Les esprits souterrains
Chapitre 2 : Le vingt octobre deux mille sept
4374 mots, Catégorie: M
Dernière mise à jour il y a 24 jours
20 octobre 2007, 7 h 00.
Le lendemain matin, Melinda raconta à Jim son rêve. Elle lui fit part de ses réflexions, à savoir que le rêve se rapporte sans doute au couple d’esprit serbes qu’elle avait rencontré la veille. Il l’embrassa pour toute réponse.
Après le petit-déjeuner, Jim se rendit à son lieu de travail, l’hôpital Mercy. Sa femme, elle, se rendit dans le parc(28), dans l’espoir de faire partir dans la Lumière Tessa Lucas, Ivan Dren, Marko Dren et Natalija Zovkov-Dren. Elle se promena, admirant les feuilles qui tombèrent des arbres et qui brillaient sous la lumière du soleil automnal.
Seule son ancêtre apparut à sa droite, sourire aux lèvres et murmura, en regardant autour d’elle :
— Comme notre ville est belle, Melinda !
Petit sourire en coin des lèvres, l’interpellée murmura :
— C’est vrai que Grandview est une belle ville… Encore plus lorsque les esprits errants partent dans la Lumière et ne viennent pas… déranger… hanter… les vivants…
Son ancêtre approuva en secouant sa tête de haut en bas.
Les deux femmes regardèrent en silence le paysage qui s’offrait à elles. Les arbres avec quelques feuilles s’élevaient fièrement vers le ciel, les feuilles sur le sol brillaient d’une lueur particulière sous le soleil automnal. Sans oublier une légère brise qui rafraîchissait l’air, obligeant Melinda à boutonner complètement son manteau blanc. Elles dicernèrent des gens qui se promenaient, certains étaient des couples, d’autres des familles. La passeuse d’âmes s’assit sur un banc baigné par le soleil.
Tessa s’assit à sa droite et commenta :
— Melinda, je te souhaite du succès dans tes projets futurs…
Elle fit une courte pause silencieuse, mine pensive, puis ajouta :
— En espérant que tu parviendras à faire passer dans la Lumière les trois esprits que tu as rencontré hier…
Melinda murmura :
— J'espère aussi… Mais je ne comprends pas grand-chose à leur histoire…
— Au moins, maintenant que je sais que ma petite Julia a eu une descendance… et que tu es mon arrière-arrière-petite-fille…
— Exactement…
— Je suis rassurée…
Tessa tourna soudainement sa tête vers sa droite, apercevant une lumière surnaturelle qu’elle seule voyait. Lueur de joie, yeux pétillants, elle sourit et murmura :
— Voilà mon John… J’arrive !
Elle se retourna vers sa descendante et murmura :
— Mon mari me fait des signes de main… de le rejoindre… Je me sens tellement heureuse… tellement légère… Je com… comprends ce que les esprits errants ressentent avant de quitter définitivement le monde d’ici-bas…
Elle regarda à nouveau vers sa droite, plissa des yeux et commenta :
— Non seulement John, mais aussi ma petite Julia… Elle a vraiment grandi !
Émue, la descendante murmura :
— Tessa, va-y, c’est pour toi !
— Merci à toi, Melinda !
L’ancêtre se leva d’un bond du banc et s’avança vers sa droite, direction vers laquelle elle voyait la Lumière. Plus elle avançait, plus elle s’enfonçait dans cette lumière surnaturelle jusqu’à disparaître complètement de la vue de la passeuse d’âmes. Celle-ci fixa pendant quelques secondes la direction où se trouvait auparavant son ancêtre. Elle soupira de joie.
Tout à coup, alors qu’il y avait un peu moins de personnes près de Melinda, les trois esprits Slaves apparurent devant elle, la faisant sursauter malgré elle.
La brunette regarda tour à tour Natalija, Marko et Ivan en pensant comment vais-je pouvoir les comprendre aujourd’hui ? J’espère seulement que la bénédiction de l’entité surnaturelle d’hier perdure encore…
Ivan dit en serbe :
— Madame, pouvez-vous me dire où sont les autres camarades du bunker ?
Melinda, étonnée de comprendre les propos, sortit rapidement le cellulaire de son sac à main, feignit de répondre à un appel, en appuyant l’appareil sur son oreille gauche, et répondit d’un ton exaspéré en anglais :
— Encore vous est votre histoire de bunker ! C’était où, déjà ?
— Dans la cave de mon… de notre… grand-père paternel… À Belgrade…
En faisant un geste rotatif de sa main droite, elle demanda, lueur d’incompréhension :
— Dans quel pays ?
Marko répondit en serbe, étonné de comprendre les propos de la passeuse d’âmes :
— En Yougoslavie… Euh… La République fédérative socialiste de Yougoslavie…
Ivan, les yeux écarquillés, répliqua dans la même langue :
— Elle a changé de nom ? Il me semble que c’est la République populaire fédérative de Yougoslavie…
Natalija intervint dans la même langue, en faisant un geste vers son beau-frère :
— Ivan, je t’explique… Oui, au début, lorsque nous.. étions dans le bunker, c’était la République populaire fédérative de Yougoslavie… Mais comme Marko et moi étions sortis plusieurs fois à l’extérieur(29)…
Le gardien de zoo serra ses poings de colère.
La femme de son frère continua son explication :
— Nous avons entendu, depuis quelques années, … Si je ne me trompe pas, depuis…
Elle se tourna vers Marko :
— depuis… 1963…
Son mari approuva d’un signe de tête positif.
La Russe poursuivit en se retournant vers Ivan :
— Que notre pays est devenu la République fédérative socialiste de Yougoslavie…
La passeuse d’âmes, perplexe, pensa ironiquement. S’ils continuent comme ça, on va passer toute l’histoire de leur pays !
Ivan répliqua à sa belle-sœur d’un ton bourru :
— Merci, Natalija, de l’information !
Celle-ci murmura : — Il n’y a pas de quoi…
Melinda, moue de mécontentement au visage, répliqua en anglais :
— Je n’imagine quand même pas faire un voyage dans un, voire des pays dont je ne connais pas la langue…
Marko intervint :
— Non, non ! Pas du tout ! D’ailleurs, nous ne voulons pas revenir là-bas…
Elle soupira, puis demanda d’une voix suppliante, en joignant ses mains devant sa poitrine en un geste de prière :
— Pouvez-vous au moins me dire dans quel pays se trouve votre ville… d’après la carte du monde d’aujourd’hui…
Marko commenta d’un air hautain :
— Madame est vraiment nulle en géographie… Elle devrait retourner sur les bancs d’école…
Melinda, ignorant ses propos, répéta sa question. Elle ne put cependant s’empêcher de lui lancer un regard noir, vexée de sa remarque.
Natalija lui répondit d’un ton neutre :
— Selon ce que j’ai compris, en interrogeant certains esprits, Belgrade est la capitale de la Serbie… Euh… de la République de Serbie… Il semblerait que depuis peu, elle est nommée Serbie-et-Monténégro…
La passeuse d’âmes la remercia d’un signe de tête. Elle pensa, en jouant à passer son cellulaire d’une main à l’autre, Ils n’imaginent quand même pas que j’irai me déplacer en Serbie… Qui ne semble pas être près de chez nous… Jim ne sera pas content des frais du voyage…
Elle soupira, s’éclaircit la gorge puis demanda :
— Dans ce cas… pouvez-vous m’expliquer pourquoi vous étiez dans un bunker, qu’avez-vous faits là-bas et pourquoi voulez-vous retrouver les autres occupants ?
Ivan répondit :
— Nous étions dans un bunker… car mon frère…
Il tourna sa tête vers Marko, lui lança un regard noir et poursuivit :
— et son salaud d’associé…
Son frère intervint :
— Le Noir… euh… Petar Popar(30)…
Ivan reprit d’un ton courroucé, en serrant ses mains en poings, les paupières dilatées, le souffle court :
— de Petar Popar ! Ils nous avaient fait croire que la guerre contre l’Allemagne nazie se poursuivait jusqu’en 1960 et même au-delà… En 1992, notre bunker explosa, de sorte que je suis sorti enfin à l’extérieur… Malgré mon âge avancé… J’avais quand même soixante-sept ans… Je suis sorti pour la première fois depuis… Laissez-moi réfléchir… depuis cinquante-quatre ans(31)… En me promenant avec mon chimpanzé Soni, j'ai aperçu une maison abandonnée…
Il fixa son frère et continua d’un ton courroucé, la voix enrouée :
— dans… laquelle… j’avais vu… Marko… en conversation avec un homme… sans doute qu’ils faisaient un trafic d’armes, pour en vendre aux Serbes et aux Croates…
Marko interrompit son frère, offusqué, en agitant ses mains en signe de protestation :
— De quoi tu te mêles ?
— De rien ! Je ne fais que dire ce que j’ai vu…
— J’avais affaire avec un ami… Les affaires sont les affaires… Temps de guerre ou pas… Et quoi alors ?
Ivan s’avança devant Marko, les poings serrés, les yeux brillants, très en colère, hurla :
— Drôle d’ami ! Encadré par deux hommes noirs en uniforme militaire avec un casque bleu sur la tête… C’est comme ça que tu arrives chez un ami ? On se croirait en une zone de guerre !
Marko recula un peu, les yeux écarquillés, le souffle court, pour éviter un coup de poing dans la figure.
Natalija, les yeux agrandis par la peur, saisit le bras de son beau-frère et murmura :
— Ivan, peut-tu laisser tomber ta colère et simplement expliquer ce qui s’est passé ?
Il baissa les yeux, honteux de son emportement. Il demeura silencieux pendant plusieurs minutes, ce qui semblait une éternité à Melinda.
Ivan releva sa tête et reprit d’un ton neutre :
— D’accord… Donc, où en étais-je dans mon explication ?...
Il s’exclama :
— Ah ! Oui ! Mon frère avec des militaires et un trafiquant !
Il reprit d’une voix grave :
— Comme j’ai surpris leur conversation, j’ai ensuite suivi mon frère lorsqu’il est sorti de la maison abandonnée, en marchant du plus vite que je pouvais…
Marko commenta :
— Tu m’avais bien surpris… Je ne m’attendais pas du tout…
Ivan termina sa phrase :
— À me voir…
— Exactement…
— Et bien… J’ai surpris mon frère en conversation avec un trafiquant d’armes… Je l’ai suivi une fois qu’il était sorti de la maison abandonnée… J’ai à peine remarqué qu’autour de nous, des coups de feu partaient dans tous les sens, des bâtisses qui brûlaient et des soldats qui se jetaient au sol pour éviter des balles.… Et je l’ai rattrapé puis frappé plusieurs fois dans le dos avec ma canne…
Marko gémit :
— Je peux te dire que ça me faisait très mal…
Ivan s’approcha de son frère, les yeux humides, les mains jointes devant sa poitrine en un geste de supplication et dit d’une voix tremblante :
— Marko… je suis vraiment…. vraiment… dés… Désolé… de t’avoir frappé… à mort… Me pardonnes-tu ?
Son frère le fixa, les yeux écarquillés de surprise. Il balbutia :
— Tu as de la chance que j’ai oublié la douleur… Surtout que ce n’était pas toi qui m’avait donné le coup fatal…
Les sourcils levés, il balbutia : — Sérieux ?
Marko approuva d’un mouvement. Il soupira, en déposant ses mains sur les accoudoirs de son fauteuil roulant, puis dit, en regardant son frère par-dessus ses lunettes :
— C’était le militaire… qui m’a tiré comme un pédé dans le dos…
Ivan et Melinda ne purent réprimer une moue.
Mark, en ajustant de son index droit ses lunettes, fixa son frère en murmurant :
— De sorte que… Ivan… Je te pardonne…
Ivan, les bras tendus vers Marko, l’enlaça en s’exclamant d’un air enjoué :
— Merci ! Merci beaucoup !
Il libéra son frère de son étreinte et reprit sa place initiale.
Ivan, en regardant Marko, Natalija et Melinda, dit :
— Simplement parce que la culpabilité me rongeait…. À un tel point que j’ai couru dans l’église pour… pour me pendre… avec une corde que j’avais ramasser au passage…
L’esprit errant qu’était devenu le gardien de zoo baissa les yeux, honteux.
La passeuse d’âmes, moue de dégoût, les yeux écarquillés à imaginer une telle scène, pensa Quelle terrible fin !
Ivan balbutia, en gardant ses yeux baissés et tapant le sol tantôt du pied gauche, tantôt du pied droit :
— Peut-être que Madame Gordon pense que je suis un monstre pour ainsi agir envers soi-même… Mais je ne voyais pas d’autre solution…
La femme extraordinaire pensa Ne vous inquiétez pas, une telle pensée ne m’est pas du tout venue à l’esprit…
Il termina d’une voix tremblante :
— D’autant plus que je me sentais coupable d’être responsable, directement ou indirectement, de la mort… de mon frère… Les coups étaient tels qu’il était immobile… Sa tête penchait du côté gauche… C’était trop lourd pour moi… Je ne pouvais pas supporter… de l’avoir sur ma conscience… C’est pourquoi… J’avais commis… l’irréparable… en… nommons un chat un chat… en ôtant ma vie… L’acte le plus terrible… L’horreur !... Que Dieu me pardonne mon impiété !
Melinda fut étonnée d’une telle manifestation de piété. Quel esprit original !
La passeuse d’âmes remercia Ivan de lui avoir expliqué ce qui l'empêchait de quitter définitivement le monde des vivants.
Elle ajouta d’une voix douce :
— Êtes-vous alors prêt à partir dans la Lumière, maintenant que votre frère vous a pardonné ?
L’esprit errant du gardien du zoo la fixa d’un air étonné pendant quelques secondes, puis regarda rapidement à gauche et à droite. Il balbutia :
— Mais de quelle lumière parlez-vous ? Je n’en vois aucune ici…
Petit sourire aimable en coin des lèvres, Melinda répondit d’une voix chaleureuse :
— La Lumière, c’est l’Au-delà… Comment dire ? Le lieu où vont toutes les âmes errantes lorsqu’elles ont fini leur vie dans ce monde-ci(32)…
Ivan murmura :
— Merci de l’explication…
— Il n’y a pas de quoi…
L’esprit dit d’une voix tremblante :
— Et les autres compagnons du bunker… Sauront-ils au sujet de l’escroquerie de… mon frère ?
Avant que Melinda put dire quoi que ce soit, Natalija répondit :
— Ivan, rends-toi à l’évidence qu’une telle demande est impossible à réaliser…
L’interpellé fixa sa belle-sœur et l’invita par un geste rotatif de la main, à développer son propos.
Elle continua d’un air assuré :
— Premièrement, nous ne savons pas s’ils sont des esprits errants… Deuxièmement, même s’ils sont tous des esprits, nous ne savons pas où ils sont… Troisièmement…
En faisant un geste de la main pour désigner la passeuse d’âmes, elle termina sa phrase : — Nous ne pouvons pas nous attendre, comme Madame l’avait mentionné, qu’elle fasse un voyage dans un pays dont elle ne connaît pas la langue… Sans oublier qu’elle ne pourra pas reconnaître nos… tes… compagnons du bunker…
Melinda approuva d’un mouvement de tête positif ses propos.
Ivan, pensif, murmura :
— C’est vrai, tu as raison…
Melinda intervint :
— L’important n’est pas que vous vous réconciliez avec votre frère ?
Ivan murmura, mine enjouée :
— Votre explication fait du sens… Après, j’espère pour les autres qu’ils ont compris dans quelle situation nous avons été pendant cinquante-cinq ans… Je ne devrais pas me préoccuper d’eux… Mais de mon propre salut…
Il demeura silencieux pendant un certain moment, puis il s’exclama :
— Comme je me sens léger ! Je n’ai jamais été aussi aérien de ma vie que maintenant !
Petit sourire en coin des lèvres, la passeuse d’âmes cligna des yeux, émue. Les larmes lui montèrent aux yeux malgré elle.
Un esprit prêt à partir dans la Lumière…
Ivan se retourna soudainement vers sa droite et s’exclama d’un ton enjoué, en agitant ses bras comme s’il saluait quelqu’un :
— Quelle lumière ! Tellement pure ! Voilà Jovan… qui me fait signe de le rejoindre… J’arrive !
Melinda murmura :
— Allez-y, elle est pour vous !
Le gardien du zoo s’avança vers sa droite, vers la lumière surnaturelle que seul lui voyait. Il était enveloppé dans cette lumière, jusqu’à ce qu’il eût disparu de la vue de son frère, de sa belle-sœur et de la passeuse d’âmes. Celle-ci sécha rapidement ses larmes d’émotivité puis se retourna vers le couple d’esprits.
Melinda murmura d’une voix douce en anglais :
— Et vous, pourquoi ne suivez-vous pas l’exemple de votre frère ?
Marko répondit en serbe :
— Avec le temps, depuis ma mort, j’ai réalisé…
Sa femme termina sa phrase dans la même langue :
— Que nous avons mal agi envers les occupants du bunker…
Marko reprit :
— De les avoir tenus dans le mensonge…
Il fit une courte pause puis ajouta d’une voix presque larmoyante :
— Au moins, maintenant que je… ne suis plus… comment dire… attaché à mon corps… j’ai pris conscience… que tout au long de ma vie… j’avais mal agi…
Le frère d’Ivan soupira.
Natalija murmura, en regardant son époux :
— Marko…
L’interpellé tourna son regard vers elle.
Melinda, aussi étonnée, fit par automatisme un mouvement rotatif de la main.
La comédienne russe murmura :
— Je suis vraiment désolée de t’avoir entraîné dans cette sale histoire…
Marko protesta, en la saisissant par ses bras :
— Qu’est-ce que tu racontes Natalija ? Tu n’es aucunement fautive…
Elle s’assit sur les genoux de son mari et murmura :
— On dirait que tu as oublié que Franz était amoureux de moi…
Les sourcils froncés, les yeux plissés, la mâchoire serrée, il répliqua d’un ton sec :
— Pas besoin de me le rappeler…
Il s’éclaircit la gorge puis murmura :
— Mais sache que je t’aime quand même, Natalija…
Melinda, qui se sentait inutile devant une telle scène intime de jalousie, s’éclaircit la gorge, se leva du banc et continua à marcher sur la piste cyclable dans le parc. Elle remarqua du coin de l’œil que Marko, avec Natalija assise sur ses genoux, le suivit.
Le Serbe dit :
— Madame Gordon, voulez-vous écoutez notre histoire jusqu’à la fin, oui ou non ?
L’Américaine murmura, en tournant son regard vers lui :
— Bien sûr que oui…
— Eh bien…
Il s’exclama :
— Je me confesse !
Il continua d’un ton triste :
— Je suis le plus grand salaud dans toute cette histoire… Pour avoir même convaincu le Noir… Euh… Petar… en 1960… que la guerre continuait… Sans ma… ma… manipulation… mon mensonge… il aurait compris qu’il avait fait irruption dans un film qui avait retracé mes exploits… Moi, pendant ce temps, j’avais fait explosé la cave et nous, Natalija et moi, sommes sortis et avons quitté la Yougoslavie pour s’installer en Allemagne… Nous nous sommes enrichi en tant que trafiquants d’armes… De sorte que nous sommes revenus en 1992 à Belgrade… Où j’ai rencontré… mon frère… qui vous a raconté la suite…
Melinda confirma d’un mouvement de tête positif. Elle demanda :
— Excusez-moi… Si vous permettez…
Natalija : — Oui ?
— Hier soir, j’ai eu un rêve vraiment bizarre…
Marko fit un geste pour l’inviter à expliquer.
Melinda continua :
— Dans mon rêve, je sors d’une voiture, malgré des coups de feu qui se font entendre tout près. Je repère mon mari sur un fauteuil roulant, près d’une place publique déserte, une église et des maisons en pierres… Que sais-je où c’est…
Les deux esprits s’exclament à l’unisson :
— C'est Belgrade en 1992 !
La passeuse d’âmes murmura :
— Merci…
Elle s’éclaircit la gorge et continua :
— Tout autour, une bâtisse brûle, dégageant une fumée, tandis que les tirs d'armes à feu se font entendre. Je m’approche de mon mari, inquiète, sans prêter attention aux militaires qui courent se cacher… J’ôte mes lunettes. Il ne bouge plus. Sa tête est penchée de son côté gauche, le regard dans le vide. J’ajuste son manteau sur ses épaules, ramenant le col autour du cou...
Natalija, se leva, se déplaça derrière son époux pour l’enlacer et hurla :
— Stop ! C’était la dernière chose que j’ai vu !
Marko ajouta :
— Et le militaire, sans doute un homme du KFOR… qui nous a tiré dans le dos… C’était le coup fatal…
Il continua sur un ton courroucé, en serrant les poings, le menton tremblant :
— Et comme si ce n’était pas assez ! Il nous a arrosé avec une bonbonne de gaz ! Et voilà que nos corps sont brûlés ! En plus, il me nargue en voulant jeter son manteau sur les épaules de ce cadavre !
Il fit une courte pause.
Natalija, pour le calmer, lui caressa les bras.
Elle dit d’un ton amer, en regardant Melinda :
— Vous comprendrez alors que devant un tel… affront… Marko, une fois sorti de son corps, s’était amusé de cet homme en poussant le fauteuil sur lequel se trouvaient… les… nos deux corps…
La passeuse d’âmes se remémora le rêve.
Au moins, ils me confirment que le rêve était bel et bien leurs derniers moments…
L’épouse de Marko poursuivit :
— Moi, je regardais, à côté, son petit jeu, après un certain temps, j’étais parvenue à le convaincre de laisser faire le militaire… Depuis, nous avons erré dans toute la Yougoslavie… Je veux dire, à la surface… Puis nous avons aperçu Ivan, qui nous avait informé au sujet des villes souterraines… C’était ainsi que nous avons exploré ces villes, en suivant les panneaux routiers, comme nous l’avons dit hier…
Natalija fit une courte pause, puis demanda en faisant un geste vers Melinda, les sourcils levés :
— Ainsi, Madame Gordon, vous avez vu en rêve notre fin… notre mort ?
L’interpellée balbutia :
— Oui…
— Une question… Est-ce que vous voyez ainsi en rêve les vies de tous les esprits que vous aidez ?
— Non… Parfois oui… Parfois par des visions… Comme si j’étais à leur place…
— Ceci ne vous dérange pas trop ?
— Ça va… je m’habitue à tous… euh toutes ces manières de… d’avoir des indices pour comprendre les histoires des esprits errants… Afin de les aider à quitter définitivement le monde des vivants…
Marko commenta, petit sourire en coin des lèvres :
— Merci, Madame, de vos explications…
— Il n’y a pas de quoi…
Au moins, ça va… Ils ne se sont pas montrés trop curieux pour me demander laquelle de ces deux moyens d’informations était mon préféré… Perso, je préfère ni l’une, ni l’autre, mais plutôt une simple recherche sur Penthius…
Melinda s’éclaircit la voix et demanda d’un ton chaleureux, en regardant le couple d’esprits :
— Si je comprends bien ce que vous voulez, c’est que votre collaborateur et les gens que vous avez tenu dans l’ignorance vous pardonnent ?
Marko répondit :
— Oui…
— Ah ! Même remarque que pour votre frère…
Marko et Natalija, renfrognés, s’exclamèrent :
— Alors, tant pis !
Et les deux esprits disparurent de la vue de Melinda en passant au travers l’arbre le plus proche qu’ils rencontrèrent.
La brunette soupira et revint chez elle, déçue de ne pas être parvenue à faire passer dans la Lumière Marko et Natalija.
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(28) Jim travaille comme ambulancier à l’hôpital Mercy, le seul hôpital de la petite ville de Grandview. Il y a aussi un parc près de la boutique d’antiquités de Melinda.
(29) Résumé quelque peu caricatural de Podzemlje (Underground), avec l’ajout des noms réels de la Yougoslavie.
(30) Petar Popar est l’allié de Marko Dren, aussi un trafiquant d’armes. Il est en effet surnommé « le Noir » dans le film.
(31) Les personnages d’Underground sont dans le bunker de 1941 à 1992, bien que Petar et Jovan soient les seuls à sortir en 1961.
(32) L’explication concernant la Lumière est reprise de Ghost Whisperer.