Deux heures moins le quart avant Jésus-Christ

Chapitre 3 : Pendant que le buisson ardent se consume - la Luxure

3201 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 20/05/2024 21:13


Avant-propos : cette fanfiction est une tentative de réponse au challenge "7 Sins : les sept péchés capitaux" qui se déroule actuellement sur le forum de FFR. Bonne lecture ;)


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Au commencement était la verge.


Michael, parfaitement droite, était installée rigidement dans le haut fauteuil blanc qu’elle avait fait se matérialiser pile au centre de l’étrange petite pergola faisant face au jardin d’Éden, elle contemplait le fouillis environnant en fronçant les sourcils. Elle observait la végétation luxuriante et désordonnée et ne pouvait que difficilement retenir un sentiment de désapprobation, voire de mépris, en contemplant cet amas hétéroclite de plantes et fleurs colorées grouillant partout où elle posait les yeux. C’était sale et désagréable à l’œil : des champs entiers de nielle violacée envahissant les buissons de marjolaine ; des capucines mordorées poussant juste à côté de grappes de clématites d’un rose criard qui grimpaient vulgairement sur les arbres, les ficelant de leurs tiges ; des étendues entières d’Anthurium rouges dont la forme incongrue – ce révoltant cœur jaunâtre et cylindrique se détachant sans raison !– autant que la nuance violemment écarlate lui agressait la rétine. Juste à sa gauche, Michael pouvait voir se mêler des tubéreuses –dont le blanc pur aurait pu lui convenir si les fleurs avaient toutes été, comme il se doit, ouvertes- à moitié bourgeonnantes dont les renflements plissés bruns et roses ressortaient vulgairement, gâchant l’aspect immaculé des pétales, et se mélangeaient sauvagement à des buissons entiers de verges d’or dont les panicules citron jaillissaient de tous côtés. Rien n’allait. C’était laid et chaotique et ça lui faisait pincer les lèvres de dégoût.


Elle ne remettrait pas en cause les plans de la Toute Puissante — Dieu avait ses raisons !– mais il y avait quelque chose qui lui déplaisait souverainement dans cet étalage végétal anarchique : aucune cohérence ou ébauche d’organisation, trop de couleurs et plus de variétés de plantes qu’elle ne pouvait aisément en nommer. Elle ne savait pas la vision que l’Éternelle avait voulue concrétiser avec ce détail de sa Création, mais elle ne pouvait que regretter de ne pas avoir été celle en charge du projet. Elle aurait pu rendre ça parfait : rectiligne, propre, tout en dégradés de blanc (avec peut-être juste quelques nuances de gris, allant du clair au sombre) et ordonné de manière millimétrée. Pas une fougère n’aurait dépassé. Ça aurait été à son image et à celle du reste du paradis : parfait. C’était une simple question de respect. Quitte à faire quelque chose, il fallait s’assurer que ce soit exécuté au mieux, d’une froide et implacable perfection.


Elle ne savait pas qui avait été l’archange à l’origine de la construction — elle aurait bien parié sur cet idiot niais et bedonnant de Gabriel — mais il était clair que c’était le produit d’un esprit brouillon ou d’un pur incompétent… Mais, allez savoir, peut-être que l’aspect révoltant de cet endroit était voulu et participait au Grand plan ? Que c’était un mal nécessaire ? Les humains, si prompts à se laisser aller à leurs bas instincts et à agir comme des animaux, n’avaient-ils, après tout, pas succombé à la tentation distillée dans les fruits — gorgés de sucre et dont la sève dégoulinait entre les protubérances charnues lorsqu’on les croquait – placés sur leur route par l’un des sbires du Malin ? Au sein de ce lieu de débauche que Michael avait en horreur, Adam et Eve, avaient goûté aux plaisirs de la chère et n’avaient pu résister à s’adonner à ceux — bien plus licencieux et salissants – de la chair. Ils avaient goulûment mordu dans le fruit de la connaissance et, connaissance en poche, avaient volontairement choisi de se vautrer dans la concupiscence. Cet acte déshonorant était le tout premier péché de la race humaine. Le premier péché, portant en lui l’infamant sceau de la luxure, celui qui avait mené les premiers hommes à leur inévitable déchéance et engendré la « conception non immaculée ».


Le jardin d’Éden avait peut-être, dès l’origine du monde, été conçu pour être le berceau de la perdition en même temps que celui de l’humanité. Il n’était sans doute pas étonnant que ce benêt d’Aziraphale, qui y avait passé un temps indu durant la période où sa garde lui avait été confiée, en ait été troublé, et se soit mis à agir de manière erratique.


En parlant de « conception non immaculée » et d’Aziraphale : c’est justement le comportement déviant de l’ange rondouillard et son subterfuge chez Job qui l’avait incitée à se rendre, quelques milliers d’années après l’incident -elle était une femme très prise- dans le lieu qu’elle détestait le plus de la Création. Plus de 5000 ans après, la rencontre avec Job et son épouse au pays d’Uz lui restait en travers de la gorge. Gabriel s’était benoîtement laissé conter par son subalterne, mais elle n’était pas si naïve. Quelque chose clochait dans la drôle de saynète s’étant déroulée devant eux. Michael n’avait pas de grandes notions sur la manière dont devaient se dérouler les conceptions humaines, mais – elle en était presque sûre – cette chose s’étant produite devant leur armada céleste n’était en rien conforme à ce que l’acte sexuel entre humains était supposé être. Les enfants, déjà juvéniles, sortants tout habillés des côtes du père que la mère avait tirées d’un coup sec sous les encouragements d’un barbu rouquin de Shuah, spécialisé dans l’élevage des choux et le plantage des enfants ? Toute cette fable lui apparaissait comme une sordide imposture !


Peu importe que Gabriel l’ait approuvée et peu importe qu’Aziraphale soit monté sur des grands chevaux et ait donné sa parole d’Ange ; Michael savait à quoi ressemblait un mensonge et celui-ci avait été tout sauf pieu. Quoi qu’il se soit passé dans la demeure de Job, ça n’avait rien eu de catholique et elle allait le prouver. Peu importe le temps que ça prendrait, Aziraphale paierait pour son crime. Elle se délectait par avance de la mine déconfite que l’employé déloyal — préférant défendre les hommes, créatures lubriques et imparfaites, que d’obéir à sa hiérarchie – afficherait lorsqu’elle le clouerait enfin au pilori en apportant des preuves de ses forfaits au Bureau d’Investigation aux Turpitudes des Employés Séraphiques. Et, avec un peu de chance, Gabriel serait rétrogradé pour son inaptitude et elle obtiendrait, enfin, une promotion bien méritée. Elle se délectait par avance de leurs malheurs; imaginer leurs justes châtiments faisait monter une étrange chaleur au tréfonds de ses entrailles. Restait, qu’elle ne se risquerait pas à l’accuser sans preuves tangibles : elle ne nuirait pas à son impeccable dossier en agissant dans la précipitation. C’est pourquoi — pestant intérieurement – elle s’était rendu au sein de l’antre du péché charnel et avait essayé, en s’imprégnant des lieux, de se rappeler comment était censé se dérouler l’acte sexuel et celui de l’enfantement…


Maintenant, qu’elle y était ; Michael était gênée aux entournures, le foutoir alentour ne lui donnait aucun indice permettant d’éclaircir les mystères de la procréation. Il lui semblait confusément se souvenir qu’il y avait une histoire d'orifices, d’obélisques et d’échange de fluides impliquée, mais pour le reste… Où la cheville d’Adam devait-elle se loger pour engendrer un héritier ? Elle regardait les pommes rouge sang qui trônaient toujours sur l’arbre de la connaissance, au milieu verger, et se demandaient si la solution la plus simple pour comprendre le phénomène, n’était pas d’elle-même prendre une bouchée du fruit défendu. Elle frissonna d’horreur à la simple perspective : elle n’était pas sûre qu’avaler était un considéré comme inconvenant pour un être angélique, ni même si croquer dans ces fruits lui était réellement interdit mais… Elle n’était pas prête à payer à ce point de sa personne pour faire disparaître le faux sourire idiot d’Aziraphale et montrer à tous l’incompétence crasse de Gabriel. Par tous les Saints ! Elle ne ferait pénétrer aucun objet impie dans son corps céleste !


Michael regardait les pommes rougeoyantes et avait une autre idée lui traversant l’esprit : il lui semblait que la connaissance était également accessible via les livres, il lui suffisait d’un petit miracle et elle obtiendrait instantanément tous les écrits ayant un rapport avec l’acte lascif menant à la mise à bas… Cela paraissait être un plan parfait et, ces collègues anges, détestant tout comme elle traîner dans ce jardin, personne n’en saurait jamais rien. Sitôt eut-elle décidé de son miracle qu’elle se trouva face à un problème de taille : l’endroit entier fut envahi de livres ; l’Éden débordait d’ouvrages dont les piles monumentales écrasaient toute la végétation, tombaient par-dessus les murs du jardin et s’élevaient bien au-delà des cieux. Et elle pouvait voir des livres continuer à apparaître dans un flot ininterrompu ; et il n’y avait pas que des ouvrages de papier : des tablettes de pierres gravées, des poteries comportant des textes obscènes et même des pans entiers de murs lui tombaient dessus. Miséricorde ! Quelle folie avait-elle commise ?! Pourquoi diable les humains auraient-ils rédigé autant de choses consacrées à ce sujet ?! C’était insensé. D’un geste, elle mit fin au désordre ambiant, coupant court à son miracle en en modifiant les termes. D’un claquement de doigt les livres, articles, fanfictions, tablettes et autres réceptacles au savoir orgiaque disparurent ; la connaissance cachée en eux, s’implantant directement dans son esprit. L’incroyable vague qui la frappa, la fit un instant vaciller et elle en fût une fraction de secondes troublée, toutes les bribes de pornographie rédigées — de la plus délicatement grivoise, à la plus malsaine et dérangeante- à cet instant T par l’humanité, se gravant en elle de manière indélébile. Peut-être aurait-elle mieux fait de mordre dans la pomme que, d’inconséquemment, se faire subir à elle-même ce sévices mais comment aurait-elle pu un instant imaginer que des créatures de Dieu étaient par tant si profondément dépravées ? C’est donc à ça que s’amusait l’humanité à ses heures perdues ? Non contente de se rouler dans le stupre, quand elle ne se complaisait pas à ramper dans la fange, elle écrivait sur le sujet ?


Par tous les seins ! De Sodome à Gomorrhe ! Michael eu besoin d’un moment pour se ressaisir et nager à travers les flots d’obscénité qui empoisonnaient maintenant ses pensées, autrefois si soigneusement pures et ordonnées, pour y donner sens. Eh bien, elle avait en tout cas eu raison, toutes ces années auparavant. Désormais que ce qui avait trait à la fornication n’avait plus de secret pour elle, elle ne pouvait que le confirmer : Aziraphale était un vil chenapan sans parole et lui et son ami le rouquin barbu les avaient trompés. La conception des bébés impliquait bien plus de nudité et d’imbrication corporelle que ce qui leur avait été servi ; quant à la naissance, c'était bruyant et salissant et les nouveau-nés sortaient de là où le membre du père avait un jour siégé au sein de la mère. On les avait bien pris pour des cons — si elle pouvait se permettre l’outrageante expression-, nul être n’en étant sorti !


Pour prouver son point, sans dévoiler l’inconvenant miracle auquel elle s’était livrée au cœur du jardin, elle allait néanmoins devoir faire preuve de patience : il n’était pas question qu’elle annonce au B.I.T.E.S — Quel nom cocasse maintenant qu’elle y songeait – qu'elle avait maintenant, traînant quelque part dans sa parfaite mémoire interne, toutes les perversités et paillardises de l’espèce humaine… De la nuit des temps jusqu’à l’aube du XXIᵉ siècle ! Un sacré ramassis de cochoncetés ! Dieu sait ce que ces collègues pourraient diffuser comme ragots à son propos si ça venait à se savoir qu’elle n’était plus aussi ingénue que le reste d’entre eux. Non, elle allait patiemment attendre qu’Aziraphale commette un nouvel impair — maintenant qu’elle avait la certitude absolue qu’il était un menteur, elle l’aurait à l’œil- pour le traîner dans la boue et faire descendre, dans la foulée, Gabriel de son piédestal. Elle allait les mettre à genoux ces idiots joufflus et indolents…


Cette heureuse perspective en tête, lui amena une nouvelle chaleur au fond des entrailles, elle l’ignora et s’en retourna sagement s’occuper de son ministère céleste. Des années passèrent sans que grand-chose de notable se produise : l’apocalypse était dans les tuyaux et Aziraphale continuait à agir de manière suspecte — il était apparemment de connivence avec un déchu à la rougeoyante chevelure – mais Michael n’arrivait pas à se concentrer sur le problème et à rendre justice comme elle l’avait autrefois prospecté. Elle avait commis une terrible erreur : elle n’avait pas touché à la pomme mais le ver s’était, malgré tout, profondément enfoncé dans le fruit.


Michael n’avait pas immédiatement compris ce qui lui arrivait : elle était en train de paisiblement régler des affaires angéliques quand des images indésirables étaient venues sans raison fourmiller dans son esprit. Au départ, ce n’était presque rien : juste des éclairs qui venaient la déconcentrer quelques instants ; des phrases du Cantique des Cantiques, de la Philosophie dans le boudoir et de Satyricon qui s’imposaient à son cerveau dans les plus incongrus moments. Puis les éclairs s’étaient accumulés en un grondant orage jusqu’à saturer tout son brillant esprit d’une fantasmagorie obscène : son attention en permanence obscurcie par des choses réprouvées par la morale et dont elle ne savait que faire.


Plus elle tentait de repousser les pensées impies et plus celles-ci semblaient devenir décadentes ; plus elle essayait de résister et plus son esprit était envahi par des scenarii libidineux, la narguant, tandis que son corps était parcouru d’étonnantes sensations qu’elle luttait pour ne pas reconnaître pour ce qu’elle était : le signe que son corps céleste était aussi faillible que celui des humains et portait, en lui, l’ignominieuse marque du désir. Madame rêvait maintenant éveillée toute la journée, sa libido au bord de l’explosion, ayant besoin d’être satisfaite ad libitum. Elle n’arrivait plus à être fonctionnelle, tandis qu’elle était en permanence transpercée par un amas d’images grotesques qui l’auraient menée directement au second cercle des Enfers si elle avait dû faire face au jugement dernier.


Ça devait cesser. Elle avait analysé le problème sous tous les angles et n’y voyait qu’une seule issue : elle était retournée sur les lieux du crime, au cœur du jardin d’Éden -fichu lupanar – et avait de nouveau observé le décor verdoyant, percevant cette fois tout le symbolisme orgiaque mal dissimulé dans le fouillis de plantes aux formes phalliques et concaves. Cette fois installée dans un élégant fauteuil en rotin que n’aurait pas renié Emmanuelle, elle se laissa absorber par la vue et senti ses jambes croisées se resserrer compulsivement tandis qu’elle laissait — volontairement cette fois – son imagination s’égarer. Ce sont les livres qui, en premier lieu, avaient pollué son esprit en y semant les graines de la luxure ; pour se débarrasser de ces inconvenantes idées, il lui fallait peut-être déverser les pires d’entre elles en passant par l’écriture…


Quelques bribes de texte tournaient dans son esprit mais comment les articuler entre elles ?


« Gabriel, à demi nu, attaché à une croix de St-André par les tiges des clématites et par des racines de ronces qui lui entamaient douloureusement la peau : son sourire idiot avait disparu et il y avait un curieux mélange de crainte et de désir dans son regard. Il n’y aurait pas besoin de 11 mille verges pour le châtier, une seule suffirait. Le poids de la badine serrée dans sa main était… » « Sous les sous-bassement du volcan, frémissaient les désirs larvés. L'épée flamboyante d’Aziraphale s’enfonçant profondément dans le buisson ardent de… »


Le rouge lui montait aux joues : même à penser c’était plus que paillard alors comment le coucher de manière élégante sur le papier ? Elle inspira, son cœur battant la chamade et la bouche sèche. Elle serra la plume d'oie entre ses mains moites, se disant qu’elle ne faisait pas ça pour le plaisir, mais pour essayer de s’exorciser et ainsi retrouver les bonheurs de la vertu.


Et, puisqu’il fallait bien entamer son récit quelque part, elle jeta un dernier coup d'œil à la verge d'or -dont la vue des grappes fournies en pleine pandiculation la narguait- encra la pointe de sa plume et inscrivit les premiers mots sur le parchemin :


« Au commencement était le verbe… »

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Notes : désolée pour cette étrange exploitation du péché vénérien (qui n'est clairement pas celui qui me parlait le plus), je ne sais pas si j'ai été bien ou très mal inspirée mais l'idée me traînait en tête depuis trois semaines, alors voilà, j'ai essayé, comme la pauvre Michael -chez qui je perçois distinctement une touche de sadisme- de mettre en ordre mes pensées et de les coucher sur le papier. Voilà le résultat ;)


Il y a quelques références en pagaille à des romans érotiques et aussi à la formidable chanson Madame Rêve d'Alain Bashung.

L'idée qu'un archange puisse en claquement de doigt absorber toute la culture littéraire (même si celle dont s'est emparé Michael est très centrée pornographie) humaine, vient de Métatron dans Supernatural.


Langage des fleurs:

Anthurium rouge : fougue sensuelle

Capucine : passion ardente

Clématite : désir amoureux, jeux sexuels

Marjolaine : amour libertin

Nielle : invitation à la luxure

Tubéreuse : volupté, plaisirs dangereux

Verge d'or : "vous êtes avare en sentiments", répression des émotions.


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