Tombé du Ciel~Le Second Avènement
Chapitre 5 : Celui qui me suit ne marchera pas dans les ténèbres
2276 mots, Catégorie: M
Dernière mise à jour 07/11/2023 08:41
~Conseil des Ténèbres-Deuxième Cercle de l’Enfer~
Crowley se tenait sous un halo de lumière verdâtre devant Shax, Furfur et Dagon. Tous affichaient un visage plus ou moins suspicieux et surpris à l’annonce que venait de faire leur collègue.
— Tu acceptes d’être Duc des Enfers… À mi-temps, c’est bien ça ?
— C’est tout à fait ça, Seigneur Shax !
— On peut savoir ce qui te retient sur Terre pour que tu ne puisses pas demeurer ici ? Six mille ans de vagabondage ne t’ont pas suffi ? interrogea Furfur, d’une voix traînante.
— Il faut bien continuer de nous représenter là-bas…
— C’est à la portée de n’importe qui ça… Même un simple damné pourrait le faire ! Et je ne dis pas ça pour ne pas t’offenser… rajouta Dagon, en se penchant en avant pour rire aux dépens de Crowley.
— Il peut rester ici à mi-temps, de toute façon je ne suis pas sûre de pouvoir le supporter plus longtemps, lui et ses sarcasmes ! trancha Shax.
— Très bien… Le Conseil donne son accord à la nomination du démon Crowley au poste de Duc de l’Enfer… À temps partiel ! clama Dagon à l’assemblée de démons et de damnés présents.
Shax claqua des doigts et une écharpe jaune ambre, agrémentée d’un serpent brodé en rouge cardinal, se drapa sur l’épaule gauche de Crowley, témoignant de son nouveau statut. Réprimant une grimace à cet ajout vestimentaire qu’il jugeait contraire à son dress code soigneusement étudié, il prit place sur le trône qui lui était destiné, lui aussi enjolivé de plusieurs serpents entortillés le long des pieds et des accoudoirs. Incapable de s’asseoir normalement, il croisa ses jambes, qu’il bascula à droite, tout en appuyant la moitié supérieure de son corps sur son accoudoir gauche, son menton reposant dans le creux de sa main :
— Alors, du nouveau des étages supérieurs, les amis ?
— Les Humains ne t’ont pas appris à t’asseoir correctement ? s’agaça Furfur, en égrenant les pendentifs à motifs de bois de cerfs de sa chainette en argent, à la manière d’un chapelet.
— Satan lui-même n’a pas réussi… soupira Dagon.
Crowley mimiqua un bisou à l’encontre de Dagon pour toute réponse, qui lui montra les dents en retour.
— Ça suffit ! Le Deuxième Cercle n’est pas une aubr… Une aubégi… Une aubergine de jeunesse ! trancha Shax.
— Une auberge, Seigneur Shax, une auberge ! Une aubergine, c’est un légume… Ou un émoji tendancieux… rajouta Crowley, en basculant sa tête sur le côté, l’air méditatif.
— Bref ! Nous avions raison de penser qu’il s’agissait d’un prélude… Apparemment, la provocation de Michael était le premier signe ! rétorqua Shax, d’une voix de conspirateur.
— Mmmm… Le premier signe de quoi ? interrogea le nouveau Duc.
— Eh ben… On sait pas…
— C’est là que tu interviens, Crowley ! ajouta Dagon.
— Ah bon ?
— Oui ! Quoique prépare la volière céleste, il y a forcément un rapport avec la Terre, c’est le terrain de jeu préféré de l’Autre ! Tu vas donc observer de près tout mouvement angéliquement anormal, en particulier autour de leur Ambassade, l’ancienne librairie du nouveau petit coq du Paradis ! Ta Légion se tiendra prête si tu rencontres la moindre difficulté à plume blanche. Une vraie Légion, 6666 soldats !
— Ngnnnk… Laissez ma Légion où elle est, Seigneur Shax, je préfère travailler en solo… Dans le feutré. C’est tout ?
— Oui ! Maintenant dégage ! la congédia Dagon, d’un revers de main.
— Hum, hum… Va remplir ta mission pour la gloire de Satan, Duc Crowley ! corrigea Furfur, devant l’habitude prise par les autres démons depuis des millénaires de traiter Crowley avec condescendance.
— Oui, c’est ce que je voulais dire, naturellement… marmonna Dagon, en mimiquant à son tour un bisou envers Crowley, qui fit semblant de l'attraper au vol pour son plus grand agacement.
~Bureau de l’Archange Suprême-Paradis~
Aziraphale s'était tenu devant l’hologramme de la Terre pendant des heures, se demandant ce que pouvait bien devenir son petit protégé… Il avait, bien sûr, toute confiance en Crowley, mais il ressentait un manque depuis que le petit n’était plus avec lui. Depuis qu’il avait quitté la Terre, et sa séparation forcée avec le démon, la présence d’Issa avait représenté un réconfort dont il n’avait pas soupçonné l’importance tant qu’il l’avait à ses côtés… À l'image de l'absence de Crowley, qui lui était chaque jour plus intolérable, celle d’Issa devenait plus cruelle à chaque heure passée loin de lui ! Le petit garçon était futé, curieux, un brin insolent, mais profondément bon. Un peu trop similaire à Crowley pour que l’archange ne s’attache pas à lui d’une manière aussi inconsidérée que viscérale…
Aziraphale se demandait s’il avait pris la bonne décision en acceptant le poste d’Archange Suprême. Moins il se laissait bercer par les encouragements et les compliments du Metatron, plus il remettait en cause ses choix de carrière…
Que se serait-il passé s’il était resté sur Terre ? S’il avait laissé une chance à Crowley de l’embrasser pour une raison autre qu’une tentative désespérée de lui faire refuser la proposition du Metatron. Il avait été si exalté par l’offre de la Voix de Dieu et par sa clémence envers Crowley, qu’il pensait impardonnable, qu’il n’avait écouté qu’à demi-mots la confession du démon ! Quand il essayait de se remémorer les paroles de Crowley, la même impression de flou qu’il ressentait depuis des mois embrumait ses souvenirs et seuls quelques mots, sortis de leur contexte, se répercutaient en faibles échos dans son esprit troublé. “Tu vaux mieux que ça”, “espèce d’idiot”, “tu as raison”, “bonne chance”, “je comprends”...
Plus Aziraphale essayait de mettre du sens sur ces paroles, plus la sensation de malaise s’insinuait, ravageant son cœur et labourant les tréfonds de son âme, ne lui laissant aucun répit, s’acharnant à lui rappeler, encore et encore, la vérité de ses sentiments. Lui qui avait si bien réussi à nier pendant des millénaires l'attirance qu’il ressentait pour le démon. Lui qui avait si habilement ignoré l’évidence, refusant de mettre un nom sur son inclination envers Crowley… Naturellement, il le savait et l’avait toujours su ! L’ampleur de son déni étant proportionnelle à celle de ses sentiments, mais il tenait ceux-ci enfermés dans un écrin qu’il chérissait secrètement et dont il espérait que personne ne le découvre jamais.
Les conséquences seraient… Désastreuses ! Le simple fait qu’un ange, une créature appartenant à Dieu et à Dieu seul, ressente de l’amour pour un autre que son Créateur était, en soi, une aberration ; le fait qu’un ange puisse aimer un démon, une faute grave !
Aziraphale n’était pas prêt pour la damnation ! Crowley lui avait dit une fois que l’Enfer ne lui plairait pas et il le croyait sur parole… Il avait toutefois, par le passé, imaginé devenir un déchu, juste pour imaginer pouvoir s’afficher avec Crowley. L’Enfer était certainement plus permissif que le Paradis au sujet de tourner le dos à Dieu pour laisser libre court à ses passions, non ? Aziraphale était-il prêt à abandonner ses ailes blanches ? À les troquer contre des ailes noires (fussent-elles aussi magnifiques que celles de Crowley) pour devenir, lui aussi, un subalterne de Satan. Un esclave… Rien que l’idée provoquait en lui un dégoût inqualifiable ! Crowley n’avait pas souhaité se damner. Il le lui avait assez répété, utilisant des traits d’esprit, voire de l’humour pour dissimuler ce qui était, en fait, une immense détresse et un profond désarroi. Sans parler de regret…
Alors comment Aziraphale pourrait-il bien subir cela volontairement ? Se damner de son plein gré ? Crowley ne lui pardonnerait jamais… Et lui ? Pourrait-il se pardonner de renier son Créateur pour l’amour d’un démon ?
Apparemment non, sinon il n’aurait pas choisi de suivre le Metatron. Il aurait pu refuser le poste et continuer à vivre sur Terre, aux côtés de Crowley, dans le doux mensonge d’une amitié qui n’en était pas une… Mais combien de temps cela aurait-il pu durer encore ? Avec le Second Avènement, aucun lieu sur Terre, aucune Ambassade du Paradis ne pourrait protéger, ni cacher qui que ce soit du Jugement et de la Désolation.
“Quand le Paradis mettra fin à la vie sur Terre, ce sera pareil que si c’était l’Enfer qui l’avait fait”.
Cette phrase venait de ressurgir de nulle part, comme une réponse envoyée à ses questionnements, comme une confirmation de ses doutes… Pourquoi ne s’en était-il pas rappelé plus tôt ?
D’un revers de main, l’Ange renversa le gobelet bleu rempli de café que le Metatron lui avait déposé quelques minutes plus tôt. Le liquide se renversa et une fumée irisée s'en échappa lorsque celui-ci heurta le sol immaculé du bureau. Étrange… Aziraphale se pencha pour examiner la flaque encore fumante lorsque la Voix de Dieu raisonna dans son dos, le faisant sursauter, comme souvent :
— Eh bien, Aziraphale ? Tu deviens maladroit ? Ou bien, t’es-tu encore promené cette nuit ?
— Je… Hum… J’ai bien peur d’être un peu maladroit, Votre Grâce… Je n’ai pas bougé !
— Je sais, je l’ai vu sur le GPS, je te taquine, Archange Suprême ! Je vais aller te rechercher du café…
— Non merci, Votre Béatitude, répondit un peu vite l’interpellé.
— J’insiste ! Je reviens tout de suite !
La Voix était sans appel et le Metatron s’en alla immédiatement s’enquérir de sa mission ! Étrange… La Voix le surveillait donc via le GPS ? Cette surveillance était-elle constante ? Et cette obstination à vouloir lui faire boire du café… L’Ange se demandait pourquoi il ne le remarquait que maintenant. Il avait toujours pris ce rituel comme une marque d’affection de la part du Metatron, qui semblait comprendre et tolérer son affection pour les Humains et leurs habitudes alimentaires. Aziraphale se pencha à nouveau sur la flaque de café en fronçant les sourcils, et après une brève hésitation, tendit sa paume vers le haut, joignit ses doigts et descendit tout doucement sa main afin de procéder à un minuscule miracle. Le café disparut aussitôt, mais une faible quantité de liquide légèrement ambré resta répandue au sol. L’Ange trempa son petit doigt dedans et le porta à son nez, puis à sa bouche et reconnut immédiatement le goût safrané. Du laudanum.
Après son aventure à Edinburgh en 1827, Aziraphale avait été interpellé par l’effet de cette substance sur Crowley. Il pensait que les poisons et autres drogues humaines n’avaient aucun effet sur leur incarnation, du fait de leur essence céleste, mais au vu des conséquences à la fois bénéfiques (le sauvetage de la petite Elspeth) et désastreuses (le châtiment de Satan qui avait suivi) de l’ingestion de laudanum par le Démon, l’Ange s’était rendu à l’évidence que ce n’était pas le cas !
— Tiens !
Le Metatron était déjà de retour et posait une nouvelle tasse bleue sur le bureau encombré de l’archange… Aziraphale s’empressa de se redresser et d’adopter un visage neutre, en frottant compulsivement ses mains contre sa veste.
— Tu sais, Aziraphale… Je me demande si on ne devrait pas réfléchir à une autre stratégie pour la suite du Grand Plan…
— Une autre… Stratégie ? Je ne suis pas sûr de… De comprendre… Issa va grandir et il… Eh bien, il agira selon les volontés de Dieu…
— Mmmmm… En espérant que ton idée de le faire grandir parmi les Humains ne l’influence pas dans le mauvais sens !
— Le mauvais sens ? C’est… C’est-à-dire, Votre Grâce ?
— Eh bien, tu sais… Le libre-arbitre ! Il ne faudrait pas qu’il pense pouvoir en bénéficier, ce serait… Dommageable ! Il est le Messie après tout, le libre-arbitre est réservé aux Humains ! Comme tous les anges, comme toi-Aziraphale-il doit rester à sa place et obéir aveuglément ! Tu sais ce qui arrive aux anges qui posent problème et désobéissent, comme Crowley et les autres…
Aziraphale se fit violence pour ne montrer aucune réaction à la mention du démon, mais resta stoïque et déterminé à ne rien laisser transparaître qui pourrait le trahir :
— Ils sont punis comme ils le méritent, Votre Grandeur… Mais… À quelle autre stratégie pensez-vous ?
— Une stratégie visant à assurer nos arrières… Je te laisse boire ton café et travailler, Archange Suprême, je t’entretiendrai de tout cela plus tard !
***** Enfin un nouveau chapitre ! Il était prêt depuis un moment, mais le Kinktober m'a quelque peu occupée et je n'avais fait aucune correction, ni relecture, d'où le délai... À bientôt 💖 *****