Tombé du Ciel~Le Second Avènement

Chapitre 7 : Je suis doux et humble de cœur

2574 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 28/11/2023 20:48

~Librairie A.Z Fell-Soho~


Muriel s’était déjà enfermée dans sa chambre quand Crowley et Issa rentrèrent à la librairie, le soir venu. Le démon avait encore manipulé la météo sur le chemin du retour pour faire plaisir au petit garçon, qui était resté sous la pluie pendant une bonne demi-heure, cependant que Crowley s’était assis dans la Bentley garée juste à côté. Il en avait profité pour écouter un CD de Queen, que la voiture s’était entêtée à remplacer régulièrement par de la musique classique, poussant même la provocation jusqu’à passer du bebop ! 

Issa s’était couché, tout habillé, depuis plusieurs heures dans la chambre de Jimbriel, devenue la sienne, et Crowley s’était endormi sur le canapé, à l’étage inférieur. 

Il se réveilla en sursaut, après avoir revécu en rêve, ou plutôt en cauchemar, l’éruption du Vésuve. Il avait l’impression de suffoquer en repensant aux fumées, à la lave, aux morts, à la peur… Cette peur indescriptible qu’il avait ressentie au chevet d’Aziraphale. Sa prière à Dieu, qui l’avait, non seulement écouté, mais exaucé, lui, le Déchu, l’Impardonnable… 

Il avait besoin d’air. Maintenant ! 

D’un claquement de doigt, il se matérialisa sur le toit de la librairie et s'assit au bord, balançant négligemment ses longues jambes dans la vide. Il resta un moment silencieux, puis leva ses yeux défaillants vers le ciel, dont il ne distingua aucune étoile, aucune lumière. Il n’y avait que l’obscurité à laquelle il était condamné. Il y avait bien longtemps qu’il avait quitté la lumière, la chaleur et la couleur de sa vie d’Avant. 

Bien longtemps qu’il ne s’était plus senti enveloppé et choyé par Son amour… 

— Je pensais que ma Déchéance était une punition suffisante, mais non ! Il fallait que Tu le mettes sur mon chemin pour me donner de faux espoirs, puis Tu me l’as repris… Sache que ce que j’ai subi en Enfer n’est RIEN en comparaison de cette douleur ! Tu es satisfaite ? Pourquoi es-Tu si cruelle avec moi ? Dieu ! Tu m’entends ? POURQUOI ? J’ai juste… J’ai juste posé des questions… 

Il rebaissa la tête, ferma ses yeux et serra les dents pour s’empêcher de pleurer. Il ne voulait pas Lui donner ce plaisir… Alors qu’il ressassait toute sa rancœur, une odeur familière d’eau de Cologne lui parvint. Il ouvrit ses yeux et se tourna brusquement sur sa droite. Aziraphale était assis là, juste à côté de lui, les jambes pendantes au bord du toit, les yeux fixés sur le petit serpent qui ornait sa joue, éclairé par le clair de Lune : 

— Tu ne dors pas ? demanda-t-il, d’une voix si douce et si préoccupée…

Putain… Qu’est-ce que tu fous là ? T’as pas un Paradis à régenter, toi ? 

L’ange ne sembla pas s’offusquer de l’agressivité de Crowley : 

— Je me suis soustrait à mes obligations, j’avais quelque chose à te dire, mais… Ça peut attendre ! Pourquoi es-tu sur mon toit ? 

— TON toit, TON Paradis, TES anges, TES obligations… Tu es venu voir si TON démon t’avait obéi ?

Crowley… Tu n’es pas MON démon… En tout cas, si je devais t’appeler ainsi, ça n’aurait rien de possessif, ni d’humiliant…

— Ce serait quoi alors ? Affectueux ? ironisa Crowley, qui évitait le regard de l’ange, regrettant amèrement de ne pas avoir pris ses lunettes avec lui.

Une ombre furtive passa dans le regard de l’archange, qui baissa ses yeux sur la main du démon, posée juste à côté de la sienne. Si proche… Dans un mouvement à peine perceptible, il posa son auriculaire sur celui de Crowley. Le démon se tendit à ses côtés : 

— Tu me touches, maintenant ? Je ne te dégoûte plus ? 

— Tu… Tu ne m’as jamais dégoûté, Crowley ! Je… Je suis désolé de t’avoir blessé, mais je ne pouvais pas… Je ne peux pas… 

Le démon retira brusquement sa main pour rajuster inutilement son foulard : 

— Ça ne fait rien, c’est ma faute ! C’est toujours ma faute. Je n’aurais jamais dû… Une créature aussi impure que moi… Je n’aurais jamais dû souiller tes lèvres, je ne suis même pas digne de me tenir aussi proche de toi, Archange Suprême

Crowley se tourna et se leva d’un bond, pour s’éloigner de sa démarche souple et élastique, mais cette fois-ci, l’ange le rattrapa et posa une main ferme sur la fine épaule du démon. Sa force de Prince du Paradis étant désormais décuplée, Crowley fut immobilisé et grimaça furtivement de douleur et de surprise mêlées. Il se retourna, une lueur de peur dans ses iris dorés, puis, de façon aussi imprévisible que rapide, il s’agenouilla aux pieds d’Aziraphale : 

— C’est Dieu qui t’envoie, c’est ça ? J’ai encore posé trop de questions ? Vas-y, Archange Suprême, châtie-moi, détruis-moi, efface-moi du Livre de la Vie ! Tu sais quoi ? Ce sera un soulagement pour moi, je n’en peux plus de souffrir autant ! Au moins, Elle m’aura permis de te voir une dernière fois… 

Le démon ferma les siens et Aziraphale, catastrophé, se laissa glisser au sol pour se mettre au niveau de Crowley, mais n’osa pas le toucher : 

Oh, Crowley… Je ne suis pas venu te détruire ! Ce que je voulais, c’était… Je suis désolé de t’avoir fait mal et je ne voulais pas te faire peur…

Le Déchu rouvrit ses yeux pour poser un regard suspicieux sur l’ange : 

— Alors qu’est-ce que tu veux ? 

— J’aimerais entendre les rossignols à nouveau ! 

La réponse était aussi spontanée que sincère, et elle surprit autant l’ange que le démon. Les yeux de Crowley ne reflétaient que de la douleur, seul sentiment qu’il ressentait depuis des mois et des mois. Aziraphale voulait enlever toute cette souffrance, l’aspirer comme un venin et voir à nouveau la malice habiter ces yeux serpentins qu’il aimait tant ! Il approcha son visage de celui du démon. Crowley, d'habitude si agité, demeurait parfaitement immobile… L’ange était si proche qu’il pouvait sentir le souffle chaud de sa respiration saccadée, admirer les nuances de jaune dans ses iris, contempler ses lèvres si fines s’entrouvrirent imperceptiblement. Il se pencha pour s’approcher encore…

— AZIRAPHALE ! 

Issa venait de se matérialiser sur le toit et courait, pieds nus et les bras grands ouverts vers l’ange. Aziraphale se recula de Crowley juste à temps pour accueillir l’enfant sur ses genoux. Il le serra contre lui, en regardant le démon d’un air désolé, mais celui-ci fit un semblant de sourire à la vue du morveux, qui se pointait, tel le Messie qu’il était… Aziraphale caressait les cheveux d’Issa : 

— Tu m’as manqué, toi aussi ! 

— On va peut-être retourner à l’intérieur ? suggéra Crowley, en se relevant d’un bond gracile.

Les deux anges firent de même, puis Aziraphale se stoppa net pour observer l’enfant, l'œil critique : 

— Tu dormais, Issa ?

— Ouais, dans ma nouvelle chambre ! Crowley m’avait fait un chocolat chaud avant de dormir, comme tu me faisais au Paradis ! 

— Il ne t’a pas mis de pyjama par contre… 

— Quoi ? demanda Crowley, sur la défensive.

— Il est en t-shirt, tu as vu le froid qu’il fait ? 

— C’est un ange, il a pas froid ! C’est quoi le problème ? 

— Tu n’as pas froid non plus, c’est pas pour ça que tu te promènes en t-shirt sur un toit détrempé en pleine nuit ! Et pieds nus en plus… s’offusqua l’ange. 

— J’ai pas froid, j’ai joué sous la pluie tout le temps après d’être rentré de chez Madame Sandwich ! s’enjoua Issa.

Aziraphale arqua un sourcil outré envers le démon, qui leva ses yeux au ciel, tout en claquant des doigts de bas en haut pour matérialiser une robe de chambre écossaise au petit garçon, qui grimaça.

— Le tartan, c’est pour faire passer la pilule ? demanda Aziraphale.

— C’est moche ! remarqua Issa avec un regard furibond pour Crowley.

— La pilule, quelle pilule ? Tu manques pas d’air, tu m’ab… Tu pars pendant des mois sans donner de nouvelles, tu réapparais en me collant un mioche dans les bras, tu repars, et encore tu trouves le moyen de pas être content ? Est-ce que tu as au moins une petite idée de l’énergie que ça m’a demandé de m’occuper de lui ?

— Personne n’a dit que c’était facile d’élever un enfant, Crowley ! 

— Personne n’a dit non plus qu’on allait en élever un, Archange Suprême

— Je… Hum… Je n’ai pas dit… C’est le fils de Dieu, pas le nôtre… Enfin… s’embrouilla Aziraphale.

— Bah tiens… Issa, tu lui as déjà parlé à Dieu ? interrogea le démon. 

— Le Metatron a dit que Dieu était trop occupée, et aussi qu’il fallait que j’arrête de poser des questions ! 

Crowley grogna en attrapant la main d’Issa : 

— Allez viens, on rentre !

Issa tendit aussitôt son autre main à Aziraphale, qui s’en saisit et ils se matérialisèrent tous les trois à l’intérieur de la librairie. Issa se débarrassa aussitôt de sa robe de chambre, qu’il jeta sur le fauteuil d’Aziraphale.

— Que faisais-tu chez Madame Sandwich, mon petit ? demanda l’archange, dans une piètre tentative de détendre l’atmosphère. 

— Maddie m’a gardé pendant que Crowley était au travail ! C’était cool, je l’ai aidé à trier ses, euh… Ses portes jarretelles et aussi ses…

— Oui, bon, on a compris, tu l’as aidé à trier son linge, c’est bien, Issa ! le coupa précipitamment le démon.

— Tu as confié le fils de Dieu à une prostituée qui s’appelle Maddie ? commença à s'énerver l’archange.

— J’ai trouvé personne d’autre, t’aurais préféré que je le prenne avec moi au Pandémonium ? T’inquiète pas, j’ai trouvé une autre solution pour demain, il va aller chez Mutt jouer avec son mioche, Saul… 

— Je vais demander à Muriel de me raconter une histoire, je m’ennuie ! intervint Issa, en se dirigeant vers les escaliers. 

Aziraphale se frotta le visage avant d’ajouter, d’une voix grave et autoritaire, que Crowley n’avait entendue que très peu de fois en plus de 6000 ans : 

— Tu vas laisser Issa, Jésus, jouer avec Saul (1) ? 

Un frisson parcourut l’échine du démon ; toute la puissance du Prince du Paradis venait de raisonner au travers de ses cordes vocales, bien qu’il n’ait pas eu à hausser le ton… Ses instincts démoniques poussaient Crowley à s’enfuir et bien qu’il fût plus ou moins convaincu que l’ange ne lui ferait pas de mal, sa propre voix perdit un peu de son habituelle assurance : 

— Je… Je peux essayer de voir avec Maggie, sinon… 

— Non… Je te fais confiance… Pardonne-moi de m’être énervé, Crowley, je… Je n’ai pas beaucoup de temps, il faut que je reparte ! souffla Aziraphale, le visage soudain marqué par l’inquiétude et le remords. 

— Tu… Tu as dit que tu étais venu me dire quelque chose… tenta le démon pour le retenir.

— Ah oui… Le… Le Metatron, il… Il a parlé d’un autre plan pour assurer notre victoire, je ne sais pas de quoi il parle, Crowley… Si… Si jamais tu entends quelque chose… En Bas… 

— Je vais essayer de savoir si quelqu’un est au courant de quelque chose ! 

— Ça, euh… Comment ça s’est passé pour toi… En Enfer ? 

Crowley claqua des doigts et son écharpe se matérialisa autour de lui devant le regard étonné et un brin appréciateur de l’archange.

— Tu… Ils t’ont fait Duc de l’Enfer ? 

Le démon acquiesça silencieusement, tandis qu’Aziraphale s’approchait inconsciemment pour poser le plat de sa main sur l’écharpe jaune. Crowley tressaillit et ferma à nouveau les yeux.

— Je… J’aime bien la couleur ! Elle est assortie à tes yeux… Ne les ferme pas, je t’en prie, laisse-moi les voir… 

Le Portail s’alluma soudainement, rompant le contact entre les deux entités célestes, Aziraphale s’empressant de regagner la lumière : 

— Je dois partir, Crowley, je… Je… 

Il fut aspiré avant de pouvoir terminer sa phrase, laissant une fois de plus Crowley derrière lui. Moins seul que la première fois, cependant… 

— Il est parti Aziraphale ? demanda la petite voix d’Issa, derrière le démon. 

Crowley se retourna doucement : 

— Oui, se contenta-t-il de répondre, en déglutissant avec peine.

— Dommage, je voulais lui montrer la surprise pour toi ! 

— Quelle surprise ? 

Issa s’assit en tailleur par terre : 

— Viens ! 

Le démon s’agenouilla en face du petit garçon, curieux.

— Muriel m’a dit que tu pouvais pas voir les étoiles…

— Et ?

— Et Aziraphale m’a dit que tu adorais Alpha du Centaure ! poursuivit l’enfant, avec un sourire malicieux. 

— Tu… Tu m’as fait un dessin ? demanda Crowley, perplexe.

— C’est quoi un dessin ? Non, c’est ça ma surprise ! 

Issa frotta ses petites paumes l’une contre l’autre, puis les ouvrit. Au creux de ses mains brillait la constellation du Centaure, miniaturisée. 

Elles étaient toutes là, ses précieuses étoiles, aussi brillantes, colorées et magnifiques que dans ses souvenirs. Alors Crowley, bien que subjugué par ce spectacle, qui lui était interdit depuis des millénaires, plongea son visage dans ses mains et se mit à pleurer. Issa leva les siennes, en l’air et la constellation remplit soudain tout l’espace de la librairie autour d’eux, les enveloppant. Il se rapprocha alors de Crowley et tendit une main timide vers ses cheveux pour écarter une mèche de son visage : 

— Ça te plait pas ? 

Le démon rapprocha l’enfant pour le serrer dans ses bras et murmura dans ses cheveux : 

— Merci, Issa…



(1) Allusion à Saul de Tarse, aka Saint Paul. Il a été un persécuteur des premiers chrétiens (approuvant notamment la lapidation d’Etienne, premier martyr chrétien), avant sa rencontre mystique sur le chemin de Damas. Je fais souvent allusion à lui, mais c’est mon préféré de la bande, désolée…




***** Vous y avez cru ? Eh ben non 😂, le prochain update n'aura pas lieu tout de suite, je vais rédiger un prompt de Noël pour mon autre fic GO 😉. Bonne soirée ❤️ *****

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