approcher.
Gabriel Fell était assis, raide, sur une chaise disposée au pied du lit. Son regard, plein de ressentiments, était posé sur son épouse. Michaela, les traits tirés et les cheveux en bataille avait, pour sa part, le regard dans le vide. Aucun de ses parents ne lui accorda le moindre regard lorsqu’Ezra avança à petits pas hésitants dans la chambre.
Il passa devant son père en retenant son souffle, sans oser le regarder, mais celui-ci se contenta de dire, à voix basse, et sans quitter son épouse des yeux :
— Comme toujours, votre mère n’a pas été capable de me satisfaire… Maintenant, les accoucheuses ont dit qu’elle ne pourrait plus donner la vie et je n’aurai jamais d’autre fils que vous, Ezra…
L’enfant s’arrêta, tout en restant à bonne distance de Gabriel et tourna doucement la tête vers lui.
— Puis-je… Puis-je embrasser Mère ? lui demanda timidement le petit garçon, en frottant ses mains sur ses culottes.
Les yeux pleins de rage, il fixa son fils, un rictus de mépris au coin des lèvres.
— Votre mère ne mérite aucune affection. Saluez votre sœur et regagnez votre chambre ! Il se leva et se dirigea vers la porte de la chambre. Qu’ai-je bien pu faire pour offenser le Seigneur à ce point ? Encore une fille… soupira Fell, tandis que son fils s’approchait de Saraqael.
Gabriel sortit de la pièce, claquant violemment la porte derrière lui, faisant trembler les murs.
Ezra s'arrêta devant sa grande sœur, non sans avoir jeté un regard triste vers sa mère, qui l’ignora, la tête tournée vers l’autre côté du lit, et se pencha légèrement, essayant d’apercevoir ce qui dormait à point fermé entre les bras de Saraqael.
La jeune fille lui offrit un pâle sourire en écartant les pans de la petite couverture qui enveloppait le bébé, à la chevelure brune déjà abondante :
— Je te présente notre petite sœur, Muriel ! annonça Saraqael, d’une voix chevrotante.
Ezra posa un doux baiser sur le front de la petite fille, en se faisant la promesse, du haut de ses dix ans, de lui apporter tout l’amour qu’elle ne recevrait pas de leur père.
~ Mardi 14 mai 1709 ~
Ezra n’avait pas failli à sa promesse.
Pendant ces quinze dernières années, il avait donné à Muriel tout l’amour d’un frère et d’un père réunis. Il avait été présent pour ses premiers pas, ses premiers mots, ses premières leçons de piano avec Mr Arnold, ses premiers jeux dans les arbres, après lesquels il s’assurait de faire rapiécer les robes déchirées de la petite fille le plus discrètement possible… Il avait été présent pour ses premières menstrues, pour ce corps qui se transformait et dont Muriel ne voulait pas. Pour ses questionnements, dont Ezra ne trouvait pas de réponses. Il avait été le témoin de son mal-être, qu’il n’avait pas pu apaiser, de ses larmes, qu’il n’avait pu endiguer, et de ses cris de détresse, qu’il n’avait pas pu empêcher. Impuissant, mais présent et aimant. Toujours.
Leur mère, définitivement absente depuis sa naissance, ne l’avait jamais prise dans les bras. Madame Fell ne sortait plus du tout de ses appartements, et personne n’y entrait plus, si ce n’étaient les domestiques et les docteurs. Ezra avait essayé de remplacer la figure paternelle, mais nul ne pouvait se substituer à une mère…
Muriel avait été une enfant bornée, indisciplinée, passionnée et une adolescente rebelle, parfois impolie, toujours en retrait. Gabriel tolérait à peine sa présence. Il avait néanmoins tout fait pour qu’elle s’intègre le mieux possible à la bonne société, dans le but de s’en débarrasser le plus tôt possible. A l’inverse de sa fille aînée, handicapée et donc impossible à marier, Muriel était valide et plutôt jolie, en dépit de sa mine boudeuse.
Il payerait la dot le moment venu, sans broncher.
Les richesses ne lui manquaient pas et il était prêt à tout, pourvu que la jeune fille fasse un “bon mariage” et qu’elle disparaisse de sa vie, où elle n’avait fait qu’une apparition fugace et déplaisante. Un peu comme une gale…
Muriel représentait, malgré elle, l’ultime déconvenue de la vie privée de Gabriel Fell, qui avait toujours rêvé d’être entouré de cinq ou six fils virils et obéissants, disposés à faire fleurir l’empire familial. Il avait donc, tout naturellement, concentré toute sa haine sur la pauvre enfant. Mais, s’il y avait quelque chose qui exaspérait encore plus Gabriel Fell que sa fille, qui avait eu l’outrecuidance de porter un pantalon et s’était une fois coupé les cheveux avec un couteau de cuisine, c’était son horripilant, et pourtant unique fils.
A chaque fois que la petite fille le provoquait de la sorte, Ezra se débrouillait toujours pour s’interposer et faire une sottise encore plus agaçante. C’est donc tout naturellement lui qui ramassait les coups à la place de sa sœur et s’imposait peu à peu comme le souffre-douleur de Gabriel.
Ezra ne regrettait toutefois aucune des marques laissées sur sa peau par les sévices de son père. Peut-être pourrait-il les faire disparaître une fois en mer ? Il savait que les marins se faisaient tatouer parfois, il l’avait vu en accompagnant son père aux docks. Gabriel lui avait dit que c’était un péché de modifier le corps que le Créateur offrait généreusement. Cela avait toujours fait peur à Ezra, mais il n’avait jamais pu s’empêcher de trouver les tatouages des marins beaux et fascinants.
Abandonner Muriel était ce qui l’avait retenu de mettre son plan à exécution plus tôt et même encore maintenant, il sentait sa détermination s’étioler à l’idée de la laisser derrière lui. De même que pour Saraqael, il lui avait écrit une lettre, qu’il glissa sous sa porte après y avoir posé un baiser. Connaissant son caractère impétueux, il était certain que Muriel ne lui pardonnerait jamais et cela le fit sourire malgré tout.
C’est ainsi qu’il quitta l’étage pour se glisser au rez-de-chaussée du manoir. L’endroit était tout aussi silencieux. Avec précaution, Ezra longea les cuisines, le salon, puis le bureau de son père, qu’il dépassa rapidement et sans un regard. En revanche, un peu avant la salle de réception du manoir se trouvait une pièce qu’il affectionnait plus que toutes les autres. Il attrapa la petite clé dissimulée dans un livre creux, posé sur l’étagère du couloir, et déverrouilla le cabinet des curiosités du manoir…
Samedi 4 novembre 1690
Ezra avait six ans la première fois qu’il pénétra dans le cabinet des curiosités. Son père avait encore un peu d’affection pour lui à cette époque et l’avait invité à l’accompagner, tandis qu’il apportait un nouvel élément à sa collection.
— Attendez-moi ici et ne touchez à rien, lui dit-il, le menaçant du doigt. Je reviens…
Le petit garçon avait acquiescé silencieusement alors que son père s’éloignait déjà dans le couloir. L’odeur de vieux manuscrits, de cire, de poussière et de bois exotique avait immédiatement suscité l’intérêt du petit curieux. La pièce, plutôt vaste, était pourtant saturée. Éclairée par une grande fenêtre cintrée au vitrage bombé, à l’angle du mur, les froids rayons du soleil du mois de novembre éclairaient les cristaux de poussière qui flottaient dans l’étrange endroit, lui conférant un aspect magique et Ezra s'imagina aussitôt qu’il neigeait une neige féérique ! Partout, des objets insolites attiraient l'œil du petit garçon, qui ne savait pas où donner de la tête.
Suspendues au plafond, aux côtés d’une incroyable défense de narval à l’ivoire torsadé, des mâchoires de poissons aux dents acérées présentaient leurs gueules béantes aux visiteurs téméraires. Les murs ne semblaient pas assez grands pour abriter toutes les étagères, plus encombrées les unes que les autres. Des géodes aux couleurs extravagantes se partageaient l’espace avec des peaux de serpents conservées dans des bocaux de formol ou encore de déroutants petits squelettes, disposés sous des cloches de verre. Ils arboraient également d’inquiétants masques de bois venus de contrées lointaines, accrochés entre d’extraordinaires fourrures tendues et des têtes d’animaux inconnus naturalisées.
A gauche de la fenêtre se trouvait un grand bureau d'apparat en ébène noirci, incrusté de laiton et recouvert d’un fin cuir rouge. Ezra s’approcha d’un pas timide pour examiner les étranges instruments qui s’y trouvaient, et dont il ne connaissait pas la nature. Derrière le bureau, un meuble vitré protégeait toute une collection de divers coquillages et fossiles, à l’apparence fragile.
*Fanart côte forum*
— Ce sont des instruments de navigation maritime !
La voix de son père fit sursauter Ezra, qui mit immédiatement ses mains dans son dos. Gabriel contourna le bureau pour ouvrir la vitrine du meuble et y ajouter un hippocampe séché, qu’un partenaire commercial venait de lui offrir. Il referma ensuite le meuble avec soin et se retourna pour désigner les objets exposés sur le tapis de cuir rouge du bureau.
— Ceci est un sextant, commença-t-il à expliquer, en désignant un curieux artefact en bois et en laiton. Il sert à mesurer la distance angulaire entre deux points. Ici, vous avez un octant, c’est le prédécesseur du sextant ! Et là, poursuivit-il, en désignant un artefact circulaire en laiton muni de deux petites règles semblables aux aiguilles d’une montre, vous avez un astrolabe. Il mesure la hauteur des étoiles et permet, entre autres, de déterminer l’heure ! L’astrolabe est une représentation plane de la sphère armillaire, que voici, expliqua-t-il, en pointant le dernier objet.
D’une trentaine de centimètres, ce dernier objet était le préféré d’Ezra. C’était un assemblage complexe de plusieurs sphères mobiles en laiton, montées sur un pied en bois. Remarquant le regard appuyé et fasciné de son fils, Gabriel fit alors tourner les cercles de laiton dans leur socle. Ezra poussa alors un petit cri admiratif, qui fit sourire son père.
— La sphère armillaire, ou système de Ptolémée, sert à montrer le mouvement des étoiles et du soleil autour de notre Terre, Ezra.
— Je n’ai pas compris à quoi servent ces objets, Père, mais je les trouve très jolis ! répondit le petit garçon en tendant une main vers la sphère.
— Les marins les utilisent pour naviguer sur les vastes océans et ne pas se perdre, expliqua patiemment Gabriel.
— Est-ce en mer que l’on trouve toutes ces merveilles, Père ? demanda Ezra, en balayant le cabinet de son petit bras.
— Pas seulement, mais ils ont tous été ramenés des terres impies par des marins, grâce aux bateaux, mon fils.
— Je veux être un marin, Père ! J’irai explorer les terres sauvages et je vous ramènerai des, euh… Plein de choses bizarres ! proposa fièrement le petit garçon.
Gabriel eut un petit rire amusé en rajustant sa lavallière lilas, avant de s’asseoir derrière le bureau et de s’allumer un cigare.
— Ceci n’est pas envisageable, mon fils… Vous serez amené à reprendre les rênes de mon empire lorsque vous serez adulte, mais n’ayez crainte ! Vous aurez l’occasion de voir beaucoup de bateaux et de discuter avec de nombreux marins. Peut-être même irez-vous vous-même dans ces terres impies pour le commerce. Il y a tant de richesses à y exploiter…
— Ces terres… Sont-elles désertes, Père ?
— Bien sûr que non ! Elles sont envahies de sauvages… répondit Gabriel, avec une grimace de dégoût.
— Mais alors… Ces richesses leur appartiennent s’ils habitent là-bas, non ? s’étonna Ezra. Saraqael dit que je n’ai pas le droit de prendre les affaires de sa chambre, car c’est elle qui l’occupe et que donc, tout ce qui se trouve dans sa chambre est à elle et que…
Son père le fit taire en levant une main :
— Ces sauvages n’ont pas d’âme, Ezra, n’ayez crainte ! Le Seigneur nous a mandatés, nous, les Blancs chrétiens, pour exploiter leurs richesses, car ils n’en sont pas capables. Ni dignes, d’ailleurs… Vous comprendrez tout cela bientôt, mon fils ! s'enorgueillit Gabriel, en soufflant la fumée de son cigare, noyant le petit garçon dans un nuage épais et toxique.
~ Mardi 14 mai 1709 ~
C’était faux.
Ezra n’avait jamais compris. Malgré les sermons, malgré les explications alambiquées de son père, malgré les humiliations et les coups… Ezra n’avait jamais admis qu’un homme sur Terre soit supérieur à un autre.
Il referma le cabinet des curiosités après y avoir fait un dernier tour, prenant le temps de caresser les fascinants objets éparpillés sur les étagères avec des gestes révérencieux, car c'était l’endroit qui avait bercé son enfance de rêves d’aventures et d’explorations de terres merveilleuses.
Son père y voyait des richesses à exploiter, lui y voyait un trésor de découvertes, de rencontres et d’émerveillement ! En replaçant la petite clé dans le livre creux, ses yeux se posèrent sur un camée, posé lui aussi dans la petite cachette. Ezra caressa l’objet et un autre souvenir lui revint en mémoire……
Vendredi 10 août 1691
Un peu moins d’un an après avoir découvert le cabinet des curiosités, Ezra se promenait au bord du petit étang, à l'extrémité des jardins du manoir.
Il faisait chaud, mais le petit garçon de sept ans avait bravement pris sa besace de cuir pour aller observer et dessiner les libellules, qui pullulaient parmi les tiges de roseau. Il avait déjà presque fini de remplir un carnet entier avec ses dessins, qu’il montrait fièrement à Saraqael chaque soir !
Il avait fui son cours de théologie, profitant de ce que Père Shadwell soit parti soulager sa vessie après avoir vidé sa mignonnette de whisky, et pensait être tranquille un moment, avant que la pauvre Coraline ne soit mandatée pour le retrouver. C’était sans compter Gabriel Fell…
Le son soudain des sabots de Halo l’informa de son arrivée. A peine le temps de refermer son carnet à la hâte que son père était déjà là, au bord de l’étang. Il mit pied à terre et éloigna sa jument d’une vigoureuse tape sur la croupe avant de se tourner vers Ezra.
— Le Père Shadwell vous cherche ! aboya-t-il, à l’encontre de son fils.
— Je, hum… Je… bredouilla Ezra, en essayant de cacher son carnet dans son dos.
Gabriel se planta devant son fils et soupira :
— Encore en train de dessiner, n’est-ce pas ?
— Je… Je dessinais les libellules, avez-vous vu comme leurs reflets sont irisés, Père ? Elles sont magnifiques… s’émerveilla timidement Ezra, fuyant son regard.
— Donnez-moi votre carnet ! ordonna sèchement son père.
Le petit garçon s’approcha timidement et lui tendit son carnet, avant de frotter ses mains sur ses culottes. Sans un regard pour les dessins appliqués de son fils, Gabriel jeta le carnet au milieu de l’étang, sans cérémonie. Affolé, Ezra se précipita vers les berges, les yeux rougis et emplis de détresse.
— Père ! Non, je vous en prie ! implora-t-il.
— Allez le chercher, si vous tenez tant à le récupérer, proposa Gabriel, avec un rictus cruel.
— Je… Je nage mal, Père…
— Auriez-vous peur, Ezra ? Un homme n’a jamais peur !
Mais Père, songea l’enfant, je ne suis pas un homme… Juste un petit garçon…
— C'est-à-dire que… Je… J’ai…
— Avez-vous peur ? insista son père.
Il le surplombait de toute sa hauteur. Ezra se surprit à se demander si un jour, il serait aussi grand. Si un jour, lui aussi, il terrifierait ses propres enfants…
— Ou… Oui… avoua Ezra, en détournant le regard.
Gabriel saisit alors brutalement son fils par sa chemise, au niveau de son épaule et, malgré les cris et les suppliques du garçon, il le jeta sans ménagement dans l’étang. Ezra avait appris les rudiments de la nage, mais il n’était pas encore à l’aise dans l’eau.
Grâce à son père, ce ne serait jamais le cas…
Dans sa panique, il ne se rendit pas tout de suite compte qu’il avait pied. Ses vêtements alourdis l’entraînaient sous l’eau et il but plusieurs fois la tasse, tournant sur lui-même, toussant, et croyant plusieurs fois que son heure était venue.
D’étranges pensées traversèrent son esprit, comme le fait qu’il était trop jeune pour mourir ou qu’il n'avait pas fait son ultime confession auprès de Père Shadwell. Serait-il condamné à errer dans les limbes pour l’éternité ? Combien de temps ça durait l’éternité ?
Il aurait voulu que son père l’aime, un peu…
Lorsque Coraline arriva, elle trouva Gabriel Fell hilare au bord de l’étang, tandis que le petit Ezra, s’escrimait au milieu des roseaux et des algues, haletant et crachant l’eau qui s’était engouffrée dans sa bouche et son nez. N’écoutant que son instinct en entendant les pleurs désespérés du petit garçon qu’elle avait vu grandir, la servante releva ses jupons et sauta dans l’eau pour aller l’aider.
De Gabriel Fell, Coraline reçue une gifle. De Michaela Fell, un camée en guise de gratitude. Lorsque Gabriel reconnut, plus tard, le bijou de son épouse accroché à la robe d’une domestique, il le lui arracha et le plaça ici, dans ce livre creux, connu de lui seul et de son trop-curieux-pour-son-propre-bien de fils.
~ Mardi 14 mai 1709 ~
Coraline les avait quittés quelques mois plus tôt, emportée par une pneumonie.
Les enfants Fell, et notamment Ezra, avaient pleuré toutes les larmes de leurs corps sur sa dépouille, tandis que leur père avait vaguement promis de trouver une autre “nègre” pour la remplacer, surtout auprès de Saraqael, qui en avait le plus besoin.
Ezra referma le livre creux en fermant les yeux, récitant mentalement une prière pour l’âme de la défunte et regrettée servante. Car oui, elle avait une âme ! En dépit de toutes les convictions que son père avait essayé de lui inculquer par la force, Ezra était intimement convaincu que tout être vivant sur Terre en possédait une.
Le pas lourd, il poursuivit sa traversée du manoir dans une procession de souvenirs, tous plus amers les uns que les autres. C’est ainsi qu’en traversant la salle de réception, un autre événement lui revint en mémoire……
Samedi 3 octobre 1699
Gabriel Fell avait donné une fastueuse réception pour fêter le départ du Liverpool merchant, qui avait quitté les docks de Liverpool le jour même. Toute la bonne société de la ville avait été conviée au manoir, où son père s'enorgueillit des richesses que ses partenaires et lui-même allaient amasser grâce au commerce des nègres.
Saraqael, prétextant des douleurs menstruelles, avait fui le bal au bout d’une heure à peine, n’en pouvant plus de cet étalage de mépris, tant de la part des invités que de leur père. Elle ne le supportait déjà pas lorsqu’il était sobre, alors lorsqu’il avait bu…
— Je t’abandonne, mon frère, avait chuchoté la jeune fille, alors âgée de dix-sept ans, à l’oreille d’Ezra.
— Comme je t’envie, Sara ! Embrasse Muriel de ma part, elle sera largement endormie lorsque Père m’autorisera à me retirer… soupira le jeune héritier.
Âgé de quinze ans, Ezra était un joli jeune homme. Il avait conservé ses boucles blondes, qui avaient bien poussé et encadraient désormais un visage d’adolescent où la moustache et la barbe commençaient à poindre. Malheureusement pour lui, il avait également conservé quelques rondeurs, qui lui valaient les moqueries quotidiennes de son père et de Père Shadwell. Vêtu d’une élégante veste de soie bleue, portée sur un gilet et des culottes beiges, des bas de soie habillaient ses jambes jusqu’à une paire de mocassins à talons noirs. Malgré son évident manque d’aisance en société, Ezra avait attiré le regard des quelques jeunes filles de bonne famille présentes ce soir-là. Lui, en revanche, n’avait eu aucun regard pour elles. Déambulant habilement au milieu des tables, des domestiques et des invités, Ezra avait réussi à se tenir le plus loin possible de son père. Jusqu’à présent…
— Oh, mais qui vois-je ? Ezra Fell, le fils de notre héros du jour ! l’interpella un détestable aristocrate français d’une quarantaine d’années, qui portait le même prénom que son père.
Ezra fit semblant de ne pas l’avoir entendu et accéléra le pas, lorsque la voix sévère de son père l’interpella à son tour, le stoppant net dans ses velléités de fuite.
— Ezra ! Venez ici !
L’adolescent fit marche arrière la mort dans l’âme et vint saluer l’aristocrate, le gratifiant d’un pâle sourire et d’un vague signe de tête.
— Eh bien, eh bien, vous n'êtes pas bavard, mon garçon… Êtes-vous fier de votre père ? Bientôt, vous marcherez dans ses pas et développerez ce juteux commerce !
Ezra ne répondit rien, mais son regard croisa celui de son père, avant qu’il ne baisse les yeux sur ses chaussures.
— Il se trouve que mon fils n’a pas le sens du commerce… répondit Fell, d’une voix sourde.
— Quel malheur, Gabriel… Qu’allez-vous donc faire de lui ? demanda l’aristocrate, l’air à la fois curieux et déçu.
— S’il ne reprend pas l’affaire familiale, il n’y a qu’une seule autre voie qu’il puisse emprunter pour faire honneur à sa famille, n’est-ce pas, mon garçon ? Ezra rentrera dans les Ordres lorsqu’il sera un homme, si c’est ce qu’il préfère… ajouta Fell, en posant lourdement une main sur l’épaule de son fils.
Ezra grimaça de douleur. Son père avait délibérément appuyé à l’endroit même où il avait abattu sa ceinture, deux jours auparavant. L’adolescent avait confié à son père sa volonté de ne pas assister à la réception, arguant qu’il ne souhaitait pas célébrer le triste départ du négrier, qu’il avait qualifié d’“indigne”. Gabriel s’était alors emporté et, dans un flot d’insultes, s’était défoulé sur les épaules d’Ezra, qui s’était recroquevillé au pied de l’énorme crucifix du petit salon, implorant l’aide de Dieu et la merci de son père.
Il n’avait obtenu ni l’un, ni l’autre.
Fell avait alors décrété que s’il ne parvenait pas à modeler son fils à son image, il l’offrirait au Clergé pour masquer sa honte. Une solution de repli qu’il avait déjà fomentée depuis quelque temps, voyant que l’adolescent, jusque-là soumis, commençait à s’opposer à sa volonté. Dieu savait que Gabriel avait la main leste et qu’il ne reculait devant aucun châtiment.
Malgré tout, Ezra se montrait de plus en plus téméraire et il ne faisait aucun doute qu’il coulerait l’affaire familiale sciemment, s’il en prenait un jour la tête avec ses “principes” ! Avec la complicité du Père Shadwell, Fell avait d'ores et déjà trouvé un monastère des plus stricts pour accueillir son fils s’il devait en arriver là.
Puisque le jeune homme était si pieux, autant en profiter pour s’en débarrasser d’une façon qui ne lui fasse pas perdre la face…
— Ce serait un tel gâchis, s’était lamenté le français, en dévisageant le jeune homme.
— Je ne désespère pas de lui inculquer le sens des affaires, il est encore jeune… avait rétorqué Fell, en serrant l’épaule de son fils dans sa poigne de fer.
Ezra se concentra pour ne pas laisser paraître la douleur que lui infligeait son père, alors que ses doigts s'enfonçaient dans sa chair meurtrie. Il étouffa un gémissement.
— Peut-être que l’attrait des jolies courbes de ces jeunes filles l’éloigneront d’une vie de célibat pour le rapprocher du commerce et de l’argent ! Ces dames aiment l’argent, mon garçon… ricana l’aristocrate à gorge déployée, inconscient du supplice de l’adolescent.
Mais Ezra n’aimait pas les femmes. Il appréciait certes beaucoup leur compagnie, mais il ne ressentait étrangement aucune attirance pour la gent féminine. S’il était sûr d’une chose, c’était de celle-là.
— Oh, mais j’y pense, n’avez-vous pas mentionné tout à l’heure l’acquisition d’une nouvelle curiosité ? demanda soudainement le français.
— En effet ! Une rareté… Souhaitez-vous le voir, mon cher Gabriel ? proposa Fell.
— Si vous m’offrez un cigare et un verre en même temps, ma foi… s’enthousiasma l’aristocrate.
Ezra s’apprêtait à en profiter pour s’éclipser, mais le soulagement qu’il avait ressenti à cette idée fut de courte durée lorsque son père ajouta à mi-voix :
— Venez avec nous !
— Mais, Père… tenta de protester le jeune homme.
— Et ne discutez pas…
Ezra se retrouva donc dans le cabinet des curiosités en compagnie des deux Gabriel les plus détestables de Grande-Bretagne. En principe, il profitait des absences de son père pour se retrancher dans cette pièce qu’il affectionnait et rêver tout à loisir, cependant, à l’idée de s’y retrouver avec lui, il en avait la nausée. Son père prit place derrière le grand bureau, qui n’avait pas changé depuis la première fois qu’Ezra était venu ici. L’autre Gabriel s’assit juste en face, dans un confortable fauteuil club en cuir. C’étaient les deux seules places assises dont disposait la pièce, aussi Ezra se tient debout à côté de son père, les mains dans le dos et la tête basse.
Fell s’alluma un cigare et en tendit un autre à son invité, avant de claquer des doigts :
— Servez-nous deux verres de Brandy, Ezra !
— Oui, Père, marmotta l’adolescent, en s’éloignant.
Il se dirigea vers une des étagères murales, dans un placard bas aux portes pleines, qu’il ouvrit pour en sortir une bouteille et deux verres. Pendant qu’il versait la boisson, il tendit l’oreille.
— Alors, qu’avez-vous trouvé cette fois, vieux brigand ? demanda le français, avec intérêt.
Fell eut un mince sourire avant de sortir un petit coffre, dissimulé sous le bureau. Tandis qu’Ezra revenait et posait avec précaution les verres sur le bureau, son père sortit du coffre un étrange objet blanc, finement gravé, qu’il tendit à son invité, par-dessus la table.
Ezra se pencha légèrement pour tenter de mieux voir, sa curiosité attisée.
L’aristocrate saisit l’objet de sa main libre et l’examina rapidement :
— Défense de morse gravée ?
— Mmmm, acquiesça Fell, en souriant devant l’expertise de son ami, soufflant un volumineux nuage de fumée.
Ezra toussota doucement.
— Magnifique, mais… Qu’est-ce donc au juste ? demanda l’aristocrate, perplexe.
— Ezra ! aboya Fell, faisant sursauter le jeune homme. Qu’est-ce donc d’après toi ?
Le français tendit avec amusement l’artefact à l’adolescent, qui prit le temps de l’observer sous toutes ses coutures, avant de répondre :
— L’objet est creux et… Et si je me fie à cette fente… poursuivit Ezra, en faisant tourner le petit objet dans ses mains. Je dirais que c’est un sifflet, Père, proposa-t-il, en levant un regard timide vers son géniteur.
Fell sembla curieusement satisfait, alors que son ami le regardait avec une moue impressionnée.
— Et à quoi peut-il servir, selon toi ?
Ezra reporta son attention sur le sifflet, en fronçant ses sourcils. Il observa longuement les fines gravures qui l’ornaient, en le rapprochant de son visage :
— Je… J’y vois mal, Père, pardonnez-moi… La gravure semble ancienne, un peu effacée… Je… Ces dessins semblent représenter d’étranges créatures, mi-humaines, mi, euh… Poissons ? hésita-t-il.
— C’est exact ! Poursuivez… l’encouragea Fell, en faisant tourner son brandy dans son verre.
— Ahem… Je pense que… Peut-être est-ce en rapport avec des, hum… Des sirènes, Père ?
Fell lui jeta un étrange regard, mêlant étonnement et satisfaction. Ces sentiments envers son fils étaient devenus si rares. Mais Ezra avait appris à ses dépens à ne pas s’en réjouir…
— Bravo, Ezra ! Ce sifflet sert à appeler le légendaire Peuple de la Mer, je l’ai acquis auprès d’un marin après d’âpres négociations ! répondit fièrement Gabriel, en bombant le torse.
— Votre fils semble en désaccord, mon ami… objecta le français, amusé, en observant la moue dubitative du jeune homme.
Ezra écarquilla les yeux et jeta un regard noir à l’ami de son père. Ne pouvait-il donc pas se taire ?
Gabriel se tourna vers lui. Il frissonna.
— Pardon, Ezra ? demanda Fell, d’un air qui feignait l’étonnement poli.
— Je, hum… hésita l’adolescent, en observant craintivement son père.
— Je vous en prie, ne soyez pas timide, cher enfant ! Nous sommes tout ouïe de vos théories, l’encouragea le français.
— Mais oui, Ezra, nous sommes tout ouïe… renchérit Fell, avec une moue qui laissait penser le contraire.
Ezra se balança imperceptiblement d’un pied sur l’autre, de plus en plus mal à l’aise.
— Eh bien… Hum… D’après les légendes, les sirènes attirent les hommes par leurs chants afin de les tuer… Donc, d’après moi, cela m’étonnerait qu’un marin ait souhaité appeler les sirènes, Père. Je pense donc plutôt, hum… Que ce sifflet, peut-être, émet un son qui repousse les sirènes… Cela me semble, euh… Plus vraisemblable… Père, ajouta Ezra, en tendant le sifflet à son père, tout en inclinant sa tête.
Fell se recula dans son fauteuil sans quitter son fils des yeux, qu’il observait d’un regard perçant, tandis que l’aristocrate avait posé son cigare sur le bord du cendrier en “sabot de licorne” naturalisé pour applaudir théâtralement l’analyse de l’adolescent.
— On dirait que votre fils est un véritable prodige de raisonnement, Fell, il vous a mouché ! se moqua le français.
Plus tard dans la soirée, une fois tous les invités partis, Gabriel Fell se vengea de cette humiliation. Ezra fut incapable de quitter sa chambre pendant plus d’une semaine, malgré les soins de Saraqael et de Coraline…
~ Mardi 14 mai 1709 ~
Dix années s’étaient écoulées.
Gabriel Fell avait fait tout ce qu’il avait pu.
Pour gommer les défauts de son fils, pour le dépouiller de ses principes, pour l’endurcir, pour faire de lui un homme. Faire de lui un Fell.
Vaincu, il avait fini par se convaincre que c’était la volonté de Dieu de faire de son fils son serviteur.
Il avait d’ailleurs prévu d’en convaincre toute la bonne société de Liverpool lors d’une réception qui devait avoir lieu le mois prochain, à l’occasion du départ d’Ezra pour le monastère de Saint Béryl, à Tadfield.
Loin de Liverpool. Loin de ses sœurs, qui n’avaient pas besoin de sa mauvaise influence pour défier Gabriel. Loin de sa mère, devenue mutique. Loin de la déception qu’il représentait pour son père.
A vingt-cinq ans, Ezra allait faire vœu de silence, de piété, de chasteté et de pauvreté. Une vie qu’il allait partager entre sa cellule, l’église et le potager du monastère. Lui qui rêvait d’aventures, de découvertes et de rencontres allait sacrifier ses espoirs sur l’autel de ses convictions.
Se refusant à être complice de l’odieux trafic d’êtres humains auquel se livrait son père, et n’ayant aucune autre alternative, il avait fini par se résoudre à devenir prêtre, se souvenant de la réponse de sa mère, dix-sept ans plus tôt. Il avait fini par se convaincre qu’il trouverait le bonheur dans l’amour de Dieu.
Et puis il avait accompagné son père aux docks une dernière fois, quelques semaines plus tôt. Non pas pour partager un moment avec lui, il n’éprouvait aucun plaisir en sa compagnie et avait cessé de rechercher sa reconnaissance, à défaut de son amour, depuis bien longtemps, mais bien pour observer une dernière fois les bateaux, écouter les marins plaisanter bruyamment, regarder une dernière fois les navires quitter le port pour aller fendre les océans, loin. Loin de Liverpool. Loin du carcan de sa vie. Loin de son père tyrannique. Loin de cet avenir consternant.
Et puis il avait vu les annonces placardées partout dans le port. La marine marchande anglaise recrutait des marins, expérimentés ou non. Ils avaient besoin de bras, de beaucoup de bras ! Aussi le recrutement se promettait discret sur l’origine des volontaires, de même que sur leurs possibles déboires judiciaires. Un navire devait quitter les docks dans trois semaines en direction de la Jamaïque, le Résurrectionniste.
Le bateau lèverait l'ancre aux premières lueurs de l’aube, le 14 mai 1709. Et Ezra serait à son bord ! Pour ne pas le manquer, il devait hâter le pas, il ne s’était que trop attardé à errer dans ces pièces chargées de souvenirs...
Il emprunta la sortie de service du manoir, après avoir contourné la salle de réception où personne ne fêterait jamais son départ pour le monastère.
Après avoir décroché une lanterne, Ezra traversa d’un pas leste une courte portion des jardins et se glissa silencieusement dans les écuries, où il fut accueilli par l’odeur caractéristique des chevaux, mêlée à celle du foin et du crottin. Tout en rassurant les bêtes, il longea les stalles dans lesquelles se reposaient les nombreuses juments de son père, toutes plus magnifiques les unes que les autres, pour s’arrêter devant la dernière, devant laquelle il déposa sa besace et son baluchon.
Si Ezra avait grandi et gagné en force et en beauté, Halo devenait vieille et avait perdu de sa superbe. Gabriel avait prévu de vendre l’animal à un maquignon dans quelques jours afin de s’en débarrasser, au profit d’une jument plus jeune et plus belle.
Ezra pénétra dans la stalle pour caresser le noble animal, qui enfouit tristement son chanfrein contre la poitrine du jeune homme.
— Je sais ce que c’est… susurra-t-il tendrement à Halo. Moi non plus, il ne m’aime plus… Si ça peut te consoler, sache qu’il t’a aimé bien plus longtemps et bien plus sincèrement que moi !
Comme si elle comprenait, la jument se mit à hennir doucement contre sa veste.
— Ça te dirait de t’enfuir avec moi ? Une dernière promenade pour toi, une première pour moi. Qu'en dis-tu, ma belle ? Il ne nous regrettera ni l’un, ni l’autre…
Halo lui mit un petit coup de tête, comme pour acquiescer, et Ezra sortit de la stalle pour aller dans la sellerie. Il laissa cependant la selle de son père sur son porte-selle et se contenta de détacher les étrivières qui avaient tant de fois meurtri sa peau et qui hanteraient ses cauchemars pour le restant de sa vie. Il les manipula avec des gestes précautionneux, comme s’il avait peur que les courroies de cuir ne s’animent de leur propre volonté pour éteindre la sienne. Il laissa les étriers glisser le long des étrivières et s’écraser mollement dans la sciure, au pied de ses longues bottes, puis revint vers Halo, après avoir mis les étrivières autour de son cou et pris le filet de la jument.
— Nous n’avons pas besoin de sa selle, n’est-ce pas ? Nous n’allons pas loin ! Enfin… Dans un premier temps, du moins… se reprit Ezra, en se glissant contre le flanc de la jument.
Il enfila délicatement le mors dans la bouche de Halo. Une voix dans son dos le fit soudain sursauter alors qu’il terminait de fixer le filet sur la tête de la jument.
— Où comptes-tu aller comme ça, mon frère ?
Ezra se retourna brutalement, énervant Halo, qui tapa du sabot par terre.
— Chut, chut… Muriel, mais enfin que fais-tu ici ? s’agaça-t-il, en l’observant par-dessus la barrière de la stalle et en frottant ses mains sur ses culottes.
Elle s'était emmitouflée dans un large manteau, qu'il reconnut comme un des siens, un de ceux qu'il avait mis de côté en grandissant et portait une curieuse casquette en cuir qu’il ne lui avait jamais vue sur le sommet de son crâne.
— “C’est la mort dans l’âme que je te laisse, j'espère que tu trouveras la force de me pardonner, car sache que moi, je ne me le pardonnerais jamais”, récita la jeune fille de quinze ans, en sortant de sa poche la lettre que son frère avait glissé sous sa porte, une heure plus tôt.
Ezra passa une main dans ses cheveux, avant de ramasser sa besace et son baluchon :
— Pourquoi faut-il toujours que tu compliques tout, Muriel ? soupira-t-il, en passant la bandoulière de sa besace sur son épaule.
— Non ! répondit-elle, en croisant ses bras sur sa poitrine, une moue boudeuse plaquée sur le visage.
— Non, quoi ?
— Non, je ne te le pardonnerai jamais !
Le jeune homme eut un faible sourire malgré lui en se rapprochant de sa soeur pour poser ses mains sur ses épaules :
— Ca, je m’en doutais !
Il soupira profondément puis regarda sa sœur droit dans les yeux.
— Je dois partir, Muriel… Je ne veux plus de cette vie… Je n’en ai jamais voulu… J’ai attendu que tu sois assez grande et c’est le cas maintenant ! Je dois fuir tant qu’il est encore temps. Une fois que Père m’aura enfermé dans ce monastère, je ne pourrai plus jamais en sortir ! Tu dois comprendre, je t’en conjure…
Muriel secoua la tête d’un air résolu.
— Et que fais-tu de Saraqael ? répondit-elle effrontément.
Ezra leva les bras au ciel en un geste agacé.
— Saraqael est une femme accomplie ! Elle a bien plus de caractère que je n’en aurai jamais et pourrait survivre parmi une meute de loups affamée, plaisanta-t-il. C’est une préceptrice reconnue et même Père ne se risque plus à affronter sa verve…
Il haussa les épaules d’un air triste :
— De toute façon, je ne peux pas l’emmener avec moi à cause de sa santé fragile…
— Mais moi, tu peux ! rétorqua Muriel avec un grand sourire, en écartant les pans de son manteau pour montrer sa tenue.
Aziraphale sortit de la stalle et la fixa avec stupeur. L’adolescente avait revêtu des culottes masculines, ainsi qu’une chemise ample, masculine également. Ezra la considéra un instant d’un oeil critique, avant de rétorquer fermement :
— Hors de question ! C’est beaucoup trop dangereux ! Je compte prendre la mer, Muriel, ce n’est pas la place d’une jeune femme…
— Oh, mais qu’à cela ne tienne ! répondit Muriel en retirant la casquette qui recouvrait ses cheveux.
— Tadaa !
Ezra écarquilla les yeux avec horreur. Toutes les jolies boucles brunes de sa sœur avaient disparu, tailladées grossièrement et visiblement à la va-vite aux ciseaux, ayant laissé dans leur sillage une multitude d’épis qui partaient dans tous les sens.
— Muriel… Tes cheveux…
Dans cette tenue, Muriel avait tout l'air d'un jeune ouvrier des docks et elle le fixait d’un air radieux, plus radieux qu’il ne lui avait jamais vu…
— L’heure tourne, Ezra ! Les domestiques ne tarderont pas à se lever, la prévint sa sœur.
Et le Résurrectionniste ne tarderait pas à lever l’ancre ! Ezra s’ébroua. Il n’avait plus le temps de tergiverser et encore moins le temps de prendre des décisions intelligentes :
— J’ai dit non, c’est non, Muriel ! Laisse-moi passer…
Tandis qu’il sortait Halo de sa stalle et se hissait sur son dos, à cru, Muriel se saisit des rênes pour le stopper et leva sur lui un regard implorant, alors que ses larmes commençaient à poindre.
— Mais… Muriel, je t’en prie… se lamenta son frère, en basculant sa tête en arrière.
— Père veut me marier, le coupa la jeune femme.
Il la fixa de nouveau, stupéfait.
— Pardon ? répondit Ezra, abasourdi.
Muriel ne le regardait plus. Elle caressait doucement le chanfrein de Halo, un sourire triste effleurant ses lèvres. Elle fit une grimace :
— Il m’a trouvé un époux parmi ses partenaires commerciaux. Un vieil homme veuf, je l’ai vu, Ezra, s'exclama-t-elle, releva la tête vers son frère.
Elle pleurait vraiment à présent.
— Il est plus vieux que Père ! Il est membre de la Chambre des Lords et a promis de faire anoblir Père en échange de ma main et de ma dot… expliqua-t-elle, dans un torrent de larmes et de morve, qu’elle essuya sur sa manche.
L’ambition de Gabriel Fell ne souffrait d’aucune limite. Lord Fell. Il devait s’en réjouir d’avance. Ezra aurait dû s'en douter… Étouffant un juron, il se pencha pour tapoter l’épaule de la jument, qui s’inclina gracieusement devant sa sœur. Ezra tendit alors une main à Muriel :
— Grimpe ! se contenta-t-il de dire.
La jeune fille ne se le fit pas dire deux fois. Elle essuya à nouveau son visage sur sa manche et cramponna la main de son frère pour se hisser sur le dos de l’animal, derrière lui. Elle serra sa taille entre ses bras et enfouit son visage dans son cou, mouillant légèrement la nuque du jeune homme du reste de ses larmes.
— Merci Ezra, merci…
Ezra serra doucement les mains de sa sœur, croisées sur sa poitrine, puis attrapa de sa main libre les courroies de cuir qu’il avait toujours autour du cou. Il manoeuvra ensuite la jument de sorte à la placer perpendiculairement à sa stalle, dans laquelle il jeta rageusement les étrivières de la selle de son père, en guise d’adieux.
Ils passèrent en silence et sans encombre le gros portail du domaine Fell grâce à un double de la clé, qu’Ezra avait subtilisé dans le quartier des domestiques la veille. Craignant de rater l’embarquement, Ezra fit galoper Halo dans les rues de Liverpool jusqu’aux docks. La jument avait encore de l'énergie à revendre et ne broncha pas sous le poids des enfants Fell, tandis que Muriel s’accrochait fermement à son frère.
Ezra ne fut cependant pas mécontent de mettre pied à terre après cette cavalcade à cru sur le dos de la jument, juste devant l’énorme Résurrectionniste, autour duquel s’affairaient les derniers matelots avant le départ. Il tendit les rênes à sa soeur :
— Attends-moi ici, je reviens !
Il allait s’éloigner lorsque Muriel l’interpella :
— Psst, attends !
La jeune fille fouilla dans la poche de son pantalon et tendit son poing fermé à son frère, en se penchant légèrement sur l’encolure de la jument. Ezra fronça ses sourcils en tendant sa paume et étouffa un juron lorsqu’il reconnut l’objet que sa soeur laissa tomber dans sa main avec un sourire satisfait :
— Muriel !
La jeune fille l'observait d’un air espiègle.
— Je l’ai piqué dans le bureau de Père hier soir !
— Mais… Pourquoi faire ? s’étonna son frère.
Elle haussa les épaules d’un air encore enfantin.
— J’en sais rien… Pour le faire enrager ! Mais si jamais t’en as besoin pour nous faire embarquer, ça vaut beaucoup d’argent !
Ezra observait attentivement la chevalière en or de son père, au creux de sa main. Le bijou avait, en effet, une grande valeur et il eut malgré lui un petit sourire devant la témérité de sa sœur. La chevalière faisait partie de la dot de mariage de leur mère. Le blason des Warrior, un lion entouré de flammes, surplombait l’anneau, recouvert de petites ailes finement ciselées. Ezra enfila la bague à l’auriculaire de sa main droite.
— J’ai déjà tout prévu pour ça… Mais on ne sait jamais, ça pourrait servir un jour…
Il laissa ensuite Muriel et Halo un peu en retrait pour trouver le second du navire, qu’il avait approché quelques jours avant, dans le plus grand secret.
L’homme l'accueillit avec un sourire narquois :
— Alors comme ça, t’es venu finalement ? Je pensais pas te revoir ! T’as plus l’allure d’un matelot aujourd’hui que la dernière fois, ceci-dit, ajouta-t-il, en le dévisageant des pieds à la tête. Le cheval ? demanda-t-il en se dévissant le cou pour observer la jument, dont le pelage blanc se détachait dans l’aube naissante.
— C’est une jument ! Elle est là… Le programme n’a pas changé ? s’enquit nerveusement Ezra.
— Nay ! On va faire une escale en Ecosse pour faire le plein de marchandises et d’Ecossais ; on y laissera ta jument dans les pâtures, comme prévu. Après ça, direction la Jamaïque. Signe ici, matelot ! ordonna-t-il, en lui tendant un registre.
Ezra signa nerveusement, avant de rendre le registre au second, qui grommela, en lisant :
— A-zi-ra-phale… C’est quoi ce nom ? Juste Aziraphale ? Quatre syllabes ?
— Quatre syllabes et aucune question, répondit Ezra, en tendant une bourse de pièces au marin.
— Mouais… Autre chose à signaler ? demanda le second, en inspectant le contenu de la bourse.
Ezra hésita et jeta un rapide regard derrière lui. Sur la jument, Muriel le fixait d’un air farouche.
— Ahem… Il y aura un marin supplémentaire… Il s’agit de mon valet, hum… Il est jeune et en bonne santé !
— Ouais, ouais… Du moment qu’il travaille dur, je m’en fous ! Quel nom ? Pour le registre… répondit le marin, qui rouvrait son livre, se préparant à noter.
— Hum… Eh bien, euh… Muriel… bégaya Ezra, pris par surprise.
Le second gribouilla le nom à la hâte sur le papier.
— Tous les bras sont les bienvenus… Allez, grimpez, tous les trois ! On lève les voiles ! Quittons cette ville de merde, conclua-t-il, en crachant rageusement par terre.
Ezra ne put qu'acquiescer malgré ses entrailles tordues par l’angoisse.
C’est ainsi que le périple d’Aziraphale et Muriel commença, aux premières lueurs du jour de ce 14 mai 1709. Après avoir dit au-revoir à Halo, à qui ils rendirent sa liberté dans les pâturages verdoyants des Highlands, ils gagnèrent la colonie anglaise, à l’issue d’un long voyage, ponctué d’apprentissages.
Pendant les dix années suivantes, ils furent embarqués dans de nombreux navires, à divers postes. Ils s’appliquèrent à faire profil bas, car leur père avait, contre toute attente, promis une récompense substantielle à qui lui ramènerait ses enfants. Gabriel Fell était manifestement prêt à tout pour laver son honneur, comme ils l’apprirent par le biais de la correspondance qu’Aziraphale entretenait avec Saraqael, laquelle lui avait donné sa bénédiction dans sa quête de liberté.
Leur père restait déterminé, malgré les années qui passaient, à remettre la main sur sa fille pour la marier et devenir enfin Lord. Il avait fait courir le bruit que ses enfants avaient été enlevés et avait détruit la lettre de son fils.
Pour avoir désobéi et s’être enfui en enlevant sa jeune sœur, Fell avait promis les pires représailles contre son fils, si d’aventure, il le retrouvait. Au décès de Michaela, six ans après leur fuite, dans sa rage, Gabriel avait avoué à Saraqael que si Dieu lui permettait de retrouver Ezra, il le battrait à mort ou le vendrait comme esclave… Probablement la deuxième option d’ailleurs, car il en tirerait un bon prix.
Sa correspondance avec leur sœur aînée connut une interruption de quelques mois en 1717, période pendant laquelle Aziraphale cru, à tort, que leur père était mort et que Saraqael était débordée.
En fait, Saraqael avait une nouvelle servante, une jeune esclave de treize ans, nommée Pepper, que son père avait ramené au manoir et à qui elle ne savait pas encore si elle pouvait accorder sa confiance pour acheminer son courrier secret.
Il s’avéra que la jeune servante était une personne sur qui elle pouvait compter et ils reprirent leur correspondance en toute quiétude quelques mois plus tard, pour ne plus l’interrompre.
Du moins… Jusqu’à leur capture par le Revenge.
* * *
NDA : Le 3 octobre 1699, le Liverpool Merchant, un vaisseau de commerce affrété par des négociants de la ville, a réellement quitté le port de Liverpool pour la côte ouest de l'Afrique. Il y chargera 220 esclaves noirs avant de gagner l'île de la Barbade, dans les Caraïbes…
(Comme toujours, RDV sur le forum du site pour fanarts et photos !)