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Chapitre 2 : Ô Capitaine, mon Capitaine !
14217 mots, Catégorie: T
Dernière mise à jour 08/06/2024 10:32
Dans le chapitre précédent.
Matelots à bord du navire de commerce le Paradise Lost, Aziraphale et son valet Muriel ont été faits prisonniers et amenés à bord du Revenge ou le capitaine Blackbeard compte offrir Aziraphale à son co-capitaine Stede Bonnet.
~*~
Lorsque le second le poussa sur la passerelle en lui assénant une claque sur le derrière pour lui donner de l’élan, Aziraphale poussa un glapissement moyennement viril. Le geste n’avait pas été douloureux bien sûr, mais il avait ravivé l’empreinte de l’humiliation, ancrée en lui, et bien plus définitive que n’importe quelle marque.
Izzy, dans sa grande mansuétude, ne lui laissa pas le loisir de s’attarder sur ses souvenirs :
— Et compte pas sur moi pour te repêcher si tu tombes à l’eau alors fais gaffe où tu mets tes talonnettes, crétin !
Aziraphale lui jeta un regard outré, presque défiant.
— Je me demande si ça ne serait pas préférable à ce que vous me réservez, bande de barbares !
Izzy s'esclaffa. Comme si cet anglais tout pomponné avait la moindre chance si on l'abandonnait en mer ! Il se pencha vers lui, un sourire cruel aux lèvres :
— Et tu feras quoi, une fois tout seul au milieu de l’océan ? Tu donneras des cours de latin aux poissons ?
Aziraphale releva le menton :
— Je prierai pour vos âmes…
— J’aime autant te porter à ce compte-là… répondit Izzy d'un air rogue. Allez avance !
Une fois sur le pont du Revenge, l’Anglais leva la tête et remarqua rapidement le nombre et l’apparence inhabituelle des drapeaux qui flottaient au grand mât. Il se hâta toutefois d’avancer, poussé par Izzy, que sa jambe de bois ne paraissait pas ralentir. L’équipage, occupé à ranger la marchandise, se tourna vers le nouvel arrivant comme un seul homme. L’un d’eux, qui arborait des tatouages étoilés sur le front, s’adressa vivement au second :
— C’est qui celui-là ?
Izzy ne lui jeta pas un regard, tandis qu’il aboyait sa réponse :
— C’est pas tes oignons, Wee John !
— C’est son quatre heures ! s’esclaffa un autre pirate, les bras croisés sur son t-shirt rayé rose et noir.
— Ta gueule Roach, le menaça Izzy de la pointe de son poignard, si tu veux pas te retrouver à bouillir dans tes gamelles !
“Roach” haussa les épaules, pas le moins du monde impressionné.
— Où ils sont les capitaines ? demanda un troisième larron, en faisant rouler un tonneau vers la cale.
— Dans ton cul !
Izzy finit par se retourner vers l'équipage, feignant l'énervement face à toutes ces questions :
— Mêlez-vous de vos affaires, bande de cancanières ! Rentre dans la cabine, toi ! ajouta t-il, à l’adresse de l’Anglais.
— Où est Muriel ? demanda ce dernier par-dessus son épaule, inquiet de ne pas voir arriver son valet.
Izzy soupira.
— Putain tu vas pas t’y mettre aussi ? Il est encore sur le Paradise Lost avec Jim, on partira pas sans eux, t’affole pas princesse…
Lorsqu’il poussa la porte, visiblement fraîchement réparée, menant à la cabine du capitaine, Aziraphale se retrouva face-à-face avec le portrait d'un aristocrate blond. La peinture, en soi, n’avait rien d’exceptionnel, mis à part qu’on distinguait encore très nettement les lacérations qu’elle avait subies, malgré un recollage approximatif. En revanche, le regard avisé d’Aziraphale remarqua avec épouvante d’anciennes traces de sang coagulées dans les arabesques en laiton de son cadre. Il le contourna néanmoins sans s’y attarder pour traverser la coursive, talonné par Izzy.
En ouvrant la seconde porte, il fut surpris par l’impression déconcertante qui se dégageait des lieux, qui avaient, selon toute vraisemblance, connus des jours meilleurs. Des impacts sur les murs témoignaient de la présence d’un pivert apprivoisé, ou plus raisonnablement, de couteaux que l’on aurait lancés de manière rageuse et répétée dans le bois tendre…
L’endroit, s’il avait été richement équipé un jour, ne comportait plus que quelques meubles disparates. La lumière du crépuscule, pénétrant par les fenêtres de poupe, éclairait un canapé qui trônait devant une table basse de fortune, entourée par quelques fauteuils dépareillés, au milieu de la pièce. Les reliefs d’un secrétaire en cours de rénovation jouxtaient un clavecin, placé derrière le canapé. L’instrument semblait par ailleurs être le seul élément de mobilier en excellent état, ce qui contrastait d’autant plus avec le tonneau qui faisait office de tabouret à un éventuel joueur… Deux chandeliers à pieds et un étrange pot de fleurs cabossé y étaient soigneusement disposés sur des napperons aux couleurs vives, qui rappelaient à Aziraphale les drapeaux entraperçus au sommet du mât.
En dépit de la discordance de l’ameublement, la cabine dégageait un charme authentique, sans doute imputable aux nombreux éléments de décorations qui l’ornaient.
Des morceaux de filets de pêche, sur lesquels des coquillages et des coraux fossilisés étaient suspendus, habillaient les murs, en lieu et place d’anciens tableaux. En levant les yeux, Aziraphale eut un pâle sourire en découvrant qu’une fine corde agrémentée de dents de requins, d’hippocampes et d’étoiles de mer séchées, était entrelacée aux branches du lustre qui éclairait la pièce.
Un miroir, entouré d’un cadre en bois flotté, était fixé au-dessus d’une des deux tables demi-lune disposées de part et d’autre du coin chambre, à l'extrémité de la cabine. Sur la table en dessous du miroir étaient étalés plusieurs peignes et brosses, ainsi que des flacons de parfums. L’autre table, quant à elle, était garnie d’un assortiment hétéroclite de dagues, de galets (peints d’étranges runes ?), et de coquilles nacrées de pinctada imbricata, garnies de perles. Une ammonite fossilisée, disposée au milieu de ce mélange improbable, attira l'œil expert d’Aziraphale, qui se promit de l’observer de plus près si Dieu lui prêtait vie…
Un lit était disposé dans la niche du coin chambre, contre deux fenêtres, et protégé par des rideaux qui devaient assurer l’intimité du capitaine lorsqu’ils étaient tirés, ce qui n’était pas le cas. Après un rapide regard circulaire, Aziraphale remarqua plusieurs portes attestant de l’existence de placards ou bien de pièces adjacentes.
La cabine, en dépit de son délabrement partiel, était de toute évidence aimée et choyée par son propriétaire. On s’y sentait bien. Jamais Aziraphale n’avait ressenti cet aspect chaleureux et confortable sur le Paradise Lost, ni sur aucun autre navire qu’il avait emprunté ! A la fois perplexe et mal à l’aise à l’idée d’envahir l’intimité du maître des lieux, il se fit le plus discret possible.
— Tu restes là ! ordonna simplement Izzy, avant de faire demi-tour en claquant la porte derrière lui, sans plus de cérémonie.
Le souffle court, Aziraphale, aux abois, tenait toujours fermement sa besace contre lui. Il n’entendit aucun verrou s'enclencher pour l’enfermer dans la pièce, toutefois, et il lui semblait être temporairement en sécurité maintenant qu’il était seul. Il attendit que les bruits de la jambe de bois du second s’éloignent, et que la deuxième porte, donnant sur le pont principal, se claque également, pour s’autoriser à relâcher son souffle. Une fois que les battements de son cœur se firent moins soutenus, il lâcha son lourd sac, dont la bandoulière se tendit sous le poids des livres. Il le bascula ensuite machinalement contre sa hanche droite et se frotta les mains dans un geste compulsif visant autant à détendre ses doigts, qu’à canaliser ses angoisses. Alors qu’il caressait instinctivement la chevalière en or qu'il portait à l’auriculaire de sa main droite, il se fit la remarque qu’il était étonnant qu’on ne l’en ait pas encore dépossédé et se demanda s’il n’aurait pas tout intérêt à la cacher quelque part.
Mais où…?
S'aventurant de quelques pas hésitants au cœur de la cabine, son idée de trouver une cachette pour sa bague l’abandonna aussitôt qu’il se tourna sur sa droite. En face de la petite banquette se trouvait une profonde alcôve abritant une majestueuse cheminée entourée d’une imposante bibliothèque. Un lustre en bronze à huit branches était suspendu au centre du renfoncement qui avait dû être, à une époque pas si lointaine, encadré par des rideaux, comme en témoignaient les embrasses en macramé qui pendaient toujours aux patères. Quelques braises fumaient encore dans l’âtre, participant à l’atmosphère douillette qui émanait de l’endroit et qui enchanta immédiatement Aziraphale.
Il tendit l’oreille et, n’entendant aucun son pouvant trahir la venue de quelque pirate que ce soit, s’approcha des étagères pour en inspecter le contenu. Elles n’étaient malheureusement pas saturées, à l’image de la pièce, néanmoins quelques ouvrages y étaient soigneusement disposés par leur propriétaire et il ne put s’empêcher d’en examiner le dos.
Il fut agréablement surpris en découvrant Fragmenta Aurea de John Suckling, The Swisser d’Arthur Wilson ou encore The whole book of Job paraphrased de George Abbot. Quelques livres français figuraient également en bonne place sur les étagères, parmi lesquels Le Cid de Corneille et Les fables de La Fontaine, mais Aziraphale ne s’attarda pas dessus, car les ouvrages n’étaient pas traduits. Il n'avait jamais été très doué en français, sans doute à cause de la sévérité de son précepteur, Monsieur Rossignol, durant sa jeunesse…
En levant les yeux, il aperçut alors un livre de Samuel Wesley qu’il affectionnait beaucoup et qu’il ne pensait jamais trouver à bord d’un bateau pirate, The life of our blessed Lord and Savior ! Abandonnant toute réserve, il attrapa l’ouvrage avec précaution, pour ne pas dire affection, et s’assit sur le canapé en posant sa besace à côté de lui. Il remarqua alors un cahier relié de cuir, ouvert, posé au milieu de la table-basse. La page de droite ne comportait que la date du jour, soigneusement calligraphiée : Mercredi 2 août 1719. Aziraphale jeta un œil à la première page du cahier pour y lire “Journal de bord du Capitaine Stede Bonnet”, puis décida de le replacer sans en lire le contenu, préférant reporter son attention sur l'œuvre de Wesley.
Il poussa un soupir de contentement en feuilletant l’ouvrage, dont sa dernière lecture remontait à plus d’une décennie maintenant… Alors qu’il tournait les pages du livre, en même temps que celles de son passé, un flot de souvenirs lui parvinrent, comme transmis par l’odeur de l’encre sur le papier. Egaré dans une cacophonie d’images et de sons, qu’il avait pourtant tenté d’étouffer dans les méandres de sa mémoire, il n’entendit pas les bruits de bottes qui s'approchaient, en provenance de la coursive. Ce n’est que lorsque la porte s’ouvrit qu’il s’extirpa violemment de ses souvenirs et se leva d’un bond, le livre toujours dans ses mains.
Face à lui, un homme blond, qu'il reconnut comme étant celui du portrait raccommodé de l'entrée, vraisemblablement âgé d'une vingtaine d’années de plus que lui, s’immobilisa aussitôt après avoir refermé la porte et le fixa d'un regard vif et étonné. Richement vêtu d’une longue veste en brocart de couleur aigue-marine, avec un gilet et des culottes assorties, il portait un tapis “manufactures Brown” roulé sur son épaule droite. Après un bref moment, l'homme se reprit en secouant la tête et s’approcha tranquillement pour venir jeter son fardeau devant la bibliothèque, faisant sursauter Aziraphale. Il se tourna ensuite vers lui et avança vers le canapé, mais malgré le sourire qu’il arborait, Aziraphale recula de plusieurs pas.
— Ce tapis sera parfait ici, qu’en pensez-vous ?
Voyant qu'Aziraphale ne répondait pas et le fixait d'un air inquiet, il continua, tentant de le rassurer :
— Eh bien, je vois que vous avez trouvé de quoi lire ! Quel plaisir de voir un homme instruit qui apprécie la littérature anglaise… Samuel Wesley, n’est-ce pas ? demanda l’homme, en pointant le livre.
— J… Je, euh… Oui, pardonnez-moi ! balbutia Aziraphale, en se rapprochant pour déposer rapidement le livre sur la table basse, avant de reculer à nouveau, tordant ses doigts anxieusement.
L'homme sourit à nouveau, deux fossettes creusant chacune de ses joues.
— Il ne faut jamais s’excuser de lire, c’est une activité des plus saines, à laquelle je m’adonne chaque jour ! Capitaine Stede Bonnet ! se présenta t-il, en s’approchant d’un pas vif pour lui tendre la main.
Fasciné autant qu’effrayé, Aziraphale recula davantage en fixant la main du capitaine de ses yeux ronds. Stede la retira aussitôt :
— Ahem… Ed devrait certainement être ici pour faire les présentations d’usage et peut-être m'expliquer la raison de votre présence sur ce navire, mais l’équipage l’a retenu sur le pont pour fêter l’abordage. Je crois qu’ils ont organisé une course en sac… Puis-je vous demander votre nom, très cher ?
Ne sachant trop sur quel pied danser, surprit de la réaction amicale et enjouée de l'homme debout devant lui, le jeune anglais bégaya :
— Je… Hum… Naturellement… Je m’appelle Aziraphale .
— Le nom d’un ange, n’est-ce pas ? Le sourire avenant de Stede ne quittait pas son visage et ses yeux pétillaient de bienveillance. Aziraphale comment ?
— Aziraphale tout court, euh… Je… Je ne sais pas trop comment je dois vous appeler…
Il hésita.
— Maître ? demanda-t-il, dans une grimace qui trahissait son appréhension, autant que son dégoût.
Stede eu un mouvement de recul, ses sourcils se froncèrent :
— Maître ? Grands dieux, non ! Être un pirate ne fait pas de moi un monstre ! Je n’ai jamais possédé d’être humain, cela va à l’encontre de mes convictions les plus profondes ! s’offusqua-t-il.
— Le, euh… Le capitaine Blackbeard souhaitait m’offrir à vous… Si j’ai bien compris…
Stede ouvrit des yeux ronds.
— Ed ? Vous avez dû mal comprendre ! Quoique…
Il eut l'air de réfléchir.
— Hum, Ed manque parfois de manières, veuillez m’excuser pour ce malentendu, j’en parlerai avec lui ! Il va de soi que nous vous débarquerons dans le prochain port où nous mouillerons avec une compensation financière… Ce ne sera toutefois pas avant quelques semaines, nous avons désormais suffisamment de provisions pour partir faire une campagne d’abordages au large…
Un espoir timide commença à naître dans la poitrine d'Aziraphale. Il fit un pas vers Stede.
— Merci, oh… Merci ! Je… Mon valet a lui aussi été, euh… Réquisitionné…
Stede balaya sa réponse du revers de la main. Le sourire était revenu illuminer son visage.
— Il sera libéré en même temps que vous, n’ayez crainte ! Mais vous devez être affamé, que diriez-vous de partager un bon repas avec l’équipage pour me faire pardonner ? Roach est en cuisine depuis tout à l’heure, nous allons nous régaler !
L'enthousiasme soudain du Capitaine prit Aziraphale au dépourvu, et, bien que la proposition d'un bon repas l’enchantait au plus haut point, le jeune homme préférait rester prudent et ne pas laisser tomber sa garde trop vite. Après tout, il était sur un bateau pirate, ça pouvait très bien être une ruse…
Il hésita :
— Vous êtes trop bon pour moi Capitaine, mais je préfèrerais, euh… Me reposer, si vous le permettez ?
— Bien évidemment ! Laissez-moi vous conduire à ce qui sera votre logement pour les semaines à venir, je connais l’endroit parfait !
Alors que l'homme se dirigeait vers la porte à longues enjambées sautillantes, Aziraphale récupéra sa besace et, la cramponnant à nouveau contre lui, emboîta alors le pas de Stede vers le pont principal, où régnait l’effervescence.
La nuit était tombée depuis peu, mais l’équipage, manifestement déjà bien éméché, ne prêta aucune attention aux deux hommes qui traversaient le navire pour se diriger vers les cuisines. Malgré ses efforts pour chercher Muriel du regard, Aziraphale ne put distinguer que de vagues silhouettes dans la pénombre et la confusion qui régnaient sur le pont… Il jeta un dernier regard inquiet vers les hommes qui riaient et se chahutaient, avant de s'engouffrer à nouveau dans le bateau.
Arrivés dans la cuisine déserte, où régnait une appétissante odeur de poisson frit, Stede se pencha sous un des plans de travail, et, sous le regard abasourdi d’Aziraphale, écarta les portes du placard en déclarant fièrement :
— Tadaaa !
Aziraphale lui jeta un regard circonspect. Espérait-il vraiment le faire entrer là dedans?
— Un… Un placard ?
Il jeta un œil inquiet au reste de la cuisine, s'attendant presque à voir surgir le cuisinier, se jeter sur lui et le découper en tranches. Peut-être se servaient-ils de ce placard comme garde-manger…?
Stede rit.
— Non, une pièce secrète ! rétorqua-t-il.
— Oh !
Le Capitaine attrapa une lampe à huile pendant du plafond de la cuisine et lui fit signe de s’approcher .Aziraphale, méfiant, se pencha légèrement en avant, et découvrit avec surprise qu’en effet, une vaste remise sans fenêtres se trouvait là, dissimulée sous le plancher. Le capitaine s'engouffra dans la pénombre. Aziraphale hésita, prit une grande inspiration, et finit par le suivre. Après avoir descendu lentement les quelques marches derrière Bonnet, se retournant parfois pour être sûr que personne ne refermait le placard derrière lui, il se retrouva au milieu de la pièce secrète.
Sombre, l'endroit était encombré par quelques caisses, des tonneaux et une réserve de cordages, mais il y avait suffisamment d’espace pour ne pas avoir l’impression d’étouffer. A sa grande surprise, il pouvait s'y tenir debout, et il discerna même un lit dans le fond, recouvert de couvertures et de tissus en tous genres.
Stede s’immobilisa au milieu de la pièce et planta sa main libre sur sa hanche, un air ravi illuminant son visage, comme s’il lui faisait visiter un palace…
— Même si l’existence de cette pièce n’est plus un secret pour personne, vous aurez au moins un peu d’intimité ici, Aziraphale !
Il tendit le bras vers le fond de la pièce :
— Il n’y a pas de fenêtres, mais il y a là un stock suffisant de bougies et de lanternes, ne vous inquiétez pas. Le lit est propre, Jim avait changé les draps après y avoir amputé Izzy, et personne n'y a dormi depuis…
Il hésita, renonçant à finir sa phrase :
— Je reviens !
Le temps qu’Aziraphale assimile l’information en jetant un regard horrifié vers le lit en question, Stede avait remonté le petit escalier, farfouillé bruyamment à l'étage, dans la cuisine, et était déjà de retour. Il tenait une assiette contenant du poisson, un morceau de pain, une cuillère et un petit bol dans une main et toujours sa lanterne de l’autre. Il déposa le tout sur une caisse. Le repas, sous ses airs très simples, sentait merveilleusement bon. Stede releva les yeux vers lui :
— Mes hommes sont devenus de grands admirateurs de bouillons asiatiques, j’espère que vous aimerez ça ! expliqua-t-il sur un ton d’excuse, les fossettes creusées par un nouveau sourire bienveillant.
Se secouant légèrement, Aziraphale se redonna une contenance :
— Oh, je… Ce sera parfait, merci encore Capitaine !
Pensant soudain à Muriel, il hésita :
— Euh… Ce Jim, est-ce bien celui qui s’occupe de mon valet ? demanda-t-il, d’une voix inquiète.
Un air ravi s’empara de Stede :
— Il n’y a qu’un seul et ô combien unique Jim sur ce navire !
Il soupira d’aise, avant de poursuivre :
— Eh bien je vous souhaite une bonne nuit Aziraphale ! Vous êtes évidemment libre de circuler comme bon vous semble sur le Revenge. Nous nous reverrons demain, bienvenue à bord !
Et sur ces mots, Stede remonta de nouveau les quelques marches. Aziraphale le suivit jusqu'à la petite porte du plan de travail.
— Euh… Merci, bonne nuit Capitaine !
Mais celui-ci était déjà retourné sur le pont de son pas sautillant.
Après avoir soigneusement refermé la porte du réduit après le départ de l’étonnant capitaine Stede Bonnet, Aziraphale laissa échapper un grand soupir de soulagement. À pas prudents, il inspecta son nouveau domaine et vérifia l’absence de morceau de jambe dissimulé dans les couvertures. Rassuré, il posa ensuite sa besace au pied d’une large caisse, qu’il pourrait aisément transformer en bureau dans les jours à venir, puis, affamé, s’assit sur un tonneau et contempla l’assiette de poisson en soupirant. Il la prit entre ses mains, la porta à son nez et tenta de discerner une quelconque odeur suspecte, mais le délicieux parfum qui se dégageait du plat rustique exacerba plus son appétit qu'autre chose. Ça avait l'air très bon, et il avait très faim…
Il reposa l'assiette, prit la cuillère et le petit bol, et goutta du bout des lèvres le breuvage. Sa gorge laissa échapper un petit gloussement de surprise et il fixa le simple bouillon, à l'apparence fade, qui tournoyait dans le récipient. C'était absolument délicieux. Une pensée lui traversa l'esprit, au moins, s'ils tentaient de l'empoisonner, il mourrait sur le souvenir d'un excellent dîner… Il sourit et entreprit de finir son assiette, profitant de chaque bouchée.
Alors qu’Aziraphale se délectait de ce qui, peut-être, serait son dernier repas, il réfléchit à sa situation. Le capitaine semblait honnête, aussi tentait-il de se rassurer en se disant que Muriel ne courait aucun danger au sein de l’équipage, en espérant qu’il soit plus à l’image de Bonnet que ce Jim, apparemment enclin au découpage de membres humains… Il essaya de se raisonner pour calmer la bouffée d’angoisse qui menaçait de le submerger.
Ils n’avaient que quelques semaines à tenir…
Dans un bateau pirate.
Entouré par des pirates.
Avec des dégénérés comme Ed, Izzy et Jim en liberté.
Ô Seigneur…
Il se signa plus que nécessaire en récitant le Bénédicité :
— Pitié, Seigneur, protégez-nous pendant les semaines à venir, surtout Muriel ! Je Vous en prie, entendez ma prière si cela doit être ma dernière volonté, Faites que le capitaine tienne parole et le relâche sain et sauf, peu m’importe le sort que Vous me réservez…
Il se mit ensuite à chanter, le plus faiblement possible, pour n’attirer l’attention de personne. Il se devait de faire profil bas s’il espérait survivre parmi ces hommes sans foi, ni loi…
— Benedic Domine, nos et haec tua dona, quae de tua langitate sumus sumpturi. Per Christum Dominum nostrum. Amen. In nomine Patris, et Filii, et Spiritus Sancti. Amen.
* * *
Pendant qu’Aziraphale mangeait avec reconnaissance le contenu de son assiette, l’esprit troublé par la peur et la culpabilité, La Mouette quittait l’obscurité de son sac en toile de jute.
Elle fut placée dans une cage en bois par des mains puissantes, aux longs doigts terminés par des ongles entièrement noirs, qui la manipulaient avec délicatesse. Un peu étourdi, l’oiseau tenta de pincer la main de l’homme alors qu'il déposait une poignée de graines et de pois secs à son attention. Ce dernier anticipa son attaque et retira sa main dans un geste vif, faisant tintinnabuler les breloques de la rangée de bracelets qui ornait son mince poignet.
Dans l’obscurité de la pièce, La Mouette ne distinguait pas le visage de l’homme, qui lui murmura :
— Calme-toi, mon amie ! Tu ne resteras pas longtemps dans cette cage, je te le promets…
Il se mit ensuite à chantonner et après quelques cris de protestations, La Mouette se laissa bercer par la douce mélodie. Apaisée par la voix envoûtante de l’homme, elle décréta une trêve et accepta de se nourrir, résignée, dans l’attente du lendemain…
* * *
Aziraphale se réveilla en sursaut, après une courte nuit agitée et peuplée de cauchemars dans lesquels des pirates sanguinaires lui coupaient les jambes pour l’obliger ensuite à participer à une course en sac… Il prit une profonde inspiration, essayant tant bien que mal de calmer son cœur qui battait la chamade, puis ouvrit les yeux. Il faisait sombre dans la cabine, mais là-haut, au bout des quelques marches, un fin rai de lumière lui apprit que le jour était levé.
Il s'assit sur son lit, essayant de discerner le contour des objets autour de lui. Une fois ses yeux acclimatés à l’obscurité, il posa ses pieds au sol et ses yeux se posèrent sur le mur, juste au-dessus de la tête du lit et il fronça les sourcils en remarquant que le bois n’était pas lisse. Il passa la main sur le petit trou, son doigt entrant en contact avec ce qui semblait être une petite bille en métal figée dans le mur. Un impact de balle, juste au-dessus du lit. Il se leva d’un bond, soudain parfaitement réveillé !
Il avait dormi tout habillé, aussi ne perdit-il pas de temps pour monter les quelques marches, se poster derrière la porte du réduit et tenter d’écouter ce qui se passait dans la cuisine.
Des bruits familiers de casseroles et un crépitement de flammes s’entendaient très clairement, de même que le sifflement décontracté d’une personne qui semblait faire les cent pas. Redescendant sur la pointe des pieds, il hésita un instant, puis opta pour cacher sa précieuse besace sous le matelas de fortune de son lit, soigneusement enveloppée dans une couverture. Après avoir lissé ses vêtements et passé une main dans ses cheveux pour tenter de discipliner ses boucles platine, il prit son courage à deux mains et écarta la porte du “placard” pour s’extraire de la sécurité toute relative de sa cabine.
Il reconnut l'homme occupé à empiler des gamelles sur une étagère, comme celui l’ayant qualifié de “quatre heure” du second la veille. Un cigarillo aux lèvres, le pirate, qui portait maintenant un tablier crasseux par-dessus son t-shirt à rayures, ne sembla pas surpris de voir quelqu’un émerger du placard. Il cessa toutefois son activité pour croiser ses bras sur sa poitrine et l’observer de la tête aux pieds. Le soleil, levé depuis peu, baignait la pièce d’une douce lumière et éclairait la chevelure aux frisottis noirs et désordonnés qui s'épanouissaient autour de son visage fin, à la peau sombre, qui luisait déjà de transpiration malgré l’heure matinale.
Tandis qu’il faisait l’objet d’un examen approfondi, le regard d’Aziraphale s’égara sur la table et les plans de travail de la cuisine. Ils regorgeaient de denrées alimentaires, ainsi que d’une vaisselle rudimentaire, qui, à défaut d’être raffinée, avait le mérite d’être propre .
— Azirapla, c’est ça ? demanda brusquement le pirate, le faisant sursauter.
Il se tourna de nouveau vers le pirate et répondit tout de go, malgré sa voix mal assurée :
— Aziraphale ! Je… On vous a parlé de moi ?
L’homme eut un petit sourire en coin en attrapant son hachoir pour s’attaquer à la découpe des pommes de terre :
— Tout le monde parle de toi depuis hier !
Aziraphale ne pouvait s'empêcher de fixer du regard l’énorme couteau que le cuisinier maniait avec dextérité. Il avait l’air très très affûté…
— Ah… Ah bon ?
— Ouais ! T’étais censé être le nouveau jouet du capitaine Bonnet ou je sais pas quoi ? Il était pas content hier, il a passé un savon au capitaine Blackbeard et il nous a dit d’être gentils avec toi, mais tout le monde était déjà trop bourré je crois…
Aziraphale fit un petit pas hésitant vers l’homme :
— Pas vous en tout cas… Roach, c’est bien ça ? demanda-t-il, en offrant sa main.
Le pirate, surpris, arrêta sa découpe et la saisit sans hésiter, en lui offrant un sourire franc :
— Lui-même ! Le Coq (1) de ce navire… T’as faim ? demanda-t-il.
Il parlait d’une manière assez bourrue, avec un accent qu’il n’arrivait pas trop à situer, mais son ton amical finit par le mettre à l’aise et Aziraphale sentit ses épaules se détendre légèrement.
Il sourit au cuisinier :
— Eh bien j’avoue que je mangerais bien un petit quelque chose…
— Tu m’étonnes ! rigola Roach en mettant une tape sur le ventre rebondi d’Aziraphale, avant de retourner vers le plan de travail.
Surpris par ce geste, les joues rouges cramoisies, l’Anglais, qui n’avait pas l’habitude d’une telle familiarité, fixait le pirate avec des yeux ronds, sans bouger. Ce dernier finit par se retourner, un pichet fumant à la main :
— Ben assis-toi, qu’est-ce que t’attends ? Café ? Je demande, mais de toute façon y'a que ça ici…
Aziraphale n’aimait pas le café. En bon Anglais qu’il était, il préférait largement le thé, mais il n’osa pas refuser l’offre charitable de Roach, d’autant que le pichet dégageait une odeur réconfortante ! Une fois qu’il fut installé à table, le pirate lui versa la boisson chaude dans une tasse, avant de pousser vers lui un plat qui s'avéra être une carapace de tortue retournée. Le curieux ustensile était garni de fruits aux couleurs éclatantes et à l’odeur alléchante. Aziraphale jeta son dévolu sur une sapotille et une carambole, qu’il coupa en morceaux grâce à un des couteaux qui traînaient sur la table, après l’avoir essuyé avec son mouchoir.
— Je vais te donner du pain aussi, bouge pas…
Il alla farfouiller dans un des placards de la cuisine et revint avec une miche de pain noir dont il coupa une bonne tranche avant de la tendre à Aziraphale. Celui-ci la prit et fut surpris de constater que le pain, à la croûte épaisse et à la mie moelleuse, semblait frais du jour. Il fit croustiller la tranche entre ses mains et en avala une bouchée avec délice. Il releva les yeux sur Roach, qui le regardait d’un air fier.
— Merci, c'est délicieux !
Roach reprit son hachoir, un sourire au coin des lèvres :
— Mange autant que tu veux tant que tu es à la cuisine l’ami, mais je préfère te prévenir que les autres sont pas très chauds à l’idée d’avoir une bouche de plus à nourrir !
— Plutôt deux bouches de plus… tenta Aziraphale, en interrompant sa dégustation et en lui jetant un regard à la dérobée.
Roach haussa les épaules :
— Muriel c’est pas pareil, il nous aide déjà ! Il était debout à l’aube avec Jim pour nettoyer le pont !
A l'évocation du nom de son valet, Aziraphale, bien que vexé, fut soulagé d’apprendre que celui-ci semblait bien traité, voire encouragé à prendre part à l'entretien du navire. Il rétorqua :
— Je peux vous aider moi aussi, je suis un bon marin !
Roach observa Aziraphale de haut en bas et eut un petit ricanement moqueur :
— Ouais… Ben tu verras ça avec Izzy… répondit-il, clairement perplexe.
Aziraphale mâchouilla son pain en silence un moment, puis, se remémorant ses premiers pas sur le navire, il se racla la gorge avant de continuer :
— Izzy… Je n’ai pu m’empêcher de remarquer que l’équipage semble bien familier avec votre supérieur. J’avoue qu’en dix ans de voyages, je n’ai jamais rien vu de tel !
Roach le fixa, un large sourire aux lèvres, les yeux pétillants et, sur le ton du secret, comme s’il allait lui faire la plus grande révélation qui soit, il se pencha vers lui et répondit :
— Ca mon ami, c’est parce que le Revenge est bien plus qu’un bateau, c’est une maison ! Et l’équipage, une famille…
Après ces quelques mots surprenants, le Coq se redressa et s’en retourna à la confection du prochain repas de l’équipage. Il ne prêta plus attention à lui jusqu’à ce qu’il débarrasse son couvert :
— Y a un petit baquet d’eau avec un bout de savon dans la pièce d’à côté et aussi un coupe-chou au cas où tu ferais attention à ton hygiène corporelle… Les autres seaux bah… C’est pour le reste ! ajouta-t-il, avec un clin d'œil appuyé.
* * *
Après une toilette et un rasage rudimentaire, tout en priant Dieu de ne pas attraper une quelconque infection, Aziraphale jouissait d’une détermination toute nouvelle. Il avait la ferme intention de retrouver Muriel, puis de prouver qu’il pouvait, lui aussi, justifier sa place sur ce bateau de fous, le temps d’être débarqué parmi des gens civilisés ! Il traversa donc le dédale de pièces adjacentes à la cuisine d’un pas décidé pour se rendre sur le pont.
Mais le décor n’était plus le même que la nuit précédente et il eut tôt fait de s’égarer…
Il comprit qu’il était dans la portion du navire réservée aux chambres de l’équipage lorsqu’il poussa une porte et se retrouva face à un lit. Soucieux de préserver l’intimité du ou des occupants de l’endroit, il s’empressa de faire demi-tour, mais ce faisant, son regard se posa sur le mur à sa droite. Le sabord de la chambre était ouvert et les rayons du soleil éclairaient une sorte de fresque peinte sur le bois, représentant un énorme portrait entouré par d’autres, plus petits.
Aziraphale s’approcha doucement, et observa la fresque pendant un long moment.
Passant sa main sur le mur de bois, il se rendit compte que le dessin avait été fait au fusain et même si le trait aurait mérité un peu plus d’exercice ou de maîtrise, il identifia quelques membres de l’équipage sans peine, ainsi que le capitaine Bonnet. D’autres visages, en revanche, lui étaient parfaitement inconnus. Tous arboraient des sourires à la limite du ridicule et lorsqu’il reconnu Blackbeard, la tête curieusement dessinée sur un corps de lion, il fut convaincu d’avoir atterri au beau milieu d’un asile à voiles.
Il recula, jetant un dernier regard à l’étrange dessin et alors qu’il allait continuer son chemin, un des portraits, un peu à l’écart des autres, attira son attention. C’était un homme au visage fin, en partie dissimulé par de grandes mèches oranges. Seul un de ses yeux étaient nettement visible sur le dessin et Aziraphale remarqua immédiatement que sa pupille était fendue, à la manière des reptiles, et que son iris était jaune. Ce portrait était le seul de toute la fresque à comporter de la couleur, comme si l’artiste avait voulu le différencier des autres de par ses attributs peu communs.
Aziraphale porta machinalement ses doigts sur le portrait, qu’il fit courir sur l’abondante chevelure, comme pour tenter d’écarter les mèches dissidentes qui lui cachaient la vue de ce mystérieux visage… Au bout de quelques minutes de contemplation, il sortit de sa rêverie, secouant machinalement la tête en se souvenant qu’il avait un Plan ! Ce n’était pas le moment de s’attarder sur cette fresque, ni sur ce visage, si curieux soit-il.
A l’autre extrémité des quartiers de l’équipage, le passager-malgré-lui fut soulagé de trouver l’accès au pont du Revenge. Il accueillit avec reconnaissance les embruns qui lui chatouillèrent le visage, ainsi que la douce chaleur du soleil sur sa peau lorsqu’il foula le pont, effectivement nettoyé de frais ! Plusieurs hommes s’y affairaient, dans une apparente bonne humeur qui s’évapora aussitôt qu’ils remarquèrent sa présence… Frottant ses mains moites sur ses culottes, Aziraphale s’approcha d’un pas feignant l’assurance vers l’homme au tonneau de la veille. Ce dernier discutait à voix basse avec un homme noir que l’Anglais aurait qualifié de “bien en chair”, qui portait un curieux bonnet de laine sur le haut du crâne. Les deux hommes, armés de cannes à pêche, se tenaient penchés par-dessus le bastingage, lui tournant ostensiblement leurs dos.
Sans se départir de son apparente confiance, il se planta derrière eux en toussotant dans son poing :
— Ahem… Excusez-moi, messieurs. Je me présente, Aziraphale ! Votre capitaine, Monsieur Bonnet, m’a autorisé à déambuler sur le bateau et je souhaiterais en profiter pour parler à mon valet s’il vous plaît… Il s’appelle Muriel…
Aucun des deux hommes ne se retourna ni ne lui répondit. Il pointa son doigt vers l’un d’eux.
— Frenchie, c’est bien cela ? ajouta-t-il.
Toujours aucune réaction.
Aziraphale se pencha alors sur les deux seaux aux pieds des pirates. L’un contenait des dorades de petits gabarits, tandis que l’autre grouillait de touloulous, ces petits crabes des Caraïbes à la carapace rouge et noire. Croisant ses bras dans son dos, il poursuivit son monologue :
— Les dorades de belle taille se laissent plus facilement attraper avec des morceaux de calamars !
“Frenchie” tourna lentement sa tête pour fixer son camarade, puis daigna enfin se retourner, l’air intéressé :
— Des morceaux de calamars, tu dis ?
Aziraphale hocha frénétiquement la tête, avec un sourire qu’il espérait assuré aux lèvres :
— C’est imparable ! Et cela vous économiserait du temps, de l’énergie et des appâts…
Clairement dubitatif, le pirate lui tendit néanmoins sa main libre :
— Frenchie, c’est bien ça !
Il lui serra la main, puis s’adressa vers son voisin, qui s’était lui aussi légèrement retourné :
— Ma parole, le capitaine Blackbeard avait raison, il a trouvé un singe savant sur le Paradise Lost ! Qui aurait crû que ce bateau chiant à mourir contenait quelque chose d’intéressant…
Un peu offensé par cette remarque, Aziraphale se tourna vers le deuxième homme et lui tendit la main. Ce n’était pas parce qu’il était entouré de forbans, doublés de malotrus, qu’il devait en oublier la bienséance ! Le partenaire de pêche de Frenchie posa sa canne pour le saluer à son tour vigoureusement. L’homme avait un visage des plus sympathiques et il s’avéra que ses paroles le furent tout autant :
— Ne fais pas attention à lui ! Oluwande Boodhari, mais tout le monde m’appelle Olu ! Muriel est avec Jim sur le gaillard d’arrière, ajouta-t-il d’un vague mouvement de bras vers la poupe. C’est à l’arrière du bateau ! précisa-t-il
— Enchanté ! Et merci ! Et… Je sais très bien où se trouve un gaillard d’arrière, je suis marin depuis une dizaine d’années !
— Ouais… Bien sûr… commenta Frenchie, un sourire amusé aux lèvres tandis qu’il détaillait Aziraphale des pieds à la tête.
Abandonnant les deux comparses à leur partie de pêche en soupirant d’agacement, l’Anglais croisa encore quelques pirates sur le chemin de la poupe. A chaque fois il se présentait, mais aucun d’eux ne lui adressa la parole en retour. S’approchant du gaillard d’arrière, il reconnut enfin la silhouette de Muriel et en fut si soulagé qu’il fut se contrôler pour ne pas courir jusqu’à lui ! Celui-ci discutait avec un autre homme, plutôt maigrichon, tout en évacuant les eaux sales par-dessus bord et, concentrés sur leur tâche, ni l’un, ni l’autre ne le virent arriver. Le fameux Jim avait un visage fin et farouche, complètement imberbe, surmonté par des cheveux, épais sur le dessus, mais rasés sur les côtés de son crâne, laissant voir ses boucles d’oreilles. Aziraphale n'entendait pas la conversation animée qu’il semblait avoir avec Muriel, mais celui-ci avait l’air décontracté et attentif. Lorsque qu’il se rapprocha et que “Jim” se mit à crier d’un timbre clair, à la voix plutôt haut perchée, Aziraphale sursauta.
— C’est cet hijo de puta de Calico Jack qui a fait ça !
— Muriel ! interrompit l’Anglais, incapable de plus de retenue.
Les deux jeunes hommes se retournèrent en même temps et le visage de Muriel, aux boucles aussi brunes que celles de Jim, s’illumina d’un sourire radieux. Il lâcha immédiatement son seau et s’approcha vivement de lui, en parlant à voix basse, d’une voix flûtée, qui contenait mal son émotion :
— Aziraphale !
Aziraphale le prit par les épaules, un grand sourire rassuré aux lèvres, et un flot de paroles jaillit de sa bouche, alors qu’il le secouait légèrement :
— J’étais si inquiet ! Je suis désolé de t’avoir embarqué là-dedans, pardonne-moi ! T’ont-ils bien traité ?
Muriel le rassura, un grand sourire aux lèvres :
— Oui… Tout le monde est très gentil avec moi !
— As-tu mangé ? Bu ? Dormi ? demanda l’Anglais, en inspectant son valet, le faisant tourner sur lui-même entre ses mains.
— Oui, oui et oui ! répondit Muriel, en rigolant.
Il observa à son tour Aziraphale :
— Et toi ? Je m’inquiétais de ne pas te voir hier soir, à la fête…
Aziraphale eut un petit sourire bienveillant :
— Le capitaine Bonnet y a veillé, oui ! J’ai préféré m’isoler plutôt que souper avec l’équipage qui m’avait semblé plutôt… Hostile ! ajouta-t-il, en regardant Jim.
Celui-ci se contenta de le regarder, lâchant un crachat par-dessus le bastingage.
Muriel suivit son regard, puis se tourna à nouveau vers lui :
— Oh non, ils sont adorables !
Aziraphale pinça les lèvres, le regard un peu triste.
— Avec toi, peut-être… Mais c’est l’essentiel ! se reprit-il, avec un sourire soulagé.
— Viens, je vais te présenter Jim, il est génial ! s’enthousiasma Muriel en le tirant par le bras.
— Si tu le dis…
Le valet faisait déjà mine de s’éloigner lorsqu’Aziraphale le retint, d’une main sur l’épaule, pour lui chuchoter d’une voix préoccupée :
— Fais bien attention, Muriel ! Aussi sympathiques que puissent te paraître ces gens, ils ne doivent rien découvrir… N’oublie pas que ce sont des pirates et qu’ils n’hésiteront pas à nous vendre au plus offrant s’ils en ont l’occasion !
Le jeune homme se tourna vers lui et l’observa un moment :
— Je sais, Aziraphale… Mais ça fait plus de dix ans maintenant, je doute qu’on nous cherche encore, tu sais… répondit-il, avec un sourire épuisé.
— Nous ne pouvons pas en être sûrs ! D’autre part il n’y a pas que notre identité que nous devons cacher, tu dois te montrer très vigilant, encore plus que moi !
Muriel posa les mains sur ses épaules, se voulant rassurant. Aziraphale savait que son côté protecteur pouvait être étouffant parfois, mais il ne voulait courir aucun risque. Il ne savait que trop ce qu’ils risquaient s’ils venaient à être découverts…
— Je le serai, tu as ma parole !
— Très bien… souffla Aziraphale qui finit par le suivre.
Lorsqu’ils arrivèrent au niveau du pirate, ce dernier, à l’instar des autres, dévisagea le nouveau venu d’un œil attentif.
— Jim, je te présente mon patron, le naturaliste, monsieur Aziraphale. Monsieur Aziraphale, voici Jim !
— Santa madre de dios, je me demande bien pourquoi on ne t’a pas déjà balancé par-dessus bord…
Surpris par l’évocation enthousiaste de la Sainte Vierge, Aziraphale eut un mouvement de recul :
— P… Pardon, mais sachez que cela n’a rien à voir avec Elle, mais plutôt avec votre capitaine, jeune homme ! Et j’ai bien l’intention de participer activement aux tâches de ce navire, tout comme Muriel, même si j’y suis retenu contre mon gré.
Il regarda attentivement autour de lui :
— A ce propos, où puis-je trouver le second, je vous prie ?
Jim lui répondit en tendant le bras devant lui :
— Au pied du mât de misaine, il sera ravi de te voir ! répondit-il, un sourire amusé éclairant son visage mutin.
Aziraphale suivit son geste du regard, puis se tourna à nouveau vers Jim :
— Fort bien, je vous remercie ! Muriel, nous nous reverrons plus tard, souviens-toi de ce que je t’ai dit… Bonne journée, Jim ! salua-t-il, d’un signe de main amical.
Traversant la longueur du bateau dans le sens inverse, Aziraphale ne prêtait plus attention aux regards appuyés sur son passage. Il commençait à faire chaud, aussi dénoua t-il la cravate en soie ornant son cou et déboutonna-t-il le haut de sa chemise en marchant, essuyant avec le bout de tissu la sueur qui commençait à poindre sur sa gorge et le haut de son torse, parsemé de poils aussi clairs que ses cheveux. Il rangea ensuite sa cravate dans la poche de ses culottes et continua son chemin vers le mât de misaine. La proue du Revenge était déserte, à son plus grand soulagement. Seul le second lovait les cordages au niveau du râtelier, au pied du mât. L’oreille attentive de l’homme, dont la jambe de bois était curieusement peinte, se tendit à l’approche du nouveau passager :
— Si tu viens me faire la messe, je t’accroche sous le beaupré pour faire de toi notre nouvelle figure de proue ! annonça t il sans même lever les yeux.
— Bien que je me soucie de votre salut monsieur Izzy, ce n’est pas la raison de ma présence, répondit Aziraphale, en s'arrêtant devant lui et en triturant sa chevalière dans un geste instinctif.
— Ce sera monsieur Hands pour toi !
L’homme finit par lever la tête et l’observa un moment. Il soupira :
— Écoute mon bonhomme, j’ai pas de temps à perdre avec tes bondieuseries, il y en a qui bossent ici ! Viens-en au fait…
Pris au dépourvu, Aziraphale balbutia :
— Mais… Justement ! Je venais vous offrir mes services ! Bien que je me définisse comme un naturaliste et que l’on me donne souvent des tâches intellectuelles, je ne suis pas étranger aux tâches manuelles pour autant et ne suis pas un fainéant ! Je ne tiens pas à être un fardeau pour ce navire.
Le second posa une main sur sa hanche en se tournant de trois-quarts pour le jauger. Bien que très intimidé par l’homme, qui dégageait une autorité naturelle, Aziraphale s’efforça de rester de marbre et soutint son regard. Sa crédibilité fut toutefois de courte durée alors qu’une bourrasque lui renvoyait ses bouclettes blondes en pleine figure…
— C’est bien ce qui me semblait… souffla Izzy de sa voix rauque.
— Mais… Mais… balbutia l’Anglais en crachotant ses cheveux.
— Le capitaine Bonnet t'attend dans sa cabine pour l’heure du thé…T’y seras plus à ta place que sur le pont ! enchaîna le second, non sans lever les yeux au ciel.
— Je… Hum, je…
Il soupira, momentanément vaincu :
— Entendu… J’espère que nous pourrons en reparler, monsieur Hands ! ajouta-t-il le feu aux joues, tandis que son vis-à-vis retournait tirer sur ses cordes, en l’ignorant.
Le jeune Anglais commençait à s’éloigner lorsqu’il entendit Izzy crier derrière lui :
— Donne du mou, gamin !
Machinalement, il leva la tête vers les hauteurs du mât. Au niveau du petit hunier volant, il eut juste le temps d'apercevoir une masse de cheveux roux avant que la voile ne se gonfle et lui cache la vue du pirate avec lequel Izzy travaillait. Il continua à avancer, non sans se retourner deux ou trois fois pour tenter d’apercevoir l’homme plus en détails, mais sans succès.
Tandis qu’il regagnait sa cabine, dans laquelle il comptait rester jusqu’à son entrevue avec le capitaine, Aziraphale songea soudain que l’homme, dont il n’avait vu que la chevelure, était peut-être celui de la fresque. Une fois dans les entrailles du navire, il faillit retourner voir les curieux portraits, mais, ayant peur de s’égarer à nouveau, il balaya l’idée et préféra retourner se réfugier dans le réconfort de ses livres et de ses carnets.
Il n’hésita sur l’itinéraire que deux fois sur le chemin de la cuisine et lorsqu’il la traversa pour ouvrir le “placard” sous le plan de travail, il profita de l’absence de Roach pour descendre avec lui quelques fruits et un peu d’eau. Aziraphale n’avait pas de montre avec lui, mais d’après la position du soleil et les protestations bruyantes de son estomac, il estima qu’il serait bientôt midi . Après avoir allumé une des lampes à huile et grossièrement aménagé un semblant de bureau sur la plus grosse des caisses, il entreprit de manger en réfléchissant à l’utilité de tenir une sorte de journal intime de son épopée sur le Revenge.
Il n’avait pas d’encre dans sa besace, aussi allait-il falloir demander son aide au capitaine Bonnet…
* * *
Il s’octroya une sieste après que le raffut provoqué par le déjeuner ne se soit calmé dans la cuisine. A sa grande surprise, il s’endormit sans trop de peine, d’un sommeil à nouveau envahi de cauchemars, qui n’avaient, contrairement à ceux de la nuit précédente, aucun lien avec sa situation présente. Lorsqu’il se réveilla, il lui sembla être autant, si ce n’était plus fatigué qu’avant de se coucher… Il resta un moment sur sa paillasse à s’étirer, tout en se demandant quelle heure il pouvait bien être, puis finit par se lever, attrapa sa besace et enfila ses bottes pour monter les quelques marches et ouvrir timidement la porte. Il avait terriblement faim, mais aucun reste de nourriture ne semblait avoir été laissé à sa disposition et il n’osa pas reprendre de fruits, craignant des troubles digestifs qui, il le savait, pouvaient se révéler fatals en pleine mer.
Un coup d'œil par l’un des sabords lui laissa penser qu’il devait être plus ou moins l’heure du thé et il se mit en chemin pour gagner la cabine du capitaine.
Le calme régnait sur le pont principal où il ne croisa que deux pirates. Le premier s’avéra être le “Wee John” de la veille, qui se contenta de grogner en passant à sa portée. Un peu plus loin, un deuxième homme, aux cheveux longs sur les côtés, mais dégarni sur le haut de son crâne et au fort accent écossais l’interpella :
— Ce soir c’est la pleine Lune !
— Ah… Ah bon ? Eh bien… Merci pour l’information ! répondit l’Anglais, hésitant, mais malgré tout heureux que quelqu’un lui adresse la parole.
— Il faudra se déshabiller ! affirma le pirate, avec des yeux exorbités.
Aziraphale ouvrit des yeux ronds :
— Se… Pardon ? bégaya t-il
— Il faut se mettre à poil sous la lueur de la pleine Lune ! répondit l’homme d’un ton assuré, c’est bon pour la peau !
— Je… Hum, j’y songerai ! promit Aziraphale.
Il s’empressa de saluer l’homme d’un signe de tête avant de s’éloigner aussi rapidement que possible !
Un dégénéré de plus…
Une fois arrivé devant l’entrée de la cabine, il lissa ses vêtements le temps de reprendre son souffle, puis s’apprêta à baisser la poignée lorsque la porte s’ouvrit brusquement depuis l’intérieur, laissant apparaître un tourbillon noir, gris et blanc. Aziraphale recula d’un bond en réalisant qu’il se trouvait face à Blackbeard, qui le fixait avec des yeux ronds, visiblement aussi surpris que lui, la peur panique en moins…
— Putain, mais t’es là toi ? Vu l’heure, je pensais que tu te mutinais dans ton placard, j’allais venir te chercher par tes culottes en dentelle, Stede t’attends !
— J… Je, hum… Inutile, je suis là ! bégaya Aziraphale, en frottant ses mains sur ses culottes.
Blackbeard sourit soudainement à la vue de la besace de cuir à l’épaule de l’Anglais :
— Tu as pris tes affaires ? C’est bien ! Stede est d’humeur studieuse cet après-midi, à défaut d’autre chose… Toi aussi tu écris des lettres ? s'intéressa-t-il, en pointant le sac.
— D… Des lettres ? demanda Aziraphale, soudain suspicieux. Non ! ajouta-t-il précipitamment.
— Ah ? Dommage… J’adore les lettres ! Stede m’en a écrit une une fois ! Une putain de belle lettre ! Plusieurs en fait, mais je n’en ai lu qu’une…
Le pirate avait une expression ravie à l’évocation de ce souvenir et l’espace d’un instant, il fut nettement moins effrayant et le jeune Anglais en profita :
— Ahem… Eh bien… Si vous le permettez… demanda-t-il, avec un geste vague en direction de la coursive.
Sortant de sa rêverie, Blackbeard s’écarta vivement avant de beugler, en direction du pont :
— Izzy ! Putain de bâtard increvable, où est-ce que tu te caches ?
Aziraphale en tira parti pour se glisser sur la gauche du portrait et filer vers la cabine, n’ayant aucune envie de se retrouver en présence des deux hommes. Il avait du mal à déterminer lequel était le plus cinglé ou le plus dangereux et, malgré son amour pour la science, n’avait pas spécialement envie de le découvrir ! Il toqua ensuite doucement à la seconde porte et attendit nerveusement que la voix du capitaine Bonnet l’invite à entrer. Il pénétra alors d’un pas hésitant dans la cabine et fut accueilli par une délicieuse odeur de thé parfumé, ainsi que par le sourire de Stede.
Celui-ci, assis à ce qui lui semblait tenir lieu de bureau, se leva prestement et vint à sa rencontre :
— Bonjour Aziraphale !
L’Anglais s’inclina profondément :
— Capitaine Bonnet, veuillez m’excuser de mon retard ! J’ai malheureusement laissé ma montre à bord du Paradise Lost…
Il fut interrompu, alors qu’il se redressait, par la main de Stede prenant la sienne et la secouant énergiquement pour le saluer. Le Capitaine semblait véritablement être le seul membre d’équipage de ce navire à être ravi de le voir. Aziraphale eut un petit sourire timide. Le regard pétillant et franc de Stede avait l’air sincère. Cet homme semblait vouloir être son allié, se dit-il, et il espérait secrètement qu’il ne se dirigeait pas vers une dramatique déception….
— Ce n’est pas grave, voyons ! Edward allait justement vous chercher, il s’inquiétait… répondit le capitaine, en lui faisant signe de s’asseoir sur le sofa.
Avec hésitation, Aziraphale prit place devant la table basse et observa avec intérêt la théière, les tasses dépareillées et le petit panier tressé contenant des gâteaux, qui aiguillonnaient son appétit… Le capitaine s’assit sur un fauteuil à sa gauche et l’Anglais remarqua alors que ses vêtements n’avaient plus rien à voir avec ceux de la veille. Il avait troqué son riche ensemble pour une chemise en lin vert bouteille, rentrée dans un pantalon en cuir marron à large ceinture assortie. Les lacets sur le devant de sa chemise étaient défaits au niveau du haut du torse, laissant visible à son œil attentif, un bleu qui ressemblait étrangement à un suçon à la base de son cou. Aussi intrigué qu’embarrassé, il reporta son attention sur la table qui était, en outre, encombrée par le journal de bord du capitaine, un encrier, plusieurs plumes, ainsi qu’une carte maritime et une sphère armillaire. Aziraphale se faisait la remarque que la lumière du jour ne faisait que renforcer l’aspect accueillant du lieu lorsque Stede tendit son bras pour saisir la théière, le faisant sursauter.
— Le thé provient de mon stock personnel, mais les petits gâteaux ont été confectionnés grâce au butin du Paradise Lost ! déclara malicieusement le capitaine, en versant la boisson dans les tasses.
Devant le regard perplexe de son invité, il rajouta, d’un air de conspirateur :
— Ed ne veut pas d’animaux à bord, mais Roach a pris vos poules et les a cachées pour pouvoir avoir des œufs à volonté…
Aziraphale repensa soudainement au délicieux morceau de pain frais que Roach lui avait offert le matin même et à l’expression de fierté lorsqu'il l’avait complimenté. Il était si rare d’avoir un bon cuisinier sur un navire. Aziraphale en avait connu des passables, oui, mais sûrement pas à ce niveau.
Puis soudain, une question lui traversa l’esprit. Il fronça les sourcils :
— Oh… Je, euh… Vous partagez donc le commandement de ce navire ? C’est… Inhabituel, je dois dire…
Stede eut un petit sourire rêveur alors qu’il ajoutait un peu de miel à son thé. Aziraphale suivit son geste des yeux. Des mois qu’il n’avait pas goûté de miel !
— Le Revenge m’appartient à la base, mais disons que… Par la force des choses, il est à nous maintenant !
Aziraphale ne voulait pas se montrer trop indiscret, aussi garda-t-il pour lui la douzaine de questions qu’il avait à ce sujet pour se contenter d’un banal :
— Je vois… Et…Vous… Vous m’avez fait demander parce que…?
Il laissa sa phrase en suspens, attendant que Stede la termine, ne quittant pas le capitaine des yeux. Celui-ci poussa le panier dans sa direction avec un nouveau sourire étincelant, qui semblait être sa marque de fabrique.
— Pour partager un agréable moment, voyons ! Je vous en prie, servez-vous ! l’invita-t-il, en portant sa tasse à ses lèvres.
Mais le jeune Anglais avait bien du mal à se détendre, en dépit de l’attitude cordiale du pirate. Il regarda le contenu du panier, avant de lever des yeux plein d’appréhension :
— Vous… Vous allez me faire fouetter si j’en prends un, c’est ça ?
— Quoi ? Non ! répondit Bonnet, en avalant de travers.
— Ah… Alors vous allez me faire fouetter si je refuse ?
Stede reposa sa tasse en fronçant les sourcils, interdit, avant de croiser ses bras sur sa poitrine, un air soucieux ridant son visage :
— Je crois que vous n’avez pas fréquenté les bonnes personnes, Aziraphale… Moi qui pensais que vous aviez évolué parmi des gens respectables…
Aziraphale baissa la tête et se remit à se tordre ses doigts machinalement. Il ne savait plus sur quel pied danser… Tout l'équipage semblait le détester et se demander pourquoi on le gardait à bord, mais cet homme, assis devant lui, était l’image même de la bonté. Ou alors… Peut-être voulait-il gagner sa confiance… Pour le frapper dans le dos le moment venu.
Mais dans quel but ? Aziraphale n’était rien pour lui…
Il frissonna :
— De terribles gens se cachent parfois derrière le masque de la vertu ! répondit-il spontanément.
Stede décroisa ses bras pour frapper ses cuisses avec conviction :
— Alors qu’ici nous ne cachons rien !
Il se pencha vers lui et posa doucement sa main sur celles entortillées de son interlocuteur. Aziraphale les fixa de ses yeux écarquillés, puis releva la tête vers Stede, qui lui offrit un sourire rassurant, tapotant ses mains doucement.
— Je vous le répète, nous ne vous ferons aucun mal. Je ne vous ferai pas fouetter ; j’aurais d’ailleurs bien du mal à le faire, car il n’y a aucun fouet sur ce navire. A ma connaissance, du moins… Ajouta t’il avec un froncement de sourcils inquiet.
Il se reprit :
— Vous pouvez être vous-même sans craindre de représailles sur le Revenge, Aziraphale !
Il se leva soudainement du canapé et se mit à arpenter énergiquement la pièce. Aziraphale le suivit du regard.
— Je pratique une politique de management positif ! Ici chacun est encouragé à mettre en avant sa personnalité et ses aptitudes, s’il souhaite les partager avec l’équipage ! Qui êtes-vous, mon cher ami ? Dites-moi tout et je vous en prie, servez-vous, ces gâteaux sont excellents !
Aziraphale jeta à nouveau un bref regard sur le panier et son alléchant contenu, puis tendit une main timide pour saisir un petit cake, sans quitter des yeux le capitaine, prêt à anticiper tout geste brusque de sa part. Stede se contenta de se rasseoir, reprit sa tasse et se remit à boire son thé, le petit doigt en l’air, lui jetant un regard malicieux.
Le naturaliste regarda le petit gâteau, si beau dans sa simplicité. Il avait l’air si moelleux… Il avait vraiment faim, les fruits du déjeuner n’étant plus qu’un lointain souvenir dans son estomac. Stede ne disait rien, se contentant de l’observer en buvant son thé. Aziraphale était persuadé qu’il ne ferait, ni dirait rien de plus tant qu’il n’aurait pas mordu dans le gâteau.
Ce qu’il fit, après un bref moment d’hésitation.
Il ferma les yeux et laissa la gourmandise fondre dans sa bouche avec délice. Une note orangée vint assaillir ses papilles et quelques morceaux d’amandes craquèrent sous ses dents. Il ne put retenir un petit murmure de délectation.
Des mois qu’il se contentait des rations réservées à l’équipage du Paradise Lost, des biscuits secs et sans goût, des repas fades et sans originalité. Toutes les fantaisies, toutes les gourmandises étaient réservées aux membres gradés et lui, pauvre petit comptable, ne pouvait prétendre à ces excentricités, sauf s’il était invité dans les quartiers du capitaine, ce qui arrivait rarement. Il porta sa main à ses lèvres pour y essuyer les miettes qui les couvraient et sourit à Stede, qui acquiesça d’un air entendu.
Se souvenant de sa question, Aziraphale finit le gâteau, mit un peu de miel dans son thé et attrapa sa tasse :
— Je, hum… J’ai quitté l’Angleterre il y a une dizaine d'années pour me consacrer aux voyages et à la découverte des différentes espèces animales et végétales dans le but d’écrire un livre…
— Oh, un scientifique ! répondit Stede, admiratif.
— Oui, je suis naturaliste. C’est… C’était mon rêve depuis tout petit !
Stede eu un petit mouvement de joie, un air de sincère admiration au fond des yeux :
— Moi aussi je rêvais d’être un pirate depuis l’enfance ! J’ai dû tout abandonner pour y parvenir et faire de nombreux sacrifices, toutefois je n’en regrette aucun ! Je suis heureux maintenant.
Son regard fit le tour de la pièce et s’arrêta sur le lit dans le coin de la cabine. Son sourire ne quittait pas ses lèvres. Aziraphale n’avait pas souvenir d’avoir jamais été en présence d’une personne qui souriait autant. Il trouvait cet homme… Apaisant, d’une certaine manière.
Stede soupira, puis eut une soudaine inspiration:
— Mais j’y pense… Nous ferons quelques escales en chemin pour faire le plein d’eau douce, peut-être pourrez-vous en profiter pour procéder à des observations pour votre livre ? Nous ne ferons halte que sur de petites îles désertes, mais il y a toujours matière à s’émerveiller pour un œil averti, n’est-ce pas ?
Pendant la tirade du capitaine, Aziraphale avait englouti la moitié des gâteaux et force était de constater que Stede en paraissait plus satisfait que contrarié !
Finalement, son séjour ne serait peut-être pas aussi terrible qu’il l’avait imaginé…
* * *
Lorsqu’il ressortit de la cabine rassasié et rassuré, avec de l’encre et des plumes dans sa besace, Aziraphale eut envie de se dégourdir les jambes sur le pont. Il profita de ce que l’équipage semblait rassemblé vers le mât de misaine pour monter sur la dunette et observer l’océan, qui s’étendait à perte de vue.
Prenant une grande inspiration, il se laissa envahir par l’air chargé d’iode qui dansait autour de lui. Il sourit.
La mer l’avait toujours fasciné. Elle pouvait tout à tour se montrer réconfortante et calme, comme elle pouvait devenir effrayante et déchaînée l’instant d’après. La mer était imprévisible, indomptable, sauvage, elle était pleine de surprises. Pour un homme comme lui, qui avait fui une vie de réclusion, elle représentait un défi autant qu’une énigme. Or Aziraphale adorait les énigmes…
Le vent soufflait tout doucement dans les voiles du Revenge, qui se laissait bercer au milieu de cette vaste étendue, tantôt azurine, tantôt cobalt. Il faisait danser ses boucles blondes, rafraîchissant sa nuque. L’Anglais finit par fermer ses yeux pour se concentrer sur le bruit de l’eau qui heurtait le navire, tout en réfléchissant aux paroles échangées avec le capitaine lorsque, au milieu des craquements familiers du navire ballotté par les flots, un bruit attira son attention. Un bruit léger, qu’il n’aurait pas entendu si l’océan n’avait pas été aussi calme…
Il se retourna brusquement et scruta la dunette, un peu inquiet à l’idée de se retrouver en présence d’un pirate qu’il n’aurait pas entendu approcher et qui aurait décidé d’en finir avec lui, mais ne découvrit personne. La place était vide. Les bruits, plus lointains, du reste de l’équipage laissaient penser qu’ils étaient toujours du côté de la proue du navire. Après un haussement d’épaule, il allait retourner à sa contemplation méditative quand il remarqua un petit objet qui réfléchissait la lumière du soleil, à deux pas de lui sur le sol. Intrigué, il s’approcha doucement et s’accroupit pour finalement se détendre en découvrant qu’il s’agissait d’un inoffensif bracelet. Il le ramassa et l’observa attentivement.
Il était composé d’une suite de coquillages de cauris, de pièces percées et de petites têtes de mort sculptées dans du bois flotté, enfilés sur une corde tressée (corde de noix de coco, selon son observation). Le bracelet montrait des signes d’usure et le tressage avait sans doute fini par céder, se disait le naturaliste, tout en remarquant que chaque élément était ingénieusement noué indépendamment des autres, évitant ainsi leur dispersion.
Il allait le ranger dans sa besace lorsqu’une voix traînante le fit sursauter violemment :
— C’est pas à toi !
L’homme n’avait pas crié, pourtant Aziraphale était toujours seul sur la dunette. Il se redressa lentement et regarda de tous les côtés, cherchant d’où pouvait provenir la voix. Il commençait tout juste à se demander s’il n’y avait pas une malédiction à bord, rendant complètement dingue ses passagers, lorsque sa raison le rattrapa. Réfrénant un juron entre ses lèvres, il leva la tête vers les hauteurs du mât d’artimon. Perché sur la vergue de perruche, un homme finissait de tendre la voile d’étai, sans le regarder.
C’était lui.
L’homme du portrait au visage dissimulé, celui qui travaillait avec le dégénéré à la jambe de bois ce matin. A moins qu’il y ait plusieurs hommes dotés d’une chevelure aussi remarquable sur ce navire, mais il en doutait… Le pirate était torse-nu et Aziraphale distinguait vaguement quelques marques sur son dos lorsque sa masse de cheveux flamboyants ne recouvraient pas sa peau tannée par le soleil. La moitié de ses longues mèches étaient rassemblées en une demi-queue approximative, d’après ce que l’Anglais pouvait voir. Gêné à l’idée de passer pour un voleur (le comble pour le passager malgré lui d’un bateau pirate qu’il était), il chercha à éclaircir la situation, tout en triturant sa chevalière :
— Hum… Je n’avais pas remarqué votre présence, excusez-moi…
A l'instar du reste de l’équipage, l’homme ne répondit pas, continuant de vaquer à ses occupations. Se disant qu’il ne l’avait peut-être pas entendu à cause du vent, il haussa la voix :
— Je m’appelle Aziraphale et… Et j’ai trouvé votre bracelet fort joli, aussi je ne voulais pas l’abandonner ici…
L’homme, après avoir fixé la petite voile, grimpa dans les cordages, puis lui fit enfin face, son bras gauche tendu pour s’agripper à une grosse corde. C’est alors qu’Aziraphale remarqua qu’il était pieds-nus. En fin de compte, le pirate ne portait qu’un pantalon noir, sur lequel deux larges ceintures en cuir se croisaient, au niveau de son pelvis. L’une d’elles soutenait la poignée d’un sabre, qui dépassait de sa hanche gauche, tandis que l’autre comportait plusieurs petites sacoches, qui s'alignaient autour de sa hanche droite.
Cependant, d’où il était, le scientifique remarqua que l’homme étincelait au soleil. Se protégeant les yeux de la main, il finit par repérer un collier, des bracelets, ainsi que des breloques ajoutant des reflets d’or dans sa chevelure rousse. Elles brillaient comme les pièces du bracelet qu’il manipulait nerveusement entre ses mains. Il ne pouvait cependant distinguer aucun autre détail à cause de la distance qui les séparait.
Le pirate attrapa alors de sa main libre une chemise noire, posée sur la vergue du cacatois de perruche et l’enfila d’un geste fluide, avant de descendre le long des cordages avec une rapidité et une agilité déconcertantes.
Il se laissa ensuite tomber gracieusement sur la dunette pour atterrir en face d’un Aziraphale aux yeux écarquillés, qui recula instinctivement de quelques pas.
Il était grand.
Plus grand que lui, mais aussi plus athlétique et bien plus mince… Le jeune Anglais ne prêta toutefois pas attention longtemps à sa stature tant il fut subjugué par son regard. Il fixait les yeux d’ambre aux pupilles serpentines de l’homme avec un intérêt non dissimulé, pour ne pas dire déplacé, avant de s'apercevoir soudain de son insistance et de finir par détourner le regard… Il nota, dans un réflexe tout à fait professionnel, que la chevelure aux reflets cuivrés du pirate, par ailleurs légèrement emmêlée, était effectivement ornée de perles, de dents de requin, de pièces, et même de petits coquillages. Sa demi-queue dégageait ses joues glabres, aux pommettes saillantes et au menton carré, ainsi que ses oreilles, percées de plusieurs trous. A son oreille gauche, pendait notamment une magnifique onyx ovale tandis qu’à son oreille droite, un hameçon taillé dans de l’os faisait office de bijou, à côté d’un étrange tatouage, dont Aziraphale n’arrivait pas à distinguer nettement la forme.
Ses longues mèches encadraient un visage fin et parsemé de tâches de rousseur. Sa chevelure ondulée descendait bien en-dessous de ses épaules et après ce constat, le regard expert du naturaliste s’égara vers le laçage défait de sa chemise de coton, dont le noir tranchait avec la fine toison rousse recouvrant son torse.
Dieu, qu’il était beau…
Aziraphale sentit une chaleur, liée sans aucun doute possible aux températures élevées qui sévissaient sous ces latitudes, embraser ses joues.
Il s’ébroua alors en toussotant :
— Ahem… Je m’appelle Aziraphale ! répéta t-il, en tendant sa main libre.
— J’avais entendu la première fois ! répondit le pirate, en croisant ses bras sur sa poitrine.
— Et, euh… Puis-je savoir à qui appartient ce bracelet ? insista l’Anglais, en baissant sa main pour la frotter sur son pantalon.
L’homme retroussa le nez dédaigneusement :
— A moi !
— J'avais compris, merci… répondit Aziraphale avec un petit sourire qu’il espérait assuré, alors qu’il ne l’était pas du tout. C’était une façon courtoise de vous demander votre nom, mon cher !
— On ne t’a pas enseigné que la curiosité était un vilain défaut ? C’est pourtant ce qui se dit parmi vous…
— Nous ? releva le naturaliste avec intérêt, en penchant légèrement sa tête sur le côté.
— Les hommes ! Les… Les hommes de ton rang… précisa le pirate en le fixant d’un regard perçant.
Plusieurs nuances de jaunes se détachaient dans ses iris spectaculaires et ses pupilles fendues intimidaient Aziraphale autant qu’elles le captivaient. Il chassa son trouble en reportant son attention sur les pieds de l’homme et remarqua que les ongles de ses orteils étaient aussi noirs que ceux de ses mains. Il se demanda vaguement s’il les peignait au moyen d’une substance naturelle ou d’un mélange de son invention, mais préféra garder sa question pour lui-même.
— J’ai appris à me distancer des enseignements que j’ai reçus ! Je trouve par ailleurs que la curiosité, sous toutes ses formes, mérite d’être encouragée et entretenue ! répondit-il, en relevant à nouveau sa tête pour regarder son interlocuteur.
Celui-ci avait le visage toujours aussi fermé et se tenait figé dans sa position. Aziraphale avait suffisamment étudié le langage corporel pour comprendre que le pirate, avec son attitude farouche et ses bras fermement croisés devant lui, n’avait aucune envie de converser. N’ayant, pour sa part, aucune envie de provoquer l’hostilité de cet homme, il préféra donc s’éloigner. Descendant quelques marches pour quitter la dunette, il fut cependant interpellé par le pirate :
— T'oublies pas quelque chose ?
Sa main se serra sur le bracelet qu’il tenait toujours fermement.
Juste ciel.
Le jeune Anglais, confus, amorça un demi-tour, le feu aux joues, alors qu’il baissait rapidement ses yeux, honteux de sa maladresse. Dans sa précipitation, il trébucha et se retrouva sur ses genoux, abandonnant sa dignité sur la dernière marche.
Embarrassé au-delà du possible, il releva néanmoins la tête vers le pirate, un air de défi sur le visage en entendant son rire moqueur. C’est alors qu’il remarqua que les canines de l’homme, légèrement proéminentes, étaient semblables à de petits crocs... L’impoli, après avoir bien ri, se rapprocha d’un pas aussi chaloupé que nonchalant pour venir se planter juste devant lui :
— Je n’en demandais pas tant ! Regardez-moi ça, un véritable petit angelot tombé du ciel ! Tu t’es pas fait mal au moins ? Si tu es abimé à cause de moi, Ed sera furieux… continua-t-il de se moquer, en tendant toutefois un bras secourable vers lui.
— Votre sollicitude me touche beaucoup ! ironisa Aziraphale
Il hésita un moment, puis finit par saisir l'avant-bras offert pour se relever.
L’homme le tira à lui sans effort, les muscles de son bras saillants sous la manche de sa chemise et, une fois debout, Aziraphale se retrouva nez à nez avec le pirate.
Il était tellement proche de lui qu’il pouvait sentir les effluves agréables qu’il dégageait. D’après ses connaissances, Aziraphale identifia plusieurs notes florales. Frangipanier, oranger, tiaré et un soupçon de vanille se mêlaient à une odeur plus discrète de transpiration. En son for intérieur, il remercia Roach d’avoir mis à sa disposition le matin même de quoi faire sa toilette, tout en se demandant d’où lui venait cette préoccupation soudaine…
Lâchant sa main, l’homme tendit soudain la sienne, paume en l’air, et Aziraphale y déposa délicatement le bracelet. Lorsque le bout de ses doigts se retrouva en contact avec la peau étonnamment douce du marin, il sentit un étrange courant le traverser. Chassant sa confusion, le feu aux joues, il s’ébroua à nouveau avant de faire prudemment demi-tour pour redescendre les marches, en tentant de ramasser sa dignité en chemin.
— Crowley !
Interdit, il se retourna, une fois en sécurité sur le pont :
— Je vous demande pardon ? demanda-t-il, en haussant un sourcil.
L’homme se balançait nonchalamment sur ses hanches ayant visiblement du mal à rester en place.
— Crowley ! C’est comme ça que je m’appelle… répondit-il, avant de serrer avec ses dents le nœud qu’il venait de faire pour refixer son bracelet à son poignet.
Aziraphale sourit doucement, heureux que le pirate ait daigné lui donner son nom :
— Oh… Eh bien, enchanté monsieur Crowley !
Celui-ci haussa les épaules d’un air dédaigneux.
— Juste Crowley…
— Entendu… Alors… A bientôt, Crowley ! salua timidement le naturaliste en insistant sur son nom.
Les lettres résonnaient agréablement le long de sa langue, avant de s’expluser par sa bouche qui, hasard de la prononciation, formait un “o” sur la première syllabe et un sourire béat sur la deuxième…
Crowley eut un petit rictus de malaise.
— C’est ça, l’angelot…
Aziraphale s'apprêtait à reprendre Crowley lorsque celui-ci descendit rapidement les marches et s’éloigna à grandes enjambées, le frôlant au passage. L’instant que le jeune Anglais reprenne ses esprits, il ne restait du pirate aucune trace, à part la légère odeur sucrée qu’il avait laissé dans son sillage.
* * *
Dans la pénombre d’une des chambres, La Mouette s’impatientait.
Elle s’était montrée raisonnable toute la journée, ne tentant de pincer l’humain qui la nourrissait que trois fois et ne poussant presque aucun cri ! Mais l’oiseau avait l’habitude des grands espaces et n’aimait pas cet endroit confiné et plein de barreaux, qu’il commençait d’ailleurs à attaquer de son bec puissant. Il s’interrompit dans cette tâche, aussi aliénante que vouée à l’échec, quand la porte s’ouvrit pour laisser entrer le bipède. L’homme ne perdit pas de temps, il ouvrit la cage et passa un court fil de cuir, relié à un lest, à l’une de ses pattes. Il le sortit ensuite et le posa avec précaution au sol. L’humain avait une attitude différente, il semblait troublé. Ses gestes, son odeur, et même sa voix avaient changé lorsqu’il finit par lui parler. La nuance était imperceptible pour un animal doté d’aussi peu d’instinct que l’être humain, mais elle n’échappa pas à l’oiseau.
— J’ai un peu de temps libre alors on va en profiter pour faire quelques exercices, qu’en dis-tu ? demanda-t-il avec un petit rictus, qui laissa voir la pointe de ses canines.
Tandis que La Mouette lui lançait un regard perplexe, l’homme se mit à secouer vivement sa chevelure rousse avec un sourire désabusé, comme pour chasser une pensée malvenue…
* * *
- Coq : chef cuisinier à bord d’un bateau
Je ne fais pas partie du staff du NCIS irl, donc j'ai fais beaucoup de recherches sur l'anatomie des bateaux ! Néanmoins, je ne suis pas infaillible, donc soyez indulgent si vous repérez une erreur :) . Fanart et photos côté forum pour ceux que ça intéresse !