Hot Church
Chapitre 4 : Arrête ou la pomme va tomber (partie 3)
3042 mots, Catégorie: M
Dernière mise à jour 10/05/2024 11:00
Note: Il s'agit de la troisième partie du chapitre 4. La lecture des deux précédentes parties est plus que recommandée pour comprendre celle-ci.
Loin de toutes ces considérations sociétales, Crowley arpentait le verger en se disant que ce n’était pas la saison des pommes. Nos lecteurs nous pardonneront cette entorse aux lois fruitières, mais la fiction requiert parfois des entorses à la réalité, et la présence de pommes était nécessaire pour rappeler les circonstances pendant lesquelles les deux protagonistes de l’histoire originale s’étaient rencontrés. Rappelons tout de même que le récit originel avait commencé dans un Jardin et non dans un verger.
Un craquement tira Crowley de ses pensées saisonnières. Craquement qui fut suivi d’un jet de pommes. L’un des fruits défendus le frappa en plein visage, lui faisant perdre l’équilibre. Il trébucha et chuta sous un pommier, tandis qu’une ombre sauta de l’arbre où elle avait trouvé refuge et se mit à courir. Crowley se redressa et s’élança à la poursuite d’un gamin pourvu de belles boucles angéliques et d’une paire de baskets d’un rouge diabolique. Le morveux jeta un œil par-dessus son épaule et accéléra la cadence, étonné de voir un homme aussi âgé capable de tenir un rythme aussi effréné ! L’enfant sauta par-dessus la barrière mais fut bientôt talonné par un capitaine de police bien plus alerte que le précédent, qui venait de franchir cette même barrière avec l’aisance d’une baleine avalant un frêle plancton. L’apprenti chapardeur, le souffle court, sentit ses forces diminuer et une racine traîtresse placée sur son chemin, arrêta sa course éperdue. Il tomba, s’écorchant les mains et fut soulevé par la poigne du « vieux gothique » qui, contrairement à lui, ne paraissait ni épuisé, ni essouflé. Crowley reconnut alors le gamin attendant Pepper devant la porte du café. Profitant de cette seconde d’inattention, l’apprenti voleur puisa dans ses dernières forces et lui décrocha un bon coup de genou dans l’une des parties les plus sensibles et les plus charnues de son anatomie, et s’arracha à son emprise. Crowley, soufflé par la brutalité d’une telle attaque, le privant d’une potentielle descendance, mit quelques instants à surmonter la douleur et reprit sa course en sautillant.
Se sachant perdu, le garçon siffla ; un corniaud noir et blanc se réveilla près du vélo dont il avait la garde. Le fidèle canidé comprenant l’éminence du danger, s’élança sur Crowley et lui planta les crocs dans la cheville, le stoppant net. Le capitaine Anthony J.Crowley, qui avait affronté nombre de gros bonnets du crime britannique, fut vaincu par un canidé au pedigree douteux. Le gamin se saisit de son chien et s’apprêtait à enfourcher sa bicyclette lorsqu’une voix familière l’arrêta dans son délit de fuite :
– Adam, non !
Crowley se releva et vit Fell, le nœud papillon de travers et les bouclettes dansantes, apparaître dans son champ de vision. Le lieutenant échangea quelques mots avec le délinquant en herbe, sa main droite posée sur son épaule. Crowley leva les yeux au ciel en songeant aux sermons que son coéquipier devait sans doute lui servir, plein de bondieuseries. Il redressa ses lunettes de soleil et s’avança vers les deux Gallois qui accueillirent son arrivée avec appréhension.
– Pardon m’sieur, murmura le gamin aux yeux baissés.
Le chien émit à son tour, une sorte de couinement désolé.
– Bien, fit Aziraphale, nous pouvons considérer cet « incident » comme clos.
– Certainement pas ! répliqua Crowley en posant sa main gauche sur l’épaule du jeune garçon. J’ai encore quelques mots à lui dire !
– Capitaine, il s’est excusé et …
– Violation d’une propriété privée, vol et dégradations de bien appartenant à autrui, violence sur personne dépositaire de l’autorité… Je continue la liste ou cela vous suffit, lieutenant Fell ?
– Aziraphale, chuchota le blondinet en levant ses grands yeux de chérubin vers les deux policiers, je …
– C’est lieutenant Fell, intervint Crowley avec sévérité. Allez, zou, je vous embarque oui, même toi, poursuivit-il à l’intention du chien.
Aziraphale tenta une nouvelle fois, de plaider la cause d’Adam Young mais Crowley le remit à sa place en le menaçant d’un rapport salé qui le conduirait à gérer le trafic sur l’unique rond-point que comptait ce coin du Pays de Galles ! Le lieutenant Fell lui décocha un regard haineux auquel il répondit par un rictus. Ils quittèrent le verger et revinrent devant la maison des Tyler où les attendaient la Bentley et la bicyclette biscornue, pourvue de nouvelles roues fonctionnelles, du lieutenant.
– Capitaine, reprit Aziraphale tandis que les époux Tyler assistaient avec plaisir à l’arrestation des deux malfaiteurs à jambes et à pattes, ce n’est qu’un enfant !
Toutou, le chien d’Adam, approuva ses propos d’un aboiement. Crowley ouvrit la portière arrière de la Bentley et invita la graine de criminel à prendre place sur la banquette. Il lui ordonna de tenir son compagnon à truffe sur ses genoux afin d’éviter qu’il ne salisse le cuir de son siège.
– La loi, c’est la loi, bougonna Crowley qui avait pourtant contourné cette loi à plusieurs occasions, en prenant place derrière le volant.
– Je viens avec vous, décréta son casse-pied de coéquipier en se glissant sur le siège passager.
– Très bien, mais votre vélo…
– Bicyclette.
– reste ici et vous vous débrouillerez pour le récupérer ! conclut Crowley en démarrant la Bentley.
Un silence de plomb s’installa dans l’habitacle : Adam Young serrait Toutou contre sa poitrine, redoutant les retombées de sa dernière bêtise. Crowley qui l’observait dans son rétroviseur, détourna son regard du jeune garçon et jeta un coup d’œil à son équipier. Ce dernier, lèvres serrées, triturait son alliance avec nervosité et faisait des efforts surnaturels pour contenir sa rage. Au moment où ils prirent la route menant à un ravissant lotissement, la radio s’enclencha, diffusant une chanson fort peu de circonstance.
Love is in the air, everywhere I look around
Love is in the air, every sight and every sound
And I don't know if I'm being foolish
Don't know if I'm being wise
But it's something that I must believe in
And it's there when I look in your eyes
– Pourriez-vous éteindre cette musique de barbare moderne ? grincha son coéquipier.
– Impossible, répondit un Crowley tout aussi agacé, ce n’est pas moi qui décide.
La malicieuse Bentley augmenta le volume. Aziraphale poussa un grognement et tendit la main vers l’autoradio, Crowley le devança, leurs doigts se frôlèrent et à nouveau, un courant invisible traversa leur peau.
Love is in the air
Love is in the air
Oh, oh, oh, oh
Ils retirèrent leurs mains avec précipitation. Crowley posa la sienne sur le levier de vitesse, Aziraphale replia ses doigts contre sa poitrine. La musique s’arrêta d’elle-même lorsque la voiture s’engagea dans une petite allée entretenue conduisant à un adorable petit cottage digne de figurer dans les pages d’un magazine consacré aux joies de la vie champêtre. Crowley sortit le premier de la voiture et ouvrit la porte au petit voyou. Encadrés par deux policiers, Adam Young sut qu’il devrait faire face à son destin. Il ferma les yeux et pria tous les dieux des Comics qu’il connaissait, de Thor à Flash en passant par Shazam, pour le sauver des foudres paternelles. La porte s’ouvrit sur un homme vêtu d’un pull en tartan – décidément les habitants de Tadfield brillaient par leur manque de goût vestimentaire –, une cigarette électronique plantée au coin des lèvres et un journal à la main. Mr.Young était un honnête homme payant ses impôts à temps et versant chaque année un don de quelques livres à une association caritative.
– Adam ! Mais, que s’est-il passé ?
– Mr. Young, commença Aziraphale, votre fils a …
– Je suis désolé ! s’écria sa progéniture en serrant Toutou contre lui. Je ne recommencerai plus !
– Votre fils, Mr.Young, intervint Crowley, a…
Voyant trois paires d’yeux suppliants braqués sur lui, Crowley poussa un soupir :
– eu un petit incident avec son vélo.
– Bicyclette, corrigea Aziraphale.
– Et nous vous le ramenons, sain et sauf.
– Oh, fit Mr.Young soulagé. Merci ! Je croyais qu’il avait encore embêté Mr.Tyler. Adam appréciait beaucoup Miss Honey, la précédente propriétaire… mais il a pris en grippe ce pauvre monsieur et …
– C’est un sale con, siffla Adam.
Crowley n’émit aucune remarque, approuvant les propos de l’enfant par un éloquent silence. Mr.Young reprit son fils sur son langage et offrit un sourire au policier aux cheveux de feu. Il avait entendu quelques rumeurs au sujet du nouveau capitaine de police mais force était de constater qu’en dépit de son accoutrement peu orthodoxe, il semblait sympathique. Mr.Young se promit de ne plus prêter attention aux commérages de Mrs.Paddington et de Mrs.Brown qui lui avaient décrit le capitaine Crowley – Crawley ? – comme un piètre individu au caractère déplorable. Lors de la prochaine rencontre du Club des Joyeux Pédestres, il ferait en sorte de redorer le blason de l’aimable capitaine de police. Adam Young quant à lui, fixait le policier anciennement londonien d’un œil ébahi. Il se tourna vers lui et lui murmura un « merci, m’sieur » que ledit capitaine accueillit d’un grognement. Adam déposa son chien sur le paillasson, et à la grande stupeur de Crowley et de son père, entama une curieuse danse.
– Tu avais raison, j’avais tort, tu avais raison.
Il conclut sa danse par une révérence du plus bel effet. Mr.Young écarquilla les yeux de surprise. Aziraphale eut un curieux gloussement et après avoir décliné un thé et quelques douceurs, les deux coéquipiers regagnèrent la Bentley, laissant tranquilles père, fils et chien.
– C’était quoi ça ?! s’étrangla Crowley une fois la porte des Young refermée.
– Quoi donc ?
– Cette danse ridicule !
– Ce n’est pas ridicule ! C’est une tradition galloise : la danse de l’excuse.
– La danse de la quoi?!
Aziraphale se lança alors dans une explication détaillée afin de lui présenter la gigue dont les origines remontaient au Moyen âge lorsque, peu de temps avant la perte de l’indépendance du Pays de Galles, le dernier prince gallois, Llywelyn ap Gruffudd, avait refusé d’écouter les conseils de son frère Dafydd. Après avoir enchaîné quelques erreurs stratégiques, le prince avait exécuté cette petite danse devant son armée pour se faire pardonner son manque de jugement. La gigue n’avait cependant pas suffi et quelques semaines plus tard, la tête de l’incompétent termina son épopée dans les rues de Londres.
– Par la queue de Satan, je nage en pleine comédie musicale ! grogna Crowley.
– C’est une excellente façon d’admettre ses torts. À propos… merci. L’an dernier, Adam a dégradé le verger des Tyler et son père a menacé de l’envoyer au pensionnant à la prochaine incartade. C’est très gentil de votre part de n’avoir rien dit.
– Je ne suis pas gentil ! Quant à vous, lieutenant Fell, je vous prierai à l’avenir de faire votre travail en restant dans les clous !
– Mes principes…
– Rien à foutre de vos principes à la noix ! Vous vous prenez pour qui, Mary Poppins ? Vous croyez qu’on peut tout résoudre à coups de morceaux de sucre et de foutues danses à la con !
– Ce n’est pas…
– Vous êtes flic, bordel ! Pas un putain d’ange gardien ou je ne sais quoi !
– De toute évidence, répliqua Aziraphale en réajustant son veston, nous n’avons pas du tout la même conception du métier.
– De toute évidence, je suis meilleur policier que vous !
– Si vous étiez si doué que ça, pourquoi vous ont-ils renvoyé alors ?
Crowley, décontenancé par la perfidie de cette attaque en resta coi de stupeur. Il émit une série de borborygmes et se glissa au volant de sa voiture. Il mit le contact et dans un crissement de pneus assourdissant, quitta l’allée, abandonnant son coéquipier à son sort. Au bout de quelques minutes seulement, saisi par la culpabilité, Crowley ralentit l’allure et abaissa la vitre côté passager en s’approcha du trottoir où Aziraphale marchait.
– Montez, lieutenant Fell.
En guise de réponse, l’interpellé tourna la tête de l’autre côté et accéléra le pas.
– Boucle d’Or, arrêtez de vous comporter comme un idiot et montez dans cette voiture !
Aziraphale se mit à siffloter quelques notes de musique classique tout en décrétant qu’il n’avait nulle envie d’ « être transporté dans cette automobile infernale ».
– Très bien ! s’écria Crowley en arrêtant la Bentley.
Il descendit de voiture et se plaça face à son coéquipier. Aziraphale tenta de l’esquiver en passant par la droite, Crowley lui bloqua le passage. Le lieutenant fit un autre pas sur le côté, le capitaine tendit les bras pour parer toute tentative de fuite.
– Que dois-je faire, lieutenant Fell, pour que votre grandeur daigne enfin m’accorder un peu de son intérêt ?
Aziraphale revint face à lui, les bras croisés contre sa poitrine. Il leva le menton et Crowley fut de nouveau frappé par l’éclat de ses yeux clairs.
– Dois-je m’incliner, vous offrir une révérence ou m’agenouiller pour vous baiser les pieds, lieutenant Fell ?
Une grimace horrifiée se dessina sur les traits de son équipier.
– Jamais je ne vous laisserai vous mettre à genoux devant moi !
– Tant mieux, parce que je ne compte pas vous offrir ce plaisir !
Ce qui était fort dommage pour le lieutenant Fell, car le capitaine Crowley savait quel ineffable délice on pouvait tirer d’une telle posture ; par bienséance, nous éviterons cependant de nous épancher sur ce sujet tout à fait juteux.
– J’attends, fit alors Aziraphale en lui adressant un regard que Crowley ne sut qualifier autrement que de « bâtard ».
– Quoi … Non ! Non ! Non ! s’écria l’intéressé en comprenant les intentions de son coéquipier. Je ne ferai pas cette danse ridicule !
– C’est la tradition, reprit un lieutenant Fell bien décidé à obtenir ce qu’il désirait.
– Allez vous faire pendre, Fell, vous, vos bouclettes, vos traditions et votre maudit Pays de Galles ! cria un Crowley refusant de se faire mener par le bout du nez par un individu arborant un nœud papillon en tartan.
Aziraphale arqua le sourcil droit. Crowley sut qu’il venait de perdre le combat. Il s’écarta de quelques pas, ses yeux rivés au visage de son coéquipier et, se rappelant des mouvements exécutés par Adam Young, lui, le petit génie de la très sérieuse Metropolitain, exécuta la petite gigue au beau milieu de la rue.
– Tu avais raison, déclara-t-il en effectuant un petit mouvement de poignet. J’avais tort, continua-t-il en se tournant. Tu avais raison, acheva-t-il en offrant sa nuque et ses derniers lambeaux d’amour propre au Gallois.
– Très bien, fit un Aziraphale satisfait en le détaillant de la tête aux pieds.
Il redressa son nœud papillon et se dirigea d’un pas conquérant vers la Bentley. Il ouvrit la porte côté passager et s’installa sur le siège, telle une reine sûre de son bon droit. Crowley comprit que sous ses airs de comtesse, Boucle d’Or dissimulait un tempérament de roué, ce qui n’était pas pour lui déplaire.
– On retourne chez Tyler pour récupérer votre vélo ? demanda Crowley en prenant le volant.
– Bicyclette, le reprit Aziraphale en consultant sa montre à gousset. Non, je suis attendu à la mairie.
– Je vous accompagne, lieutenant Boucle d’Or ? Ça me donnera une occasion de saluer notre sommité locale.
À ces simples mots, la belle assurance d’Aziraphale s’évapora et la personne qui le fixait à présent dans le rétroviseur avait tout d’un enfant apeuré. Il porta sa main droite à son annulaire gauche et se mit à tourner son alliance avec brutalité comme pour tromper son angoisse.
– Je ne préfère pas… murmura-t-il en baissant les yeux.
Crowley, refrénant sa maudite curiosité, ne posa aucune question et fit adopter à la Bentley une allure plus lente qu’à l’accoutumée, lorsqu’il traversa la route principale menant au centre-ville de Tadfield.
Ineffables blablas:
- Le titre du chapitre est un clin d'oeil à un titre de film que j'aimais quand j'étais enfant: Arrête ou ma mère va tirer ! une comédie policière avec Sylvester Stallone...
- La chanson diffusée par la Bentley est Love is in the air de John Paul Young, mais j'avoue une petite préférence pour la version chantée par Colin Firth et Rupert Everett dans le film St Trinian's pensionnat pour jeunes filles rebelles. Je vous recommande ce film... Dans le deuxième opus, David Tennant fait partie du casting.
- L'auteur de la présente fanfiction présente ses excuses à : la police britannique, l'Education nationale, aux Finances publiques, aux vendeurs de tapis pour les propos tenus par Mr. Ronald P. Tyler.