Les esprits souterrains

Chapitre 1 : Le dix-neuf octobre deux mille sept

8293 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour il y a 23 jours





19 octobre 2007, dans les archives municipales de Grandview, 16 h 00.


Melinda Gordon, une brunette vers la mi-vingtaine, était assise sur une chaise en bois près d’une table. Elle se demanda bien comment aider l’esprit errant qu’était Tessa Lucas, qu’elle avait rencontré plus tôt dans sa boutique d’antiquités la veille. Melinda, depuis son enfance, voyait les esprits errants et les aidait à réaliser leur dernière volonté afin qu’ils partent dans la Lumière, dans l’Au-delà, l’Autre Monde. Elle fouilla les archives pour trouver le maximum d’informations sur Tessa, mais elle sut qu’elle devait se rendre au dernier endroit où avait vécu celle-ci(1).

Le seul problème, pensa la médium, est que cet esprit a vécu entre les années 1880 et 1900… L’indice que j’ai est Clay 48… qui est l’adresse… de l’Église de Sainte-Agnès(2)

Elle soupira en regardant pour une énième fois la carte de la ville de Grandview, sa ville… Sauf qu’aucune rue ne correspondait au nom de Clay. Pas de résultat pour l’Église de Sainte-Agnès, comme si elle n’existait pas.

La femme extraordinaire était perplexe et inquiète. Elle cligna des yeux. 

Comment se rendre à un endroit qui n’existe pas ou qui n’existe plus ? À moins que l’esprit se joue de moi ?

Au moment où Melinda voulut se lever de la chaise, un esprit se matérialisa devant elle, du côté latéral de la table : Tessa Lucas, avec sa longue robe brune et son fichu de même couleur sur sa tête, cachant ses cheveux bruns ramassés en un chignon(3).

L’antiquaire, en faisant un geste désespéré de ses bras pour la désigner, lui demanda d’une voix neutre pour cacher sa colère : 

— S’il vous plaît, Madame Tessa Lucas, voulez-vous me dire où se trouve l’Église de Sainte-Agnès ?

L’entité répondit d’une voix tremblante, les yeux agrandis par la frayeur : 

— Pas… dans votre ville… À la surface… Mais sous la terre… Dans la ville souterraine… Ils sont tous là… Ceux qui m’ont traité de sorcière (4)

Les sourcils levés, la bouche en o, la passeuse d’âmes dit d’un ton courroucé en agitant ses mains d’impatience : 

— Pourquoi ne pas me l’avoir dit plus tôt !

En baissant les yeux, Tessa murmura d’une petite voix : 

— Désolée, Madame…

La vivante inspira et expira profondément pour se calmer. Elle pensa, soulagée, Merci de me dire l’information…

Elle se dirigea vers une rangée de la bibliothèque, en se demandant comment elle pouvait trouver l’endroit qui l’intéressait. Elle parvint à mettre la main sur une ancienne carte de 1900 de la ville de Grandview. Contente, la femme revint à la table pour bien analyser le document. Une fois un croquis rapidement dessiné sur une feuille de papier qu’elle avait apporté avec elle dans son sac à main noir, elle remit le document à sa place et explora la salle des archives dans l’espoir de trouver un passage vers la ville souterraine. L’esprit errant la regarda en silence. Elle repéra finalement une porte au fond de la salle(5). Elle tira la chevillette et l’ouvrit à deux mains tellement la porte était lourde. Malgré le grincement de la porte la fit sursauter, Melinda passa de l’autre côté, pour se retrouver devant un long couloir non-éclairé. Elle sortit rapidement une lampe de poche de son sac à main, qu’elle avait amené au cas où elle en aurait besoin. Sur les murs du corridor pendaient des racines immenses, surdimensionnées. La jeune femme avança avec prudence, en regardant autour d’elle. Au bout d’un certain temps, une intersection. D’un geste sûr, elle éclaira l’insigne du nom de la rue : Lime. Elle soupira. Tout au long de sa marche, elle ne remarqua ni un vivant ni un esprit(6). Elle hésita. Vais-je aller à droite ou à gauche ? La jeune femme commença à s’inquiéter à l’idée d’être seule dans un lieu perdu. Elle s’imaginait déjà la préoccupation de son mari, Jim Clancy, qui l’attendait pour le souper(7). Bien qu’elle lui avait dit qu’elle était dans les archives pour mener son enquête sur Tessa Lucas, elle s’était dite à elle-même d’être prudente et de ne pas paniquer. Mais son cœur battait fort dans sa poitrine, ses mains étaient moites. Elle agrippa fermement le porte-document de sa main gauche ainsi que la lampe de son autre main.

Tout à coup, Melinda remarqua au coin de l’œil, vers sa droite, une silhouette humaine. 

Est-ce un vivant ou un esprit errant ?

Elle tourna sa lampe de poche vers la silhouette, tout en se rapprochant d’elle pour être face à face. En la voyant, elle comprit qu’il était un esprit errant. C’était un vieil homme, maigre, aux cheveux gris, avec une petite moustache sous le nez, vêtu d’un manteau beige foncé trop grand pour lui, sous lequel se voyait une chemise verte et une veste de complet blanche. Des marques étaient visibles autour de son cou. La passeuse d’âmes l’observa en silence. 

Sans doute que ce pauvre Monsieur est mort par pendaison… Il me rappelle l'esprit d’un pendu que j’avais déjà rencontré… Il y a peut-être un certain temps(8)

L’esprit errant la fixa d’un air étonné. 

Il balbutia en serbe : 

— Madame, vous me voyez ?

Melinda, qui ne comprit rien, dit en anglais : 

— Ne soyez pas étonné, c’est normal que peu de gens vous voit… 

L’esprit errant, qui ne comprit rien de l’anglais, dit en serbe : 

— Madame, savez-vous le serbe ? Pouvez-vous me dire où suis-je ?

La passeuse d’âmes hausse les épaules pour lui faire savoir qu’elle n’a rien compris de ses propos.

Son interlocuteur soupira. À ce moment précis, un bruit étouffé de crissement de pneus se fit entendre derrière son dos. Intrigués, les sourcils levés, l’esprit errant se retourna et lui et Melinda regardèrent vers la direction. C’était un fauteuil roulant sur lequel était assis un vieil homme aux cheveux gris vêtu d’un manteau de fourrure brun foncé, presque noir, sous lequel se voyait une chemise blanche et une cravate brune dorée. Il poussait son fauteuil roulant en remontant de temps en temps ses lunettes qui glissaient de son nez. Il était suivi, à sa gauche, par une vieille femme vêtue d’un manteau noir, d’un petit foulard autour de son cou et d’un berét noir qui cachait une partie de ses cheveux blonds.

En les voyant, Melinda comprit que tous les deux étaient des esprits errants. En regardant alternativement les deux hommes, elle pensa qu’ils étaient peut-être des frères étant donné leur air de famille.

Le vieux maigre, en voyant le couple s’avancer, serra les poings et les dents, le visage rouge. Il explosa en serbe : 

— Marko et Natalija ! Que faites-vous ici ?

Étonnés, les yeux grands comme des soucoupes, les interpellés demeurèrent silencieux. Ils étaient maintenant face à face. 

Melinda, interdite, regarda en silence la scène. Elle pensa seulement : En espérant que l’un d’eux pourra parler avec moi en anglais… Sinon, je me demande bien comment nous parviendrons à nous comprendre…

Marko agita ses bras en un geste théâtral vers son frère en s’exclamant en serbe : 

— Et toi, Ivan ?

L’interpellé s’approcha de lui, mais Natalija s’interposa entre eux. Il recula et il répondit entre ses dents en serbe : 

— J’ai suivi les panneaux routiers et ils m’ont conduit ici(9)

Marko répliqua sèchement en serbe : 

— Moi aussi…

Melinda soupira, exaspérée de ne rien comprendre de la conversation des esprits errants. 

Elle intervint en anglais : 

— Excusez-moi, Madame et Messieurs, est-ce que quelqu’un d’entre vous sait l’anglais et pourrait me traduire ce que vous venez de dire ?

Les trois entités la fixaient d’un air étonné, car ils ne connaissaient pas un seul mot de la langue de Shakespeare. Ils s’observèrent ainsi pendant un certain temps jusqu’à ce qu'une lumière apparaisse à la droite de Melinda. Tous les quatre tournèrent leurs têtes vers l’apparition. C’était une jeune femme élégante, vêtue d’une longue robe verte, qui brillait d’une lumière douce. Le plus bizarre pour la passeuse d’âmes était les ailes sur son dos. D’ailleurs, il lui semblait que cette apparition n’était ni une personne vivante, ni un esprit…

Perplexe, l’Américaine éteignit sa lampe de poche pour la ranger dans son sac à main. Elle fronça des sourcils en fixant l’entité mystérieuse.

L’entité lumineuse, une fée, s’exclama d’une voix douce en serbe puis en anglais : 

— Que vous puissiez comprendre n’importe quelle langue de ce vaste monde !

Ainsi parla la fée et elle disparut sous le regard étonné des trois esprits et de la passeuse d’âmes.

Melinda ramena son attention vers le trio et les aborda d’une voix douce : 

— Je m’appelle Melinda Gordon… Et vous, Madame et Messieurs, quels sont vos noms ?

Le vieil homme sans lunettes, étonné de la comprendre malgré qu’elle parla en anglais, répondit d’une voix claire : 

— Je m’appelle Ivan Dren… 

En faisant un geste vers le couple d’esprits, elle répéta sa question. 

L’homme dans son fauteuil roulant répondit : 

— Je suis Marko Dren… J’étais membre du Parti Communiste de Yougoslavie… Pas n’importe lequel… J’étais très près de Tito(10)

Son interlocutrice cligna des yeux.

Ces esprits sont visiblement restés à leur époque… La Yougoslavie n’existe plus…

Ivan lança un regard noir à son frère et hurla en serbe d’un ton courroucé, en s’avançant vers lui, les poings serrés, le visage rouge, les sourcils froncés, les lèvres et la mâchoire tendues, les narines dilatées : 

— Menteur ! Trou de cul !

L’esprit errant féminin s’approcha d’Ivan et lui murmura en serbe avec un fort accent russe : — Ivan, calme-toi…

Melinda approuva ses propos en secouant sa tête de haut en bas. 

Ivan recula de quelques pas, mais regarda d’un air courroucé son frère.

L’antiquaire répéta sa question à l’esprit errant féminin.

La Russe se retourna vers la passeuse d’âmes et se présenta d’un air hautain en serbe : — Natalija Zovkov-Dren, la femme de Marko(11).

L’Américaine soupira en agitant ses mains en un geste d’exaspération. Elle dit d’une voix plaintive :

— Est-ce que quelqu’un peut m’aider à trouver l’Église de Sainte-Agnès, située 48 rue Clay, dans cette ville souterraine ? Ensuite, je réglerai votre cas…

Natalija répondit en serbe d’un air aussi hautain : 

— Madame, je n’ai pas remarqué le nom de cette rue ici…

Marko, en serrant la main gauche de sa femme, ajouta dans la même langue, en fixant la vivante : 

— Peut-être si vous tournez à votre gauche…

Il fit un geste qui indiqua sa gauche.

Son frère l’interrompit : 

— Menteur ! J’ai vu cette rue ! C’est à quelques mètres par cette direction-ci

Il fit un geste de son bras droit.

Melinda, dont le regard se promena de l’un à l’autre frère, ne sut que penser. 

Lequel devrais-je croire ? Dois-je les aider avant de régler le cas de Tessa Lucas ? Ou bien les laisser pour plus tard ? En espérant ne pas les oublier…

Elle soupira, indécise.

Natalija intervint d'une voix neutre : 

— Madame Gordon…

L’interpellée tourna son regard vers elle et fit un geste rotatif de main.

La femme de Marko continua : 

— Pourquoi vous dites qu’il faut régler nos cas ? 

Elle termina sa phrase avec une moue de mécontentement qu’elle ne parvint pas à cacher : — Nous ne sommes pas des patients…

La brunette cligna des yeux, demeura silencieuse pendant quelques secondes, s’éclaircit la gorge puis répondit d’un ton sérieux : 

— Bien sûr, vous n’êtes pas des patients…

— Êtes-vous un médecin ?...

Melinda protesta en bougeant ses bras en un signe négatif : 

— Non, non, pas du tout !

Les sourcils levés, la Russe demanda : 

— Êtes-vous alors une comédienne ?

— Non plus… Je suis la propriétaire d’une boutique d'antiquités, The Same At It Never Was Antiques… À Grandview(12)

— Alors, que faites-vous ici ?

— Moi aussi, je vous pose la même question… Mais pour répondre à votre question… Je suis une simple habitante de Grandview… Et…

Marko l’interrompit : 

— Je ne connaîs pas le nom de cette ville… Dans quel pays ?

Melinda soupira et répondit : 

— Aux États-Unis d’Amérique…

Les trois esprits s’entr’observèrent, les yeux écarquillés de surprise et s’exclamèrent à l’unisson en fixant la brunette :

— Sérieux ?

D’un air sûr, elle confirma en secouant sa tête de haut en bas.

Ivan commenta d’une voix songeuse : 

— Ça signifie que ce n’est pas seulement… les villes européennes qui sont reliées entre elles… Qui ont aussi des villes souterraines… Mais aussi celles d’Amérique…

Marko ajouta : 

— Intéressant à savoir…

Natalija : 

— Donc, tout le monde entier est relié au moyen des villes souterraines ?

Melinda, perplexe, demanda : 

— Qu’est-ce que cette histoire de villes souterraines ? 

Il ne devrait y avoir que des esprits errants… Quand même pas des vivants… pensa-elle.

Natalija répondit, moue boudeuse : 

— Ce n’est pas une histoire, c’est un fait !

Ivan ajouta : 

— Et, il y a des vivants dans ces passages souterrains… J’en ai même vu plusieurs, qui passaient dans des camions, d’autres en charrettes…

La passeuse d’âmes, incrédule, les yeux écarquillés d’étonnement, les sourcils levés, balbutia : 

— Sérieux… ou c’est une blague ?

Ivan reprit une mine sévère, en agitant ses bras devant lui : 

— C’est la vérité ! Je les ai vus… De mon vivant(13)

Son interlocutrice cligna des yeux, encore plus perplexe. Elle dit d’une voix hésitante :

— Là, je ne comprends plus rien… Avez-vous compris que vous… n’êtes plus, disons-le ainsi… vivants ?

Un petit sourire se dessina furtivement sur les lèvres de l’esprit puis il dit, en pointant de ses mains sa poitrine : 

— Je sais que je suis un esprit errant comme vous le dites… Je suis conscient du fait que j’ai quitté définitivement mon corps… depuis… 1992… Mais avant, je cherchais mon chimpanzé… Mon Soni… qui s’était échappé du bunker, dans lequel nous avions vécu jusqu’alors… C’était le Noir… Petar… qui l’avait amené(14)… J’avais rencontré des hommes, des militaires, avec des casques bleus sur leurs têtes, dans un véhicule… Sauf que personne n’avait pu me répondre… Finalement je l’avais trouvé près d’une église… Je ne me souviens plus laquelle… Et c’est dans cette église dans laquelle je suis mort…

Ivan jeta un regard noir à l’invalide et s’exclama en haussant la voix : 

— Lorsque… Lorsque j'ai découvert que mon frère… collaborait avec un trafiquant d’armes…

Marko se gratta nerveusement le menton en s’agitant un peu sur son fauteuil et protesta : — Comment ? C’est faux !

Son frère s'avança devant lui, lui cracha au visage et murmura d’une voix courroucée : — Menteur ! Tu sais très bien que je t’ai surpris ! Je regrette seulement de ne pas avoir donner plus de coups avec ma canne sur ton sale dos(15) !

La passeuse d’âmes est perplexe. Deux frères qui se détestent… Pourquoi ?

Elle demanda, en faisant un geste vers les deux frères Dren : — Pourquoi ainsi agir envers son… proche ?

Ivan se retourna vers elle et répondit : 

— Parce qu’il nous…

Melinda l’interrompit : 

— Excusez-moi, mais qui est le « nous » dont vous parlez ?

— Les autres habitants, si l’on peut ainsi le dire, du bunker…

— Quel bunker ? Où ?

— Un bunker à Belgrade qui était une usine de fabrication d’armes… Contrôlé par mon frère et par son allié le Noir… euh… Petar… Petar Popar… Ils nous avaient tenu dans le mensonge que la guerre contre l’Allemagne nazie avait perduré…

Marko protesta tout en s’avançant devant Melinda : 

— Ne l’écoutez pas ! Il raconte n’importe quoi !

La passeuse d’âmes regarda alternativement les deux frères et s’exclama en haussant un peu la voix, exaspérée de leur dispute :

— Bon, avez-vous fini avec vos accusations ? 

Les deux esprits se renfrognèrent et se turent.

La vivante soupira. Elle regarda tour à tour les trois esprits d’un air suppliant en disant d’une petite voix :

— Est-ce que quelqu’un aura la gentillesse de m’aider à trouver l’Église de Sainte-Agnès, 48, rue Clay… dans cette ville souterraine ? Je réglerai votre cas après… Promis… Je ne vous oublierai pas…

Marko et Natalija haussèrent les épaules. 

Ivan les foudroya du regard et s’adressa à la jeune femme d’un ton joyeux : 

— Je sais où se trouve la rue que vous recherchez… Je l’ai vu lorsque je déambulais dans cette ville souterraine… Je peux vous mener jusqu’à celle-ci…

Il tourna le dos à la passeuse d’âmes et lui fit un geste de sa main droite. Il s'avança d’un pas lent vers sa droite. Melinda le suivit, lampe de poche à la main. Elle remarqua du coin de l’œil que le frère d’Ivan et sa femme disparurent de sa vue en passant au travers du mur d’une maison de la ville souterraine.


Après une demi-heure de marche, l’esprit errant du gardien de zoo(16), suivi par la passeuse d’âmes, arriva devant une grande église abandonnée, dont les murs étaient envahis par la mousse et des racines d’arbres transperçaient le toit. Par son style architectural, rien de particulier, hormis une statue de la Vierge à l’Enfant. Comme toutes les autres bâtisses que le duo avait rencontré, tout semblait sinistre, ainsi abandonné depuis des siècles. 

On dirait qu’il manque une rénovation générale des façades extérieures dans cette ville… souterraine, pensa avec humour Melinda pour vaincre le sentiment d’angoisse qui envahissait sa poitrine. Elle parcourut avec sa lampe de poche les rues désertes et les maisons voisines, pour être certaine de ne pas être surprise par un autre esprit.

Ivan s’arrêta devant la statue et se retourna pour être face à Melinda, qui freina aussitôt sa marche. 

Il dit : 

— Madame, je vous recommande de ne pas entrer dans l’église…

Elle balbutia, en regardant vers le bâtiment religieux, qu’elle éclaira d’un geste rapide avec sa lampe de poche : 

— Pourquoi ? Il ne semble y avoir personne, pas même un esprit…

Ivan, les yeux agrandis de frayeur, répondit d’une voix tremblante : 

— Au contraire… 

Il s’éclaircit la gorge et ajouta aussitôt : 

— Laissez-moi le temps de vérifier s’il y a quelqu’un à l’intérieur… si ma mémoire ne me trompe pas… Il devrait y avoir des esprits à l’intérieur… Ils ne semblaient pas du tout amicaux… Mais ne bougez pas d’ici… Attendez, s’il vous plaît, que je revienne…

Melinda confirma sa compréhension en secouant sa tête de haut en bas, le cœur serré à la pensée que peut-être plusieurs esprits étaient prisonniers dans cette église de la ville souterraine.

Ivan Dren tourna les talons à la jeune femme et disparut en passant au travers la porte de la bâtisse religieuse.

Quelques secondes plus tard, il réapparut devant elle et murmura d’une voix tremblante, les yeux exorbités : 

— C’est ce que je vous disais… Il y en a plusieurs… des esprits… Dans cette église… Ils semblent déments…en… en colère contre une femme… qu’ils traitent de sorcière… Et le prêtre… diabolique est là... sur sa chaire, comme s’il tenait son sermon(17)… Même scène que lorsque… j’ai osé entrer pour la première fois dans cette église…

Melinda, tremblante comme une feuille sous le vent automnal, murmura : 

— Merci de l’information…

À sa droite, Tessa Lucas apparut. Les deux autres tournèrent leurs têtes vers elle, étonnés, les sourcils écarquillés.

L’esprit errant féminin dit : 

— Madame, pouvez-vous vraiment m’aider en revenant ici ?

En regardant à gauche et à droite d’un air craintif, elle murmura d’une voix tremblante :

 — Ne voyez-vous pas que c’est un lieu maudit… C’était là où je… j’ai quitté définitivement mon corps…

Melinda soupira. Elle agita ses mains en signe de résignation et murmura d’une voix plaintive :

— Comment puis-je vous aider… s’il me manque une partie de votre histoire ?

La passeuse d’âmes demeura pensive, les yeux plissés, fixant d’un air absent Tessa Lucas.

À moins que je touche la porte de cette église dans l’espoir d’avoir une vision… Sinon, je devrais revenir à une recherche généalogique… Madame Tessa Lucas veut savoir si sa fille est vivante(18)… Mais comment suis-je censée savoir où se trouvent ses descendants, si elle en a ?

Contente de son idée, elle s’avança d’un pas sûr devant la porte de l’église, éteignit sa lampe de poche, qu’elle rangea rapidement dans son sac à main. Les deux esprits la regardèrent, interdits. Sans hésiter, la femme extraordinaire toucha le cadre de la porte de l’église. Elle ne voyait plus la porte de l’église telle qu’elle était. La médium comprit aussitôt qu’elle était transportée dans une vision.


Le bruit d’un grincement de porte se fait entendre devant elle. Elle ne voit rien, puisqu’un sac est sur sa tête. Des mains larges tiennent solidement les siennes derrière son dos. Quelqu’un la pousse dans son dos, la forçant à marcher devant elle d’un pas chancelant. Une voix masculine dit d’un ton autoritaire : 

« Sorcière ! Avance ! »

Elle entend à peine ce que la voix lui a dit, car une acclamation confuse provenant sans doute de l’église se fait entendre : « À mort la sorcière ! »

Elle avance d’un pas chancelant. 

Tout à coup, elle entend une voix, celle d’un esprit qu’elle sait qu’elle a déjà entendu plus tôt au cours de la journée :

« Madame, vous savez ce qu’il vous reste à faire… »

Il termine sa phrase d’un ton triste :

« avant de nous rejoindre… Je suis vraiment désolé de vous avoir mis dans une telle situation… »

Elle marche ainsi pendant un certain temps, jusqu’à ce que l’homme la force à arrêter sa marche. Une main ôte rapidement le sac. Elle voit le prêtre sur sa chaire. Il est un vieil homme sec, dont sa soutane noire s’agite au moindre mouvement. Il dit d’une voix forte pour couvrir l’acclamation générale : « Voilà », dit-il en la montrant de son index gauche, « la sorcière que nous devons faire mourir, pour le bien de notre ville… » Il lève ses deux bras en l’air et entonne un chant en latin. Elle voit des sombres esprits, sous l’apparence d’une forme humaine noire sans visage, s’approcher du prêtre. L’un d’eux le possède.

Il s’exclame, en parcourant du regard les gens assis sur les bancs de l’église : 

– Apportez le calice ! Il doit être rempli du sang de la sorcière ! 

Un applaudissement envahit l’église.

Elle regarde autour d’elle, le cœur battant la chamade. Elle remarque qu’un esprit errant est à sa droite. C’est un vieil homme vêtu d’un complet brun moyen et d’une chemise blanche. Sur son nez, de petites lunettes dorées. Il la regarde d’un air triste, les épaules affaissées.

L’homme derrière la pousse jusqu’à l’autel. Elle est face à la foule, qui la fixe avec curiosité, voire avec une lueur de démence dans le regard. Elle tressaille, mais l’homme derrière elle la force à s’allonger, la tête sur l’autel. Elle ferme les yeux.


La médium revint de sa vision en tremblant(19). Elle cligna des yeux rapidement pour s’assurer de son retour au présent, devant la porte de la sinistre église.

Elle murmura d’une voix haletante, en tournant son regard vers Tessa : 

— Madame Lucas… Un homme… vous a traîné de force dans l’église… En vous traitant de sorcière… Alors que vous avez vu un esprit… Qui vous a averti d’un danger… Si je ne me trompe pas, le seigle du pain était contaminé…

L’esprit féminin confirma d’un mouvement de tête positif et ajouta : 

— Oui… C’était l’esprit errant d’un docteur du Weston… le docteur Greene… qui m’avait averti que le pain était… contaminé… par je ne sais quoi…

La passeuse d’âmes l’interrompit d’une voix douce : 

— Sans doute par l’ergot de seigle…

Tessa murmura timidement : 

— Merci…

Elle reprit : 

— … de sorte qu’ils avaient été atteints d’une fièvre de laquelle ils étaient devenus fous…

Melinda commenta d’un ton assuré : 

— Ce n’est pas qu’ils étaient fous… Ils étaient atteints d’ergotisme… Ça se justifie par les symptômes… Laissez-moi me souvenir… des vomissements, de la diarrhée, des douleurs abdominales… des convulsions, voire de la gangrène et des hallucinations… 

Les yeux écarquillés de surprise, Tessa balbutia : 

— Comment… pouvez-vous en être si certaine ?

— J’ai fouillé dans les archives de la ville… Car cette maladie avait été consignée dans des documents de l’histoire locale… En tout cas, les symptômes y correspondent… Ce que j’ai vérifié en me renseignant… sur… au sujet de cette maladie...

Tessa murmura d’une voix tremblante : 

— Mais… C’est pourquoi les autres habitants, lorsque je les avais averti, m'avaient traité de sorcière… Et ils m’avaient amené de force… dans l’église de Sainte-Agnès… Où… Où… J’y suis… d… morte… Je … Je … m’inquiète… pour… ma petite fille… Mon bébé… Toute mignonne… Je l’ai abandonné… Mais je ne l’aurais jamais fait… Si des hommes armés de haches étaient venus me chercher… alors que mon mari était parti dans le village voisin… où il travaillait comme journalier(20)… pour me conduire de force à l’église…

D’une voix douce, la passeuse d’âmes demanda : 

— Excusez-moi… Une question…

— Oui ?

— Quel est le nom de votre fille ?

— Julia… Julia Lee Lucas…

Melinda cligna des yeux, pensive. 

Elle murmura : 

— Attendez… J’ai déjà entendu ce nom… Je le connaîs…

Il me semble avoir entendu de ma mère et de ma grand-mère ce nom… C’était qui déjà, qui se prénommait ainsi ? Voyons ! Ma grand-mère se nomme Mary-Ann Patterson, ma arrière-grand-mère… Julia Lee Lucas(21)

Elle fixa Tessa et murmura, les sourcils levés d’étonnement : 

— Vous êtes donc ma… arrière-arrière-grand-mère ?

L’esprit répliqua, les yeux grands comme des soucoupes : 

— Sérieux ?

— Oui… Puisque mon arrière-grand-mère, Julia, voyait les esprits errants et elle n’avait pas connu sa propre mère, qui se prénommait Tessa… Elle s’était débrouillée en autodidacte avec son don… C’est, du moins, la version que j’ai entendu de ma propre grand-mère, Mary-Ann(22)

La passeuse d’âmes se tapa la paume de sa main droite sur son front.

Zut ! J’aurai dû lui poser plus tôt la question ! Ça m’aurait éviter d’explorer la ville souterraine…

D’un air enjoué, les yeux brillants, l’ancêtre répliqua : 

— Merci de l’information ! Donc, tu es ma descendante ? 

Melinda opina du chef.

Tessa s’exclama, en s’approchant d’elle pour l’enlacer : 

— Merci encore une fois ! Je suis alors prête à partir dans la Lumière ! Après avoir aidé plusieurs esprits, mon tour est venu…

L’esprit suspendit son geste, réalisant qu’elle ne pouvait pas enlacer la vivante. 

Sa descendante soupira et fit un geste vers Ivan, qui ne bougea pas de sa place : 

— Et vous, Monsieur, ne voulez-vous pas aussi partir dans l’Autre Monde ?

Le Serbe répliqua : 

— Madame, je sais que je dois quitter le monde ici-bas…

Melinda, en agitant ses bras en un geste désespéré vers sa direction, demanda : 

— Alors, qu’attendez-vous ?

Une moue renfrognée au visage, il répliqua sèchement : 

— Je vous l’ai déjà dit ! 

Melinda, en croisant les bras sous sa poitrine pensa : C’était quoi, déjà ? Ah, oui ! Avertir les autres… occupants d’un bunker… À Belgrade… qu’ils ont été trompés… par son frère, qui est dans son fauteuil roulant…

Elle questionna d’une voix suraiguë : 

— Vous voulez avertir les autres occupants d’un bunker… à Belgrade, parce que vous aviez été trompés par votre frère ?

Ivan poursuivit d’un ton bourru : 

— Oui… 

Il fit une courte pause, puis continua d’une voix grave : 

— D’ailleurs, laissez-moi parler, car je n’ai pas fini… C’est très malpoli que de couper la parole à quelqu’un…

Elle décroisa ses bras puis s’excusa d’une petite voix.

L’esprit reprit d’un ton sérieux, en regardant alternativement Tessa et Melinda : — Mesdames… Je disais donc… Je sais que je dois cesser d'errer parmi les vivants… Ma mère, Jovanka, et mon père, Mate, m’avaient bien élevé en matière de religion(23)… De sorte que ceci n’est pas… Comment dire… Un terrain inconnu pour moi…

Il se tut puis se tourna légèrement vers la passeuse d’âmes pour l’interroger d’une voix douce : 

— Madame Gordon…

— Oui ?

— Vous êtes la seule personne depuis mes années d’errance qui peut me voir… Est-ce normal pour les gens de votre pays de voir les esprits ?… Ou bien vous vivez dans un monde semblable à celui des contes de fées ?

Melinda la regarda comme si un extraterrestre venait de lui parler.

Quelles questions bizarres ! Je me demande depuis quelle époque erre cet esprit… Il semble visiblement désorienté… Mais il semble conscient qu’il doit passer dans la Lumière…

Elle s’éclaircit la gorge et répondit d’un ton assuré : 

— Monsieur, je vous assure que ce n’est pas tout le monde qui voit les esprits… Si je les vois, c’est en raison d’un don, que j’ai hérité de ma mère et de ma grand-mère… de ma grand-mère maternelle… Et je sais qu’à Grandview, peu de gens peuvent voir les esprits… Attendez, laissez-moi réfléchir…

Elle énuméra avec ses doigts fins : 

— Il y a moi… Gabriel… Rebecca… et Kristen(24)… Ce qui fait quatre individus… quatre passeurs d’âmes… 

Elle souria brièvement à Ivan et murmura : 

— Quant à votre deuxième question… Je ne vis pas dans un conte, mais dans la réalité des années 2000… Au… Vingt et unième siècle…

— Une autre question, si vous permettez, Madame…

— Oui…

— Tout à l’heure, lorsque vous avez touché la poignée de la porte de l’église, j’avais l’impression que vous étiez ailleurs… Pouvez-vous m’expliquer ?

— Oui… Simplement, c’était une vision qui se présente à moi lorsque je touche certains objets qui avaient appartenu à des défunts ou des lieux qu’ils avaient fréquenté de leur vivant… Dans ces visions, je vois selon la perception de l’esprit… À partir de ces indices, combinés avec une recherche sur l’Internet

Devant les regards étonnés que lui jetèrent les deux esprits, la vivante précisa : 

— C’est ce qui me permet de trouver n’importe quelle information sur n’importe quoi ou n’importe qui… Il suffit d’écrire quelque chose dans le moteur de recherche… comme Penthius(25), ou Google

Ivan, les sourcils levés, balbutia : 

— Gogol est un moteur… Un moteur de voiture ? d’avion ?

Melinda pensa, en clignant des yeux. Bien sûr que non !

Tessa intervint : 

— Gogol ? Qu’est-ce que c’est ? Qui est-il ?

Ivan répondit : 

— C’est… Nikolaï Vassiliévitch Gogol… Un romancier russe qui avait vécu vers les années 1800…

L’esprit féminin secoua sa tête et se justifia : 

— J’étais femme au foyer et je ne lisais pas beaucoup… Mon mari n’était qu’un paysan à moitié lettré… C’est absolument inconnu, la littérature tout court…

Ivan commenta : 

— Moi, au contraire, j’ai lu certains de ses romans…Je ne saurais dire lesquels… La traduction serbe, bien sûr… Sauf que c’est loin dans ma mémoire… Et c’étaient des lectures obligatoires dans mon cours de littérature étrangère… dans mon école vocationnelle… Euh… désolé… C’était après mes études secondaires…

Melinda toussa pour avoir l’attention. Les deux entités se turent aussitôt.

Elle dit d’une voix douce : 

— Excusez-moi, mais je ne parlais pas de Gogol – dont j’ignore tout de ses écrits – , mais de Google… Sauf que j’utilise plus Penthius… Mais le principe est le même… À savoir de permettre de faire une recherche sur quelqu’un ou quelque chose… Et on peut tout savoir…

Ivan, ses yeux bruns grands comme des soucoupes, balbutia : 

— C’est comme un dictionnaire ou une encyclopédie ?

Un petit sourire apparut sur le visage de la jeune femme qui répondit : 

— En quelque sorte… mais sans avoir à tourner les pages…

— Même si cela demeure un mystère pour moi, je ne vous embêterais plus avec mes questions qui semblent vous exaspérer…

Elle murmura : 

— Merci… 

L’esprit errant serbe se tut pendant quelques secondes. Puis, il agita ses mains en signe d’étonnement. 

Il balbutia : 

— Excusez-moi,... Madame,... mais… quel jour sommes-nous ?

La passeuse d’âmes sortit rapidement de son sac à main son cellulaire. Elle jeta un coup d’œil sur l’heure et la journée qui s'affichent sur l’écran verrouillé, le ferma aussitôt et le rangea. Elle regarda d’un air bienveillant à son interlocuteur, qui la fixa d’un air ahuri : — Aujourd’hui, nous sommes le vendredi 19 octobre 2007…

Il balbutia, encore plus perplexe : 

— Vous avez… cette machine… qui vous indique la journée ? Je n’en ai jamais vu…

Tessa approuva les propos du Serbe d’un mouvement de tête positif. Elle non plus ne comprit pas comment sa descendante pouvait savoir la journée aussi rapidement. 

Marko et Natalija apparurent soudainement à la gauche d’Ivan.

Petit sourire en coin des lèvres, Melinda leur expliqua, en sortant à nouveau son téléphone mobile : 

— C’est un cellulaire, ce qui permet d’appeler quelqu’un d’autre, d’écrire un court message… Un téléphone portable, en bref, avec un service de messagerie SMS… euh… de Système de Message Succinct… intégré…

Marko s’exclama : 

— De quoi parle-t-elle, au juste ?

Son frère répondit : 

— D’une sorte de téléphone en plus petit avec un calendrier intégré… Sans être une montre… Ou un téléphone tel que nous les connaissons…

— C’est un nouveau modèle ?

Ivan haussa les épaules et murmura : 

— On dirait que oui…

Melinda, avec son plus beau sourire au visage, dit d’une voix douce aux esprits devant elles : — Mesdames et Messieurs, je vous propose de revenir dans le parc… En espérant que vous…

Elle fixa les trois Slaves en faisant un geste vers eux en disant : 

— … Seriez plus collaboratifs et m'expliquerez pourquoi vous errez encore…

Ivan, Marko et Natalija confirmèrent en secouant leur tête de haut en bas puis dirent à l’unisson : « Merci ! »

Ainsi parlèrent les trois esprits qui s’évaporèrent dans les airs jusqu’à ce qu’ils disparaissent complètement de la vue de la passeuse d’âmes. 

Son ancêtre lui sourit gentiment et commenta : 

— Ces trois-là, on dirait une histoire inhabituelle…

Ivan, réapparu à la droite de Melinda, dit d’une voix chaleureuse : 

— Madame, je vous raccompagne jusqu’à la porte dans les archives… 

Étonnée, la brunette murmura un timide merci. Il est vraiment un esprit gentleman, pensa-t-elle avec humour. Je ne doute pas que de son vivant, il avait charmé plusieurs femmes…

Et le trio prit le chemin du retour. Ivan marcha devant, suivi de Melinda, avec sa lampe de poche à la main, puis de Tessa. Ils revinrent sans encombre dans la salle de consultation des archives municipales de Grandview.

La passeuse d’âmes, contente de revenir dans un endroit connu, salua discrètement d’un signe de tête les deux esprits errants, qui disparurent en passant au travers un mur de la salle. Elle revint près du comptoir, près duquel l’archiviste la regarda d’un air impatient. 

Il dit d’un ton sec : 

— Madame, l’heure de fermeture des archives approche. Avez-vous fini de consulter les documents qui vous intéressent ?

Son plus beau sourire aux lèvres, elle répliqua : 

— Oui, Monsieur… Merci beaucoup et passez une bonne journée !

— Pareillement pour vous !


Et Melinda sortit d’un pas léger des archives municipales et se dirigea tranquillement jusqu’à sa maison, où son mari l'attendait, sourire radieux aux lèvres. Ils s’embrassèrent puis s’attablèrent pour le souper. Après le repas, le couple fit la vaisselle, Melinda résuma à son mari ses rencontres des esprits dans la ville souterraine puis tous les deux s’endormirent. Ce sommeil étant tant espéré pour la passeuse d’âmes, fatiguée à l’idée de démêler les histoires de trois esprits dont elle ne connaissait pas la langue, mais qu’elle comprit néanmoins. 

Cependant, elle vit en songe les derniers moments de Natalija Zovkov-Dren(26)

Elle sort d’une voiture, malgré des coups de feu qui se font entendre tout près, ayant repéré son mari sur un fauteuil roulant. Il se trouve près d’une place publique déserte. Non loin de là, une église et des maisons en pierres. Tout autour, une bâtisse brûle, dégageant une fumée, qui, combinée avec les tirs d'armes à feu, rend le lieu encore plus sinistre. En se rapprochant de son mari, sans prêter attention aux militaires qui courent se cacher, elle avance tranquillement et ôte ses lunettes. Il ne bouge plus. Sa tête est penchée de son côté gauche, le regard dans le vide. Elle ajuste son manteau sur ses épaules, ramenant le col autour du cou. Elle ignore les coups de détonations près d’eux. Elle lui demande ce qui se passe. Il lui explique que son frère l'a battu à mort. Les yeux larmoyants, elle regarde avec inquiétude autour d’eux. Puis, elle enlace son mari en se tenant derrière lui. Un soldat armé s’approche d’eux et entraîne de force la femme par le bras gauche, de sorte qu’elle lâche son mari. Il la jette sans ménagement sur le sol. Près d’eux, d’autres hommes sont pris, encerclés par des militaires. La femme profite de l’agitation pour se traîner à genoux afin de s’éloigner d’eux. Elle revient s’asseoir sur les genoux de son mari, pour l‘enlacer et le bercer doucement. Mais il ne bouge plus. Elle remarque du coin de l’œil que le même militaire s’approche d’eux, avec une bonbonne d’essence, puis s’éloigne d’eux. Il fouille sans doute dans la voiture, étant donné le bruit de claquement des portes. Il sort la valise qui contient de l’argent, la vide d’un revers de main et la jette par terre. Puis le militaire s’approche du couple et tire plusieurs fois, l’arrose d’essence puis y met le feu. Dès les coups de feu, leurs âmes sortent de leurs corps. Elle reconnaît leurs corps, en bas, entourés de flammes. L’âme de son mari pousse le fauteuil en un mouvement circulaire autour d’une croix qui s'élève tout près d’eux. Le militaire ôte sa veste, le tend devant lui comme s’il veut habiller quelqu’un avec elle, en marchant près du fauteuil qui continue son mouvement circulaire(27).

Melinda se réveilla, étonnée d’un tel rêve. Elle réfléchit à son sens et pensa qu’il s’agissait probablement de la fin du couple d’esprits serbes qu’elle avait rencontrés.



––––––––


(1) Cette description de Melinda Gordon est conforme à celle dans la série Ghost Whisperer. Elle est une antiquaire qui voit les esprits errants, ceux qui ont encore des choses à régler avec les vivants, afin qu’ils partent dans la Lumière. Parfois, la passeuse d’âmes se rend à l’endroit où l’esprit a vécu, car elle peut avoir des visions en touchant des objets. Dans le cinquième épisode de la troisième saison, elle fait des recherches pour mieux comprendre le cas de Tessa Lucas, qui est apparue dans sa boutique.


(2) C’est l’adresse que Melinda recherche dans cet épisode.


(3) Description approximative de l’esprit errant. Nous ajoutons le fichu sur sa tête.


(4) Tessa Lucas voit les esprits errants de son vivant, c’est pourquoi les autres habitants de Grandview l’ont accusé d’être une sorcière, alors qu’elle a été informé par l’esprit errant d’un docteur, le docteur Greene, que le pain avait été fait avec du seigle contaminé. Comme ils ne l’ont pas écouté, ils ont contacté l’ergotisme.


(5) La porte dans la salle des archives de Grandview est présente dans l’épisode en question. Il y a aussi un autre passage vers la ville souterraine, dans la boutique d’antiquités de Melinda. Seulement, dans cette réécriture, nous ne considérons que la porte dans la salle des archives.


(6) La description de la ville souterraine correspond à-peu-près à celle dans l’épisode de Ghost Whisperer, à l’exception du nom de la rue Lime.


(7) C’est le contexte de cet épisode. Jim Clancy, un ambulancier, est le mari de Melinda Gordon. Elle se confie à lui pour parvenir à résoudre certaines histoires des esprits errants qui viennent chercher son aide.


(8) Allusion à l’esprit de Clete Youngblood, un artiste qui a été exécuté par pendaison. Melinda l’a rencontré au cours de sa visite d’un musée d’art. Cet esprit est présent dans le quatorzième épisode de la première saison, soit en janvier 2006.


(9) Allusion aux panneaux routiers de la ville souterraine dans le film Podzemlje (Underground). Ces panneaux indiquent la direction à emprunter pour se rendre vers les différentes villes européennes. Nous ajoutons, par extension, de tels panneaux en Amérique du Nord, afin de relier toutes les villes souterraines existantes dans Podzemlje (Underground) et dans Ghost Whisperer.


(10) Ici, nous suivons la description de Marko Dren de Podzemlje (Underground).


(11) Natalija Zovkov est l’épouse de Marko Dren dans Podzemlje (Underground). Elle est une comédienne russe de laquelle l’officier nazi Franz tombe amoureux, sauf que Marko, avec la complicité de Petar, l'enlève. Dans le bunker, Marko et Petar sont amoureux d’elle, sauf que Marko parvient à ruser pour l’enlever et finalement la marier de force.


(12) C’est le nom de la boutique d’antiquités de Melinda dans Ghost Whisperer.


(13) C’est ce qu'ont découvert Petar et Ivan en 1992. Ils ont rencontré des hommes de la Force pour le Kosovo (KFOR), mais aussi une tsigane dans une charrette.


(14) Allusion à l’explosion du bunker en 1960, par la faute de Soni. Les occupants du bunker sont alors sortis à l’extérieur.


(15) L’une des dernières scènes de Podzemlje (Underground), lorsque Ivan surprend la conversation entre son frère et un trafiquant d’armes. Il le suit après puis le frappe sur le dos avec la canne dont il se sert pour marcher. Après cela, il se pend dans l’église.


(16) Ivan Dren a été un gardien de zoo à Belgrade. Il a exercé ce métier avant d’entrer dans le bunker.


(17) Dans l’épisode en question, Melinda, qui est entrée dans la bâtisse, voit les esprits errants. Elle en est même prisonnière. De sorte que Jim vole à son secours, suivi par Delia, l’associée de boutique de Melinda, et le professeur Richard Payne, guidés par Tessa Lucas, qui agit subtilement sur eux. Nous avons fait un petit changement par rapport à l’épisode.


(18) C’est en effet ce qui retient Tessa Lucas encore parmi les vivants.


(19) Dans cet épisode, Melinda a une vision alors qu’elle parle au téléphone, sauf que nous l’avons changée considérablement.


(20) Nous avons ajouté les détails au sujet du mari de Tessa, ce qui n’est aucunement mentionné dans l’épisode. Les autres détails sont exacts par rapport à l’épisode de la série américaine.


(21) Toutes ces informations généalogiques de Melinda Gordon sont reprises de la série.


(22) Rien de cela n’est précisé, donc nous avons improvisé une explication en fonction du fait que la mère de Melinda et sa grand-mère maternelle peuvent aussi voir les esprits errants.


(23) Les parents d’Ivan et de Marko Dren ne sont aucunement mentionnés dans le film de Kusturica, tout comme l’éducation religieuse. Nous avons fait ces ajouts par réalisme.


(24) Gabriel Gordon — mais qui se présente sous le nom de Lawrence — est le fils de Thomas Gordon et d’une femme non-mentionnée dans la série, que Melinda a rencontré au cours de la deuxième saison et qu’elle revoit à nouveau au cours de la troisième saison. Rebecca Cahill est une adolescente que la passeuse d’âmes a rencontré au cours du neuvième épisode de la troisième saison. Pour cette présente fiction, nous considérons que Melinda a rencontré beaucoup plus tôt Rebecca. Kristen Filbert, elle, est une fillette que la protagoniste de Ghost Whisperer a rencontré au vingt-deuxième épisode de la première saison puis au vingt-deuxième épisode de la deuxième saison.


(25) Penthius est le nom du moteur de recherche que Melinda utilise pour obtenir des informations au sujet des esprits errants. 


(26) Il arrive aussi à Melinda Gordon d’avoir la visite dans ses rêves des esprits errants qui lui montrent alors certains moments de leur vie.


(27) Il s’agit de l’une des dernières scènes de Podzemlje (Underground). Nous ajoutons simplement la mention avec l’âme de Marko qui fait tourner le fauteuil en mouvement circulaire autour de la croix près de l’église où Natalija et lui se trouvent.




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